Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, depuis des mois, nous suivons la situation au Levant, en particulier l’engagement de nos forces contre l’État islamique. Si la France, avec d’autres, participe à la coalition contre Daech, il faut admettre qu’en réalité les Européens pèsent peu dans le contexte régional.
Il y a d’abord eu les Russes, qui ont su imposer leur présence au milieu du chaos sur le terrain et du vide diplomatique.
Aujourd’hui, le retrait américain et l’offensive turque illustrent encore le peu de prise de l’Europe sur le cours des événements. Depuis les guerres d’Afghanistan puis d’Irak, au coût financier et humain exorbitant, les États-Unis ne veulent plus se trouver enferrés dans de tels conflits, dans des régions qui, selon eux, seraient « par nature » instables. Quand le président Trump dit que « le job est fait », il s’en tient à Daech écrasé sous les bombes. Mais quid du sort des populations civiles ou des djihadistes prisonniers, notamment européens, qui pourraient revenir dans leurs pays d’origine ?
La Turquie, jadis bon élève de l’OTAN et un temps au seuil de l’Union européenne, joue désormais seule sa partition d’acteur régional et renvoie les Européens à leurs propres turpitudes, celles de notre incapacité collective à avoir su prévenir puis gérer la crise migratoire, conduisant à la conclusion d’un accord à haut risque. Ce pis-aller, trouvé en urgence, nous paralyse désormais, puisque les autorités turques agitent le spectre d’un flot migratoire régulièrement, à chaque mouvement d’humeur de l’Union européenne à leur endroit.
Par ailleurs, les tensions avec la Turquie ont aussi des développements en Méditerranée orientale, puisque Chypre se retrouve à nouveau aux prises avec les autorités turques dans un différend en matière d’espaces maritimes, exacerbé par la présence de gisements d’hydrocarbures dans ladite zone. Depuis quelques semaines, l’intrusion d’un navire de forage turc dans la zone économique exclusive chypriote contestée par la Turquie fait craindre une escalade régionale. La même situation était déjà survenue cet été, aboutissant à des réactions fermes de l’Union européenne, mais sans effet. Le Conseil, qui considère ces activités de forage comme « illégales », s’est entendu dernièrement sur la mise en place de mesures restrictives. La France, qui a des intérêts énergétiques dans la zone, a, semble-t-il, dépêché des moyens navals sur place. Quelle est la situation à ce stade ?
J’en viens aux relations entre l’Union européenne et la Russie, que j’espère, dans notre intérêt partagé, voir prendre une tournure plus apaisée, car l’un des dangers pour l’Union européenne est la convergence sino-russe. La Russie bascule sur son versant asiatique en soignant sa relation avec la Chine, même si la sinisation en cours de l’orient russe inquiète Moscou. Au Forum sur les nouvelles routes de la soie, puis au Forum économique international de Saint-Pétersbourg, Russie et Chine ont montré leur entente. C’est aussi le cas au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai, sur laquelle les deux pays ont pris le leadership. En septembre 2019, un exercice militaire russo-chinois à grande échelle s’est déroulé en Russie. De même, cet été, des patrouilles d’avions militaires chinois et russes ont été menées au large de la Corée du Sud et du Japon. Aujourd’hui, la base chinoise de Djibouti intéresse à l’évidence les Russes, comme, d’ailleurs, les bases russes de Méditerranée orientale suscitent l’intérêt des Chinois.
Le message adressé aux Américains comme aux Européens est clair. Cette convergence de deux États aux ambitions globales, jusqu’en Arctique et en Méditerranée, doit, me semble-t-il, inviter les Européens à une plus grande coopération pour desserrer l’étau qui se met en place.
Pour ce qui concerne la Chine, mes chers collègues, vous connaissez les enjeux, mais aussi les opportunités, pour l’Union européenne, des routes de la soie. Il faudra cependant que nous demeurions attentifs à la stratégie chinoise consistant à diviser l’Europe par le biais des relations bilatérales avec ses États membres.
Je note avec intérêt la récente signature d’un partenariat pour une connectivité durable et des infrastructures de qualité entre l’Union européenne et le Japon.
Un autre danger pour le vieux continent est la convergence turco-russe qui, au-delà de la seule Union européenne, inquiète également l’OTAN, en particulier depuis l’achat par Ankara de systèmes antiaériens S400 russes.
Enfin, madame la secrétaire d’État, je veux revenir sur les vides juridiques que vous avez évoqués et mis en cause. Je suis personnellement convaincu que les technocrates qualifient de « vides juridiques » les espaces de liberté laissés par le législateur. En démocratie, la liberté est le principe, quand l’interdiction ou la réglementation sont l’exception.
Je veux vous dire aussi que j’approuve votre position concernant les demandes d’élargissement de l’Union européenne.
Pour terminer, si nous ne prenons pas toute la mesure des événements qui se déroulent sous nos yeux, nous finirons, à n’en pas douter, comme de simples clients ou sous-traitants des Chinois ou des Américains, sous la pression permanente des Russes.