Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 23 octobre 2019 à 15h00
Fiscalité de la succession et de la donation — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Olivier Dussopt :

Je l’ai dit : votre proposition de loi permet à une même personne de transmettre à ses quatre petits-enfants, tous les dix ans, jusqu’à 1, 8 million d’euros sans payer d’impôts.

Je le rappelle une seconde fois : le patrimoine médian des Français est estimé à 113 900 euros par l’Insee. Il faut garder à l’esprit cet ordre de grandeur.

Pour illustrer cette vision particulière que vous avez de la justice fiscale, permettez-moi de prendre deux exemples.

Le premier exemple, c’est celui des donations entre grands-parents et petits-enfants, que j’ai déjà évoquées et que votre proposition de loi entend favoriser. Dans la version initiale de ce texte, rien n’aurait empêché à chacun des deux grands-parents de transmettre à chacun de ses petits-enfants jusqu’à 450 000 euros en franchise totale d’impôt, tous les dix ans au lieu de tous les quinze ans, en lieu et place des 64 000 euros prévus par le droit actuel. Ainsi, des grands-parents comptant quatre petits-enfants auraient pu, chacun, leur transmettre 1, 8 million d’euros en franchise d’impôt tous les dix ans, soit 3, 6 millions d’euros pour le couple. Je ne suis pas certain que nous parlons là des ménages modestes ou des classes moyennes…

Le second exemple illustrant cette déconnection, ce sont les transmissions en ligne indirecte, que cette proposition de loi entend favoriser, en faveur des neveux et des nièces, en portant l’abattement applicable de 7 967 euros à 50 000 euros par neveu ou nièce. Un couple ayant quatre neveux ou nièces pourrait ainsi transmettre jusqu’à 400 000 euros en franchise totale d’impôt, qui viendraient évidemment s’ajouter aux transmissions effectuées précédemment en faveur des petits-enfants.

Si c’est là votre conception des petits patrimoines, ce n’est pas celle du Gouvernement : c’est la raison pour laquelle j’ai fait part, lors des débats en commission, de l’avis particulièrement défavorable du Gouvernement sur les dispositions de cette proposition de loi.

J’observe que la commission a été du même avis, parfois pour des raisons différentes, puisque, sur les dix articles que comptait le texte initial, pas moins de sept ont été supprimés.

Je me réjouis que votre commission ait abandonné certaines des dispositions les plus problématiques de la proposition de loi. J’ai notamment en tête la restructuration des tarifs entre parents et enfants, qui, combinée aux élargissements des abattements proposés, pouvait conduire à alléger encore considérablement l’imposition de transmissions de patrimoines importants.

À l’inverse – je l’ai dit en commission –, l’application du barème des successions à l’ensemble des successions reçues tout au long de la vie aurait pu aboutir, dans certains cas, à un ressaut fiscal très important et peu acceptable. D’ailleurs, les auteurs de la fondation Terra Nova, cités par M. Carcenac à l’occasion de l’examen en commission, l’ont eux-mêmes relevé.

Je me félicite également de la suppression du régime réservé à l’assurance vie dans le texte initial. Cette mesure aurait fortement déstabilisé la place de Paris.

Enfin, le Gouvernement salue le maintien d’exonérations partielles en faveur des bois et forêts et d’autres terres naturelles, qui sont un instrument essentiel de notre politique en faveur de la gestion durable des espaces naturels. L’adoption des dispositions initiales aurait remis en cause ces outils.

Si le texte issu de la commission a été allégé de la sorte, il s’est cependant enrichi, si l’on peut dire, de deux dispositions qui ne figuraient pas dans le texte initial.

Ainsi, avec l’article 2 bis, la commission des finances du Sénat propose d’instaurer une réduction de l’actif successoral à hauteur de la valeur des biens qui ont été compris dans l’actif successoral d’une récente succession ou donation dont le défunt avait lui-même bénéficié.

Nous ne pouvons être favorables à cette disposition. L’allégement d’impôt que vous proposez n’est pas plafonné : par essence, il bénéficierait donc surtout aux plus grosses successions. J’ajoute que, tel qu’il est rédigé, cet article aboutit à traiter plus défavorablement des transmissions antérieures qui auraient effectivement été soumises aux DMTG, tandis que l’effet serait maximum pour des transmissions qui en auraient été exonérées.

De plus, avec l’adoption d’un amendement par votre commission, l’article 6 prévoit désormais de porter à 30 % l’abattement proportionnel, initialement fixé à 20 %, sur la valeur d’un bien immeuble transmis lorsqu’il est, au jour du décès, occupé par le conjoint du défunt ou par son partenaire de Pacs, ou encore par un enfant protégé du défunt.

Nous ne pouvons pas davantage soutenir cette disposition : à nos yeux, le niveau actuel de l’abattement permet de tenir compte de l’impact d’une occupation de ce bien immobilier sur sa valorisation. En allant plus loin, l’on procurerait un avantage excessif, d’autant plus grand qu’il est proportionnel à la valeur du bien.

Enfin, le texte issu des travaux de la commission augmente l’abattement en faveur des donations au profit des petits-enfants à 70 000 euros par petit-fils ou petite-fille, au lieu de 150 000 euros, comme le proposaient les auteurs du texte initial. Il ne modifie plus le quantum de l’exonération pour don de sommes d’argent en pleine propriété ou l’abattement général en faveur des successions ou donations en ligne directe : ce sont là autant de dispositions que nous ne pouvons approuver.

Le Gouvernement ne soutiendra donc pas la proposition de loi, même amendée…

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