Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le retrait brutal des forces américaines du nord de la Syrie, suivi du déclenchement des hostilités par la Turquie, est un nouveau tournant dans ce conflit vieux de plus de huit ans.
La décision de retrait des Américains n’est pas une réelle surprise, puisqu’elle prolonge une volonté de désengagement déjà annoncée par le président Obama, que son successeur aura mise en œuvre à sa façon, avec brutalité et précipitation, mettant fin, par la même occasion, à une politique néoconservatrice américaine de plus de quinze ans au Moyen-Orient.
Rarement une escalade politico-militaire aura provoqué autant d’effets collatéraux et fait surgir autant d’interrogations.
C’est d’abord l’OTAN qui voit se confronter les positions de deux de ses principales composantes. Les interrogations sur cette institution, dont l’objet même est d’être une instance politico-militaire de sécurité collective, ne datent pas d’aujourd’hui, même si les critiques se devaient jusqu’à présent d’être discrètes. Mais, aujourd’hui, ces interrogations ne peuvent plus être écartées, des voix autorisées ne manquant pas de poser la question de l’avenir de l’organisation. En tout état de cause, l’OTAN ne pourra pas rester silencieuse face aux événements qui viennent de débuter et aux interrogations qui en résultent.
Une deuxième question a trait bien évidemment à l’unité, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’État syrien.
Les conflits de Syrie et d’Irak auront montré l’importance cruciale de l’unité et de l’intégrité territoriale de ces pays. Mais, concernant le nord de la Syrie, la frontière est marquée, plus qu’ailleurs, par le poids de l’histoire, depuis les accords Sykes-Picot jusqu’à la Cilicie, en passant par le sandjak d’Alexandrette et le traité de Lausanne. Il est primordial que tout soit fait pour que le déclenchement des opérations turques visant à installer une zone de sécurité ne soit pas le prétexte à une remise en cause de l’intégrité territoriale de la Syrie.
Une question connexe est bien évidemment celle de la sécurité des Kurdes et des populations du nord de la Syrie, dans toutes leurs composantes ethniques et religieuses. Si le PKK est revenu au cœur de l’actualité avec l’offensive turque, il a toujours été en toile de fond des événements de ces quatre dernières années. Les discussions d’Oslo avaient laissé entrevoir une ouverture possible ; les événements de Kobané auront brutalement rappelé que, pour les Turcs, le PKK est le premier adversaire, bien avant Daech. L’opération « Bouclier de l’Euphrate », durant l’été 2016, ne fit que confirmer cette priorité ; plus récemment, l’opération d’Afrine a prolongé et conforté la volonté de la Turquie de contrôler ce territoire frontalier, au prétexte d’y réinstaller des réfugiés.
L’offensive engagée le 9 octobre dernier procède de la même logique : reprendre possession d’une bande frontalière pour y installer des réfugiés. Mais la réalité du terrain, selon les retours que nous en avons, donne peu de crédit à une telle affirmation.
Quand on sait le prix de l’engagement et du sang versé par les combattants kurdes dans la lutte contre Daech, la sécurité est la moindre des marques de reconnaissance qui leur sont dues. Les circonstances de la guerre, qui ne sont pas à l’honneur des Occidentaux, Français compris, auront conduit les Kurdes à trouver un accord avec les autorités syriennes. Cet accord ne leur offre pas pour autant les garanties nécessaires face aux opérations turques. Il est donc important que tout soit fait pour mettre un terme à l’engagement militaire turc sur le sol syrien, seule garantie pour l’avenir des populations, quelles que soient leurs composantes ethniques et religieuses.
On ne saurait évoquer le nord de la Syrie sans parler des prisonniers, qui sont quelques dizaines de milliers, dont un nombre important d’Occidentaux et de Français.
Les accords conclus entre les forces kurdes et les autorités syriennes prévoient de sécuriser les camps de prisonniers, dont on pourrait craindre la dispersion, avec toutes les conséquences que cela impliquerait sur le plan sécuritaire.
M. le ministre Le Drian a toujours dit que les djihadistes devaient relever de la justice des lieux du conflit. Est-ce aussi simple ? Une question tout aussi sensible, quoique moins évoquée, a trait à la situation des enfants de djihadistes et des femmes non combattantes. Il faudra choisir entre ce que nous pourrions qualifier de « syndrome de Guantanamo » et le retour dans les pays d’origine, réclamé par plusieurs institutions internationales et magistrats spécialisés au regard tant de considérations humanitaires que du risque de voir se développer une génération d’enfants soldats. C’est une question sensible, mais l’enjeu sécuritaire, au-delà de l’aspect humanitaire, impose la prise de décisions politiques courageuses.
Dans ce conflit qui n’est pas encore terminé, et au sein duquel le combat contre Daech reste total, même s’il prend une forme nouvelle, l’Union européenne aura été, une fois de plus, la grande absente, hors la mise en place d’un embargo qui fait cruellement souffrir la population syrienne, comme le soulignait récemment le représentant du Comité international de la Croix-Rouge, le CICR, auditionné par notre commission. Une levée, même partielle, de cet embargo serait un premier soulagement pour la population syrienne, une première contribution en sa faveur, en même temps qu’une réponse sécuritaire.
Paradoxalement, cette nouvelle escalade du conflit pose question pour demain.
Entre le processus de Genève et celui d’Astana, c’est de toute évidence ce dernier qui a prévalu. Pourtant, le conflit exige que l’Europe puisse revenir dans le jeu au Moyen-Orient, qui se trouve à sa porte. La France, plus que tout autre pays, doit y prendre sa part, pour elle-même et pour l’Europe.
Lors de son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron avait défini une ligne très gaullienne pour la politique internationale de la France, entre la Russie et les États-Unis. Une telle ligne semblait constituer la toile de fond du discours prononcé lors de la conférence des ambassadeurs, il y a quelques semaines.