Nous sommes heureux de vous accueillir au Sénat. Nous suivons avec une attention particulière le processus de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Des progrès significatifs ont été réalisés en vue d'un accord de retrait. Je veux saluer le travail accompli par le négociateur de l'Union Michel Barnier. Mais nous restons préoccupés par le règlement de la situation de l'Irlande. Tout cela doit être réglé d'ici octobre.
Quelle est votre analyse des négociations en cours de l'accord de retrait ? Peut-on être rassuré sur le sort des ressortissants européens installés au Royaume-Uni ? Comment voyez-vous le règlement de la question de l'Irlande ?
Comment appréhendez-vous l'accord de libre-échange qui devra être négocié dans le cadre des relations futures ? Soyons clairs : il ne saurait y avoir un marché unique à la carte. L'intégrité de celui-ci doit être préservée. Les services financiers seraient soumis à un dispositif d'équivalences améliorées.
La coopération devra aussi être maintenue dans des domaines variés, en particulier la défense et la sécurité. Quelles formes pourra-t-elle revêtir ?
Votre présence est aussi l'occasion d'échanger sur l'avenir de l'Union européenne. Nous attendons la position commune franco-allemande dans la perspective du Conseil européen de juin.
Enfin, l'énergie et le numérique doivent être des priorités. Comment l'Europe se positionnera-t-elle ?
Tels sont les sujets sur lesquels nous aimerions vous entendre, d'autant que vous les connaissez parfaitement pour avoir été entre 2008 et 2010 chef du bureau de la stratégie et de la coordination européenne de la direction générale du Trésor et de la politique économique, devenue depuis lors direction générale du Trésor, au ministère de l'Économie, de l'Industrie et de l'Emploi. Vous avez également exercé les fonctions de ministre conseiller pour les affaires économiques, chef du service économique régional « Royaume-Uni et Irlande », en résidence à Londres. Vos analyses seront précieuses, car nous devons auditionner, demain, l'ambassadeur d'Irlande à Paris, Mme O'Brien.
L'Europe est à un tournant de son histoire. « Il n'y a d'accord sur rien tant qu'on n'est pas d'accord sur tout » : voilà qui résume parfaitement l'état des négociations du Brexit. Des zones d'ombre demeurent.
Le président du Sénat nous a confié la mission de réfléchir sur la refondation de l'Union européenne. Le Sénat avait émis des recommandations à ce sujet, dans un rapport publié, il y a un an. La stabilisation de la situation allemande devrait permettre de fixer une feuille de route d'ici la fin du mois de juin. Quelles seront les pistes privilégiées ?
Les négociations financières avec le Royaume-Uni s'annoncent compliquées. Sur l'Europe de la défense, Mme May a pris des engagements dans son discours de Florence. Y aura-t-il un saut qualitatif dans le cadre de la coopération structurée à 25 ?
L'Europe doit également relever les défis de la sécurité, de la crise migratoire, de la réforme institutionnelle et financière. Quelle relance des perspectives d'élargissement aux pays des Balkans occidentaux faut-il envisager sous présidence bulgare ? Le calendrier suscite déjà une certaine méfiance, sans parler de la Turquie...
Enfin, le président des États-Unis a annoncé la remise en oeuvre de certains droits de douane. N'y a-t-il pas un risque de guerre commerciale avec l'Europe ?
Nous avons ouvert une salle de consultation, au Secrétariat général des affaires européennes, pour donner accès à toutes les analyses et études d'impact dont nous disposons sur le Brexit. Cette négociation inédite est d'une ampleur gigantesque. Nous travaillons sur des concepts que nous croyons bien connaître, comme le marché intérieur, le level playing field ou l'autonomie décisionnelle de l'Union européenne. Cette négociation peut les remettre complètement en question.
Je suis restée peu de temps à Londres. Cependant, il a suffi de deux mois pour que j'acquière la conviction qu'il n'y aura pas de retour en arrière. Les Anglais iront jusqu'au bout et il faut admettre que le Royaume-Uni deviendra un pays tiers, le 29 mars 2019 à minuit. D'où notre volonté d'accélérer les négociations, avec Michel Barnier à la tête d'une task force qui coordonne la position des 27. Du coté anglais, la négociation se déroule au rythme des discours de T. May qui précise peu à peu la position du Royaume-Uni.
Nous nous sommes accommodés de cette méthode et nous serons prêts à affronter dans un an le choc que représente la désolidarisation d'un État membre qui deviendra un État tiers, tout en maintenant une relation économique, politique et commerciale bénéfique aux deux parties, et sans que cela porte atteinte au marché intérieur, ou cause des dommages collatéraux sur la refondation de l'Union européenne.
Le Conseil européen du 23 mars a permis des progrès importants dans les discussions sur l'accord de retrait, notamment en ce qui concerne le chapitre sur le droit des citoyens, celui sur le règlement financier et celui portant sur la période de transition qui durerait jusqu'au 31 décembre 2020 pour se préparer avant le grand saut.
Si ces trois chapitres sont clos, l'accord n'est pas pour autant finalisé. Il reste à décider du statut à donner à l'Irlande du Nord et de la gouvernance de l'accord. À quel type de règlement des différends sera-t-il soumis ? Celui de la Cour de justice de l'Union européenne ? La date de la période de transition ne deviendra effective que lorsque la totalité de l'accord aura été approuvé par le Parlement européen, et le Conseil, ainsi que par le Parlement britannique. S'il faut vivre avec l'espoir que cette période de transition sera appliquée, il reste possible que les efforts collectifs n'aboutissent pas à un accord, et que le grand saut se fasse dès le 29 mars 2019. Le scénario est peu probable, mais il existe. Les administrations et les acteurs économiques doivent se préparer au rétablissement de la frontière avec le Royaume-Uni. Et nous devons travailler vite et bien, car un an, c'est très court.
Le statut de l'Irlande est un sujet intellectuellement et politiquement complexe qui relève du défi. Si nous trouvons une solution, nous aurons résolu neuf dixièmes des difficultés. Cette complexité vient de la nécessité de préserver le Good Friday Agreement, dont on célèbre le vingtième anniversaire, et qui a posé comme principe l'abolition de la frontière physique entre les deux territoires, principe que le Brexit vient remettre en cause. Les Irlandais qui tiennent beaucoup à ce que la frontière ne soit pas rétablie servent de trait d'union dans les discussions que nous avons avec le Royaume Uni.
Le rapport du 8 décembre entériné par le Conseil européen du 15 décembre prévoit comme scénario possible une forme d'alignement réglementaire sur les règles du marché intérieur pour l'Irlande du Nord. Autrement dit, on maintiendrait un bout d'Union européenne au sein du Royaume-Uni. Cependant, les Britanniques, confrontés à une situation politique complexe, sont difficiles à convaincre. Les Européens ont demandé à plusieurs reprises que le Royaume Uni fasse des propositions concrètes.
Le Conseil européen de juin permettra d'évaluer les progrès sur cette question. La task force de Michel Barnier est confiante. Les négociations ont bien fonctionné depuis le début de l'année. On peut espérer un accord sur l'Irlande d'ici juin.
Lors du Conseil européen du 23 mars, Michel Barnier s'est vu confier un mandat pour négocier le cadre des relations futures, qui pourrait comprendre un accord de libre-échange et des accords de coopération structurant une relation encore inédite. On a beau faire référence aux modèles norvégien ou canadien, vietnamien, cet accord sera construit ad hoc, car il n'y a aucun précédent d'accord de libre-échange avec un État sortant de l'UE, qui pourra recourir à une divergence règlementaire pour promouvoir ses intérêts.
Quoi qu'il en soit, cet accord sera large. Si le rétablissement des droits de douane de part et d'autre de la frontière reste une hypothèse peu probable, rien ne garantit qu'on n'y aura pas recours. L'accord couvrira la circulation des marchandises, des biens et des services, ainsi que la coopération douanière. Il couvrira aussi le domaine de la pêche, sujet majeur dans les négociations, car il est inscrit dans le mandat du 23 mars que l'accès aux eaux et aux ressources halieutiques sera maintenu pour les pêcheurs de l'Union européenne et réciproquement.
Pour ce qui est des services financiers, l'accord prévoit non pas un accès des services britanniques au marché intérieur des 27 sur le mode d'un passeport financier, mais la mise en place d'un régime d'équivalences sur un modèle élaboré, comparable aux accords que nous avons avec la Suisse ou les États-Unis. Les demandes d'équivalence seront très nombreuses. Il faudra permettre un accès approprié aux services financiers du Royaume-Uni en vérifiant qu'ils sont au même niveau que les standards de l'Union européenne.
L'accord inclura des dispositions en matière de développement durable. Il réglementera la libre circulation des personnes, car le flux d'échanges doit se maintenir. Nous développerons des partenariats de coopération sur la sécurité intérieure, le terrorisme et l'exécution des mandats d'arrêt.
La défense européenne est en voie de construction. Le Royaume-Uni pourrait continuer à bénéficier de programmes communautaires comme Galileo et conserver un accès de pays tiers au Fonds européen de la défense et au projet ITER, contre compensation financière, bien évidemment.
Nous devrons préserver le level playing field, c'est-à-dire les règles de concurrence équitables pour les entreprises, afin d'éviter que le Royaume-Uni développe un modèle économique et commercial s'appuyant sur des divergences réglementaires à proximité de l'Union européenne.
Michel Barnier ne cesse de réaffirmer sa confiance dans la construction de la relation future avec le Royaume-Uni, tout en rappelant qu'une absence d'accord, un no deal, reste possible. Nous tentons de sensibiliser les entreprises et d'informer les régions françaises et les collectivités locales sur les conséquences que le Brexit pourrait avoir sur leur tissu économique, notamment en matière de transports. Le Brexit est un saut dans l'inconnu. Il implique d'inventer une forme de relation nouvelle.
Quoi qu'il en soit, le régime à la carte est exclu, car un marché intérieur en peau de léopard porterait atteinte au level playing field. On ne remettra pas non plus en question l'autonomie décisionnelle de l'Union européenne. Les britanniques, fins négociateurs, souhaiteraient rester à la table des discussions européennes. Dans la mesure où ils ont décidé de quitter l'Union, ils ne pourront y être invités qu'à titre exceptionnel, si par exemple la coopération pour lutter contre le terrorisme le justifie. Les précédents existent : lors de la crise de 2008, Nicolas Sarkozy avait invité Gordon Brown à la table de l'Eurogroupe. Pour autant, le Royaume-Uni ne doit pas faire entrave aux décisions européennes.
La refondation de l'Union européenne, déjà engagée avant le Brexit, doit se poursuivre, avec notamment l'approfondissement de l'union économique et monétaire et la finalisation de l'union bancaire. La France a déjà transféré au niveau européen la supervision d'une grande partie de son secteur bancaire. Il reste à peaufiner le mécanisme de mutualisation des risques en cas de difficulté.
Achever la construction de l'euro, c'est aussi tenter de se doter d'un budget dédié à la zone euro pour aider les États membres à faire face aux chocs éventuels et à davantage converger.
Il est essentiel de renforcer l'accord franco-allemand sur l'un et l'autre de ces chantiers. Nos deux pays ont des divergences sur le sujet, car les Allemands considèrent que la tâche est déjà achevée en matière d'union bancaire. Pas moins de 90 % du secteur bancaire français est passé sous supervision européenne ; la part du secteur bancaire allemand est bien moindre. Le ministre des finances travaille intensément à renforcer la coopération avec l'Allemagne.
La crise liée à l'afflux des migrants en 2015 et 2016 a montré la nécessité de renforcer l'arsenal des règles européennes sur l'asile. Ce sujet divise et l'octroi de l'asile donne lieu à bien des débats. Pendant longtemps, la convention de Schengen a régulé la libre circulation des personnes dans une Europe sans frontières. Son fonctionnement a été mis à l'épreuve par les questions de sécurité, de sorte qu'il faut en revoir les règles. Dans quelle mesure peut-on renforcer Europol ? Faut-il partager davantage les informations ? Ou bien doit-on considérer que les questions de sécurité relèvent de la compétence des États ? Le terrorisme implique une coopération plus forte que jamais entre les États. D'où le souhait des Anglais de continuer à bénéficier des bases de données développées dans le cadre de la convention de Schengen.
Une nouvelle feuille de route verra le jour à partir du mois de mai, date à laquelle le projet de la Commission européenne pour le budget de l'Union européenne entre 2020 et 2027 aura été présenté. Ce projet financera de grandes politiques communautaires et sera orienté vers des priorités qui ont trait au financement de biens communs comme la protection des frontières et la politique de la défense. Ce prochain budget sera bâti sans la contribution du Royaume-Uni. Il faudra trouver 10 à 12 milliards d'euros supplémentaires pour compenser ce départ, soit 1,8 à 2 milliards d'euros chaque année. Nous devrons donc faire des choix, payer davantage, ou les deux ! Les notes de position transmises à Bruxelles disent notre opposition à des coupes budgétaires qui iraient au-delà des conséquences mécaniques du Brexit, mais nous n'en devons pas moins nous préparer à des évolutions sur certaines dépenses. Ce peut être l'occasion de débattre sereinement de certaines questions : la politique de cohésion ne mérite-t-elle pas d'être repensée, modernisée, mieux ciblée sur les territoires fragiles, par exemple pour lutter contre la fracture numérique ou améliorer la politique de la ville de certains États-membres ? J'ignore si nous accepterons une coupe sur le budget de la PAC ; nous nous sommes pour l'heure bornés à rappeler l'importance fondamentale de cette politique pour la souveraineté et la sécurité alimentaire de l'Union européenne.
Partenaire en moins, nouveaux défis, priorités à pérenniser... Ce budget sera en tout cas très intéressant à négocier. Pour le président de la République, il devra aussi concrétiser les ambitions annoncées par le discours de la Sorbonne : rendre l'Europe plus protectrice des citoyens, plus unie grâce à des politiques de cohésion et de solidarité renforçant la convergence entre les États-membres, plus souveraine, tournée vers les défis du numérique, de l'innovation et de la recherche, et capable de développer des programmes d'aide au développement contribuant à résoudre le problème migratoire, notamment en Afrique.
La politique commerciale de l'Union européenne, vous le savez, est intégrée ; nous sommes donc vingt-huit États unis derrière la Commission européenne pour contester les mesures voulues par le président Trump de relèvement des tarifs douaniers sur l'acier et l'aluminium. Le consensus est fort : nous pensons tous que le président américain se trompe de débat : celui-ci doit porter sur la Chine, qui ne respecte pas les règles du commerce international, et non sur l'Europe, qui les respecte !
S'agissant de l'élargissement dans les Balkans, nous avons fait savoir que les critères de Copenhague devaient être respectés. Autres critères à considérer : la capacité européenne à intégrer de nouveaux membres, et à s'assurer que les pays susceptibles d'être admis conduisent les réformes nécessaires pour reprendre l'acquis communautaire. Ce dernier n'est pour l'heure pas rempli. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs que par le passé...
Nous voyons bien la difficulté du chemin emprunté pour le Brexit : il faut trouver un système qui fonctionne, sans le rendre trop séduisant aux yeux d'autres États-membres - je songe aux déclarations de certains responsables politiques néerlandais ou polonais...
Je fais partie de ceux qui pensent que l'important est ce que nous allons construire à vingt-sept : le Brexit, nous en prenons note, mais il n'est pas de notre fait. Or de ce point de vue, je ne suis guère optimiste : l'union bancaire, le marché commun des capitaux, la politique en matière d'asile, semblent un peu enlisées, sans doute en partie à cause des difficultés politiques rencontrées par l'Allemagne. Nous devons, nous Français, trouver des alliés, espèce qui devient rare de nos jours... du côté espagnol, peut-être ?
Nous avons tous été frappés par la foudre de cet accord sur le Brexit, alors que l'on nous expliquait que rien n'avançait... Ces trois chapitres sont-ils réellement débloqués ? La proposition britannique sur les citoyens communautaires mérite, à tout le moins, d'être discutée ! La transition commencerait dans un an... sauf que, compte tenu des sujets à aborder, je ne crois pas à un accord dans un an, même dans deux ans ! Et faute d'accord, je peine à voir ce qui se produira.
Merci pour cet exposé très intéressant, qui me laisse penser que nous devrions auditionner plus souvent le secrétariat général aux affaires européennes - à la commission des affaires européennes, en tout cas...
Les Anglais veulent toujours être autour de la table. Nous l'avons constaté lors de la négociation du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, alors qu'ils ne sont pas membres de la zone euro ! Nos collègues britanniques étaient alors très prompts à nous surveiller pour, supposément, nous empêcher de faire des bêtises...
Placer l'élargissement de l'Union européenne aux Balkans dans le cadre du droit commun, comme vous le faites, m'inquiète. Le président Juncker a certes annoncé qu'il n'y aurait aucun élargissement durant son mandat, mais celui-ci peut servir à préparer des choses... Or un tel élargissement a un caractère exceptionnel et extraordinaire, car il serait facteur de paix. Nous avons amorcé le processus avec la Slovénie et la Croatie ; nous le poursuivons avec la Serbie et le Monténégro. Mais ne faut-il pas qu'eux-mêmes fassent des efforts ? Il faut certes éviter de réitérer les erreurs du passé - le mécanisme de coopération et de vérification insiste plus sur la coopération que sur la vérification, dit-on - mais il ne faut pas non plus les désespérer.
Ce weekend, les pêcheurs anglais ont manifesté et bloqué les ports, moins pour protester contre les vingt-sept que pour faire pression sur leur gouvernement. Que veulent-ils et que refusent-ils ? Que sommes-nous prêts à accepter et que n'accepterons-nous jamais ?
Les Anglais vont perdre avec le Brexit une part importante de leur activité financière. Ils essaient en conséquence de trouver de nouveaux marchés, et semblent avoir jeté leur dévolu sur la finance islamique. Londres serait déjà la première place mondiale, devant les places américaines. Que représente ce marché ? Son potentiel est-il si important ?
Installé au Royaume-Uni depuis plus de vingt ans, je suis moins catégorique que vous, car je crois, de plus en plus fermement, que les Anglais pourraient revenir en arrière. Un vote aux Communes aura bientôt lieu sur ce sujet. Or nous ne nous y préparons pas du tout. N'abandonnons pas toute vision positive et optimiste. Le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne, je continue à le croire, serait une grosse perte pour le Royaume-Uni et pour l'Union européenne.
Si les choses se passent comme vous le dites, si nous entrions dans l'inconnu faute d'accord, les Français seraient nombreux à rentrer en France, et je n'ai pas vu non plus la première esquisse d'un plan pour les recevoir. L'ambassadeur de France au Royaume-Uni, M. Jean-Pierre Jouyet, nous a fait part de leur inquiétude. Certains vont faire leurs valises alors qu'ils n'ont jamais vécu en France : préparons-nous à les accueillir !
Sur l'élargissement aussi, notre vision manque d'optimisme. Le Monténégro compte autant d'habitants qu'un petit département français. La Serbie, elle, présente d'importants enjeux géopolitiques : les intérêts de la Chine ou de la Russie y transitent. La Bulgarie soutient leur candidature, de même que la Roumanie et la Croatie. Ramenons le dossier à sa juste mesure : il ne s'agit pas d'intégrer la Turquie...
Merci pour vos explications, utiles et éclairantes.
Nous devons renforcer notre capacité à travailler avec les Allemands sur les sujets essentiels, notamment la gestion des flux migratoires, dont s'emparent les populistes de tous les pays. Comment progresser sur la gestion de l'espace Schengen, la convergence des procédures, la question des pays sûrs ? Comment construire un axe franco-allemand de nature à entraîner les autres États-membres sur ces questions ?
Les Britanniques demanderaient l'opt-in pour Schengen... ai-je bien entendu ? Ils sont dehors, mais voudraient être dedans... L'enjeu est-il irlandais ?
L'Europe est enlisée, ne va pas assez vite, ne va pas assez loin : nous sommes bien d'accord, mais nous passons la moitié de nos journées à travailler sur le Brexit ! Et nos moyens, au secrétariat général aux affaires européennes, sont limités. Facteur aggravant : l'Europe est un peu en panne. Les élections nationales le montrent : la frustration et la tentation du repli sont très fortes. Les citoyens, ne voyant pas les bénéfices concrets de l'Europe, s'en détournent. Le discours du président de la République fait donc beaucoup de bien psychologiquement, dans certains pays, par son côté visionnaire - que l'on approuve ou non les buts qu'il s'est donnés.
M. Barnier a trouvé le moyen de débloquer les négociations en engageant rapidement une discussion sur la période de transition, sous réserve qu'ils acceptent le reste de l'accord. Une sortie sans accord aurait des conséquences qui seraient catastrophiques. Nous préparons nos douaniers à effectuer les contrôles qui s'imposeraient : contenu des camions, licences des transporteurs, autorisations de travail, visa pour les citoyens britanniques arrivant dans les aéroports français... Le Premier ministre a tenu une réunion hier avec tout le Gouvernement pour sensibiliser chaque administration à toutes les éventualités. Des plans de contingence seront établis dans chaque administration.
Il n'y aurait rien à préparer dans l'hypothèse où les Britanniques changeraient d'avis avant la sortie effective du Royaume Uni le 29 mars 2019.
Il est dangereux de faire croire qu'ils peuvent revenir sur leur décision !
Les pêcheurs anglais sont furieux que le chapitre sur la transition autorise, en échange de leur accès au marché intérieur, l'accès des pêcheurs français aux eaux anglaises : ils imaginaient recouvrer une liberté totale dans leurs eaux ! Ils se sentent en conséquence trahis par leur gouvernement. Nous cherchons pour notre part à maintenir l'accès de nos pêcheurs aux eaux britanniques, sous réserve de contreparties naturellement - car les poissons ne sont pas les mêmes chez eux et chez nous -, afin de maintenir un équilibre dans l'accès aux eaux territoriales.
Je n'ai pas d'éléments particuliers sur la finance islamique. Le marché n'est pas nouveau ; il a toujours été un marché de niche pour certaines places, celles du Golfe au premier chef, Londres également. Compte tenu du poids de ces pays dans l'économie mondiale, le Qatar en particulier, la finance islamique est sans doute amenée à progresser, mais peut-être pas jusqu'à devenir un business model.
Je ne voulais pas vous sembler trop négative sur l'élargissement. La vocation européenne des pays des Balkans est indéniable, et légitime. L'Europe, avec la Grèce, la Slovénie, la Croatie est déjà balkanique ! La question qui se pose est davantage de savoir quand et comment procéder. Or les derniers élargissements n'ont guère été des succès au vu des jugements portés par les opinions publiques. Le screening de la législation nationale a été fait de façon très inégale. Pour la Roumanie et la Bulgarie, le compte n'y était sans doute pas puisque nous avons dû maintenir des mécanismes de vérifications particuliers ; on peut se demander s'ils ne sont pas entrés trop tôt. Bref, ne risquons pas de déclencher les mêmes symptômes que précédemment : les citoyens européens ne l'accepteraient pas. La position française consiste à appeler à la consolidation de la zone, avec laquelle nous avons un destin commun, à les aider à procéder aux réformes qui s'imposent. Et en parallèle, à réformer l'UE. Le Monténégro ne pose pas de problème de taille : 600 000 habitants, ce n'est pas beaucoup. Mais cet État a adopté l'euro sans l'autorisation de personne, alors que sa circulation implique le respect de certains critères et d'une certaine réglementation - anti-blanchiment par exemple. Le renforcement de l'axe franco-allemand est en effet un enjeu majeur. Le président de la République souhaite la création d'une agence européenne chargée de centraliser les demandes d'asile. Pour l'heure, Français et Allemands divergent sur la conception de l'accueil des migrants, ou la notion de pays tiers sûr, par exemple. Nous trouverons une voie commune, comme nous l'avons toujours fait, mais cela sera difficile.
Vous avez parlé d'un accord de nouvelle génération qui nous liera jusqu'en décembre 2020. Préfigurera-t-il de futurs accords que nous pourrions signer avec des pays tiers ? Nous aurions ainsi certes fait des efforts financiers dans la conduite du Brexit, mais aussi mené un exercice grandeur nature.
Nous devrons en effet sans doute revoir toutes nos relations de voisinage et de partenariat commercial à la lumière des négociations menées avec les Anglais.