Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la commission des lois a examiné avec beaucoup d’intérêt cette proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art, déposée par Catherine Morin-Desailly à la suite des auditions que nous avons organisées, conjointement avec la commission de la culture, sur la situation du marché de l’art français en mars 2018.
Ce texte a pour objet de réformer notre système de régulation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, dont la vente d’objets d’art et de collection représente environ la moitié.
Comme vous le savez, ce secteur d’activité a été progressivement libéralisé depuis le début des années 2000, avec l’abolition du monopole des commissaires-priseurs, la suppression de leurs offices ministériels et le passage à un régime d’agrément, puis à un simple régime de déclaration préalable des opérateurs.
Certaines pratiques qui contribuaient à l’attractivité des maisons de vente étrangères, mais qui étaient naguère prohibées en France, ont par ailleurs été autorisées, comme le prix de réserve, la garantie de prix, les avances sur le prix d’adjudication, les ventes after sale ou encore la vente aux enchères de biens neufs.
Dictées par la nécessité de mettre la loi française en conformité avec le droit européen, ces réformes ont également eu pour ambition de rendre son lustre d’antan au marché français.
Dans les années 1950, en effet, la France se situait au premier rang mondial pour les ventes aux enchères de meubles. Elle n’est plus qu’au quatrième rang, loin derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et, désormais, la Chine. Sur ce terrain, la libéralisation n’a pas eu les effets escomptés : même si le volume total des ventes aux enchères réalisées en France a progressé, cela n’a pas suffi à rattraper notre retard par rapport aux champions mondiaux. Dans le seul secteur des objets d’art et de collection, on estime que la part de marché de la France stagne autour de 6 % du marché mondial.
En outre, pour beaucoup d’anciens commissaires-priseurs, la perte de leur monopole d’officiers ministériels sur l’activité de ventes volontaires et la soumission de cette activité au contrôle d’un organe de régulation extérieur à la profession ont été difficiles à accepter.
La proposition de loi dont nous sommes aujourd’hui saisis a pour principal objet de réformer cet organe de régulation, le Conseil des ventes volontaires, en modifiant sa composition, son organisation interne, ses missions et jusqu’à sa dénomination.
À titre préliminaire, nous devons nous interroger : est-il pertinent de maintenir une autorité de régulation propre au secteur des ventes volontaires de meubles aux enchères, qui constitue une singularité française ? Ce n’est pas certain !
Sans doute l’activité de ventes aux enchères doit-elle être soumise à une réglementation. Sans doute des contrôles sont-ils nécessaires, pour éviter les risques de fraude liés au procédé des enchères, ainsi que les risques de recel et de blanchiment particulièrement élevés dans le secteur du marché de l’art. Néanmoins, ces contrôles pourraient être du ressort de services ministériels financés par l’impôt, comme c’est le cas d’autres activités présentant le même genre de risques.
J’ai toutefois pu constater, au cours des auditions que j’ai conduites, qu’il n’existait aucun consensus pour s’engager dans cette voie, ni parmi les professionnels, ni parmi les administrations compétentes.
Pour beaucoup, le maintien d’une autorité de régulation ad hoc non est seulement indispensable pour protéger efficacement les vendeurs et les acquéreurs, mais constitue aussi un moyen de préserver l’image très positive dont jouissent les maisons de vente françaises à l’étranger.
En d’autres termes, un système de régulation plus rigoureux, en ce qu’il garantit la sécurité des ventes et prémunit contre les fraudes, peut aussi constituer un avantage comparatif dans un marché mondial très compétitif. La commission des lois a donc approuvé la voie médiane choisie par nos collègues, qui consiste à réformer en profondeur l’autorité de régulation, sans la supprimer.
Bien entendu, cette réforme, à elle seule, ne suffira pas à rendre son dynamisme au marché français des enchères. Il serait d’ailleurs présomptueux de prétendre y parvenir par la loi.
Le déclin du marché français a des causes multiples. Outre une réglementation qui fut longtemps très restrictive, outre le poids des contraintes administratives et fiscales, ce déclin s’explique aussi par des facteurs sur lesquels le législateur a moins de prise. Des facteurs culturels, d’abord : Paris n’est plus, comme autrefois, la capitale mondiale des beaux-arts. Des facteurs socio-économiques, ensuite : les acheteurs les plus fortunés vivent aujourd’hui à l’étranger.
Par ailleurs, comme le souligne le récent rapport remis à Mme la garde des sceaux par Mme Henriette Chaubon et Me Édouard de Lamaze, il est indispensable de promouvoir un esprit plus entrepreneurial au sein de nos maisons de vente, afin que ces dernières sachent s’adapter mieux encore aux attentes et aux besoins des consommateurs.
Il n’en demeure pas moins qu’une autorité de régulation plus à l’écoute des professionnels pourrait les aider à réussir leur mutation.
La commission des lois a donc souscrit à la proposition tendant à ce que les représentants de la profession soient désormais majoritaires au sein du collège de l’autorité de régulation, rebaptisée « Conseil des maisons de vente ». Elle s’est contentée d’apporter divers ajustements aux missions, à la composition, à l’organisation et au fonctionnement du nouveau conseil.
En outre, la commission des lois a complété le texte en y ajoutant plusieurs dispositions de nature à stimuler l’activité des maisons de vente françaises.
Ainsi, nous avons étendu aux meubles incorporels le régime légal de ventes de meubles aux enchères, ce qui permettra à nos maisons de vente de développer de nouveaux marchés, par exemple pour la mise aux enchères de fonds de commerce.
Nous avons ouvert la voie à ce que les maisons de vente puissent réaliser certaines ventes aujourd’hui considérées comme judiciaires et réservées aux officiers ministériels, bien qu’il ne s’agisse pas de ventes forcées. Je pense par exemple à la licitation des biens d’une succession.
Nous avons créé les conditions d’une concurrence équitable entre, d’un côté, les maisons de vente, et, de l’autre, les officiers publics ou ministériels habilités à réaliser des ventes volontaires, à savoir les notaires et les futurs commissaires de justice.
Nous avons allégé le poids des procédures, en réduisant le formalisme des ventes de gré à gré et en autorisant le regroupement du livre de police et du répertoire des procès-verbaux.
Enfin, nous avons souhaité que les personnes physiques habilitées à diriger des ventes volontaires retrouvent le beau titre de « commissaires-priseurs », aussitôt que la profession de commissaire-priseur judiciaire aura disparu pour être regroupée avec celle d’huissier de justice.
Si cette proposition de loi ne constitue pas une révolution, je suis convaincue qu’elle redonnera un souffle aux maisons de ventes françaises et permettra de mieux les armer face à la compétition internationale. Toutefois, comme le soulignait le rapport Chaubon-de Lamaze, leur avenir est en grande partie entre leurs mains !