Intervention de Sandrine Gaudin

Groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne — Réunion du 10 avril 2018 à 15h35
Audition de Mme Sandrine Gaudin secrétaire générale des affaires européennes

Sandrine Gaudin, Secrétaire générale des affaires européennes :

Nous nous sommes accommodés de cette méthode et nous serons prêts à affronter dans un an le choc que représente la désolidarisation d'un État membre qui deviendra un État tiers, tout en maintenant une relation économique, politique et commerciale bénéfique aux deux parties, et sans que cela porte atteinte au marché intérieur, ou cause des dommages collatéraux sur la refondation de l'Union européenne.

Le Conseil européen du 23 mars a permis des progrès importants dans les discussions sur l'accord de retrait, notamment en ce qui concerne le chapitre sur le droit des citoyens, celui sur le règlement financier et celui portant sur la période de transition qui durerait jusqu'au 31 décembre 2020 pour se préparer avant le grand saut.

Si ces trois chapitres sont clos, l'accord n'est pas pour autant finalisé. Il reste à décider du statut à donner à l'Irlande du Nord et de la gouvernance de l'accord. À quel type de règlement des différends sera-t-il soumis ? Celui de la Cour de justice de l'Union européenne ? La date de la période de transition ne deviendra effective que lorsque la totalité de l'accord aura été approuvé par le Parlement européen, et le Conseil, ainsi que par le Parlement britannique. S'il faut vivre avec l'espoir que cette période de transition sera appliquée, il reste possible que les efforts collectifs n'aboutissent pas à un accord, et que le grand saut se fasse dès le 29 mars 2019. Le scénario est peu probable, mais il existe. Les administrations et les acteurs économiques doivent se préparer au rétablissement de la frontière avec le Royaume-Uni. Et nous devons travailler vite et bien, car un an, c'est très court.

Le statut de l'Irlande est un sujet intellectuellement et politiquement complexe qui relève du défi. Si nous trouvons une solution, nous aurons résolu neuf dixièmes des difficultés. Cette complexité vient de la nécessité de préserver le Good Friday Agreement, dont on célèbre le vingtième anniversaire, et qui a posé comme principe l'abolition de la frontière physique entre les deux territoires, principe que le Brexit vient remettre en cause. Les Irlandais qui tiennent beaucoup à ce que la frontière ne soit pas rétablie servent de trait d'union dans les discussions que nous avons avec le Royaume Uni.

Le rapport du 8 décembre entériné par le Conseil européen du 15 décembre prévoit comme scénario possible une forme d'alignement réglementaire sur les règles du marché intérieur pour l'Irlande du Nord. Autrement dit, on maintiendrait un bout d'Union européenne au sein du Royaume-Uni. Cependant, les Britanniques, confrontés à une situation politique complexe, sont difficiles à convaincre. Les Européens ont demandé à plusieurs reprises que le Royaume Uni fasse des propositions concrètes.

Le Conseil européen de juin permettra d'évaluer les progrès sur cette question. La task force de Michel Barnier est confiante. Les négociations ont bien fonctionné depuis le début de l'année. On peut espérer un accord sur l'Irlande d'ici juin.

Lors du Conseil européen du 23 mars, Michel Barnier s'est vu confier un mandat pour négocier le cadre des relations futures, qui pourrait comprendre un accord de libre-échange et des accords de coopération structurant une relation encore inédite. On a beau faire référence aux modèles norvégien ou canadien, vietnamien, cet accord sera construit ad hoc, car il n'y a aucun précédent d'accord de libre-échange avec un État sortant de l'UE, qui pourra recourir à une divergence règlementaire pour promouvoir ses intérêts.

Quoi qu'il en soit, cet accord sera large. Si le rétablissement des droits de douane de part et d'autre de la frontière reste une hypothèse peu probable, rien ne garantit qu'on n'y aura pas recours. L'accord couvrira la circulation des marchandises, des biens et des services, ainsi que la coopération douanière. Il couvrira aussi le domaine de la pêche, sujet majeur dans les négociations, car il est inscrit dans le mandat du 23 mars que l'accès aux eaux et aux ressources halieutiques sera maintenu pour les pêcheurs de l'Union européenne et réciproquement.

Pour ce qui est des services financiers, l'accord prévoit non pas un accès des services britanniques au marché intérieur des 27 sur le mode d'un passeport financier, mais la mise en place d'un régime d'équivalences sur un modèle élaboré, comparable aux accords que nous avons avec la Suisse ou les États-Unis. Les demandes d'équivalence seront très nombreuses. Il faudra permettre un accès approprié aux services financiers du Royaume-Uni en vérifiant qu'ils sont au même niveau que les standards de l'Union européenne.

L'accord inclura des dispositions en matière de développement durable. Il réglementera la libre circulation des personnes, car le flux d'échanges doit se maintenir. Nous développerons des partenariats de coopération sur la sécurité intérieure, le terrorisme et l'exécution des mandats d'arrêt.

La défense européenne est en voie de construction. Le Royaume-Uni pourrait continuer à bénéficier de programmes communautaires comme Galileo et conserver un accès de pays tiers au Fonds européen de la défense et au projet ITER, contre compensation financière, bien évidemment.

Nous devrons préserver le level playing field, c'est-à-dire les règles de concurrence équitables pour les entreprises, afin d'éviter que le Royaume-Uni développe un modèle économique et commercial s'appuyant sur des divergences réglementaires à proximité de l'Union européenne.

Michel Barnier ne cesse de réaffirmer sa confiance dans la construction de la relation future avec le Royaume-Uni, tout en rappelant qu'une absence d'accord, un no deal, reste possible. Nous tentons de sensibiliser les entreprises et d'informer les régions françaises et les collectivités locales sur les conséquences que le Brexit pourrait avoir sur leur tissu économique, notamment en matière de transports. Le Brexit est un saut dans l'inconnu. Il implique d'inventer une forme de relation nouvelle.

Quoi qu'il en soit, le régime à la carte est exclu, car un marché intérieur en peau de léopard porterait atteinte au level playing field. On ne remettra pas non plus en question l'autonomie décisionnelle de l'Union européenne. Les britanniques, fins négociateurs, souhaiteraient rester à la table des discussions européennes. Dans la mesure où ils ont décidé de quitter l'Union, ils ne pourront y être invités qu'à titre exceptionnel, si par exemple la coopération pour lutter contre le terrorisme le justifie. Les précédents existent : lors de la crise de 2008, Nicolas Sarkozy avait invité Gordon Brown à la table de l'Eurogroupe. Pour autant, le Royaume-Uni ne doit pas faire entrave aux décisions européennes.

La refondation de l'Union européenne, déjà engagée avant le Brexit, doit se poursuivre, avec notamment l'approfondissement de l'union économique et monétaire et la finalisation de l'union bancaire. La France a déjà transféré au niveau européen la supervision d'une grande partie de son secteur bancaire. Il reste à peaufiner le mécanisme de mutualisation des risques en cas de difficulté.

Achever la construction de l'euro, c'est aussi tenter de se doter d'un budget dédié à la zone euro pour aider les États membres à faire face aux chocs éventuels et à davantage converger.

Il est essentiel de renforcer l'accord franco-allemand sur l'un et l'autre de ces chantiers. Nos deux pays ont des divergences sur le sujet, car les Allemands considèrent que la tâche est déjà achevée en matière d'union bancaire. Pas moins de 90 % du secteur bancaire français est passé sous supervision européenne ; la part du secteur bancaire allemand est bien moindre. Le ministre des finances travaille intensément à renforcer la coopération avec l'Allemagne.

La crise liée à l'afflux des migrants en 2015 et 2016 a montré la nécessité de renforcer l'arsenal des règles européennes sur l'asile. Ce sujet divise et l'octroi de l'asile donne lieu à bien des débats. Pendant longtemps, la convention de Schengen a régulé la libre circulation des personnes dans une Europe sans frontières. Son fonctionnement a été mis à l'épreuve par les questions de sécurité, de sorte qu'il faut en revoir les règles. Dans quelle mesure peut-on renforcer Europol ? Faut-il partager davantage les informations ? Ou bien doit-on considérer que les questions de sécurité relèvent de la compétence des États ? Le terrorisme implique une coopération plus forte que jamais entre les États. D'où le souhait des Anglais de continuer à bénéficier des bases de données développées dans le cadre de la convention de Schengen.

Une nouvelle feuille de route verra le jour à partir du mois de mai, date à laquelle le projet de la Commission européenne pour le budget de l'Union européenne entre 2020 et 2027 aura été présenté. Ce projet financera de grandes politiques communautaires et sera orienté vers des priorités qui ont trait au financement de biens communs comme la protection des frontières et la politique de la défense. Ce prochain budget sera bâti sans la contribution du Royaume-Uni. Il faudra trouver 10 à 12 milliards d'euros supplémentaires pour compenser ce départ, soit 1,8 à 2 milliards d'euros chaque année. Nous devrons donc faire des choix, payer davantage, ou les deux ! Les notes de position transmises à Bruxelles disent notre opposition à des coupes budgétaires qui iraient au-delà des conséquences mécaniques du Brexit, mais nous n'en devons pas moins nous préparer à des évolutions sur certaines dépenses. Ce peut être l'occasion de débattre sereinement de certaines questions : la politique de cohésion ne mérite-t-elle pas d'être repensée, modernisée, mieux ciblée sur les territoires fragiles, par exemple pour lutter contre la fracture numérique ou améliorer la politique de la ville de certains États-membres ? J'ignore si nous accepterons une coupe sur le budget de la PAC ; nous nous sommes pour l'heure bornés à rappeler l'importance fondamentale de cette politique pour la souveraineté et la sécurité alimentaire de l'Union européenne.

Partenaire en moins, nouveaux défis, priorités à pérenniser... Ce budget sera en tout cas très intéressant à négocier. Pour le président de la République, il devra aussi concrétiser les ambitions annoncées par le discours de la Sorbonne : rendre l'Europe plus protectrice des citoyens, plus unie grâce à des politiques de cohésion et de solidarité renforçant la convergence entre les États-membres, plus souveraine, tournée vers les défis du numérique, de l'innovation et de la recherche, et capable de développer des programmes d'aide au développement contribuant à résoudre le problème migratoire, notamment en Afrique.

La politique commerciale de l'Union européenne, vous le savez, est intégrée ; nous sommes donc vingt-huit États unis derrière la Commission européenne pour contester les mesures voulues par le président Trump de relèvement des tarifs douaniers sur l'acier et l'aluminium. Le consensus est fort : nous pensons tous que le président américain se trompe de débat : celui-ci doit porter sur la Chine, qui ne respecte pas les règles du commerce international, et non sur l'Europe, qui les respecte !

S'agissant de l'élargissement dans les Balkans, nous avons fait savoir que les critères de Copenhague devaient être respectés. Autres critères à considérer : la capacité européenne à intégrer de nouveaux membres, et à s'assurer que les pays susceptibles d'être admis conduisent les réformes nécessaires pour reprendre l'acquis communautaire. Ce dernier n'est pour l'heure pas rempli. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs que par le passé...

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