Intervention de Annick Billon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 22 octobre 2019 : 1ère réunion
Échange de vues sur la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille

Photo de Annick BillonAnnick Billon, présidente :

Mes chers collègues, j'ai souhaité organiser un échange de vues sur la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, adoptée par l'Assemblée nationale le mardi 15 octobre.

Ce texte, issu d'une initiative du député LR Aurélien Pradié, est soutenu par le Gouvernement et fait l'objet d'une procédure accélérée. Il sera examiné au Sénat par la commission des lois, le mercredi 30 octobre, puis en séance publique le mercredi 6 novembre : il ressort de ce calendrier que la volonté commune est d'aller vite...

La proposition de loi entend généraliser, en France, l'usage du bracelet anti-rapprochement (BAR)1(*) pour les conjoints violents. La ministre de la justice a indiqué que l'objectif était de lancer le dispositif début 2020. La secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations nous a par ailleurs fourni quelques éléments relatifs au financement du dispositif, au cours de son audition devant la délégation, le mardi 15 octobre2(*).

Le bracelet pourra être autorisé au pénal comme au civil, avec la nécessité d'obtenir le consentement des deux conjoints, dont l'auteur des violences, pour éviter un risque d'inconstitutionnalité.

Au pénal, le conjoint ou ex-conjoint violent sera incité à l'accepter, afin d'éviter la détention préventive ou de bénéficier d'un aménagement de peine s'il est déjà condamné.

Au civil, en cas de refus du bracelet, le juge aux affaires familiales (JAF) pourra en aviser immédiatement le procureur de la République.

Le texte vise également à renforcer l'efficacité de l'ordonnance de protection (OP), dispositif encore largement perfectible. Ainsi, la proposition de loi définit une limite de six jours au juge aux affaires familiales entre l'audience des parties et la délivrance de l'OP.

Enfin, le texte entend faciliter l'utilisation des téléphones grave danger (TGD), dispositif efficace mais encore trop méconnu et donc sous-utilisé3(*).

D'autres dispositions moins médiatisées que le bracelet électronique, mais néanmoins très importantes, vont dans le sens des recommandations préconisées par notre délégation dans ses travaux sur les violences.

Je pense par exemple à la mesure qui introduit une exception très claire à la médiation familiale, en cas de violences conjugales, en l'excluant dès lors que les violences sont alléguées et pas seulement commises4(*), ou encore à la médiatisation du droit de visite dès lors que le JAF aura prononcé une interdiction de contact entre les conjoints.

La proposition de loi contient aussi des dispositions intéressantes allant dans le sens d'une meilleure prise en charge des auteurs de violences, que nous savons décisive pour la prévention de la récidive.

Il faut également noter que la commission des lois de l'Assemblée nationale a amendé le texte pour permettre le bracelet anti-rapprochement en cas de violence au sein du couple, y compris pour les couples qui ne cohabitent pas, selon la rédaction retenue pour l'article 132-80 du code pénal par la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Il faut se réjouir que la prise de conscience généralisée de la gravité des féminicides ait pu déboucher sur une initiative de l'Assemblée nationale qui rejoint nos constats et ceux de tous les acteurs de terrain engagés dans la lutte contre les violences. J'espère que cette dynamique se confirmera.

S'agissant du débat en séance, je disposerai, tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, d'un temps d'intervention de cinq minutes dans la discussion générale, avec les orateurs institutionnels.

Je souhaite donc solliciter votre avis avant d'exprimer la position de la délégation en séance publique, position qu'il nous convient de définir aujourd'hui sur le fond et sur la forme.

Sur le fond, je pense que nous pouvons collectivement nous féliciter de la mobilisation des députés et du Gouvernement pour faire adopter en urgence un texte qui marque une volonté certaine d'avancer concrètement et rapidement en faveur de la protection des femmes contre les violences conjugales.

Quels que soient les mérites de ce texte, nous devons toutefois rester vigilants sur les points suivants :

- premièrement, nous devrons nous montrer particulièrement attentifs à la mise en oeuvre de ce texte. Cela suppose avant toute chose que le Gouvernement dégage les moyens financiers et humains adaptés. Il me semble aussi qu'il serait important de dresser une évaluation des premiers mois d'application de la loi, afin de disposer d'éléments sur l'efficacité du BAR et de savoir si les mesures adoptés sur l'OP et le TGD ont été suivies d'effet sur le terrain, et dans tous les territoires. Par exemple, les TGD, qui ont montré leur efficacité, doivent faire l'objet d'un effort de la part des procureurs au lieu de rester dans les tiroirs, comme cela nous a été rapporté. Ernestine Ronai le rappelait récemment : en Seine-Saint-Denis, sur 313 femmes attributaires d'un TGD, aucune n'a été tuée ! Ce point supposera de notre part un suivi exigeant de l'application de ce texte.

- Deuxièmement, on ne peut prétendre régler le problème des violences au sein des couples avec le seul outil répressif. Il est impératif de continuer à travailler sur la prévention des violences, l'accompagnement des victimes et des auteurs, la formation des professionnels et les moyens attribués aux associations. Ce sera à mon avis l'un des enjeux principaux du Grenelle de lutte contre les violences conjugales. En d'autres termes, l'adoption de ce texte ne saurait exonérer les parlementaires de toute responsabilité pour l'avenir. Le bracelet électronique n'est pas une baguette magique, ce n'est qu'une partie de la réponse au fléau qui nous préoccupe, qui appelle une mobilisation de toute la société.

- Troisièmement, je suis assez réservée sur l'article 10 A de la proposition de loi, qui prévoit la remise d'un rapport sur les perspectives de développement d'une application publique et généraliste à destination des femmes victimes de violences. À titre personnel, je ne suis pas convaincue de l'efficacité de ces outils numériques et plateformes en ligne : on sait en effet que l'un des premiers signes d'emprise par un compagnon violent est justement de contrôler les moyens de communication de sa victime, ce qui inclut l'usage du téléphone portable et l'accès à Internet. Pour autant, cette application peut aussi être une piste intéressante dont il ne faut pas se priver.

- Enfin, il me semble que la discussion de cette proposition de loi doit être l'occasion de mettre sur la table un sujet important qui doit faire l'objet de réflexions complémentaires pour permettre d'avancer : la question du retrait ou de la suspension de l'autorité parentale d'un conjoint condamné pour violences, que notre délégation avait soulevée dans son rapport de 2016 sur l'évaluation de la loi de 2006 puis dans son rapport de 2018 sur les violences faites aux femmes. Nous savons que le mari violent ne peut être un bon père et que le maintien du lien du père avec son enfant entraîne mille occasions pour l'auteur de violences de faire pression sur sa victime, de conserver son emprise, voire de passer à l'acte.

Nous pourrions donc peut-être, à l'occasion de ce débat, poser la question du maintien de l'autorité parentale du conjoint condamné pour violences, et susciter une réflexion sur l'introduction du crime de féminicide dans le code pénal.

Certaines de ces pistes pourraient éventuellement prendre la forme d'amendements, afin qu'un débat ait lieu sur ces points.

Qu'en pensez-vous ?

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