Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du 22 octobre 2019 à 21h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 17 et 18 octobre 2019

Amélie de Montchalin :

Une extension qui ne servirait qu’à gagner du temps ou à rediscuter l’accord est totalement exclue. Il ne s’agit pas d’un changement de position. Nous avons déjà perdu trop de temps. Nous avons trouvé un accord équilibré qui respecte à la fois la souveraineté britannique et les lignes rouges européennes. Nous devons consacrer toute notre énergie à le mettre en œuvre sans délai.

Nous devons nous employer à faire cesser une incertitude qui crée beaucoup d’angoisses et qui pénalise économiquement des millions de familles, d’entreprises et d’emplois. C’est la raison pour laquelle la France ne veut pas d’une extension à l’infini. Nous voulons pouvoir nous appuyer sur des échéances claires et rapprochées et avancer étape après étape.

Monsieur le président Éblé, vous m’avez interrogée sur le fameux plan de contingence visant justement à répondre à l’incertitude, si elle venait à se manifester. Certains règlements ont déjà été modifiés, notamment le mécanisme d’interconnexion des infrastructures portuaires qui a permis de réaliser des investissements à Boulogne, à Calais et autour de l’entrée du tunnel sous la Manche, à Coquelles. Je pense également au fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, ou Feamp, en cas d’immobilisation de la flotte. La Commission a aussi proposé de nouveaux aménagements concernant l’activation du fonds de solidarité de l’Union européenne, le fameux FSUE, destiné à aider les pays confrontés à des chocs subis et non prévisibles et la mobilisation du fonds européen d’ajustement à la mondialisation, le FEM, qui permet notamment de se protéger contre des chocs commerciaux extérieurs ou d’y répondre.

Au départ, la Commission prévoyait des critères suffisamment restrictifs pour que ces mécanismes ne profitent qu’à très peu de monde, pour ne pas dire à personne. La France a plaidé, avec un certain succès, pour qu’ils puissent être réellement mis en œuvre. Il ne s’agit pas d’être dans le symbolique : si l’on crée des mécanismes, il faut s’assurer de l’existence de bénéficiaires.

Il est difficile de savoir aujourd’hui combien de millions ou de milliards d’euros tout cela pourrait représenter pour la France. Ce n’est pas une enveloppe par pays, mais en fonction des besoins. Je ne peux vous dire combien d’entreprises en bénéficieraient si nous activions ces mécanismes.

Je tiens à rappeler mes propos lors de mon audition : j’ai besoin de vous et de votre soutien si jamais les Britanniques venaient à ne pas payer leur contribution de 2020, soit 12 milliards d’euros – non pas parce qu’ils seraient forcés de rester, comme j’ai pu l’entendre ce soir, mais bien parce qu’il s’agit de sommes dues.

Il faudrait alors absolument rappeler à la Commission européenne que nous nous opposons au plan qu’elle a imaginé, à savoir 6 milliards d’euros coupés dans les dépenses prévues – ce qui aurait des conséquences immédiates sur nos collectivités locales – et un appel à contribution des États membres de 6 milliards, soit plus d’1 milliard d’euros pour la France. Vous êtes en train d’examiner le projet de loi de finances : je vous laisse imaginer ce que représenterait sur nos comptes publics une telle contribution exceptionnelle… Dans la mesure où, pour entamer des discussions sur une relation future, il faudrait que le Royaume-Uni ait payé ses contributions, cela reviendrait à faire des avances de trésorerie.

Si cette situation venait à se produire, il faudrait trouver une solution technique pour apporter 12 milliards d’euros de trésorerie à la Commission, puisque nous savons que cet argent sera récupéré. S’il ne l’était pas, il n’y aurait pas de relation future. Il faut mener un travail technique sur ce sujet, peut-être par la BEI, la Banque européenne d’investissement, au capital de laquelle le Royaume-Uni a des parts.

Il existe plusieurs manières de trouver des garanties et de se prémunir. Il s’agit d’un sujet hautement politique. Je ne me vois pas revenir devant vous ou ailleurs pour expliquer aux élus locaux ou aux contribuables que nous devons faire des efforts en raison d’un petit problème de trésorerie britannique…

Monsieur le sénateur Bonnecarrère, nous nous sommes effectivement mobilisés contre une relation future marquée par la concurrence déloyale. Nous considérons que la déclaration politique sur la relation future est une bonne déclaration en ce qu’elle encadre très fermement les conditions d’un accord de libre-échange.

Je tiens d’ailleurs à vous rassurer : vous aurez à ratifier cet accord de libre-échange. Les parlements nationaux vont rentrer de nouveau dans le jeu : si l’accord de divorce est bien un processus restreint à l’Union européenne au nom des Vingt-Sept, au Parlement européen et au Royaume-Uni, dès qu’il s’agira de l’accord de libre-échange, même négocié au nom de l’Union européenne, chacune des chambres nationales devra bien le ratifier.

Madame la sénatrice Guillotin, vous m’avez interrogée sur l’exécution des fonds européens. C’est bien beau de négocier des enveloppes, mais c’est encore mieux si elles se concrétisent ensuite. Comme vous le savez, j’ai l’intention de travailler très précisément, avec tous les parlementaires, tous les élus locaux, toutes les associations d’élus, à simplifier le recours aux fonds européens. Trop souvent, on dit que l’Europe est compliquée ; en fait, ce sont les procédures françaises de mise en œuvre des politiques européennes qui sont compliquées. Avec Jacqueline Gourault et les ministres référents – Didier Guillaume pour les politiques agricoles ou Muriel Pénicaud pour les politiques sociales – nous menons, avec un certain nombre de préfets, un travail de recension très pratique : quelles sont les démarches à suivre en France pour avoir accès au fonds social européen et quelles sont celles à suivre en Belgique, par exemple ? Inspirons-nous de ce qui est plus simple ailleurs pour faciliter la vie des porteurs de projets. Notre objectif est de faire en sorte que l’argent arrive dans les territoires.

En ce qui concerne l’élargissement, vous nous avez appelés à développer une prospérité réelle. Il s’agit aussi pour l’Europe de retrouver des modes de décision interne qui soient efficaces. Beaucoup de vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, soulignaient que l’Europe était dans une impasse, à la croisée des chemins… D’autres encore ont dit que nous devions nous ressaisir.

C’est là tout le paradoxe : quand nous sommes au Conseil européen et qu’on nous parle d’élargissement, il est devenu tabou de dire que le sujet n’est pas de savoir si tel ou tel pays mérite ou démérite, mais d’avoir revu nos procédures internes de décision le jour où nous aurons à statuer sur leur adhésion effective. La règle de l’unanimité donne parfois un pouvoir démesuré à des coalitions de pays qui se mettent dans une posture de blocage et non de proposition. Je pense également à la représentation d’un commissaire. Peut-on vraiment travailler avec un gouvernement dont les trente membres sont sur un pied d’égalité totale. Comment organiser la collégialité, comment prendre des décisions et, surtout, comment retrouver de la rapidité ?

Ce qui rend beaucoup d’Européens sceptiques sur la valeur du projet européen, c’est la lenteur des processus entre le moment où l’on se fixe des objectifs et le moment où l’on arrive à les mettre en œuvre. Il faut des réformes. C’est la raison pour laquelle le Président de la République, la Chancelière Merkel et d’autres chefs d’État et de gouvernement soutiennent cette fameuse conférence sur l’Europe. Nous devons mettre certaines choses sur la table pour retrouver de l’agilité, de la rapidité et de la capacité à décider. Mme Merkel disait, au moment de choisir ceux qui allaient occuper les « top jobs », que le sujet ne portait pas tant sur les hommes que sur la capacité à prendre des décisions qu’on leur donne. Il nous reste à mener une réflexion sur le sujet.

Monsieur le sénateur Gattolin, je suis très déçue de ne pas disposer du temps suffisant pour regarder toutes les séries Netflix que vous avez décrites. §Je suis, parfois avec amusement, mais toujours avec beaucoup d’intérêt, celle qui s’appelle le Brexit. On finit par se demander si on est dans la fiction ou dans la réalité. Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons malheureusement pas en sourire, tant il y a d’incertitudes. Quand vous rencontrez les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, vous comprenez vite qu’il ne s’agit pas d’un feuilleton humoristique ni parodique.

Vous avez raison de souligner que ce processus sera de longue durée. Nous aurons en effet à « retricoter » toutes nos relations culturelles, universitaires, sociales et économiques. J’ai grandi à Calais. Le tunnel sous la Manche a été construit quand j’y habitais. Il mesure 50 kilomètres de long ; il ne fera pas davantage demain. Nous verrons toujours les falaises de Douvres depuis Calais. Au nord-ouest, le Royaume-Uni est notre premier voisin. Les 5 millions de camions qui passent par Calais chaque année pour rejoindre l’Angleterre ne vont pas disparaître demain. Nous avons des liens forts avec le Royaume-Uni qui a la possibilité, à tout instant, de dire qu’il souhaite rester dans l’Union européenne. Il peut également choisir un jour de refaire le chemin inverse.

L’accord de libre-échange traite de nos liens commerciaux. Nous avons aussi conclu de nombreux traités bilatéraux, notamment sur la défense. L’année prochaine, nous célébrerons les dix ans des accords de Lancaster House, traité fondateur dans nos relations avec le Royaume-Uni en termes de sécurité et de défense. Nous avons encore beaucoup de sujets sur lesquels travailler. J’espère que nous le ferons de manière positive. Il est toujours plus facile, politiquement, de se rapprocher que de se détacher.

Je vois que le sénateur Masson a quitté l’hémicycle. Il est coutumier du fait : souvent, il prend la parole, puis s’en va sans attendre ma réponse… Je voulais faire une première précision sémantique : il faut parler des Britanniques et non des Anglais. Anglais, Écossais, Nord-Irlandais, Gallois ont tous voté de manière assez différente sur le Brexit, mais c’est bien le peuple britannique qui a voté.

Je ne pense pas non plus que la comparaison entre 2005-2007 et ce qui se passe aujourd’hui soit de bon aloi. La France et ses partenaires n’ont pas voulu bloquer la volonté du peuple britannique de réaliser le Brexit. Depuis le départ, et vous savez que c’est un souhait permanent du Président de la République, nous ne devons pas nous opposer à ce référendum, mais faire en sorte que le processus démocratique aboutisse. Nous voudrions que les choses aillent plutôt vite. La lenteur ne sera pas forcément un gage de réalisation de cette volonté souveraine. Il faut toujours être extrêmement respectueux. Si nous croyons en l’État de droit, nous devons nous interdire toute ingérence directe.

Monsieur le sénateur Laurent, vous m’avez interrogée sur ce que vous décrivez comme des impasses. Je retiens deux choses : une nouvelle politique industrielle qui puisse nous amener à parler d’Alstom et de Siemens et une nouvelle politique ferroviaire, notamment pour permettre des investissements publics sur la sécurité ou sur le fret.

La Commission travaille déjà à changer de version, sinon de logiciel, et met clairement à jour sa doctrine pour pouvoir protéger nos emplois. Quand la présidente de la Commission nous dit vouloir mettre en place un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, j’y vois une méthode très intéressante de protection des normes environnementales et des emplois sur notre continent.

Il faut effectivement repenser un modèle de croissance, de prospérité, de partage des richesses. La France aimerait, par exemple, que toutes les dispositions sur l’intéressement et sur la participation puissent s’exporter à l’échelle européenne. Quand nous défendons le bouclier social, et notamment le salaire minimum européen, c’est-à-dire le fait qu’aucun travailleur à plein temps en Europe ne puisse gagner moins que le seuil de pauvreté, nous créons sinon un nouveau capitalisme, du moins un capitalisme respectueux des richesses qui permettent la production de prospérité collective.

Monsieur le sénateur Menonville, vous m’avez interrogée sur la PAC, sur la cohésion et sur la façon dont nous allions défendre ces politiques. Nous allons les défendre sans être conservateurs. Nous allons d’abord rappeler que l’Europe doit construire la souveraineté et la convergence. Si nous ne sommes pas capables d’apporter aux citoyens à la fois souveraineté et convergence, tout ce que je pourrai vous dire ici n’aura aucun sens concret dans la vie de nos compatriotes que nous appelons aux urnes tous les cinq ans.

Notre principale défense consiste à montrer en quoi ces politiques sont pertinentes, en quoi elles répondent aux exigences de nos territoires et des citoyens. Pour le Président de la République, la PAC et la cohésion sont tout à fait finançables avec une contribution de 1 % du PIB national. Par contre, le financement du reste doit reposer sur des ressources propres. J’y vois le chemin d’un compromis à même de réconcilier les pays contributeurs nets, très vigilants sur l’effort qu’ils consentent, et les pays qui souhaiteraient voir de nouvelles politiques se déployer.

Monsieur le sénateur Allizard, vous m’avez interrogée sur la Chine et l’Asie en général. Comme vous le savez, quand Xi Jinping est venu à Paris, nous l’avons reçu en compagnie de Mme Merkel. Un sommet avec Jean-Claude Juncker a ensuite eu lieu. Le Président de la République se rendra à son tour en Chine dans quelques jours, avec une délégation européenne… Nous devons essayer de nouer avec la Chine une relation, non pas d’égal à égal, car les Européens ne seront jamais aussi nombreux que les Chinois, mais de partenaires économiques et commerciaux qui repose sur une forme de réciprocité.

Une partie du déplacement du Président de la République en Chine est justement consacrée à l’ouverture des marchés chinois à nos entreprises. Nous devons créer de l’écoute et donc de la réciprocité sur ces sujets.

Vous m’avez également interrogée sur les forages turcs au bloc 7 au large de Chypre. Le Conseil européen a décidé des sanctions à l’encontre de ceux qui mènent ces forages. La limite à poser est celle de la souveraineté territoriale d’un État membre. Nous sommes extrêmement mobilisés sur ce sujet.

Monsieur le sénateur Marie, vous souhaitez savoir quels projets phares nous portons pour les années qui viennent. La France et l’Allemagne, contrairement à beaucoup de nos partenaires, ont une feuille de route. C’est le discours à la Sorbonne qui a ensuite été décliné sous diverses formes durant la campagne des élections européennes et qui a largement inspiré le discours d’Ursula von der Leyen.

Ce discours nous dit que l’Europe doit se positionner face aux défis de son siècle – le climat, la capacité à créer des emplois dans un monde très innovant… – et doit porter sa voix dans un monde qui n’est plus celui des années quatre-vingt-dix, avec des blocs très organisés, où chacun savait où il habitait. Les alliances sont aujourd’hui très mouvantes, ce qui nous oblige à retrouver de l’autonomie.

Cette souveraineté européenne est un cadre qui rassemble davantage chaque jour. Les différents pays ne peuvent répondre autrement qu’en Européens face aux pressions commerciales ou aux investisseurs prêts à partir très loin et à détruire des emplois…

Comment Ursula von der Leyen peut-elle trouver une majorité pour soutenir ce projet ? Le travail mené la semaine dernière avec les chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen et cette semaine au Parlement européen ne vise pas à signer un accord de coalition, un bout de papier signé la main sur le cœur pour cinq ans dont on ignore s’il aboutira à quoi que ce soit. Sur les grandes thématiques, les grandes priorités qu’elle a fixées, la présidente de la Commission doit pouvoir disposer d’un engagement collectif et de confiance.

Je me rends à Strasbourg tous les mois depuis six mois, au moment de la plénière, pour rencontrer les parlementaires européens de manière extrêmement intensive. Les choses sont bien évidemment plus compliquées qu’avec deux blocs et des positions définies dès le départ, mais je peux vous assurer qu’une majorité existe sur de nombreux thèmes. Il faut construire cette majorité, sujet par sujet. C’est un travail que je mène aussi au Conseil. Si l’on se contente de dire que la France et l’Allemagne sont d’accord, ça ne marche pas. Les coalitions se forment sujet par sujet : nous avons des partenaires sur le budget, nous en avons d’autres sur le climat ou sur la cohésion… Nous avançons thématique par thématique, ce qui demande plus de travail et d’agilité. Nous avons une majorité moins visible, moins automatique, qui demande plus de mobilisation collective.

En ce qui concerne le cadre financier pluriannuel, le CFP, je pense que nous pourrons trouver des contributions nationales pour les politiques actuelles et des ressources propres pour financer le coût des nouvelles politiques. Il existe un chemin pouvant nous permettre de rallier les contributeurs nets et les pays les plus demandeurs.

Monsieur le sénateur Longeot, en ce qui concerne le calendrier, mieux vaut un bon accord qu’un mauvais accord négocié trop vite. Nous essayons tout de même d’avoir de la visibilité pour le début 2020. Nos chercheurs, nos collectivités locales, nos entreprises qui dépendent au quotidien de ces fonds européens ont besoin de clarté. Vous m’en voudriez beaucoup si, dans quelques semaines, je venais vous annoncer un accord avec une PAC réduite à la portion congrue ou des régions en transition maltraitées. Il faut trouver le juste équilibre.

Toutefois, nous ne voulons pas prendre de retard. Nous ne voulons pas nous retrouver avec les mêmes problèmes qu’en 2014 sur le terrain. Nous savons combien cela pourrait être dommageable.

Madame la sénatrice Morhet-Richaud, vous avez souligné que les Américains avaient largement soutenu les programmes de développement militaire en Macédoine du Nord. Or, pour 2 millions d’habitants, ce pays a reçu de l’Union européenne 664 millions d’euros de soutien entre 2014 et 2020, au travers de l’instrument de préadhésion.

Nous menons avec ces pays une politique d’investissement collectif très forte. S’il faut traiter le sujet juridico-politique de l’élargissement, les chiffres que je viens de citer montrent que l’Union européenne ne se désintéresse pas de ces pays situés au cœur de l’Europe et avec lesquels nous devons nouer une relation stratégique.

Je vous remercie de ces échanges et de votre soutien, dans une période où nous avons besoin d’une parole unie et non d’une parole dure, d’une parole qui amène de la clarté. Nos partenaires doivent savoir que si nous sommes parfois exigeants, c’est aussi dans leur intérêt. (

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