Intervention de Jean-Jacques Lozach

Réunion du 19 janvier 2010 à 21h30
Réforme des collectivités territoriales — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux motifs ont guidé la rédaction du texte qui nous est soumis : un nombre prétendument excessif, d’une part, de collectivités territoriales et, d’autre part, d’élus. Or la mission Belot-Krattinger a montré qu’il n’y a pas plus de niveaux de collectivités en France que dans les pays comparables et que le nombre d’élus n’ajoute aucune difficulté, au contraire.

Il y a un an, cette mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales débutait ses travaux. Ce travail collectif et consensuel de grande qualité faisait honneur au Sénat. C’était une sorte de printemps législatif. À la dernière seconde, le groupe UMP a présenté une contribution comportant des propositions surprenantes, contradictoires avec ce que ses propres représentants venaient d’approuver ! Mais, au final, le travail considérable et novateur de la mission a été bien mal respecté. Déconsidéré, le Sénat travaille maintenant sur les propositions des hommes de l’Élysée, pas encore « sous leur dictée », certes. Mais, reconnaissons-le, les principes affichés lors de la dernière révision constitutionnelle et les ambitions en matière d’initiative parlementaire sont bien mal traités.

Dans les années quatre-vingt, la décentralisation a été très violemment combattue par la droite parlementaire. Mais chacun a vite reconnu ses bienfaits : une profonde et exemplaire oxygénation de notre vie administrative. Or, au vu de ce projet de loi, on peut se demander si certains ont bien accepté ce qui, pour le coup, était une heureuse révolution.

Cette logique de décentralisation, peu à peu adaptée et perfectionnée, a guidé les lois successives de 1992, de 1995, de 1999, de 2002 et de 2004.

Mais, aujourd’hui, vous nous proposez un changement de cap, radical et brutal, car votre projet de loi signifie l’enterrement de la décentralisation, sous prétexte de simplifier l’entrelacs des échelons territoriaux. Il signe l’enterrement d’une décentralisation qui, pourtant, préserve les particularismes géographiques et culturels et permet à nos concitoyens d’entretenir des relations de proximité avec des élus qui se penchent sur leurs difficultés ou leurs projets.

Or nous allons, via les conseillers territoriaux, vers une « déterritorialisation » des élus. En réalité, c’est même une véritable recentralisation que nous impose le Gouvernement. On a pourtant connu Nicolas Sarkozy plus ouvert à l’égard des territoires, notamment lorsque, en 2001, il déclarait ceci : « Une nation moderne est une nation qui revendique la décentralisation. Un État moderne est celui qui reconnaît qu’il lui est impossible de tout régenter, diriger, organiser. »

J’ai bien peur que la réforme qui nous est ici proposée ne soit l’antithèse complète de la modernité évoquée par le Président de la République.

Ainsi, pour la première fois depuis 1982, il n’est plus question d’accorder davantage de responsabilités aux échelons et aux représentants locaux ; pour la première fois, il est question non plus de les émanciper, mais, à l’inverse, de limiter leurs libertés, de les encadrer de manière étouffante, voire de les déstabiliser. Nous allons vers une régression majeure.

Cette révision générale des politiques publiques appliquée à l’architecture territoriale de la République, associée à la mise sous tutelle financière des collectivités territoriales, marque le retour historique d’un jacobinisme qui refuse de dire son nom et qui affaiblit délibérément des corps intermédiaires pourtant indispensables à une démocratie vivante.

Et que nous propose-t-on en compensation de cette ample restructuration ? Des conseillers territoriaux ! Cette vaste supercherie ne convainc même pas, j’en suis sûr, beaucoup de nos collègues de la majorité. La mission de ces conseillers, trop peu nombreux, sera bien difficile, voire inopérante ; elle se déploiera au détriment du lien social, de l’écoute des attentes de la population, de la proximité, principe républicain de base. Si cette réforme est votée, l’État ne respectera pas la Constitution de notre République et ne remplira pas sa mission d’équité.

Le département, premier partenaire des communes, acteur incontournable de la solidarité sociale et territoriale, se trouve sérieusement menacé. Il était déjà mis à mal par des transferts considérables de charges non compensés depuis une dizaine d’années. Cet étranglement financier, accompagné de la suppression de la clause de compétence générale, menace son avenir.

D’ailleurs, la majorité parlementaire semble déjà envisager l’étape suivante. Invité dans une émission de télévision, le 11 janvier dernier, Jean-François Copé n’évoquait-il pas déjà la fusion des départements et des régions ? Édouard Balladur n’a-t-il pas préconisé « l’évaporation des départements » ?

Je ne peux pas croire que le projet de loi qui nous est soumis soit l’acte I de la disparition des départements. Nombre d’entre nous sont membres d’un conseil général ou l’ont été. Nous sommes bien placés pour apprécier, au quotidien, l’importance de cet acteur au niveau local. Pourtant, ce texte, en particulier son article 12, ouvre une brèche susceptible de conduire à la mort des départements.

Les conseillers territoriaux envisagés seront désignés à l’issue d’un scrutin à un seul tour, scrutin d’où sortiront parfois des élus minoritaires. Est-ce ce lien que vous souhaitez établir avec vos concitoyens ? Par ce tripatouillage du mode d’élection, on affaiblit la légitimité des élus et on dénature la volonté populaire ; on ne tient aucun compte de la tradition électorale de notre pays, pourtant bien acceptée de tous.

À ce propos, j’ose à peine évoquer l’incertitude et l’immobilisme qui risquent de peser sur nos collectivités d’ici à 2014. En effet, le risque est grand de voir nos collectivités paralysées pendant quatre ans, alors même que, maintenant plus que jamais, elles doivent impérativement se montrer réactives face à la crise.

Qu’en est-il des régions proprement dites ? Sortiront-elles renforcées ? À l’évidence non, car leur pouvoir émergent subit un funeste coup d’arrêt. L’incontestable affirmation du fait régional devenait-elle dérangeante ?

Enfin, je veux exprimer ma crainte de voir s’aggraver la dévitalisation de nombreux espaces ruraux, dont le dynamisme du tissu économique et social repose en particulier sur l’organisation et l’animation des territoires. La notion de proximité est chère à l’ensemble des Français, mais elle l’est sans doute davantage encore sur ces espaces en difficulté, qui assistent au dramatique effacement des services publics de l’État.

Monsieur le ministre, les citoyens ne s’opposent pas à votre vœu de réforme par conformisme, habitude ou refus du changement ; ils apprécient tout simplement que, au sein de nos institutions de proximité territoriale, s’exercent la démocratie, le débat et la solidarité au quotidien, en un mot la citoyenneté, bien si précieux pour notre fonctionnement républicain.

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