Intervention de Laure Darcos

Réunion du 23 octobre 2019 à 22h00
Régulation du marché de l'art — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Laure DarcosLaure Darcos :

Pour lutter contre ces dérives, le Conseil des ventes volontaires n’a jusqu’à présent joué aucun rôle, et pour cause : il ne dispose pas de compétence en matière de détection des dysfonctionnements du marché de l’art, et c’est à Tracfin, l’organisme de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins, et à l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels qu’il revient de mettre au jour les dérives potentielles en matière de négoce.

Il est devenu d’autant plus urgent de se doter d’instruments de régulation que la place de Paris a été secouée – vous vous en souvenez certainement, mes chers collègues – par des affaires retentissantes.

Qui n’a pas gardé en mémoire la triste affaire Aristophil, dans laquelle pas moins de 18 000 personnes, petits épargnants ou investisseurs fortunés, ont perdu près de 800 millions d’euros ?

Les investisseurs étaient invités à acquérir des produits d’épargne constitués de parts indivises de pièces autographes, lettres et manuscrits, avec la promesse d’un rendement annuel de l’ordre de 8 %.

Ce rendement était indexé sur la hausse du marché de ces biens en France, elle-même artificiellement alimentée par l’intense activité d’achat de la société Aristophil.

La bulle spéculative, comme cela était prévisible, a éclaté, des actions judiciaires ont été engagées et l’entreprise a été liquidée le 4 août 2015, laissant derrière elle des investisseurs floués et le monde culturel en plein émoi.

Le marché de l’art a été, malgré lui, pris dans une tourmente qui a sérieusement entaché sa réputation.

La dispersion de près de 130 000 pièces est en cours. Leur mise sur le marché nécessite de conjuguer deux impératifs contradictoires : réaliser les collections dans des délais suffisamment courts pour que les épargnants puissent récupérer une partie de leur investissement, mais aussi suffisamment longs pour éviter à ce marché, celui, étroit, du manuscrit, de s’effondrer.

Si les premières adjudications ont, hélas, fait ressortir une perte de valeur importante, ces ventes sont toutefois l’occasion pour les institutions culturelles de faire entrer dans leurs collections des pièces majeures pour le patrimoine national, pièces que la société Aristophil les avait parfois empêchées d’acquérir à des prix raisonnables.

Certaines de ces pièces relèvent de la catégorie des archives publiques, inaliénables et imprescriptibles ; d’autres présentent un intérêt patrimonial exceptionnel et justifient une interdiction de sortie du territoire par classement comme trésor national – c’est le cas de manuscrits d’André Breton et du marquis de Sade retirés des ventes en 2017.

Quelques pièces possédant un intérêt patrimonial avéré, mais non exceptionnel, ont rejoint les collections de plusieurs institutions culturelles.

Enfin, une part importante des biens constituant les collections d’Aristophil ne présentent pas de réel intérêt patrimonial et une entrée dans les collections nationales n’est pas pertinente.

Deux questions majeures d’ordre public doivent, de mon point de vue, être traitées rapidement pour éviter qu’une telle affaire ne se reproduise.

Il y va, en premier lieu, de la surveillance des produits d’épargne. En effet, le contrat de placement était rédigé de telle manière que l’Autorité des marchés financiers s’était déclarée incompétente, à son corps défendant ; c’est la DGCCRF, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui a dû instruire au titre de la tromperie au consommateur.

Se pose, en second lieu, une question de surveillance prudentielle du marché de l’art et, plus spécialement, de la profession d’expert.

En la matière, et même si nous devons nous réjouir de la qualité du dispositif français encadrant l’expertise, des progrès peuvent encore être réalisés, concernant notamment le titre d’expert, qui est insuffisamment protégé. L’accès à la profession, le statut général encadrant son exercice, la responsabilité et la nature des obligations des experts devront faire l’objet d’une réflexion approfondie à court terme.

La nouvelle structure créée par la présente proposition de loi pourrait en être le cadre.

Il y va de la stabilité et de la qualité du marché de l’art à l’heure où celui-ci draine des sommes d’argent considérables et attire de plus en plus d’investisseurs. §

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