D’abord, la conclusion du Conseil européen n’est pas le fruit, comme je le lis depuis quelques jours, d’un quelconque veto français. Pour qu’il y ait veto, il faut qu’il y ait vote ; or il n’y en a pas eu.
Ensuite, de nombreux projets de conclusion ont été présentés, que ce soit au conseil Affaires générales ou devant le Conseil européen, et aucun de ces projets n’a réuni de consensus. Pourquoi ? Parce que certains États membres souhaitaient l’ouverture immédiate des négociations d’adhésion pour la Macédoine du Nord et l’Albanie, d’autres le souhaitaient uniquement pour la Macédoine du Nord et d’autres enfin posaient des conditions en termes de réformes supplémentaires.
La France, comme souvent dans les institutions européennes, a proposé une approche positive et crédible et a cherché à réunir une unanimité – c’est la procédure qui s’applique à ces sujets. Nous avons axé notre message sur les points suivants : d’abord, renforcer notre attachement à la perspective européenne des pays des Balkans occidentaux – leur avenir est européen –, ensuite demander la mise en œuvre complète des réformes que nous avons réclamées au Conseil en juin 2018 et 2019.
Nous avons également demandé qu’une nouvelle procédure de négociations soit proposée, ce que la France soutient depuis des années. Il ne s’agit pas de ralentir le processus, mais de s’assurer que, pendant les négociations, les populations des pays concernés y trouvent un avantage concret plutôt que de voir se dérouler un processus juridique qui n’amène qu’une seule chose : l’émigration massive des jeunes et des classes moyennes qui finalement perdent espoir.
C’est sur cette base et selon ces étapes que nous pourrons nous décider à ouvrir les négociations ou en tout cas à étudier leur ouverture au printemps 2020 en amont du sommet Union européenne-Balkans qui se tiendra sous la présidence croate à Zagreb en mai 2020.
Et puis j’aimerais vous dire quelques mots sur le Brexit, ce véritable feuilleton, même si je dois vous dire que ce sujet fait davantage l’objet de discussions depuis le Conseil européen que lors de sa réunion. En effet, jeudi, nous étions juste quelques heures après la conclusion d’un nouvel accord entre l’équipe de négociation de Michel Barnier et celle du Gouvernement britannique.
Je voudrais d’abord vous dire que cet accord est un bon accord. Il propose un nouvel équilibre sur les questions de la frontière irlandaise et du consentement démocratique en Irlande du Nord et en ce qui concerne la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Vous le savez, je vous en avais parlé la semaine dernière, la France a particulièrement insisté sur le fait que cette relation future devra être loyale, équilibrée et sans divergences excessives avec nos normes sociales, fiscales et environnementales.
Mais comme en avril dernier et plus que jamais, nous devons absolument clarifier les enjeux et les échéances pour nos concitoyens. Sans délai clair – nous connaissons trop bien cette petite musique –, la situation pourrait de nouveau s’enliser. C’est bien parce qu’en avril dernier et depuis lors le Président de la République a tenu une position très ferme sur la date butoir du 31 octobre que nous avons réussi à faire des progrès depuis dix jours. La question est finalement assez simple : est-ce que le Parlement veut, oui ou non, d’un nouvel accord ?
Nous le savons, une sortie sans accord, un no deal, serait un moment de vide juridique et nous ne le souhaitons pas, mais nous devons avec la même force limiter l’incertitude qui mine des millions de familles et d’entreprises, car l’incertitude liée au Brexit est une cause à ne pas négliger de la récession industrielle qui sévit dans certains pays européens.
Pour entrer en vigueur, ce projet d’accord de retrait révisé ainsi que la déclaration politique sur les relations futures qui l’accompagne doivent être adoptés par l’Union européenne et ratifiés par le Parlement européen et le Parlement britannique.
Ce n’est pas encore le cas ! Cependant, une étape importante a été franchie ce soir et je crois qu’il faut la saluer : pour la première fois depuis des mois, une majorité s’est exprimée en faveur des objectifs de l’accord. Pour autant, le Parlement britannique se divise sur la rapidité du processus de ratification de cet accord, ce qui complique naturellement les choses.
Nous n’avons donc pas de clarté sur le calendrier, ce qui accroît l’incertitude. D’autant plus que le Parlement britannique a mis sur la table des amendements de substance, notamment pour revenir à l’union douanière, étendue à tout le Royaume-Uni, comme c’était déjà le cas dans la version de l’accord avec Theresa May. Vous imaginez bien que, lorsqu’un accord est amendé d’un côté, il est difficile pour l’autre partie, en l’occurrence les Européens, de déterminer sa position.
De manière très solennelle, je veux le dire devant le Sénat, qui représente les Français, parfois de l’étranger, les territoires, nous devons absolument sortir de cette incertitude, qui est toxique, angoissante, pénalisante pour la vie de nos familles et des entreprises.
Certains nous disent que la situation de ce soir justifierait forcément une extension. J’ai envie de répondre : pour quoi faire ? Nous le savons, le temps seul n’apportera pas de solution. Seule une décision politique peut apporter une clarification.
Il nous faut comprendre comment les Britanniques prévoient de recréer les conditions d’un alignement démocratique entre le peuple, le parlement et le gouvernement. Certains nous parlent d’élections, d’autres de référendum. La position française est de dire que nous ne pouvons pas étendre à l’infini, en restant spectateurs d’un processus dont rien ne ressort. Une extension ou une demande d’extension ne peut être entendue que si elle est justifiée et que nous en comprenons les raisons. Je crois qu’il y a là, pour nous tous, une ligne claire à tenir.
Pendant ce Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement ont également échangé sur les sujets de politique étrangère, en particulier la situation du nord-est de la Syrie et le problème des forages turcs en Méditerranée. Le Conseil, comme j’avais pu le faire devant cette assemblée lors d’un débat sur l’offensive turque, a condamné très fermement et à l’unanimité les actions militaires unilatérales de la Turquie en Syrie. Il a pris acte de l’annonce par les États-Unis et la Turquie d’une pause dans les opérations militaires, mais il a surtout demandé qu’elles cessent immédiatement et de manière définitive, avec un retrait des forces en présence. De plus, conformément aux conclusions du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne du 14 octobre dernier, il a rappelé que tous les États membres avaient décidé de suspendre les licences d’exportation d’armement vers la Turquie. Un appel collectif à la réunion de la coalition contre Daech a été lancé pour que ceux qui, hier, combattaient ensemble et qui, aujourd’hui, combattent les uns contre les autres, prennent leurs responsabilités.
Sur le sujet des forages turcs en Méditerranée orientale, le Conseil européen a endossé les conclusions du conseil du 14 octobre, qui prévoient l’adoption de mesures restrictives, ciblées, à l’encontre des responsables de ces forages illégaux et ont réaffirmé la solidarité entière de l’Union européenne avec Chypre.
Enfin, je terminerai sur la prise de fonction de la nouvelle Commission, même si ce point n’a pas été officiellement à l’ordre du jour de la réunion. Il est clair qu’elle ne pourra pas avoir lieu le 1er novembre. L’objectif est désormais le 1er décembre, si les trois nouvelles candidatures sont présentées dans les deux prochaines semaines. C’est un enjeu essentiel de travail collectif pour que le Conseil, le Parlement et la Commission puissent faire ce que l’on attend d’eux : proposer des projets européens et les mettre en œuvre pour apporter des résultats à nos concitoyens.