Intervention de Alain Richard

Réunion du 24 octobre 2019 à 10h30
Pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Alain RichardAlain Richard :

Ce débat est bienvenu, et il a l’avantage d’être toujours d’actualité, quelle que soit la période où on peut l’engager. Nous sommes là pour nous livrer à une analyse du résultat produit par deux circulaires et un décret qui s’étalent entre 2013 et 2017, les circulaires parlant de « marge d’interprétation » et le décret parlant, comme c’est logique, de « pouvoir de dérogation encadré ».

Je participe à la demande générale de restitution et d’évaluation de l’application de ces textes. Nous attendons de savoir ce que M. le secrétaire d’État en dira. Simplement, je nous prends collectivement à témoin que voilà encore un cas d’injonction contradictoire : nous avons accompagné et, pour beaucoup, voté la réduction des effectifs dans le plan Préfecture du XXIe siècle, mais, dans le même temps, nous demandons aux préfectures d’assumer des tâches supplémentaires. Il faut donc bien que nous soyons un peu pragmatiques.

Je souligne tout particulièrement le caractère productif et judicieux, du fait de la charge qui pèse sur les représentants de l’État et de la loi constitutionnelle dans les territoires, de la recommandation concrète contenue dans la proposition de résolution, à savoir la création d’un petit conseil local d’accompagnement du pouvoir de dérogation. L’expérience que nous avons tous – la mienne a quelques dizaines d’années dans le Val-d’Oise – montre que, dans les commissions consultatives placées auprès du préfet, de conseil et de conciliation, il y a une bonne expertise de travail local et, bien souvent d’ailleurs, une élévation du niveau de réflexion permettant d’avoir une jurisprudence rationnelle. Au fond, il est simplement suggéré de faire des petits CNEN locaux. À mon sens, cela ne coûterait rien, et ce serait un utile outil d’accompagnement du travail, si astreignant, des services préfectoraux.

Je ne m’étendrai pas sur les autres préconisations de la résolution. En revanche, je voudrais élargir le propos à la conception d’aujourd’hui, qui est en transformation et en débat, de la légalité de l’action publique. Nous sommes un État de droit, construit par une tradition multiséculaire, dans laquelle l’institution dont j’ai eu l’honneur d’être membre, le Conseil d’État, a évidemment joué un certain rôle. Le principe de légalité, qui traverse l’ensemble des missions et des strates de l’action locale, fait partie de notre culture de base.

Le rapport du Conseil d’État de 2013 sur le droit souple a été pour moi une vraie et heureuse surprise. Analysant l’existant et constatant ce qui est en train de se passer, celui-ci a commencé à développer une théorie que je résumerais un peu sommairement comme un retour de l’opportunité ; c’est le retour du droit de l’administration et des pouvoirs publics de procéder à des appréciations d’opportunité, donc de faire revenir dans l’application du droit une marge de pouvoir discrétionnaire.

Simplement, le pouvoir d’appréciation se heurte à une peur et à une méfiance, du fait d’une tradition ancienne et de l’évocation des anciens régimes autoritaires. Le débat a été très intense dans le premier tiers de la IIIe République, et le thème de la peur de l’exécutif a fait l’objet d’ouvrages historiques très intéressants. En France, notre usage est d’entourer le pouvoir d’appréciation de l’autorité publique par un cadre très exigeant de procédure, de droit de la défense, d’examens successifs, d’enquêtes et d’évaluations. C’est très ancré dans nos conceptions.

La rigidité de la loi ne vient pas de nulle part. Toute norme exigeante a été exigée. Dans le dialogue que nous avons avec la « société civile », selon le terme gramscien par lequel on a choisi de la baptiser, nous faisons en permanence face à des injonctions, à des demandes de règles fixes et transcendantes, à une démarche souvent très péremptoire ; et, disons-le, nous y cédons souvent. Accessoirement, c’est probablement encore plus le cas pour les institutions européennes. Parmi les facteurs, devenus très prégnants, très rigides, des lois que nous appliquons, la part de transpositions de textes de l’Union européenne est dominante.

De surcroît, et sans être déplaisant à l’égard de quiconque, il y a évidemment aussi beaucoup de professionnels du droit qui pensent pouvoir tirer avantage de la rigidité de la loi et de l’exigence des procédures. Si vous êtes un bon avocat en matière d’environnement, vous gagnez tous vos procès sur des questions de procédure, jamais sur une question de fond. D’ailleurs, pour trouver une norme de fond dans le code de l’environnement, que j’ai un peu fréquenté, il faut se promener longtemps !

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