Intervention de Geneviève Chène

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 octobre 2019 à 16h35
Audition de Mme Geneviève Chêne en application de l'article l. 1451-1 du code de la santé publique en vue de sa nomination aux fonctions de directrice générale de l'agence nationale de santé publique

Geneviève Chène, candidate aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de santé publique :

Merci pour votre accueil. Je suis honorée de me présenter devant vous, ma candidature étant proposée par le Gouvernement pour la direction générale de Santé publique France. Je tiens à remercier Mme la ministre pour sa confiance. Votre commission auditionne régulièrement les responsables et scientifiques de Santé publique France. Je sais moi-même la très grande qualité de ces professionnels, engagés au service de la santé des populations. En ce moment solennel d'audition devant vous, je ressens à la fois beaucoup d'enthousiasme et aussi une certaine gravité d'être proposée pour un poste de cette importance à la tête d'une agence de l'État, aux missions essentielles de service public.

Je souhaite d'abord me présenter en décrivant brièvement mon parcours, puis en vous faisant part des raisons qui me motivent pour prendre la tête de Santé publique France.

En résumé, je suis une scientifique, et je suis convaincue que les connaissances scientifiques de santé publique doivent servir les décisions en matière de politiques publiques. Ces connaissances doivent impérativement faire l'objet de transferts vers les pratiques, ce qui implique d'être attentif à la fois aux besoins des territoires et à l'affirmation d'une dimension internationale.

La santé publique, c'est l'engagement de toute ma vie professionnelle. Depuis ma formation initiale en médecine, puis en épidémiologie et en biostatistique, et en couvrant progressivement de nombreux champs de la santé publique, toute ma vie professionnelle a été consacrée à construire une approche pour résoudre des questions de santé qui se posent à l'échelon des populations et à rendre visible l'importance de cette approche.

Je souhaite insister sur cinq expériences particulières.

J'ai dirigé une équipe de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) dans le domaine de la recherche clinique et en santé publique, sur le VIH et les maladies infectieuses. J'ai été impliquée dans la coordination de grands programmes scientifiques européens, et j'ai été incitée à transférer ces savoir-faire dans le domaine des maladies neurodégénératives et du vieillissement cérébral. Dans le domaine du VIH, et en particulier grâce à l'organisation coordonnée par l'Agence nationale de recherche sur le sida, ce n'est pas seulement l'excellence scientifique qui m'a marquée, c'est aussi une relation différente avec les malades, debout et participatifs, avec lesquels les scientifiques et les médecins ont coconstruit une réponse aussi appropriée que possible du point de vue scientifique, éthique et humain, voire citoyen.

Deuxième expérience : mon rôle d'enseignante, en particulier comme professeur des universités depuis 1999, dans tous les cycles de médecine et au niveau master de santé publique à l'Institut de santé publique, d'épidémiologie et de développement (Isped) de l'université de Bordeaux, où nous enseignons pour des étudiants en formation initiale et des professionnels, pour des étudiants français et étrangers, présents ou à distance. Ce qui m'a marquée, c'est la perception de l'attente très forte vis-à-vis de la France, au moins dans l'espace francophone, et souvent bien au-delà, pour la transmission des savoirs.

J'ai aussi une expérience managériale à l'université, comme directrice de cet Isped depuis juin 2017. L'Isped compte environ 100 personnels et plus de 60 enseignants en santé publique, une masse critique unique en France et positionnée parmi les meilleures écoles de santé publique en Europe. Je l'ai engagé dans un processus d'accréditation internationale, avec l'appui de l'IDEX - Initiative d'excellence - de l'université, et dans une action volontariste de transfert d'expertise en santé publique vers les acteurs territoriaux, et en tout premier lieu l'agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine, à laquelle nous sommes liés par une convention et un programme opérationnel.

J'ai une autre expérience managériale au Centre hospitalier universitaire de Bordeaux, où j'ai dirigé le pôle de santé publique, un ensemble de services et d'unités comptant environ 350 personnels soignants et administratifs et couvrant l'ensemble des domaines de la santé publique : information en santé, analyse et gestion des risques pour les patients et les professionnels de santé. J'y ai créé début 2019 un service entièrement dédié au soutien du développement de l'offre de prévention à l'échelon de l'établissement, du groupement hospitalier de territoire (GHT), et de la région Nouvelle-Aquitaine.

Enfin, dans le domaine des politiques publiques, j'ai participé au comité des sages pour la préparation de la stratégie nationale de santé 2013-2017, puis à la direction de l'Institut de santé publique de l'Inserm et de l'Institut de recherche en santé publique (IReSP), pendant trois ans, entre 2014 et 2017, ce qui m'a forgé une solide expérience dans la conception et la mise en oeuvre d'une stratégie nationale de recherche en santé publique.

Cette expérience, je souhaite la mettre au service des missions et des activités de Santé publique France.

Santé publique France a pour mission d'améliorer et de protéger la santé des populations. Cette mission s'articule autour de trois axes majeurs : anticiper, comprendre et agir.

Anticiper consiste à mettre en oeuvre un système national de veille et de surveillance pour détecter et anticiper les risques sanitaires et apporter les éléments de décision à la puissance publique. Comprendre consiste à améliorer la connaissance sur l'état de santé de la population, sur les comportements, sur les risques pour la santé, et à concevoir les stratégies d'intervention en prévention et promotion de la santé. Agir consiste à promouvoir la santé : agir sur les environnements, expérimenter et mettre en oeuvre les programmes de prévention, et répondre aux crises sanitaires.

Santé publique France, qui a été officiellement créée en 2016, a démontré en trois ans sa capacité à bâtir l'axe populationnel du système français d'agences sanitaires, c'est-à-dire la capacité de répondre aux besoins de connaissances de l'état de santé, et aussi de protéger et préserver la santé et le bien-être de la population.

Je souhaite rendre hommage à mon prédécesseur, qui a mené une construction remarquable basée sur la fusion de trois opérateurs : l'InVS, chargé de la surveillance épidémiologique et sanitaire, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, qui fait de la promotion et de l'éducation à la santé, l'Eprus, et la structure d'écoute qu'est Adalis - Addictions drogues alcool info service. Cette fusion d'opérateurs a abouti à un maillage territorial assuré par les quinze cellules régionales (CIRE) de Santé publique France, présentes en métropole et en outre-mer.

Santé publique France est un établissement qui développe une expertise au plus haut niveau, afin d'appuyer la décision publique et d'aider au déploiement de politiques publiques au plus près des besoins des populations.

Cette expertise repose sur des principes forts de transparence et d'indépendance.

Santé publique France a pris toute sa place dans le paysage des agences sanitaires de notre pays et, au-delà, à l'échelle de l'Europe et du reste du monde. Beaucoup a été fait. Les fondations sont solides.

Après cette phase de fusion et de structuration d'un grand établissement public, on ne peut que souhaiter amplifier ses actions au service des besoins du pays en matière de santé, tout en renforçant autant que possible la cohérence avec l'ensemble des partenaires : les autres agences sanitaires nationales, les agences régionales de santé (ARS) et les acteurs de santé publique en général.

Trois défis émergent en effet : les risques liés à l'environnement sont avérés et nécessitent des observations et interventions appropriées ; la prévention et la promotion de la santé sont centrales pour améliorer la santé des populations, et restent encore insuffisamment inspirées des meilleures pratiques ; le dialogue avec l'ensemble des parties prenantes, très exigeant, doit être maintenu.

La stratégie nationale de santé publique 2018-2022 et le plan Priorité prévention fixent bien entendu un cap. Santé publique France dispose par ailleurs d'une programmation stratégique qui reprend la feuille de route du ministère de la santé.

Candidate au poste de directrice générale de Santé publique France, je propose quatre axes pour structurer une vision renouvelée.

Je suis une scientifique. Mon métier est de produire de nouvelles connaissances, ma culture est d'être jugée par mes pairs. La pérennité de l'agence repose précisément sur la qualité de la production scientifique et des données probantes. Une priorité sera donc de renforcer le dialogue dans l'espace scientifique, c'est-à-dire avec les organismes de recherche et les universités. C'est essentiel pour que l'excellente expertise de Santé publique France continue à s'appuyer sur des productions scientifiques au meilleur niveau international, et en lien avec la recherche. Pour cela, Santé publique France doit s'inscrire dans un espace d'échanges scientifiques national, européen et international. La présence internationale de Santé publique France est déjà visible comme représentant de la France au sein du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, et en assurant le secrétariat général de l'Association internationale des instituts nationaux de santé publique. Je souhaite capitaliser sur cette visibilité pour accroître les collaborations scientifiques et techniques internationales, au coeur du projet.

Le développement de ce premier axe ne saurait néanmoins être suffisant pour avoir un impact sur les politiques publiques et la santé. Il faut également être en capacité de mener des actions concrètes, en réponse aux besoins. C'est, par exemple, le service que rend Santé publique France en situation d'urgence. Mais, de manière continue, l'utilisation des données probantes pour appuyer la décision publique doit être systématisée. Les travaux produits par Santé publique France, les actions déployées doivent être au plus proche des besoins des citoyens, et doivent en particulier viser à réduire les inégalités sociales, environnementales et territoriales. C'est tout l'enjeu de l'investigation locale, qui est soutenue par le réseau des CIRE en lien avec les ARS. C'est aussi l'enjeu des techniques de marketing social qui visent à construire des campagnes probantes ayant un impact pour faire évoluer les comportements favorables à la santé, en se fondant sur des leviers dont l'efficacité est démontrée.

Il est également essentiel de valoriser les travaux et les actions menées, d'expliquer les enjeux mis en évidence et les solutions choisies pour y faire face. Il faut aussi débattre, voire mobiliser des outils de médiation pour l'ensemble des catégories de la population et des professionnels concernés par les thématiques et champs d'action de l'agence. Je souhaite engager une réflexion approfondie pour refonder le lien avec l'ensemble des parties prenantes et des acteurs engagés, y compris les porteurs d'intérêts, car le temps pour écouter et expliquer doit pouvoir être pris. À la condition de respecter ses principes majeurs d'indépendance scientifique et de transparence, Santé publique France sait être à l'écoute, et dans le dialogue avec l'ensemble des citoyens.

Enfin, si j'attache, comme vous l'aurez compris, une grande importance à ce que Santé publique France demeure le catalyseur de la mobilisation nationale et territoriale des acteurs de santé publique, je suis également très attentive à sa contribution au succès du virage préventif de la stratégie nationale de santé et du plan Priorités prévention. Il y a un fort soutien politique, c'est une condition incontournable pour réussir. Pour faire de ce virage préventif un succès, il faut également démontrer que les actions mobilisant de nombreux acteurs et financements sont efficaces. Le retour sur investissement des innovations technologiques et sociales pour la prévention et la promotion de la santé, et le déploiement des interventions doivent être évalués. Je souhaite donc engager Santé publique France dans l'évaluation de l'impact de ces investissements sur le système de santé et sur la santé de la population en général.

Pour cette vision renouvelée, nous avons à apprendre des exemples étrangers, sans oublier que Santé publique France est porteur d'une vision globale de la santé des populations, issu d'un modèle de système de santé que la majorité des citoyens souhaite durable et où ils se sentent protégés. Pour réussir, j'aurai besoin de l'implication de tous les agents autour d'une vision partagée du cadre d'action et des rôles et responsabilités de chacun. Cela sous-tend le renforcement d'une politique de qualité de vie au travail impliquant l'ensemble des personnels et de leurs représentants.

En conclusion, ma candidature repose sur l'exigence forte d'allier une approche de santé publique fondée sur les meilleures données scientifiques disponibles, une qualité élevée de communication envers les citoyens, la capacité à préserver la notoriété très positive de l'agence, la volonté de rétablir la crédibilité de la parole publique chaque fois que nécessaire pour maintenir la confiance, et d'apporter un appui solide à l'accomplissement des orientations gouvernementales et des politiques publiques en matière de santé.

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