Pour autant, il existe, évidemment un vaste marché des objets d’art. Dans les foires, les galeries, les salles de vente, mais aussi, désormais, sur internet, l’acquisition d’œuvres d’art donne lieu à la rencontre d’une offre et d’une demande et à la formation d’un prix.
Ce marché est d’ailleurs considérable. Comme le soulignait Stéphane Travert dans un intéressant rapport d’information publié en 2016, l’apport dans le PIB français du secteur économique de la culture, englobant le marché de l’art, est devenu très important. Stéphane Travert estimait ainsi que le secteur des arts visuels représentait à lui seul 21, 4 milliards d’euros et 313 000 emplois.
Du côté des artistes, cette réalité produit d’ailleurs des réactions ambivalentes.
On pense à la provocation de Banksy programmant la destruction d’une de ses œuvres en pleine vente, ou, à l’inverse, à Jeff Koons assumant la présentation de l’œuvre comme un objet commercial.
Mais, peut-être plus que sur les autres marchés, du fait de comportements ostentatoires, de l’importante subjectivité qui préside à la perception du beau, ou encore du rapport de l’artiste à ses mécènes, la formation des prix sur le marché de l’art reste un phénomène mystérieux On s’étonne autant d’apprendre que certains artistes exposés dans nos musées nationaux ont connu des existences misérables que de constater la cote élevée d’artistes du mouvement global kitsch, ou encore de la tendance des « objets merveilleux », très en vogue chez les millionnaires de la planète.
Ce phénomène complexe de formation du prix est encore plus frappant dans l’art contemporain. Comme l’écrivait l’historienne et sociologue de l’art Raymonde Moulin, disparue cet été, l’art contemporain « dépendait essentiellement du marché parce qu’il n’était pas compris ni acheté par les institutions ».
Le marché français a longtemps fait la pluie et le beau temps en matière de valorisations artistiques internationales, s’appuyant sur des maisons de vente réputées, sur des salons d’avant-garde et sur un important tissu de mécènes et de galeries.
Mais l’âge d’or de la place de Paris est derrière nous, avec le recul des transactions opérées sur le sol français. Ainsi la France, qui fut la première place de vente, est-elle progressivement passée quatrième à partir des années 1960 – le marché français représente 5 % des parts du marché mondial aujourd’hui –, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine, qui représentent 83 % du marché.
L’archaïsme des institutions historiques du marché de l’art français est une des causes de ce recul. La « modernisation » du statut de commissaire-priseur est intervenue très tardivement, en 2000 puis en 2004, avec la création du Conseil des ventes volontaires et l’amorce d’une régulation de ce segment du marché de l’art.
Notre première réaction est donc de regretter que la proposition de loi que nous examinons ne recouvre pas un champ plus vaste, pour offrir des solutions plus variées à l’appui de l’objectif de ses auteurs.
Nous entendons qu’il existait, depuis la loi Macron de 2015, des points à régler, afin de permettre à la nouvelle profession de commissaire de justice de consolider sa mise en orbite d’ici à 2022 – il fallait notamment créer les conditions les plus propices au rapprochement entre commissaires-priseurs judiciaires et huissiers de justice, sans oublier les notaires, qui effectuent ponctuellement des ventes volontaires.
Nous avons d’ailleurs quelques propositions à faire s’agissant de la nouvelle composition du Conseil des maisons de vente et de la commission des sanctions, afin d’en renforcer l’indépendance et l’intégrité.
Nous aurons l’occasion de l’expliquer dans le détail, mais il nous paraît ainsi pertinent que la composition du Conseil prenne en compte des acteurs qui, sans être partie prenante dans les ventes volontaires, puissent apporter leur expertise propre du monde de l’art en tant que représentants d’écoles ou galeristes.
De la même manière, en prenant acte des constats du rapport Travert, nous souhaiterions que les professionnels des ventes volontaires représentant leurs collègues au sein du Conseil ne soient pas tous issus du petit monde parisien.
Par ailleurs – le groupe du RDSE fait preuve sur ce point d’une vigilance constante, à la suite des travaux de Jacques Mézard –, nous sommes très attachés à ce que l’activité de régulation exercée par la commission des sanctions ne soit pas réservée aux anciens membres des plus hautes juridictions françaises, mais puisse être ouverte à des profils plus divers, recrutés sur la base du mérite dans toutes les juridictions du territoire.
Je redis enfin notre déception que ce texte ne puisse pas servir de véhicule législatif pour discuter d’autres sujets effectivement susceptibles de restaurer la place de l’influence artistique française dans le monde.
Nous savons que nos concurrents disposent de leviers d’influence plus importants pour soutenir les travaux de leurs artistes auprès des acquéreurs du monde entier, dont l’origine s’est considérablement diversifiée. Mon groupe considère, pour sa part, que la simple adaptation du régime des ventes aux enchères publiques ne suffira pas à rattraper le retard accumulé. La spécialisation de nos maisons de vente sur des segments de marché moins porteurs que l’art contemporain, tels que le mobilier, ou leur faible proactivité à l’international en sont des causes majeures.
Sans doute faudrait-il réfléchir aux moyens de développer un meilleur soutien de nos institutions aux artistes contemporains français. Mais là n’est pas le cœur du sujet que nous avons à traiter en cette heure tardive.
En tout état de cause, le groupe du RDSE ne s’opposera pas aux modernisations que les auteurs de ce texte entendent réaliser.