Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une actualité récente donne à l’examen du texte de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio un écho particulier, dont nous nous serions bien passés.
Cette proposition de loi s’inscrit en fait dans le prolongement de la discussion du projet loi pour une école de la confiance, au cours de laquelle avait été adopté un amendement tranchant la délicate question de la neutralité religieuse des personnes accompagnant les sorties scolaires.
Les députés en ont décidé autrement lors de la réunion de la commission mixte paritaire en supprimant cet amendement, laissant du même coup un vide juridique propice aux polémiques dans lesquelles certains se sont depuis engouffrés.
Tirant les conséquences de cet épilogue, notre collègue a déposé sa proposition loi en juillet dernier. Nous ne pouvions alors imaginer que deux événements médiatiques déclencheraient la frénésie.
Il y a tout d’abord eu la polémique récente autour de l’affiche de la FCPE. Elle a pris à contre-pied nombre d’observateurs qui connaissent bien cette fédération, dont les statuts sont pourtant depuis toujours de nature laïque.
La seconde polémique fait suite à la provocation absurde d’un élu du Rassemblement national, qui ne connaît apparemment ni les règles d’accueil du public dans l’enceinte de sa collectivité ni le droit de cette mère d’élève à accompagner une sortie scolaire en l’état actuel des textes. Cette forme d’humiliation envers une maman devant son enfant est humainement inacceptable !
Si la question de l’expression religieuse des accompagnants de sorties scolaires n’est pas nouvelle, aucune solution concrète n’a jamais été trouvée ni dans la loi ni dans les circulaires Royal ou Chatel encore en vigueur. On le voit bien aujourd’hui, l’insécurité juridique est préjudiciable à tous, et d’abord aux acteurs de l’éducation : enseignants, chefs d’établissement et directeurs d’école.
Malgré la légalité de ces circulaires qui n’ont jamais été abrogées, leur interprétation a varié au gré des déclarations contradictoires de certains ministres. Il revient par conséquent au législateur de lever les contradictions qui persistent, de clarifier la question, et de régler une situation qui aurait dû l’être depuis longtemps, avant qu’elle ne devienne explosive et ne soit instrumentalisée par les extrêmes.
En 2013 déjà, dans un contexte où la laïcité soulevait d’importantes interrogations, le Conseil d’État avait rendu une étude – et non un avis ! – sur saisine du Défenseur des droits, et invité le législateur à clarifier la question que nous examinons aujourd’hui. En vain ! S’appuyant sur un arrêt de 1941, il soulignait que, « entre l’agent et l’usager, la loi et la jurisprudence n’ont pas identifié de troisième catégorie de collaborateurs ou participants, qui serait soumise en tant que telle à l’exigence de neutralité religieuse ».
En 2014, le Conseil d’État a confirmé la spécificité du service public de l’éducation dans son dossier thématique sur le juge administratif et l’expression des convictions religieuses, l’exemple le plus significatif étant celui de la loi du 15 mars 2004 qui impose, à juste titre, une neutralité aux usagers directs du service public de l’éducation, c’est-à-dire les élèves, dans le but premier de les protéger contre toute forme de prosélytisme, à un âge où l’individu se construit. Elle leur interdit de manifester ostensiblement leur appartenance religieuse pendant le temps pédagogique.
Néanmoins, le Conseil d’État souligne qu’il reste paradoxalement possible pour les accompagnants des sorties scolaires de manifester leur appartenance religieuse.
Il nous faut lever cette contradiction, car les activités pratiquées à l’occasion d’une sortie viennent nécessairement en appui des programmes et s’intègrent au projet pédagogique de la classe, comme l’indique la circulaire de septembre 1999.
Pour parvenir à la clarification attendue, il nous faut nous attarder à la fois sur le principe de neutralité et sur la nature de toute sortie scolaire, tout en rappelant quelques évidences.
La notion de neutralité dans le service public de l’éducation nationale s’est construite au fil du temps par la loi et la jurisprudence, et ce depuis Jules Ferry : neutralité des agents, des enseignants et des usagers.
Plus récemment, le 23 juillet dernier, un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon a posé une neutralité plus large des intervenants en estimant : « Ce même principe impose également que, quelle que soit la qualité en laquelle elles interviennent, les personnes qui, à l’intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité. »
La sortie scolaire, quant à elle, est une activité qui prolonge l’enseignement en classe hors les murs de l’établissement. Elle intervient sur le temps scolaire obligatoire pour l’élève. Elle est organisée par l’enseignant dans un but pédagogique et ne constitue pas une activité de loisir extrascolaire. À ce titre, elle représente bien un prolongement du service public de l’éducation. Sa neutralité, quelle qu’en soit d’ailleurs la nature, doit donc être respectée.
Le 16/05/2022 à 15:40, aristide a dit :
"Néanmoins, le Conseil d’État souligne qu’il reste paradoxalement possible pour les accompagnants des sorties scolaires de manifester leur appartenance religieuse."
Encore pour une kippa, on pourrait comprendre, bien que la République assure l'égalité des droits "sans distinction de religion", mais un foulard.... tout le monde met des foulards, même des athées, même des juives, mêmes des taoïstes, même des sans foulards qui en mettent quand il pleut, même des coquettes (je plains une coquette de type arabe qui met un foulard : privée de sortie scolaire pour cause de prosélytisme islamique actif et de port de signe religieux ostentatoire...). Vous allez les accuser en bloc de "prosélytisme islamique" ou de je ne sais quelle autre fadaise ?
Le 16/05/2022 à 16:00, aristide a dit :
Tout citoyen parent d'élèves qui le demande peut accompagner une sortie scolaire.
Ce droit est "sans distinction de religion", article 1 de la constitution.
Donc, que la religion de la personne soit déductible ou non de son accoutrement n'enlève en rien la validité de son droit.
Pour les élèves, c'est pareil : tout enfant "doit" être scolarisé.
Ce droit, qui est un devoir également, est "sans distinction de religion".
Donc, tout enfant, avec ou sans signe religieux supposé, doit être scolarisé, puisque la scolarisation se fait sans distinction de religion, sans prise en compte de la visibilité de la religion donc.
Je me souviens qu'en 1989 Chenière, pour tourner cet argument imparable contre son exclusion de 3 filles voilées de son collège de Creil, disait que "sans distinction de religion", cela signifiait que l'on ne pouvait pas matériellement distinguer la religion des élèves, et qu'il fallait donc qu'elles ôtent leur voile... Cela m'avait fait trop marrer à l'époque. Je ne connaissais pas alors la laïcité (j'ai appris sur le tas avec cette affaire), mais rien qu'avec ce genre d'argument on voyait que le gars était de mauvaise foi.
Si son argument avait été valide, comme le sans distinction de religion est accompagné de "sans distinction de race ou d'origine", on en aurait déduit forcément qu'il aurait fallu sortir de son collège tout élève dont on aurait pu deviner la race ou l'origine, ce qui était évidemment absurde.
Il ne faut ainsi pas comprendre "sans que l'on puisse distinguer la religion de l'élève" (l'interdit s'appliquerait alors au citoyen, à l'élève), mais "sans que l'on doive distinguer la religion de l'élève." (l'interdit s'applique alors à l'autorité, ce qui est bien le sens de la constitution, qui fait des interdits pour ceux qui font et appliquent la loi.)
Donc les élèves peuvent aller avec un signe supposé religieux à l'école, avec ou sans la loi de 2004, qui est complètement anticonstitutionnelle.
Je dis bien "supposé", car rien ne dit qu'un voile est forcément religieux, et si on force le "supposé" en "avéré", on entre dans le champ de la discrimination d'origine, de race, ce qui est bien sûr totalement illégal.
Le 16/05/2022 à 16:05, aristide a dit :
Pour compléter ce qui est dit plus haut, je ferai remarquer que le code pénal dit, pour empêcher les discriminations : "réelles ou supposées", et que donc même un signe religieux prouvé est intouchable...
Le 16/05/2022 à 15:35, aristide a dit :
"Néanmoins, le Conseil d’État souligne qu’il reste paradoxalement possible pour les accompagnants des sorties scolaires de manifester leur appartenance religieuse."
Rappelons une fois encore qu'un foulard ne peut être considéré comme un signe d'appartenance religieuse, sauf à vouloir faire de la discrimination raciale...
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