Intervention de André Gattolin

Réunion du 22 octobre 2019 à 21h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 17 et 18 octobre 2019

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie bienévidemment d’excuser mon ton un peu farceur, malicieux etprimesautier. Mais comme certains de mes collègues, notamment ceux qui siègent à la commission des affaires européennes, j’ensuis à plus d’une douzaine d’interventions – quand on aime, on ne compte plus ! – dans l’hémicyclesur ce sujet depuis 2015… Mon imagination en matière de série à répétition n’est malheureusement pas aussidéveloppée que celle de nos chers collègues britanniques !

Pourtant, je me soigne et j’essaie de comprendre ce qui se passe dans ce royaume britannique que j’aime tant.

Pour ce faire, j’ai la chance d’échanger fréquemment avec Denis MacShane, ancien ministre des affaires européennes de Tony Blair, europhile convaincu et « inventeur » du terme « Brexit » en 2012, qui vient de faire paraître en fin de semaine passée un nouveau livre dont le titre, Brexeternity – un Brexit sans fin – résume à lui seul son sentiment : le Royaume-Uni, et accessoirement l’Union européenne, est loin d’en avoir fini avec le Brexit. MacShane considère qu’au-delà d’une mise en œuvre officielle du Brexit à court terme, son pays en aura encore au moins pour dix à quinze ans de débats passionnés sur le sujet. On appelle aussi cela un cancer de longue durée…

Comme lui, je note cependant une évolution récente assez intéressante, presque rassurante, avec l’accord trouvé entre l’Union européenne et le Premier ministre Boris Johnson la semaine passée. Dans les discours de ce dernier, qui accompagnent ses tentatives de faire approuver l’accord par son parlement, on note un début de reconnaissance, sinon à l’endroit de l’Union européenne, tout au moins à celui de l’idée européenne. C’est un premier pas, certes timide, mais cela sonne un peu comme la fin de certains discours surréels et haineux à l’endroit de l’Europe qui ont été développés ces cinq dernières années par les « Brexiters », dont Boris Johnson était un des fiers hérauts.

Car il est bien difficile aujourd’hui d’imaginer comment le Royaume-Uni pourrait s’inventer un destin national en dehors de l’Europe. Les « réalités alternatives », chères à Donald Trump et propagées à la sauce anglaise, ont à présent sérieusement du plomb dans l’aile.

Première hypothèse, au début du Brexit : la création d’une association européenne alternative à l’Union européenne, sur le modèle de l’Association européenne de libre-échange, l’AELE, des années soixante.

Le problème, c’est que le référendum sur le Brexit n’a pas du tout entraîné un effet domino sur les autres États européens, y compris ceux gouvernés par des forces eurosceptiques.

Deuxième hypothèse, évoquée par le président Cambon : le « modèle Singapour », porté par plusieurs dirigeants conservateurs, ferait du Royaume-Uni un paradis de la déréglementation fiscale et sociale par l’adoption rapide de lois fiscales très attractives pour les investisseurs étrangers.

Ce scénario est jugé totalement irréaliste, même par le Premier ministre de Singapour. Ce qui est possible pour un petit État qui n’a pas trop de charges, compte 66 millions d’habitants et affiche une dette sociale, tout en étant capable d’investir dans la défense, ne peut être appliqué dans un pays qui a déjà beaucoup dérégulé.

Le troisième scénario est le « Commonwealth revisité ».

On peut en rire ! Le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont d’ores et déjà signé des traités de libre-échange avec l’Union européenne. Seule l’Inde pouvait encore complaire à la mère patrie… Mais, lors des dernières rencontres entre Mme May et le Premier ministre Narendra Modi, celui-ci a dit à son interlocutrice : ouvrez d’abord vos frontières à nos 1, 2 ou 1, 3 milliard d’Indiens, et nous verrons ensuite…

Il ne reste plus que l’accord « phénoménal », selon le terme employé par Donald Trump, proposé par les États-Unis. Mais la réciprocité des flux commerciaux serait défavorable au Royaume-Uni, lequel, ne l’oublions pas, est le deuxième pays en Europe, après l’Allemagne, à avoir une balance commerciale positive avec les États-Unis. Le Trésor britannique estime qu’un tel accord ne ferait monter le PIB du Royaume-Uni que de 0, 2 %, et recommande ardemment de passer de nouveaux accords avec l’Union européenne.

À défaut d’un Brexit « post-réalité », la réalité post-Brexit est aujourd’hui amère et sera sans doute cruelle demain, tant pour le peuple britannique que pour le futur de ses nations.

« There is no alternative ! », scandait régulièrement Mme Thatcher, à partir de 1979, pour justifier sa politique. Aujourd’hui, le Royaume-Uni est nu face à un destin qu’il ne maîtrise plus et qu’il semble incapable de reformuler.

En tant qu’Européens, nous avons, et nous aurons toujours, la gentillesse de discuter avec eux, et de les accueillir en cas de retour dans l’Europe.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion