Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 23 octobre 2019 à 22h00
Régulation du marché de l'art — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Nicole Belloubet :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, depuis plusieurs mois, la question du marché des ventes volontaires a suscité beaucoup d’attention de la part des parlementaires.

Le texte dont vous allez débattre aujourd’hui, sur l’initiative de Mme Catherine Morin-Desailly, que je salue particulièrement, en témoigne, tout comme d’autres propositions, également intéressantes, portées à l’Assemblée nationale. De son côté, le Gouvernement et, au premier chef, mon ministère ont également été très attentifs à cette question, en travaillant étroitement avec les professionnels du secteur.

Je me réjouis donc de l’examen de ce texte aujourd’hui dans votre hémicycle. Je m’en réjouis, car vous vous saisissez d’une question importante : comment renforcer l’attractivité et la compétitivité juridiques du marché de l’art français ?

La France dispose d’atouts indéniables sur le marché de l’art : la richesse formidable et inégalée de son patrimoine, les compétences et la formation des professionnels, ainsi que l’ancrage territorial des sociétés de ventes volontaires. En dépit de ces atouts, les professionnels comme les représentants des instances de régulation et de contrôle déplorent un certain déclin de la place de la France en cette matière.

Il est donc apparu nécessaire, pour préserver l’attractivité économique de la profession, de réfléchir à son adaptation aux importants défis auxquels elle doit faire face. Ils sont, au moins, au nombre de trois : l’internationalisation, la concentration du marché et la numérisation.

Votre assemblée, dès le mois de mars 2017, s’est saisie de cette problématique lors de plusieurs auditions menées par vos commissions des lois et de la culture, précisément sur l’attractivité et la compétitivité juridiques du marché de l’art français.

J’ai moi-même perçu l’urgence et l’inquiétude des professionnels en raison de l’arrivée d’autres acteurs sur le marché et d’une concurrence internationale croissante, mais aussi en raison des conséquences de la réforme des commissaires de justice.

C’est dans ce contexte, cela a été rappelé, que j’ai confié à Henriette Chaubon et Édouard de Lamaze en juillet 2018 une mission sur l’avenir de la profession d’opérateur de ventes volontaires. Le texte que vous présentez aujourd’hui rejoint en partie les propositions du rapport qu’ils m’ont remis en décembre 2018.

Comme je le soulignais d’emblée, ces propositions ont également suscité l’attention des élus du Palais-Bourbon. Ainsi le député Sylvain Maillard et le groupe La République En Marche, avec, notamment, le député Jean-Michel Mis, ont déposé une proposition de loi sur ce sujet, après plusieurs échanges avec la Chancellerie, tout au long du printemps.

Ces deux textes traduisent un consensus, auquel je m’associe, autour de l’indispensable réforme de la réglementation de la profession, pour faire face aux défis auxquels elle est aujourd’hui confrontée.

À l’évidence, la proposition que vous allez examiner s’inscrit dans le sillage du mouvement de libéralisation des ventes aux enchères publiques au travers de deux réformes de grande ampleur, l’une en 2000, l’autre en 2011. Ces deux grandes réformes ont façonné l’exercice de cette activité séculaire, pour s’adapter à une nouvelle donne.

La loi du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, déjà évoquée, a mis fin au monopole des commissaires-priseurs. Elle a établi une distinction entre, d’une part, les ventes judiciaires, prescrites par la loi ou par une décision de justice, qui relèvent de la compétence des officiers publics ministériels, et, d’autre part, les ventes volontaires. Pour assurer ces ventes volontaires, ont été créées des sociétés de ventes volontaires soumises à l’agrément et au contrôle disciplinaire du Conseil des ventes volontaires.

La loi du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques a, quant à elle, tiré les conséquences de l’adoption de la directive « Services ». Ce faisant, elle a apporté des innovations importantes, qui se sont traduites par un assouplissement dans le fonctionnement des structures professionnelles, par une extension du champ d’activité des opérateurs et par une diversification de leur mode d’intervention.

Néanmoins, parallèlement à ces évolutions juridiques, le marché de l’art a fortement muté, sous l’influence d’une internationalisation croissante et d’un développement des ventes non régulées en ligne. Ces bouleversements ne sont pas sans conséquence sur la double exigence de protection des usagers, acheteurs comme vendeurs, et de compétitivité du secteur.

Ainsi que l’écrivent Henriette Chaubon et Édouard de Lamaze, « en termes économiques, la libéralisation totale du marché et sa dérégulation placeraient les professionnels des ventes volontaires, selon un phénomène de ciseaux, dans une situation de concurrence intenable, avec, d’un côté, les futurs commissaires de justice, et, de l’autre, les maisons anglo-saxonnes ».

Les rapporteurs en ont conclu que, au sein d’un marché libéralisé, le maintien d’une instance de régulation propre à assurer son bon fonctionnement, à vérifier sa transparence et le respect des garanties qu’il doit offrir, à protéger les vendeurs et les acheteurs et à veiller aux bonnes conditions d’exercice de l’activité par ces professionnels était indispensable.

Un consensus se dégage donc aujourd’hui sur la nécessité, pour le secteur des ventes volontaires, de parvenir à relever trois principaux défis : accroître l’attractivité et la compétitivité des maisons de ventes françaises sur le marché mondial ; préserver la sécurité et la pérennisation des ventes volontaires aux enchères publiques ; enfin, favoriser l’accompagnement des professionnels et la protection des consommateurs.

L’une des lignes de force du rapport Chaubon-de Lamaze repose sur l’idée qu’il ne faut pas voir dans la réglementation actuelle un frein à l’activité de ventes volontaires. Je souscris pleinement à cette idée que l’on retrouve, d’une certaine manière, dans les exigences portées au travers de la présente proposition de loi.

Au contraire, cette réglementation est un gage de sécurité, de transparence et d’objectivité dans la valeur du bien et la détermination des prix. Elle concourt également à la préservation du maillage territorial – j’ai bien noté que ce point, auquel je suis vraiment attachée, a été relevé – et à l’image d’excellence de la France en la matière.

La présente proposition de loi poursuit donc le mouvement de réforme engagé par les textes précédents et concilie une plus grande liberté sur le marché des ventes volontaires avec le nécessaire maintien d’une régulation, gage de crédibilité et de probité dans un secteur imposant une grande attention et une véritable rigueur au regard des risques de fraudes qui peuvent le traverser.

La libéralisation de la profession de commissaire-priseur en 2000 a conduit à la création du Conseil des ventes volontaires, devenu, en application de la loi du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, l’autorité de régulation de ce secteur.

Le rapport de Mme Chaubon et Me de Lamaze relève que, si le Conseil est parfois critiqué, notamment quant à sa composition, il permet néanmoins d’assurer la crédibilité et la confiance dans le marché des ventes volontaires. J’y insiste : le principe d’une régulation est indispensable pour éviter que la concentration des ventes, déjà forte, ne s’accroisse davantage et pour garantir le maillage territorial des maisons de vente, qui constitue un atout économique, social et culturel tout à fait considérable.

Aujourd’hui, un consensus réel se dégage sur la nécessité de moderniser le Conseil des ventes volontaires, car – Mme la présidente de la commission de la culture et Mme la rapporteure l’ont dit – ce conseil ne correspond plus aux réalités du marché.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que vous allez examiner vise à moderniser la composition du Conseil des ventes volontaires, ses missions, son financement et le volet disciplinaire de la profession.

Le texte prévoit que le Conseil des maisons de vente, ainsi nouvellement dénommé, soit composé d’une majorité de six professionnels élus et de cinq personnalités qualifiées nommées respectivement par le garde des sceaux, par le ministre chargé de la culture et par le ministre chargé du commerce. Cette composition répond à la volonté des professionnels d’une présence accrue au sein de l’organe de régulation, tout en assurant la représentation du maillage territorial.

Je suis favorable à ces orientations, qui me semblent traduire les besoins et les attentes de la profession. Toutefois, afin de préserver l’équilibre entre le caractère professionnel du Conseil et sa fonction de régulation, je proposerai un amendement visant à ce que le président du Conseil soit désigné, par le garde des sceaux, parmi les personnalités qualifiées et non parmi les professionnels. En effet, associée à une présence majoritaire de professionnels, la nomination du président parmi ces professionnels rapprocherait, selon moi, l’autorité de régulation d’un ordre professionnel, …

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