La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 24 octobre 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation, présentée par Mme Jacqueline Eustache-Brinio et plusieurs de ses collègues (proposition n° 643 [2018-2019], texte de la commission n° 84, rapport n° 83).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque jour, près de 13 millions d’enfants et adolescents sont confiés à l’école de la République, dont 2, 5 millions en maternelle et 4, 3 millions en primaire, généralement quatre jours par semaine, de 8 heures 30 à 11 heures 30 et de 13 heures 30 à 16 heures 30.
Cette école républicaine, qui trouve son socle dans les lois Ferry de 1881 et 1882, a pour objectif de former des citoyens à la République et de les intégrer dans la société. C’est la raison pour laquelle je fais miens les propos de Jules Ferry, dans sa lettre de 1883 aux instituteurs et institutrices sur l’école laïque, tendant à établir la neutralité confessionnelle des écoles : « Sans doute [le législateur] a eu pour premier objet de séparer l’école de l’église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus, celui des croyances qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances qui sont communes et indispensables à tous, de l’aveu de tous. »
Plus tard, dans sa circulaire du 15 mai 1937, Jean Zay, ministre de l’éducation nationale, soulignait à son tour l’importance de la neutralité de l’école républicaine, en précisant : « Ma circulaire du 31 décembre 1936 a attiré l’attention de l’administration et des chefs d’établissement sur la nécessité de maintenir l’enseignement public de tous les degrés à l’abri des propagandes politiques. Il va de soi que les mêmes prescriptions s’appliquent aux propagandes confessionnelles. L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance. »
Voilà quinze ans, la loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires dans les écoles publiques françaises, voulue par le président Chirac, était adoptée par le Parlement. Cette loi, fondée sur le principe selon lequel le déroulement des cours n’est pas possible dans de bonnes conditions sans la neutralité religieuse de l’école, a jeté les bases du confinement de la religion à l’intimité des élèves. Il était devenu indispensable de permettre à nos enfants d’acquérir des savoirs dans l’harmonie garantie par la République française, afin de préserver leur liberté de conscience.
Depuis lors, la question de la neutralité des accompagnants des sorties scolaires refait régulièrement surface, opposant défenseurs de la laïcité républicaine et tenants d’une laïcité dite « ouverte », sans que celle-ci soit véritablement définie.
La circulaire du 23 mars 2012 signée de Luc Chatel, alors ministre de l’éducation nationale, semblait avoir mis fin à cette polémique : « Il est recommandé de rappeler dans le règlement intérieur que les principes de laïcité de l’enseignement et de neutralité du service public sont pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics. Ces principes permettent notamment d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires. »
Ainsi était affirmée la nécessité de l’absolue neutralité des parents concourant au service public de l’éducation en participant aux sorties scolaires et astreints, de ce fait, au respect des valeurs fondamentales du service public français, au premier rang desquelles le principe de laïcité. Un principe, du reste, partagé à droite comme à gauche, si bien que Vincent Peillon décida de ne pas abroger la circulaire Chatel, après l’élection de François Hollande à la présidence de la République.
Plus tard, sitôt nommée, Najat Vallaud-Belkacem déclarait que l’acceptation de la présence d’accompagnatrices voilées lors des sorties scolaires devait être la règle et son refus, l’exception. Cette position peu claire a conduit les juridictions à adopter des positions contradictoires à travers la France, laissant aujourd’hui les enseignants face à un vide juridique insécurisant, sans principe unique régissant les sorties scolaires.
En juillet dernier, la cour administrative d’appel de Lyon a jugé que le principe de laïcité imposait que les personnes participant à des activités assimilables à celles des personnels enseignants à l’intérieur des locaux scolaires soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité. Par ailleurs, il apparaît clairement à toute personne douée d’un minimum de bon sens que les sorties scolaires font partie intégrante du temps scolaire et s’inscrivent dans le cadre du service public de l’éducation.
M. Roger Karoutchi opine.
Les accompagnateurs de sorties scolaires, parents d’élève ou non, sont non pas des usagers du service public, mais bel et bien des collaborateurs bénévoles de ce service, assimilés aux personnels d’éducation et, par voie de conséquence, astreints au respect de la neutralité de celui-ci.
M. David Assouline fait une moue dubitative.
Il est primordial de veiller au respect de la liberté de conscience des élèves, principe fondamental reconnu par les lois de la République, affirmé par l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905, et de tout faire pour éviter qu’ils ne soient, du fait de leur vulnérabilité, des proies pour tous les prosélytismes. Comme le faisait observer Lionel Jospin, alors ministre de l’éducation nationale, dans une circulaire de 1989, « rien n’est plus vulnérable qu’une conscience d’enfant ». Et de préciser : « Les scrupules à l’égard de la conscience des élèves doivent amplifier, s’agissant des enseignants, les exigences ordinaires de la neutralité du service public et du devoir de réserve de ses agents. »
Il convient de rappeler que les sorties scolaires constituent des temps d’activités pédagogiques destinés aux élèves et non à leurs parents, qui n’ont en aucun cas l’obligation d’y participer. De fait, l’accompagnement des sorties scolaires est proposé aux parents, sur la base du bénévolat ; il doit, dès lors, s’inscrire dans le respect des principes régissant le service public de l’éducation. Tout parent désireux d’accompagner une classe dans le cadre d’une sortie doit donc se soumettre au principe de neutralité déjà imposé par la loi aux enseignants et aux enfants.
Devant le vide juridique auquel nous nous trouvons confrontés, mais surtout face aux graves menaces pesant sur notre unité et le respect d’un des principes qui la fondent, la laïcité, le législateur ne peut pas rester passif. C’est la raison pour laquelle Jérôme Bascher, Bruno Retailleau et moi-même avions déposé, avec 103 de nos collègues, un amendement au projet de loi pour une école de la confiance visant à interdire aux parents d’élèves accompagnant des sorties scolaires le port de signes religieux ostentatoires. Cette disposition de bon sens, largement adoptée par le Sénat, n’a malheureusement pas été retenue par la commission mixte paritaire.
Par ailleurs, la Fédération des délégués départementaux de l’éducation nationale elle-même, à l’occasion de son congrès de juin dernier, a adopté une motion demandant la reconnaissance de la fonction d’auxiliaire bénévole du service public de l’éducation pour les personnes accompagnant les sorties scolaires, ce qui entraînerait pour ces personnes une obligation de neutralité et de respect de la liberté de conscience des enfants.
Voilà pourquoi j’ai déposé, le 9 juillet dernier, en dehors du contexte médiatique actuel et de toute polémique, une proposition de loi, cosignée par un certain nombre de nos collègues, tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation.
Ce texte réaffirme les principes de laïcité et de neutralité religieuse aux articles L. 111-1 et L. 141-5-1 du code de l’éducation et les étend aux parents d’élèves accompagnant les sorties scolaires. Les collaborateurs occasionnels du service public étant, pour l’heure, considérés comme de simples usagers de celui-ci, l’adoption de cette proposition de loi permettra d’étendre à ces personnes l’exigence de neutralité religieuse dans l’exercice de leur mission bénévole auprès des élèves.
Mes chers collègues, il nous appartient aujourd’hui de marquer notre attachement à la République, à ses valeurs et, singulièrement, à la laïcité, sans laquelle l’unité de la Nation est impossible et l’indivisibilité de la République, illusoire. Il nous revient aujourd’hui, dans cet hémicycle, de défendre l’héritage de Jules Ferry et de Jean Zay, en affirmant haut et fort notre détermination à protéger l’innocence et la liberté de conscience des enfants dans un pays secoué par des tensions politico-religieuses.
Il s’agit non pas d’un combat entre la droite et la gauche, mais d’un combat républicain, rien d’autre. Car, comme l’a souligné Robert Badinter, la laïcité est « une grande barrière contre le poison du fanatisme ». Tous les enfants que nous accueillons dans nos écoles sont des enfants de la République, qui doivent pouvoir vivre et s’épanouir en dehors de toute tentative d’influence, sans être les otages de pressions politiques ou religieuses.
Nous avons à former les citoyens de demain dans une école où ils doivent être accueillis avec sérénité et apaisement, sur un socle commun : la République une et indivisible !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.
M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture, de l ’ éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte politique et médiatique qui préside à l’examen de la proposition de loi de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, il me paraît important, pour que nos débats gagnent en sérénité, qu’ils se concentrent sur l’école, et elle seule, et qu’ainsi nous soyons fidèles à Jean Zay, qui parlait de l’école comme « l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ».
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.
Permettez à l’ancien professeur d’histoire que je suis de revenir brièvement, pour peser et pour poser les choses, sur ce qui caractérise, depuis l’origine, notre école publique.
Pour ses pères fondateurs, l’école avait une mission essentielle : permettre à l’élève de se construire librement en tant que citoyen, à l’abri de toute influence extérieure. Cet idéal émancipateur a eu immédiatement un corollaire : la neutralité de l’école publique face aux croyances. Ainsi, dès 1882, le cours d’instruction religieuse devint leçon d’instruction morale et civique. À partir de 1886, l’ensemble du personnel enseignant dans les écoles publiques dut être de statut laïque. Puis, entre 1886 et 1903, les signes religieux furent progressivement retirés des salles de classe.
Ce contexte historique fondateur rappelé, mon cours d’histoire est achevé…
M. Roger Karoutchi sourit.
Première question : qu’est-ce qu’une sortie scolaire ?
Les circulaires de 1999 et 2011 sont claires. Celle de 1999 précise : « Les activités pratiquées à l’occasion d’une sortie scolaire viennent nécessairement en appui des programmes. Elles s’intègrent au projet d’école et au projet pédagogique de la classe. Chaque sortie, quelle qu’en soit la durée, nourrit un projet d’apprentissages. » J’en veux pour preuve l’interdiction faite aux élèves, depuis la loi de 2004, de porter des tenues et signes religieux ostensibles non seulement dans le bâtiment scolaire, mais aussi lors des sorties scolaires. L’application de cette loi par le ministre de l’éducation nationale le montre : les sorties scolaires sont bel et bien du temps scolaire. Elles doivent donc être neutres du point de vue des croyances religieuses.
Deuxième interrogation : que signifie, justement, la neutralité du point de vue des croyances à l’école publique ?
En la matière, le législateur s’est progressivement montré particulièrement strict. Ainsi le droit impose-t-il une neutralité religieuse dans l’enseignement public aux personnels, comme dans tous les services publics, mais également aux usagers que sont les élèves, mineurs ou majeurs, depuis la loi de 2004, qui a restreint leur possibilité d’afficher leurs croyances religieuses – une loi simple, peu bavarde et finalement parfaitement acceptée et appliquée. La neutralité s’impose en outre à toute personne intervenant dans une salle de classe, même parent d’élève, lorsqu’elle participe à des fonctions similaires à celles des enseignants, depuis la décision de la cour administrative d’appel de Lyon du 23 juillet dernier.
Mes chers collègues, le service public de l’éducation est donc l’unique service public qui impose à ses usagers – en l’occurrence, les élèves – une restriction de la manifestation de leurs croyances religieuses. En somme, les intervenants à l’extérieur des salles de classe, donc les accompagnants de sorties scolaires, sont désormais les seuls à ne pas être soumis, dans les activités liées à l’enseignement, à ce principe de neutralité religieuse ou, a minima, à une restriction de la manifestation ostensible de leur appartenance religieuse.
Or qu’est-ce qu’un accompagnateur ? C’est là ma troisième question.
Son rôle est défini, notamment, par la fiche relative aux parents d’élèves tirée du vade-mecum sur la laïcité à l’école : « Participant à une activité scolaire, le parent devient un accompagnateur […] Il contribue ainsi à la bonne marche de l’activité pédagogique. Il a donc un devoir d’exemplarité devant tous les élèves concernés par cette activité, dans son comportement, ses attitudes et ses propos. » Mes chers collègues, j’insiste : dans son comportement, ses attitudes et ses propos.
Ajoutons qu’il paraît important de traiter cette question aussi du point de vue de l’enfant. En effet, il me semble difficile de croire qu’un enfant de 4 ans, ou même de 8, serait capable de faire la subtile différence statutaire et réglementaire entre l’accompagnant et l’intervenant. Pour lui, il s’agit dans tous les cas d’un adulte, qu’il doit écouter et vers lequel il peut se tourner en cas de problème.
Enfin, à l’heure de la coéducation et de l’inclusion des parents dans la communauté éducative, à l’heure où les fédérations de parents d’élèves souhaitent que ceux-ci deviennent davantage encore des partenaires à part entière de l’école, considérer le parent d’élève accompagnant une sortie scolaire comme un simple tiers me paraît paradoxal. Sauf à penser que le parent serait un acteur en tout, sauf pendant la sortie scolaire, où il devrait rester motus et bouche cousue ! Non, il s’agit bien d’un collaborateur occasionnel du service public, bénéficiant d’ailleurs de ce statut en cas d’accident pendant l’activité.
Pour autant, une loi est-elle nécessaire ? Telle est ma quatrième question.
Je le crois sincèrement, afin de clarifier une situation qui n’est pas acceptable pour les directeurs d’école et les chefs d’établissement.
De fait, l’étude du Conseil d’État de 2013 n’a pas apporté aux acteurs de terrain de réponses jugées suffisamment claires. Le Conseil d’État indique que le parent d’élève est un simple usager du service public de l’éducation, non soumis, donc, au principe de neutralité religieuse ; mais, parallèlement, il demande à l’autorité compétente de déterminer si « des considérations précises relatives à l’ordre public, au bon fonctionnement du service public d’éducation ou à la nature des missions confiées aux parents » justifient l’application du principe de neutralité à l’adulte accompagnant la sortie scolaire. C’est là que naît l’inconfort juridique, qui rend une loi nécessaire.
Au reste, plusieurs syndicats de chefs d’établissement et d’inspecteurs, lors de leur audition, nous ont fait remarquer que, en l’absence de textes clairs, les directeurs apprécient seuls les considérations mentionnées par le Conseil d’État, ce qui entraîne, en fonction des écoles et parfois au sein d’une même commune, des décisions différentes. Cela n’est pas acceptable du point de vue du législateur.
Mes chers collègues, mes réponses à ces quatre questions vous convaincront, je l’espère, d’adopter la présente proposition de loi.
J’ajoute que, au-delà du solide travail de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, la commission a entendu élargir la portée du dispositif à toutes les activités liées à l’enseignement, afin de prendre en compte l’école « hors les murs » à laquelle j’ai fait référence.
En revanche, comme il est logique, cette interdiction ne s’appliquera pas aux parents d’élèves dans leurs activités non liées à l’enseignement : démarches administratives, rencontres avec les enseignants, fête de l’école, entre autres.
Mes chers collègues, l’article 1er de la loi de 1905, une loi de liberté, affirme que la République protège la liberté de croire ou de ne pas croire et d’afficher ou non ses croyances religieuses ; je le rappelle avec une vigueur particulière au lendemain de l’attaque inacceptable contre la mosquée de Bayonne, dans le département que j’ai l’honneur de représenter au Sénat.
Mais si notre République est neutre et protectrice, cette neutralité a pris, à l’école publique, une dimension exceptionnelle par rapport aux autres services publics, et cela depuis 130 ans, afin de protéger de toute influence « cette chose délicate et sacrée qu’est la conscience de l’élève », selon les mots de Jules Ferry.
Il nous appartient de parachever cette volonté continue qui anime le législateur depuis plus d’un siècle, afin de protéger mieux encore l’école pour mieux protéger l’enfant et sa conscience en construction !
Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon ainsi que MM. Michel Laugier et Jean-Claude Requier applaudissent également.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans les circonstances que nous connaissons, j’exprime à mon tour, comme je l’ai déjà fait, ma solidarité avec les victimes de Bayonne. S’en prendre à un lieu de culte est une offense doublement inacceptable : c’est s’en prendre à ce que des hommes considèrent comme sacré ; par là, c’est s’en prendre à la République, protectrice de la liberté de conscience.
Nous examinons cet après-midi la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation dans le cadre des sorties scolaires. La question a déjà été débattue, ici même, voilà trois mois. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis d’emblée : ma position n’a pas changé.
Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.
Elle demeure celle que je vous avais exposée en refusant votre amendement, que, ensuite, vous avez consenti à retirer en commission mixte paritaire. Je pensais d’ailleurs que nous en resterions là… Je regrette d’avoir à revenir cet après-midi sur ces sujets.
Pour moi, la situation est claire. Lorsque j’ai dit, récemment encore : « pas interdit, mais pas souhaitable », je n’ai fait que résumer la situation actuelle. J’entends ceux qui me disent : « Vous allez trop loin, car vous semblez porter un jugement de valeur. » J’entends aussi ceux qui, comme les défenseurs de ce texte, me disent, en sens inverse : « Alors, il faut légiférer. »
Je réponds aux deux camps par la formule latine que j’ai déjà invoquée devant la Haute Assemblée voilà trois mois : In medio stat virtus. Oui, au milieu se tient la vertu !
Exclamations amusées et applaudissements sur les travées du groupe UC.
Virtus, comme je le souligne toujours, signifie aussi « courage ». Du courage, il en faut aujourd’hui pour désigner les maux qui traversent notre société. Il n’en faut pas moins pour, ensuite, tenir une position d’équilibre qui sauve notre liberté et notre concorde. C’est le trésor de notre République que de nous donner, avec la laïcité, les clés de la liberté en même temps que de la concorde nationale.
C’est une question qui appelle discernement et esprit de responsabilité. En la matière, comme M. le rapporteur l’a souligné, c’est d’abord l’intérêt des élèves qui doit guider nos réflexions et nos débats.
Il est normal qu’il y ait eu discussion sur un tel sujet, car il est hybride, à plus d’un titre : il concerne une activité non située dans l’espace scolaire, mais qui relève du temps scolaire ; il concerne l’encadrement des élèves par des adultes, mais qui ne sont pas des fonctionnaires. Selon l’angle choisi, on peut défendre l’un ou l’autre des points de vue.
Le respect du principe de laïcité s’impose à l’ensemble des personnels du service public. À ce titre, il leur est interdit de manifester des convictions religieuses, notamment par le port de signes religieux ostentatoires.
En revanche, la neutralité ne s’applique pas aux usagers du service public. Cette règle connaît toutefois une exception importante, prévue par la loi de 2004 : l’extension de la neutralité aux élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées. Cette loi, que j’ai souvent qualifiée d’excellente, est une de nos grandes réussites.
Il s’agit donc de savoir à quelle catégorie appartiennent les parents d’élèves accompagnateurs de sorties scolaires : doit-on les considérer comme des usagers ou des collaborateurs occasionnels du service public ?
Le Conseil d’État, dans son étude de 2013, a rappelé que la manifestation des convictions religieuses avait pour limite le trouble à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service public. En particulier, il a estimé, ce qui me paraît capital, que « les exigences liées au bon fonctionnement de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».
Que chacun mesure bien le sens de cette phrase, qui résume le droit existant. En vertu de ce droit existant, nous ne sommes pas démunis pour examiner au cas par cas si le port de signes religieux par les parents d’élèves entraîne un risque de prosélytisme ou de pression inacceptable sur les élèves.
Marques d ’ approbation sur les travées du groupe SOCR.
Une loi qui interviendrait en la matière irait au-delà du nécessaire et aurait des effets contre-productifs.
Elle irait au-delà du nécessaire, parce qu’elle poserait en règle absolue ce qui relève du discernement quotidien. Il est impossible de demander à la loi de réglementer chaque aspect de la vie courante ! C’est ce qu’a rappelé le Président de la République lorsqu’il a évoqué les règles de civilité.
Ainsi, nous observons aujourd’hui, dans le contexte scolaire ou dans d’autres, que des hommes refusent de serrer la main d’une femme. C’est un fait qui nous choque, et nous devons refuser cette pratique.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Pour autant, il est inimaginable, vous en conviendrez, qu’une loi impose quoi que ce soit en la matière.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Souvenons-nous de Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. »
Mme Colette Mélot et M. Emmanuel Capus applaudissent.
En allant au-delà du nécessaire, une loi serait aussi contre-productive, parce qu’elle enverrait un message brouillé aux familles.
Nous voulons rapprocher les familles des écoles : c’est la meilleure chance d’accomplir le projet républicain. Ce que la République veut pour ses enfants, c’est qu’ils puissent grandir, s’épanouir et finalement atteindre l’âge adulte grâce aux lumières que donne l’éducation.
Pour cela, nous avons besoin d’un pacte entre la famille et l’école : nous devons envoyer aux enfants le message que les parents sont les bienvenus, et que c’est ensemble, parents et école, que nous assurons leur éducation. C’est ainsi que nous pouvons compter sur une contagion positive des valeurs de la République.
L’école, c’est l’espace de la science, de l’argumentation, du discernement. L’enfant a besoin d’un cadre de neutralité pour forger ses convictions et son esprit critique, …
… dans la plus belle tradition philosophique et scientifique de notre pays.
L’histoire de l’école républicaine témoigne de cette volonté collective de mettre nos enfants à l’abri des passions des adultes.
Vous avez rappelé, madame Eustache-Brinio, monsieur le rapporteur, ce qu’écrivait Jean Zay, ministre de l’éducation nationale et des beaux-arts, dans une circulaire du 31 décembre 1936, qui reste une référence pour nous tous. Il écrivait que l’école doit « rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ».
Marques d ’ approbation sur les travées du groupe Les Républicains.
La laïcité, avant d’être un principe qui s’impose à tous, fut à la racine de l’école de la République. Elle met en effet au-dessus de tout, pour reprendre les termes de Jules Ferry, « cette chose sacrée qu’est la conscience d’un enfant ». L’école mène le futur citoyen à la liberté, c’est-à-dire à l’exercice autonome de son jugement.
En 1882, un enseignement laïque est institué dans les écoles primaires. La morale religieuse est remplacée par l’instruction morale et civique. Nous sommes vingt-trois ans avant les lois de 1905. Nous aurions eu peut-être à l’époque des débats inversés entre les travées qui se trouvent à ma gauche et à ma droite…
En 1886, la loi Goblet confie à un personnel exclusivement laïque l’enseignement dans les écoles publiques.
La loi de 2004 interdisant le port de signes ostentatoires à l’école s’inscrit dans cette longue tradition républicaine. C’est une loi de clarté qui fait aujourd’hui largement consensus. On le voit bien : cette laïcité est notre héritage commun. Elle devrait être ce qui nous unit totalement sur l’ensemble de ces travées.
Comment mieux le rappeler qu’avec les statues qui m’environnent ? Ce n’est pas seulement 1905, ce n’est pas seulement 1881, ce n’est même pas seulement 1789 qui ont préparé la laïcité. C’est le long travail des siècles qui a permis de faire la distinction entre ce qui relève du divin, et donc de la conscience de chacun, et ce qui relève du politique, c’est-à-dire des règles communes à tous.
C’est Michel de L’Hospital, qui nous met en garde contre les risques de la discorde.
C’est Malesherbes, qui s’est battu pour la liberté de pensée dans un esprit d’équilibre, en nous gardant de tout excès.
C’est Molé, qui a su se lever contre des lois injustes.
C’est l’ensemble de nos ancêtres, et c’est enfin Portalis, qui nous enjoint de ne pas multiplier les lois inutiles, et dont les propos résonnent particulièrement aujourd’hui : « il faut être sobre de nouveautés en matière de législation ».
Ce socle de laïcité, il nous vient de loin, de très loin. Mais il n’est pas qu’un socle ; il est aussi le cadre de notre avenir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ai jamais pensé que la laïcité était un principe du passé. Je crois au contraire qu’elle est un principe profondément moderne. Ce que nous voulons avec la laïcité, c’est l’application concrète de l’idéal républicain.
Cet idéal républicain est un idéal d’émancipation de chacun par l’éducation, un idéal d’égalité.
Il est à l’envers des projets de société de pays différents du nôtre. Je veux parler du communautarisme, qu’on trouve par exemple dans d’autres sociétés démocratiques et qui ne correspond pas à ce que nous entendons par République : des sociétés qui préfèrent juxtaposer des communautés plutôt que de faire vivre le contrat social entre des citoyens égaux.
Ces sociétés dont nous ne voulons pas courent le risque de la fragmentation.
Ce sont des sociétés qui souvent aujourd’hui s’interrogent sur leur devenir. Ils sont nombreux, nos cousins, en Europe ou même ailleurs, qui voient les limites du multiculturalisme et qui comprennent que la vraie chance pour la liberté de conscience – je le dis pour toutes les confessions – est celle de vivre dans un cadre laïque.
La laïcité est un trésor français. Elle se traduit par un corps de règles. Ce corps de règles, j’ai tenu à le préciser dès mon arrivée au ministère de l’éducation nationale.
Ce n’est pas un ministre inactif en matière de laïcité qui est devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nous avons établi un vade-mecum de la laïcité qui est à la disposition de l’ensemble de la communauté éducative. Il établit à partir de cas concrets ce qu’il convient de faire.
Nous avons mis en place des équipes laïcité mobilisées dans chaque rectorat pour intervenir au cas par cas dans chaque établissement, chaque fois qu’un personnel de l’éducation estime qu’on a contrevenu au principe de laïcité.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Par-delà tous les discours, ce sont des centaines d’interventions qui ont eu lieu depuis deux ans dans les établissements pour rétablir la laïcité, là où, malheureusement, elle avait été pourfendue depuis tant d’années.
Notre combat pour la laïcité est aussi un combat contre le communautarisme et contre la radicalisation.
En la matière, nous n’avons pas été inactifs non plus. Je veux évidemment parler de ce que nous avons fait, y compris avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, quand nous avons donné une suite favorable à la proposition de loi, présentée par la sénatrice Françoise Gatel, visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat.
Grâce à cette loi, des écoles ont été fermées. Jour après jour, je me tiens personnellement informé des écoles et des établissements dans lesquels le contenu des enseignements ou le comportement du personnel va au-delà de ce qui est acceptable.
Avec la loi pour une école de la confiance, vous avez aussi voté il y a quelques mois le contrôle de l’instruction à domicile, qui est désormais renforcé.
De surcroît, par l’article 10 de cette même loi, vous avez permis l’interdiction de tout prosélytisme aux abords des établissements scolaires.
M. Jérôme Bascher s ’ en félicite.
C’est un apport considérable qui aura des effets très importants dans les temps à venir.
Voilà des mesures concrètes. Nous n’avons pas besoin de grands débats pour nous épuiser. Nous avons besoin, concrètement, d’assurer un équilibre entre des positions et, surtout, de lutter contre le communautarisme, contre la radicalisation et pour la laïcité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’article premier de notre Constitution indique le chemin dont nous devons jamais dévier. La France est une République indivisible, laïque, …
… démocratique et sociale.
Parce qu’elle est indivisible, nous combattons fermement toutes les tentations de repli communautaire.
Parce qu’elle est laïque, nous veillons à éduquer nos enfants dans un espace de raison, hors de toute emprise, quelle qu’en soit la nature.
Parce qu’elle est démocratique, nous luttons sans relâche contre toutes les idéologies qui prônent l’inégalité.
Enfin, parce qu’elle est sociale, nous offrons le meilleur à chaque enfant, quelle que soit son origine, et nous portons une attention constante aux plus fragiles pour les amener au plus loin de leur talent.
Voilà la République que nous souhaitons au XXIe siècle. Voilà le cap que nous devons toujours garder pour notre école. Redonnons du sens au mot « laïcité », redonnons du sens à notre destin collectif. Ce dernier a un nom : la République ; il a un objet : l’émancipation de tous ; et il a une raison d’être qui nous unit : notre pays, la France !
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, SOCR et UC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.
Je suis saisi, par M. Masson, d’une motion n° 13.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation (n° 84, 2019-2020).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
Murmures sur de nombreuses travées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je voudrais tout d’abord vous dire, monsieur le ministre, que vous avez très bien parlé. Maintenant, il faut passer aux actes ; c’est ce qui a manqué, non pas seulement à ce gouvernement, mais à tous ceux qui se sont succédé sous les précédents présidents de la République.
Si j’ai déposé cette motion de renvoi à la commission, ce n’est pas pour m’opposer à la présente proposition de loi, mais parce que je pense qu’il fallait aborder globalement la problématique.
Récemment, le 27 octobre, Le Journal du Dimanche a publié un sondage qui montre l’inquiétude des Français face à la radicalisation du communautarisme musulman. Selon ce sondage, 78 % des Français estiment que la laïcité est menacée par le communautarisme ;…
… 82 % des Français souhaitent l’interdiction des prières de rue dans l’espace public ;…
… 73 % des Français souhaitent l’interdiction du voile islamique ou des signes communautaristes ostensibles pour les parents qui accompagnent les sorties scolaires – c’est l’objet de la présente proposition de loi ; et 72 % des Français souhaitent que l’employeur puisse interdire les signes religieux ostensibles pour les salariés du secteur privé.
Ce sondage confirme, d’une part, que cette proposition de loi est la bienvenue et qu’elle répond à un besoin et à une aspiration de nos concitoyens, et, d’autre part, qu’elle aurait dû aller plus loin, car il faut prendre la problématique du communautarisme musulman dans sa globalité.
Ce constat m’amène à déposer la présente motion de renvoi à la commission. En effet, la commission aurait pu manifestement compléter de manière utile et constructive le texte initial.
Il faut dire clairement non à tout ce qui peut favoriser de près ou de loin le terrorisme islamique.
Il faut donc dire non à la radicalisation et non à toutes les formes de communautarisme islamique.
Il faut aussi dire non à certains flux migratoires, au sein desquels le terrorisme essaie de recruter.
À ce sujet, je pose une question : pourquoi les migrants de religion islamique viennent-ils se réfugier en Europe et pas dans les pays musulmans, pourtant voisins, d’autant que certains de ces pays sont particulièrement riches et ont les moyens financiers de les accueillir ?
Marques d ’ amusement sur des travées du groupe Les Républicains.
De même, pour quelle raison les bateaux prétendument humanitaires accueillent-ils les migrants immédiatement en limite des eaux territoriales de la Libye pour les ramener ensuite en Europe ?
Ceux qui conduisent ces bateaux savent pourtant que les ports d’Algérie, de Tunisie et d’Égypte sont juridiquement sûrs au sens du droit international et qu’ils sont beaucoup plus proches que les ports français.
Par le passé, les immigrés qui venaient en France voulaient s’intégrer dans nos sociétés. Aujourd’hui, les flux migratoires sont différents ; ils conduisent à la formation de noyaux communautaristes qui rejettent notre façon de vivre.
Les personnes immigrées ou issues de l’immigration ne doivent pas nous imposer leurs us et coutumes. Au contraire, si les intéressés viennent dans notre pays, c’est à eux de s’adapter à notre mode de vie et aux règles de notre société.
N’oublions pas que le communautarisme radicalisé est un vivier pour les terroristes musulmans. Nous avons le devoir de réagir contre toutes les formes de communautarisme qui alimentent directement ou indirectement le terrorisme.
Lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement du 16 octobre dernier, j’ai rappelé une nouvelle fois cette réalité, et félicité l’élu de la région Bourgogne-Franche-Comté qui avait protesté lors d’une séance du conseil régional contre la présence, dans le public, d’une femme voilée accompagnant la sortie scolaire de jeunes enfants.
Je suis heureux de constater que la grande majorité des Français pense la même chose que moi sur ce sujet. Si la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui avait été déposée plus tôt, sous d’autres gouvernements, par exemple sous la présidence de M. Sarkozy, l’incident qui est intervenu au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté n’aurait pas eu lieu.
Ces femmes voilées dévoient les jeunes enfants, car il est très dangereux pour un jeune enfant d’être confronté tout petit à des actes et à tendances communautaristes radicalisantes.
C’est dans cette logique que j’ai déposé trois groupes d’amendements sur le texte que nous examinons.
Le premier vise à interdire le port du burkini et l’organisation d’horaires séparés pour les femmes dans les piscines.
Le deuxième vise à interdire le port du voile islamique et des symboles communautaristes sur les lieux de travail – dans le secteur privé, pas seulement dans le secteur public –, dans les assemblées des collectivités territoriales, et, pour renforcer le texte que nous examinons, dans le cadre des sorties scolaires.
Enfin, le troisième groupe d’amendements – déposés trop tard, ces amendements n’ont pu être enregistrés –…
M. Jean Louis Masson. … visait à appliquer nos lois relatives au bien-être animal de manière stricte, notamment en ce qui concerne l’égorgement rituel des animaux de boucherie.
Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SOCR et LaRE M. – Mme Laurence Cohen hue.
Par ces amendements j’ai voulu montrer qu’aucun communautarisme ne doit être au-dessus des lois.
Si demain je vais me baigner tout habillé dans une piscine, je serai mis à la porte, car on ne peut pas se baigner sans se doucher d’abord. Je ne vois pas pourquoi des gens se réclamant de telle ou telle religion pourraient se baigner tout habillés dans une piscine.
Mme Samia Ghali s ’ exclame.
Ma famille a toujours vécu en France, et j’aurais moins de droits que ces gens qui veulent se baigner tout habillés ?
M. Jean Louis Masson. Ce n’est du reste pas seulement un problème de religion, mais un problème de propreté. Pourquoi les uns seraient-ils obligés de se doucher quand les autres pourraient se baigner tout habillés ?
Brouhaha.
C’est tout à fait scandaleux, car cela caractérise le renoncement de nos dirigeants face à ce communautarisme. Il est temps de réagir.
Par ailleurs, j’ai entendu certains collègues protester lorsque j’évoquais le bien-être animal. C’est pourtant la même chose : il est interdit de laisser agoniser les bovins pendant plus de cinq minutes dans les abattoirs au nom du bien-être animal, et cela me semble tout à fait normal ; mais, si vous êtes musulman ou de telle ou telle religion, vous avez le droit de faire ce que vous voulez : vous pouvez les laisser agoniser dix minutes dans un coin, il n’y a pas de problème !
M. Jean Louis Masson. Cette question n’est pas seulement religieuse, elle est économique.
Murmures appuyés et continus sur de nombreuses travées.
Permettez-moi de rappeler que le code civil, qui s’applique à tout le monde, précise que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. C’est à ce titre que la France réglemente l’abattage des animaux de boucherie, qui doivent être étourdis avant d’être tués.
Malheureusement, il y a ces dérogations qui entraînent de longues agonies des animaux. Cette cruauté d’un autre âge est réclamée par certaines religions.
Brouhaha.
« Trois, deux un, zéro : c ’ est fini ! » sur les travées des groupes SOCR et CRCE, dont les membres frappent sur leur pupitre pour couvrir la voix de l ’ orateur.
M. Jean Louis Masson. … au Danemark, en Finlande, en Suisse, ces mêmes religions acceptent parfaitement l’étourdissement préalable.
Brouhaha.
Y a-t-il un orateur contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
M. Max Brisson, rapporteur. L’espérance que j’exprimais au début de mon propos liminaire est déçue. J’imaginais que nous parlerions de l’école, que de l’école, rien que de l’école. Elle le mérite, les élèves qui la fréquentent le méritent, les professeurs qui la servent le méritent. J’espère que dans la suite du débat nous ne parlerons que de l’école, parce que nous aimons l’école !
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. Martin Lévrier applaudit également.
En général, lorsqu’on demande le renvoi d’un texte à la commission, c’est que l’on a manqué de temps pour l’examiner. Or le moins qu’on puisse dire, c’est que cet après-midi, entre cette intervention et celle qui va suivre dans la discussion générale, M. Masson n’aura pas manqué de temps pour évoquer de nombreux sujets, qui, à mon avis, relèvent de la commission des lois ou de la commission du développement durable, mais sans doute pas de la commission de l’éducation et de la culture, où nous travaillons avant tout sur l’école.
Sur le fond, monsieur Masson, la commission s’est efforcée de n’aborder que le code de l’éducation, de ne parler que d’enseignement. Les sorties scolaires interviennent pendant le temps de la classe, c’est-à-dire sur ce temps de la scolarisation qu’il nous paraît nécessaire de protéger.
Nous voulons le contraire de ce que vous venez de faire à la tribune en important tous les débats de la société, toutes les querelles des hommes dans l’école, parce que, comme je le disais en conclusion de mon intervention, la conscience des enfants, qui est fragile et qui nous est chère, mérite bien d’être protégée. Telle est notre conception de l’école, et nous y resterons fidèles !
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cette motion tendant au renvoi à la commission.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Josiane Costes applaudit également.
M. le président. La parole est à Mme Samia Ghali, pour explication de vote.
Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme Samia Ghali. L’intervention de M. Masson me conforte dans l’idée que cette proposition de loi n’avait pas lieu d’être.
Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM.
… et qu’elle nous amène à des débats qui n’ont pas leur place dans cet hémicycle de la République.
La France est une et indivisible. Aujourd’hui, peu importe notre confession religieuse, peu importe d’où nous venons, nous sommes avant tout des Français. Avant d’être musulmans, chrétiens, juifs ou autre, nous sommes avant tout français.
Mme Samia Ghali. Oui, les femmes voilées appartiennent à la France, elles se considèrent comme françaises. Vous les avez stigmatisées à travers cette proposition de loi.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio fait un signe de dénégation.
Je le regrette, parce qu’aujourd’hui elles sont en souffrance. Elles sont tristes, et je suis triste pour elles. La République devrait l’être également.
J’en appelle au Premier ministre et au Président de la République, à qui je veux rappeler qu’il est le juge de paix et qu’il lui appartient de siffler la fin de la récréation, car nous avons donné un spectacle qui n’est pas digne de ce qu’est la France et de ce qu’est la République.
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
Une maman qui accompagne son enfant et d’autres enfants lors d’une sortie scolaire est une maman qui veut participer à la République.
Mme Samia Ghali. Si l’éducation nationale n’est pas en accord avec cela, elle devra payer des intervenants pour faire le travail que font ces parents bénévoles.
Mme Laurence Cohen et M. Jean-Luc Fichet applaudissent. – Mmes Pascale Gruny et Catherine Troendlé ainsi que M. Alain Joyandet protestent.
Ne l’oublions jamais : dans certains quartiers, si ces mamans n’accompagnaient plus les enfants, il n’y aurait plus de sorties périscolaires.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Comme je l’ai dit au président Retailleau, je regrette que cette proposition de loi n’ait pas pu être retirée. Elle n’est pas le reflet de la réalité, et elle n’est pas ce dont nous avons besoin aujourd’hui dans la République.
« Trois, deux un, zéro : c ’ est fini ! » sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme Samia Ghali. … de raconter tout et n’importe quoi dans cet hémicycle.
Applaudissements sur des travées des groupes SOCR et CRCE.
Mme Josiane Costes. Le groupe RDSE ne votera pas cette motion de renvoi à la commission, car nous voulons le débat – c’est une tradition –, et d’autant plus dans ce cas, compte tenu de ce qui vient de nous être présenté.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.
La motion n ’ est pas adoptée.
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Laurent Lafon.
Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi sur la neutralité religieuse lors des sorties scolaires est inscrite au débat de notre Haute Assemblée. Avant même d’être discutée, elle a déjà fait l’objet de nombreux débats dans les médias ou dans l’opinion publique.
Permettez-moi, pour commencer, d’essayer de l’analyser au-delà de toute polémique et en faisant abstraction dans un premier temps du contexte dans lequel elle intervient.
L’encadrement législatif et réglementaire actuel est-il suffisant, ou y a-t-il un trou dans la raquette juridique ou une imprécision qui nécessiteraient un nouveau dispositif législatif ? Telle est la question qui nous est posée par cette proposition de loi.
Pour notre part, nous l’abordons avec le souci de préserver l’esprit de la loi de 1905 et également de celle de 2004, qui – doit-on le rappeler ? – sont des lois d’équilibre dont le fondement ne doit pas être remis en cause.
De ce point de vue, il est utile de rappeler que le voile, comme toute autre tenue inspirée par la religion, à condition qu’elle ne trouble pas l’ordre public, n’est pas interdit en France. Son usage, en revanche, est encadré, notamment pour préserver la neutralité dans les services publics et protéger l’enfant dans l’école alors que sa conscience n’est pas encore formée.
Qu’en est-il des sorties scolaires ? Si le législateur de 2004 n’a pas traité directement de cette question, cela a été fait au travers d’instructions ministérielles.
Indéniablement, ce dispositif nous paraît perfectible. La proposition de loi apporte de ce point de vue deux améliorations notables.
Premièrement, si cette proposition de loi est votée, la décision d’accepter ou pas des parents en fonction de leur tenue lors des sorties scolaires relèvera non plus du directeur d’école, mais de la loi. À bien des égards, d’autant plus compte tenu des débats actuels, il semble en effet préférable de ne pas faire reposer cette décision sur les seuls directeurs d’école.
Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Catherine Troendlé applaudissent.
Dans certaines villes, nous pouvons du reste nous interroger pour savoir s’ils ont réellement le choix, actuellement, d’accepter ou de refuser tel ou tel parent.
Deuxièmement, les sorties scolaires participent clairement de l’activité pédagogique et, à ce titre, la notion d’école hors l’école introduite par un amendement du rapporteur précise de manière utile leur situation juridique.
Cette disposition permet d’interdire que l’élève arbore un signe ou une tenue ostentatoire lorsqu’il sort de l’école pour participer à une sortie scolaire. Dans l’état actuel du droit, rien ne s’y oppose.
En revanche, la proposition de loi ne nous semble pas apporter une clarification suffisante sur le statut d’accompagnant. Ce dernier n’a en effet jamais été défini, si ce n’est en creux, à travers des jurisprudences. Un statut permettrait clairement de préciser la mission qui incombe à l’accompagnant et sa responsabilité.
Il s’agirait ainsi d’établir la différence entre l’enseignant ou l’animateur, qui, à travers la pédagogie utilisée, participe clairement d’une activité d’enseignement, et l’accompagnant, dont la mission est uniquement de permettre que la sortie ait lieu.
S’agissant du risque de prosélytisme et de la nécessité de protéger l’enfant, il nous semble que mettre sur le même plan l’intervenant et l’accompagnant est inexact. L’un participe de manière active et directe à l’enseignement, l’autre n’a pas, en revanche, vocation à y prendre part.
De ce point de vue, la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Lyon, qui porte sur l’intervenant, ne peut être complètement utilisée pour justifier la proposition de loi actuelle.
Nous sommes également en droit de nous interroger pour savoir si le caractère bénévole permet d’assimiler les parents accompagnateurs à des collaborateurs occasionnels du service public ou à des usagers.
Le Conseil d’État, en 2013, a répondu à cette question de manière claire en leur attribuant le statut d’usagers. Je ne peux m’empêcher de rappeler que, du point de vue du risque de prosélytisme qui doit nous préoccuper, les sorties scolaires ne méritent sans doute pas d’être devenues en quelques semaines le symbole d’une intrusion dangereuse de la religion dans l’école.
Nous devrions être plus inquiets des phénomènes plus pernicieux et dangereux pour les jeunes que sont le développement de l’instruction à domicile et celui des écoles hors contrat
Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe SOCR.
… dès lors qu’ils ont pour objectif de soustraire complètement les enfants à l’enseignement de matières comme les sciences ou l’histoire par les écoles de la République pour les placer sous le joug d’un obscurantisme religieux.
Nous le voyons à travers cette rapide analyse : la proposition de loi apporte des réponses utiles, mais qui ne sont que partielles tant que le statut de l’accompagnant n’est pas clarifié.
Mais l’essentiel n’est peut-être pas là. Nous ne pouvons en effet faire abstraction du contexte dans lequel ce débat intervient. L’emballement médiatique de ces derniers jours a mis sur le même plan la question du port du voile lors des sorties scolaires, la présence de listes communautaires aux élections municipales et même, comme cela a été évoqué récemment, l’interdiction de signes ou de tenues ostentatoires dans l’espace public.
Dans ce grand déballement commencé par un élu écervelé du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, un peu de raison et de sérénité s’impose. Notre assemblée gagnerait à ne pas se laisser happer par ce tourbillon en se saisissant à tout prix de ces sujets, en multipliant les propositions de loi ou en créant des commissions d’enquête.
Disons-le franchement, pour un certain nombre d’entre nous, ce qui gêne dans cette proposition de loi n’est pas tant le contenu que le contexte dans lequel celle-ci intervient, un contexte où les amalgames simplificateurs prennent le pas sur les discours raisonnés, où la voix des modérés est peu audible par rapport à celle des extrêmes et où les réserves des uns ont peu de poids face à la récupération politique des autres.
Ce contexte appelle à la prudence et à la réserve. La crainte est forte en effet que cette proposition de loi ne fasse qu’alimenter le débat tel que nous le connaissons depuis quelques jours, sans y apporter la sérénité nécessaire. Est-ce la vocation du Sénat d’y participer dans ces conditions ?
Sur les sujets sensibles face auxquels l’angoisse du temps présent fait l’objet d’une exploitation par des extrémismes de tout poil, nous gagnerions collectivement à prendre plus de recul et à témoigner d’une plus grande hauteur de vue pour rappeler simplement ce qu’est notre histoire et ce qui fonde notre concorde nationale.
Dire cela, c’est faire preuve non pas d’angélisme ou de laxisme, mais de lucidité pour identifier ce qui pose problème et ce qui n’en pose pas.
C’est en travaillant ainsi et quand il légifère dans la sérénité que le Sénat fait œuvre utile.
C’est ce qu’ont démontré les travaux de nos collègues Nathalie Goulet et André Reichardt, rapporteurs de la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France et de ses lieux de culte, en suggérant d’améliorer la formation par la création d’un conseil scientifique unique chargé de la définition d’un programme commun, ou en proposant un meilleur financement du culte musulman.
C’est encore ce que le groupe Union Centriste a fait en faisant voter la proposition de loi de notre collègue Françoise Gatel pour mieux encadrer les écoles privées hors contrat. Le sujet n’en était pas moins délicat, bien au contraire !
Mes chers collègues, nous le savons, la voie est étroite entre la nécessité de lutter avec force contre le communautarisme et la radicalisation, et la nécessité tout aussi importante de ne pas se couper de la communauté musulmane, …
… dont la grande majorité s’inscrit pleinement dans les lois et l’esprit de la République.
J’en termine, monsieur le président.
Les sénateurs centristes se partageront sur cette question en exprimant des votes différents.
Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants et RDSE. – Marques d ’ étonnement sur des travées du groupe SOCR.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a de grandes lois auxquelles il ne faudrait jamais toucher, tout du moins en ce qui concerne les valeurs qu’elles portent, comme la loi de 1905 dont les articles 1 et 2 posent les fondements de la laïcité. Selon ces articles, en effet, « la République assure la liberté de conscience » et « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »
Malheureusement, il y a aussi des lois opportunistes, mal faites et mal pensées, que l’on est contraint d’examiner : c’est le cas du présent texte.
Vous prétendez vouloir sortir du flou qui entourerait l’accompagnement des sorties scolaires par les mères voilées et combler ainsi un vide juridique qui serait devenu manifeste. C’est faux !
Aujourd’hui, la jurisprudence administrative est claire et limpide : les parents accompagnateurs sont des usagers du service public de l’éducation et, en tant que tels, ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité qui incombe aux agents publics et qui dépasse, d’ailleurs, la seule sphère religieuse.
Seulement, ce postulat, pourtant d’une logique implacable, ne vous convient pas. Vous essayez donc de tripatouiller la loi, afin qu’elle entre en résonance avec votre idéologie – pardonnez-moi l’expression, mais je n’en trouve pas d’autres quand je vois le texte de la commission !
En définitive, vous vous retrouvez à élargir le périmètre de l’interdiction en matière de signes religieux ostensibles – qui prévaut en l’état pour les élèves – aux parents accompagnateurs, tout en tendant à les aligner sur le régime applicable aux agents publics, comme le prévoit le premier alinéa de l’article 1er.
Autrement dit, dans une forme de dualité qui s’apparente davantage à une double confusion, vous ne remédiez à aucun flou. En revanche, vous créez un authentique problème juridique.
Alors que vous prétendez venir en aide aux directeurs d’école pour soi-disant les protéger, ne pensez-vous pas qu’il serait préférable de leur proposer un véritable statut – parce qu’ils l’attendent – et de leur témoigner ainsi une reconnaissance légitime ? Il ne me semble pas que votre proposition de loi figure en haut de la liste de leurs priorités ; il me semble encore moins qu’elle faciliterait leur quotidien et leur permettrait d’organiser des sorties scolaires dans l’intérêt supérieur des enfants que, en l’espèce, vous semblez ignorer.
Au fond, les deux questions connexes que nous pose ce texte sont celles de la laïcité et de notre capacité à vivre ensemble.
S’agissant de la première, je souhaiterais d’abord répondre à notre rapporteur, qui, dans une dépêche, a estimé que nous étions un certain nombre à être partisans d’une laïcité « accommodante », alors qu’il représenterait quant à lui une laïcité « intransigeante ». Eh bien, j’affirme que je défends pleinement la laïcité, monsieur le rapporteur, et que je n’ai nul besoin de la qualifier d’« intransigeante » !
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.
Mme Sylvie Robert. En effet, dès lors que l’on commence à lui accoler des épithètes, c’est que l’on s’éloigne de son sens originel et qu’on la vide de sa substance pour mieux y substituer sa propre conception.
Nouveaux applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, la laïcité n’est pas une palette chromatique dans laquelle chacun choisirait sa coloration en fonction de sa sensibilité.
La République a magnifiquement défini la seule et unique laïcité qui existe, c’est-à-dire la possibilité laissée à chacune et à chacun de croire ou de ne pas croire dans un esprit de concorde et de tolérance mutuelle. Robert Badinter l’a récemment présentée comme l’« une des grandes barrières contre le poison du fanatisme, parce que vous reconnaissez l’autre tel qu’il est, comme humain, avec les mêmes droits que vous, quelle que soit sa religion. […] C’est l’autre que je rencontre dans le respect ».
Évidemment, la laïcité interroge avant tout notre rapport individuel et collectif à l’altérité, la manière dont nous parvenons ou non à vivre en société. Elle est cette pierre angulaire sur laquelle repose notre socle commun. Et il est terrible de constater que c’est en son nom, que c’est en l’instrumentalisant que d’aucuns effritent progressivement ce socle et finissent par fragmenter et déliter la communauté nationale !
Immigration, islam, communautarisme, radicalisation, tout est amalgamé, parfois sciemment. Et ce désordre alimenté en permanence empêche de régler les vrais problèmes et dérives qui se font jour, puisque tout n’est que confusion. Arrêtons de tout mélanger et de tout confondre !
Oui, la République a sûrement des territoires à reconquérir, mais il s’agit d’un sujet d’une nature et d’une ampleur tellement différentes et tellement plus importantes que celui qui nous occupe actuellement.
Interdire aux mères voilées d’accompagner des enfants lors de sorties scolaires pourrait se révéler contre-productif et ne fera qu’ériger un fossé entre la République et ses citoyens de confession musulmane. La laïcité exige une éthique de responsabilité. Or, dans le cadre de ce texte, je ne l’aperçois pas.
À l’opposé des fondamentalistes qui prospèrent sur le sentiment d’exclusion, et à l’opposé des identitaires qui ne peuvent accepter une société multiple, nous ne voterons pas cette proposition de loi.
J’en appelle à votre sagesse, mes chers collègues, le Sénat ayant pour tradition de prendre de la hauteur et de viser l’apaisement, surtout dans le contexte actuel. Ne nous trompons pas de combat en faveur de la laïcité, ne nous trompons pas de combat en faveur de la République, ne la desservons pas ! Comme s’exclamait Aristide Briand, nous n’avons pas le droit de faire une loi qui ébranle la République.
Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une actualité récente donne à l’examen du texte de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio un écho particulier, dont nous nous serions bien passés.
Cette proposition de loi s’inscrit en fait dans le prolongement de la discussion du projet loi pour une école de la confiance, au cours de laquelle avait été adopté un amendement tranchant la délicate question de la neutralité religieuse des personnes accompagnant les sorties scolaires.
Les députés en ont décidé autrement lors de la réunion de la commission mixte paritaire en supprimant cet amendement, laissant du même coup un vide juridique propice aux polémiques dans lesquelles certains se sont depuis engouffrés.
Tirant les conséquences de cet épilogue, notre collègue a déposé sa proposition loi en juillet dernier. Nous ne pouvions alors imaginer que deux événements médiatiques déclencheraient la frénésie.
Il y a tout d’abord eu la polémique récente autour de l’affiche de la FCPE. Elle a pris à contre-pied nombre d’observateurs qui connaissent bien cette fédération, dont les statuts sont pourtant depuis toujours de nature laïque.
La seconde polémique fait suite à la provocation absurde d’un élu du Rassemblement national, qui ne connaît apparemment ni les règles d’accueil du public dans l’enceinte de sa collectivité ni le droit de cette mère d’élève à accompagner une sortie scolaire en l’état actuel des textes. Cette forme d’humiliation envers une maman devant son enfant est humainement inacceptable !
Si la question de l’expression religieuse des accompagnants de sorties scolaires n’est pas nouvelle, aucune solution concrète n’a jamais été trouvée ni dans la loi ni dans les circulaires Royal ou Chatel encore en vigueur. On le voit bien aujourd’hui, l’insécurité juridique est préjudiciable à tous, et d’abord aux acteurs de l’éducation : enseignants, chefs d’établissement et directeurs d’école.
Malgré la légalité de ces circulaires qui n’ont jamais été abrogées, leur interprétation a varié au gré des déclarations contradictoires de certains ministres. Il revient par conséquent au législateur de lever les contradictions qui persistent, de clarifier la question, et de régler une situation qui aurait dû l’être depuis longtemps, avant qu’elle ne devienne explosive et ne soit instrumentalisée par les extrêmes.
En 2013 déjà, dans un contexte où la laïcité soulevait d’importantes interrogations, le Conseil d’État avait rendu une étude – et non un avis ! – sur saisine du Défenseur des droits, et invité le législateur à clarifier la question que nous examinons aujourd’hui. En vain ! S’appuyant sur un arrêt de 1941, il soulignait que, « entre l’agent et l’usager, la loi et la jurisprudence n’ont pas identifié de troisième catégorie de collaborateurs ou participants, qui serait soumise en tant que telle à l’exigence de neutralité religieuse ».
En 2014, le Conseil d’État a confirmé la spécificité du service public de l’éducation dans son dossier thématique sur le juge administratif et l’expression des convictions religieuses, l’exemple le plus significatif étant celui de la loi du 15 mars 2004 qui impose, à juste titre, une neutralité aux usagers directs du service public de l’éducation, c’est-à-dire les élèves, dans le but premier de les protéger contre toute forme de prosélytisme, à un âge où l’individu se construit. Elle leur interdit de manifester ostensiblement leur appartenance religieuse pendant le temps pédagogique.
Néanmoins, le Conseil d’État souligne qu’il reste paradoxalement possible pour les accompagnants des sorties scolaires de manifester leur appartenance religieuse.
Il nous faut lever cette contradiction, car les activités pratiquées à l’occasion d’une sortie viennent nécessairement en appui des programmes et s’intègrent au projet pédagogique de la classe, comme l’indique la circulaire de septembre 1999.
Pour parvenir à la clarification attendue, il nous faut nous attarder à la fois sur le principe de neutralité et sur la nature de toute sortie scolaire, tout en rappelant quelques évidences.
La notion de neutralité dans le service public de l’éducation nationale s’est construite au fil du temps par la loi et la jurisprudence, et ce depuis Jules Ferry : neutralité des agents, des enseignants et des usagers.
Plus récemment, le 23 juillet dernier, un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon a posé une neutralité plus large des intervenants en estimant : « Ce même principe impose également que, quelle que soit la qualité en laquelle elles interviennent, les personnes qui, à l’intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité. »
La sortie scolaire, quant à elle, est une activité qui prolonge l’enseignement en classe hors les murs de l’établissement. Elle intervient sur le temps scolaire obligatoire pour l’élève. Elle est organisée par l’enseignant dans un but pédagogique et ne constitue pas une activité de loisir extrascolaire. À ce titre, elle représente bien un prolongement du service public de l’éducation. Sa neutralité, quelle qu’en soit d’ailleurs la nature, doit donc être respectée.
La sortie scolaire repose de son côté sur le volontariat des accompagnants, qui répondent à une sollicitation de l’enseignant. Cette démarche volontaire n’a pas vocation à se transformer en un droit. Le parent accompagnateur s’inscrit donc de jure dans le cadre d’une mission de service public.
Il vient non pas dans le seul dessein d’être avec son enfant, mais bien dans l’objectif d’aider l’enseignant à encadrer toute la classe. Il peut même arriver qu’il participe à la pédagogie de l’activité avec le professeur.
Ce sont autant d’éléments qui fondent la nature juridique de l’accompagnant et qui démontrent que la sortie scolaire s’inscrit dans le prolongement de la mission de service public de l’éducation.
Le texte de la commission, à la suite des nombreuses auditions de notre rapporteur Max Brisson, que je remercie pour son travail, me paraît satisfaisant en ce qu’il soumet les personnels de l’éducation et toute personne participant au service public de l’éducation aux mêmes valeurs, dont la liberté de conscience et la laïcité.
Sa traduction juridique, par l’extension claire et sans ambiguïté du champ d’application de la loi du 15 mars 2004, me paraît de nature à offrir une solution aux problèmes rencontrés par le corps enseignant.
Les membres de mon groupe se prononceront individuellement, en conscience, sur ce texte. Quant à moi, estimant que l’on ne peut pas laisser les directrices et directeurs d’école dans l’insécurité juridique, et suivant mes convictions, je voterai en faveur de ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis dans cet hémicycle quelques jours seulement après l’outrance prétendue laïque d’un élu du Rassemblement national, plus soucieux d’agiter le peuple avant de s’en servir que de respecter le droit et les libertés de ses concitoyens.
L’acte discriminatoire passé et la réalité du droit posé, il eût été sage que celui-ci présente publiquement ses excuses. Au lieu de cela, nous avons eu droit aux débats malsains, aux amalgames scandaleux et à un déversoir de haine. Cette polémique ne vise qu’un seul objectif : faire le lit de tous les extrêmes. On ne peut donc que regretter que, en dépit d’un contexte malaisé, le présent débat soit maintenu.
Je l’ai dit en commission et le redis ici : ne pas céder à la provocation est aussi un acte républicain !
Avant d’entrer dans le détail, je dois avouer l’étonnement qui a été le mien quand j’ai vu ce texte proposé par la droite sénatoriale, la même droite qui s’était vivement opposée, il y a deux ans de cela, à l’un de mes amendements tendant à mettre fin à la rémunération des prêtres par la collectivité territoriale de Guyane.
M. Pierre Ouzoulias applaudit.
Vous en conviendrez, mes chers collègues, notre passion commune pour la laïcité peut décidément avoir des priorités surprenantes.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé avec justesse les principes qui régissent la laïcité de notre République.
C’est la liberté de croire ou de ne pas croire, mais aussi l’égalité de tous devant la loi, quelles que soient nos croyances ou nos convictions. C’est aussi la stricte neutralité de l’État à l’égard du fait religieux.
Dans le milieu scolaire, un vade-mecum rappelle avec clarté le cadre de cette neutralité.
Aujourd’hui, aucune loi n’interdit à un adulte qui accompagne une sortie scolaire de porter un signe ostensible de religion, sauf en cas de prosélytisme. En effet, la neutralité religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées s’applique seulement aux enseignants, aux employés de la fonction publique et aux élèves.
L’objectif annoncé par les auteurs de ce texte est de clarifier la situation.
Pour ce faire, la proposition de loi crée une nouvelle catégorie de personnes qui « participent » au service public de l’éducation. Or l’étude du Conseil d’État de 2013 affirme que le parent d’élève demeure un usager du service public, y compris lorsqu’il accompagne une sortie scolaire.
En effet, le caractère bénévole de la tâche confiée aux parents accompagnateurs ne permet pas, à mon sens, de les assimiler à des collaborateurs occasionnels.
En revanche, il revient aux chefs d’établissement de prévenir, voire de signaler tout acte prosélyte qui constituerait un trouble à l’ordre public et au bon fonctionnement du service public.
L’état actuel du droit, que certains jugent ambigu, révèle en fait l’équilibre lumineux trouvé par la loi et la jurisprudence pour concilier les principes si exigeants qui fondent la laïcité.
Ce silence sur les signes religieux, Aristide Briand, rapporteur de la loi de 1905, l’explique mieux que je ne pourrais le faire : « Le silence du projet de loi n’a pas été le résultat d’une omission. […] Il a paru à la commission que ce serait encourir […] le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule, que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté, […] imposer de modifier la coupe de [ses] vêtements. »
Ainsi, une fois l’État et les Églises séparés, la kippa, le foulard, la croix ou le turban deviennent des accessoires et des vêtements comme les autres, portés par qui le souhaite.
Une fois cela dit, la loi peut toujours évoluer, mais doit-elle régler les convictions intimes qu’elle suppose chez les adultes ? Le pourrait-elle seulement ?
Mes chers collègues, les évolutions du paysage religieux ne doivent pas nous conduire à remettre en cause l’esprit de la loi de 1905. Je crois qu’il nous faut au contraire prendre appui sur ses piliers : la liberté de croire, la neutralité et le non-subventionnement des cultes pour apporter des réponses pragmatiques aux questions nouvelles.
D’ailleurs, ce bel usage qui veut que les enseignants sollicitent des parents pour participer à l’encadrement d’une sortie scolaire s’organise déjà dans le cadre d’un dialogue, d’une relation de confiance entre l’école et ces parents.
Dans cet échange, les enseignants rappellent le cadre laïque de l’école et peuvent inviter les parents à s’y conformer, sans pour autant les y obliger.
De même, il faut le dire, le port d’un signe religieux lors d’une sortie est moins un droit exercé par les parents qu’une tolérance dans le pacte de confiance qu’ils nouent avec l’école. §À cet égard, la récente affiche revendicatrice de la FCPE me semble tout aussi contre-productive et inadaptée que la présente proposition de loi.
Nous le savons, dans certaines écoles, l’interdiction du foulard – disons-le, puisque c’est de cela qu’il s’agit – placerait les enseignants dans des situations inextricables au détriment des élèves. Plus grave encore, elle pourrait in fine éloigner certains enfants de l’école publique, lorsque notre priorité commune est justement de ramener tous nos concitoyens vers la République.
Mes chers collègues, ne cédons pas à la tentation de faire de la laïcité un territoire guerrier sur lequel nous lutterions contre le communautarisme.
En la matière, notre assemblée a su, sur l’initiative de notre collègue Françoise Gatel, apporter une réponse législative adaptée pour mieux contrôler les écoles hors contrat. Nous devons aussi travailler à des solutions efficaces pour lutter contre la déscolarisation et mieux contrôler l’enseignement à domicile.
J’entends parler ici de courage de légiférer. Mais le véritable courage ne serait-il pas d’assumer le principe selon lequel la liberté doit être la règle et la restriction de police, l’exception ?
La laïcité léguée par les législateurs de 1905 n’est ni un glaive ni un bouclier. Elle est le cadre au sein duquel il nous faut élaborer les réponses pragmatiques qui, sans être simples, permettent de préserver le vivre ensemble de notre société.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, c’est parce que nous jugeons cette proposition de loi inutile et inadaptée que notre groupe s’y opposera avec fermeté !
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC, SOCR et CRCE.
Encore ! sur de nombreuses travées.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut une réponse globale aux dérives communautaristes. À l’évidence, dans ce domaine, le port du voile est un élément emblématique, car, dans certains quartiers, il prend une telle ampleur que l’on en vient à se demander si l’on est encore en France !
Or, si nous en sommes arrivés là, c’est aussi le résultat d’un certain laxisme généralisé depuis des décennies. Dans le passé, tout le monde savait qu’il existait un problème lié au port du voile chez les accompagnateurs de voyages scolaires.
Autant, j’approuve le dépôt de cette proposition de loi et me réjouis que nous l’examinions aujourd’hui, autant je me dis, dans la mesure où ses auteurs sont membres du parti Les Républicains, qu’ils auraient pu la présenter et la faire adopter facilement lorsque M. Sarkozy était encore Président de la République !
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
Dans cette affaire, il y a une certaine hypocrisie : en effet, c’est facile de proposer des choses quand on est dans l’opposition !
Mais, en fait, c’est quand on a le pouvoir que l’on doit agir !
Je regrette que certains qui étaient au pouvoir n’aient pas fait ce qu’il fallait en la matière !
M. Jacques-Bernard Magner. Il a raison ! Pourquoi la droite n’a-t-elle rien fait ?
Sourires.
Aujourd’hui, les pseudo-bien-pensants persistent dans leur complaisance face au communautarisme.
Pire encore, au niveau local, certains responsables politiques soutiennent les dérives communautaristes dans un but purement électoraliste.
À juste titre, l’actuel ministre de l’intérieur s’est lui-même inquiété de ce qu’il appelle des « Molenbeek à la française », c’est-à-dire des villes où le communautarisme s’épanouit avec le soutien de la municipalité ou des élus locaux. On en trouve partout : ainsi, dans mon département, un maire s’est vanté de gagner les suffrages des musulmans en étant le seul en France à avoir financé avec 100 % de fonds publics la construction d’une mosquée.
M. Jean Louis Masson. Non, c’est autorisé en Alsace-Lorraine, mon cher collègue !
Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.
M. Pierre-Yves Collombat. Soyons logiques et revenons sur le Concordat !
Sourires.
Plus grave, il a aussi financé la mise en place d’une école coranique, et même l’installation de lampadaires décorés du croissant islamique dans la rue qui donne accès à la mosquée !
Alors, faut-il s’étonner si, avant de quitter la Moselle, le procureur général a évoqué devant la presse ce qu’il appelle…
… un inquiétant potentiel de radicalisation dans certains secteurs du département !
M. le président. Mon cher collègue, vous avez dépassé le temps de parole qui vous était imparti.
Marques de soulagement sur diverses travées.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions dont nous discutons aujourd’hui ont déjà été votées par le Sénat lors des débats sur la loi dite « pour une école de la confiance ». Simplement, dans le cadre des travaux de la commission mixte paritaire, votre majorité a choisi de ne pas les retenir.
Elle a accepté cette « concession mineure » selon l’expression du rapporteur, parce que le dispositif d’un autre amendement a été intégralement repris dans la loi définitive. Introduite à l’article L. 141-5-2 du code de l’éducation, cette disposition prévoit : « Les comportements constitutifs de pressions sur les croyances des élèves ou de tentatives d’endoctrinement de ceux-ci sont interdits dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d’enseignement, à leurs abords immédiats et pendant toute activité liée à l’enseignement. » Voilà ce que vous avez voté !
La portée de cette interdiction est bien plus large que celle dont nous débattons aujourd’hui. On peut donc légitimement se demander pourquoi vous avez déposé, moins d’une semaine après l’adoption définitive de la loi par le Sénat, une proposition de loi qui reprend in extenso une mesure rejetée par la commission mixte paritaire au profit d’un dispositif plus général d’application directe.
Les polémiques suscitées, initiées ou provoquées par cette proposition de loi éclairent sans conteste son objet essentiel. L’intention n’est pas de discuter de nouveau de la loi dite « pour une école de la confiance » que vous avez adoptée. Déposé cinq jours après l’adoption définitive de la loi par le Sénat, ce texte sert de prétexte à un débat sur la place du voile dans notre société.
Elle nourrit la suspicion plus générale selon laquelle certains de nos concitoyens, par leur origine familiale, leur religion ou leur tradition, ne pourraient pleinement appartenir à la Nation, qu’il y aurait des dispositions religieuses fondamentalement incompatibles avec la citoyenneté républicaine.
Un lien de causalité pourrait même être établi entre une pratique religieuse d’ordre vestimentaire, la volonté de créer au sein de la République des communautés souhaitant échapper à ses lois et ce qu’Amin Maalouf appelle très justement les « identités meurtrières » qui se construisent dans la haine d’autrui. Cet amalgame n’est pas acceptable !
Puisque le débat porte finalement sur la fonction politique de la laïcité dans notre société, j’aimerais rappeler ici que celle-ci a été introduite dans la Constitution de 1946 par un amendement déposé par notre collègue et député communiste Étienne Fajon.
Conformément à l’article premier de cette Constitution, « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Cet article fut complété dans la Constitution de 1958 par les deux phrases suivantes : « Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » L’essentiel est dit et la force de ces principes constitutionnels devrait nous inciter à plus de retenue, de circonspection et de sagesse, dès que l’on tente de les corriger pour en atténuer la portée !
M. Pierre-Yves Collombat applaudit.
M. Pierre Ouzoulias. Défendre la République, c’est aussi protéger celles et ceux que l’on veut rejeter hors de la Nation en raison de leurs origines ou de leurs croyances. Cette ardente obligation de l’État de défendre tous nos concitoyens victimes du racisme s’impose encore avec plus de force depuis l’attentat perpétré hier contre la mosquée de Bayonne.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.
La laïcité ne peut être l’instrument de l’exclusion ; elle est au contraire le principe qui, en imposant la neutralité de l’État, permet l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de naissance ni de religion.
D’aucuns appellent, y compris dans cette assemblée, à l’avènement d’une « nouvelle » laïcité, d’une laïcité « intégrale ». Ce surcroît de rigorisme obligerait les élus à une stricte neutralité religieuse par exemple, alors que, jadis, le chanoine et député Félix Kir montait à la tribune en soutane.
Dans le même esprit, la neutralité religieuse qui s’impose aujourd’hui à tous les agents du service public devrait aussi s’étendre à tous les services pour le public, même privés.
Un débat sur ces thèmes est légitime. Mais il mérite mieux qu’une discussion sur une proposition de loi de circonstance de deux articles, reprenant des dispositions déjà écartées.
En ce qui nous concerne, nous sommes disponibles pour travailler sur ces sujets. Nous le sommes d’autant plus que notre histoire nous porte à défendre une laïcité au service de l’émancipation intellectuelle, politique et sociale.
Monsieur le rapporteur, vous avez cité à plusieurs reprises Jean Zay, le ministre du Front populaire assassiné par la Milice. Comme vous, nous partageons son idéal, son programme et son action politique en faveur de l’éducation nationale. Vous avez rappelé, avec raison, ses deux célèbres circulaires, interdisant dans les écoles la propagande politique, qui, en 1936, était essentiellement le fait des ligues de l’extrême droite, et la propagande confessionnelle, qui lui reprochait d’être le ministre d’une école « sans Dieu ».
En septembre 1939, alors que le ministre de l’intérieur Albert Sarraut demandait le renvoi hors de France des enfants des réfugiés républicains espagnols, Jean Zay affirma seul, avec force, notre devoir moral de les maintenir dans les classes, au nom de la mission humaniste et universaliste de l’école. C’est toujours notre source d’inspiration, et c’est pourquoi nous voterons contre ce texte !
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR, LaREM, Les Indépendants et UC.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme dans tout débat, il est important de savoir de quoi l’on parle. Aujourd’hui, la proposition de loi qui nous est présentée – je m’interroge d’ailleurs sur son opportunité, à l’heure où les polémiques enflamment le débat public – concerne le port du foulard des mamans accompagnatrices de sorties scolaires, et rien d’autre !
Je suis convaincue par ces mots : « laïcité de l’État, pas de la société ». Cela veut dire trois choses.
D’abord, cette expression signifie que la France garantit la liberté de conscience et de pratique, lorsque cette pratique s’inscrit dans la tolérance et le respect des valeurs républicaines.
Enseignante, j’ai exercé dans un collège en zone d’éducation prioritaire à Melun, en Seine-et-Marne, où j’ai également été adjointe au maire pendant trente ans.
Je connais bien ces femmes qui, pour la plupart, vivent dans des quartiers difficiles. Il est caricatural de penser que la totalité de ces Françaises musulmanes utilisent le foulard comme l’étendard d’un projet islamique. Plus simplement, elles veulent vivre dans une société ouverte, tolérante, respectueuse de toutes les religions, en préservant des traditions familiales.
Si l’on interdit à ces mamans d’accompagner leurs enfants lors de déplacements scolaires, l’organisation des sorties dans les écoles de ces quartiers sera probablement rendue plus difficile. Cela aura pour effet de « ghettoïser » encore davantage des enfants issus de milieux populaires. Est-ce cela que nous voulons ?
Les femmes qui se portent volontaires pour participer à ces sorties expriment également une volonté de s’intéresser à la vie de l’école, et nombre d’entre elles sont d’ailleurs élues dans les conseils d’écoles.
Interdire le port du voile risque, à l’opposé de l’objectif visé, de compromettre leur intégration sociale. En les stigmatisant, on les enferme dans leurs pratiques, on renforce le communautarisme, on empêche, paradoxalement, l’islam d’évoluer avec la société. L’école est parfois le seul lieu de socialisation pour ces femmes.
L’expression « laïcité de l’État, pas de la société » signifie aussi que l’État n’a pas à se plier aux revendications communautaires.
Il doit veiller à lutter contre une certaine vision de l’islam incompatible avec les valeurs de la République, sans céder aux pressions électorales, aux caricatures et sans faire de concessions.
Il doit également veiller à apaiser les tensions entre communautés, en s’opposant avec la plus grande fermeté à toute démonstration de haine à l’encontre d’une communauté ou d’une autre.
Enfin, ces quelques mots veulent dire que nous devons, collectivement, veiller à ce qu’aucun enfant ne soit victime de prosélytisme dans le cadre de l’école publique, à ce qu’aucune pression d’ordre religieux, même insidieuse, ne porte atteinte à la liberté de conscience de l’enfant, par définition vulnérable et influençable. Fions-nous à l’intelligence des enseignants, des directeurs d’établissements et, en dernier ressort, au juge pour garantir l’application éclairée du principe de laïcité.
La réponse au communautarisme n’est pas la stigmatisation qui exacerbe les tensions.
L’école, à mon sens, doit rester un sanctuaire, un abri pour permettre à tous les enfants de grandir avec les valeurs républicaines. Mais la France n’a jamais prôné l’égalitarisme. Elle ne saurait écarter une communauté qui lui paraît étrangère, mais, finalement, reflète une partie d’elle-même. Vivre en démocratie, c’est accepter les différences culturelles et religieuses de chacun de ses membres. Dès la petite enfance, c’est trouver la paix et l’entente, par-delà les différences.
Pour autant, cette tolérance n’est pas sans limites, nous le savons, comme l’interdiction du voile intégral l’a démontré en 2010, comme l’obligation de neutralité religieuse à l’école l’a démontré en 2004, comme le renforcement du contrôle des écoles coraniques et des enfants déscolarisés l’a démontré encore récemment.
D’autres lois viendront probablement, des lois que j’estime nécessaires, sur la formation et le contrôle des imams, sur le mode de financement des mosquées, sur l’évolution de notre système d’intégration. Les questions soulevées par ce débat sont éminemment plus complexes, plus vastes, que la réponse qui nous est proposée à travers ce texte.
Il me semble que la réponse la plus saine pour désamorcer ces tensions consiste à réaffirmer, au sein de la République une et indivisible qui est la nôtre, les principes de tolérance, de liberté de conscience, de fraternité entre les communautés, et de partage des valeurs républicaines.
Je pense que le respect de nos différences s’enseigne dès le plus jeune âge, par la confrontation aux autres, par le dialogue et l’ouverture.
Ce que nous devons vraiment combattre, ce n’est pas le port du voile par quelques femmes qui démontrent, en participant à des sorties scolaires, leur implication dans l’éducation de leurs enfants. Ce que nous devons combattre, c’est le glissement d’une partie des musulmans vers une pratique radicale de l’islam ; c’est l’obscurantisme religieux, les haines communautaires et l’aliénation des femmes.
Nous connaissons tous cette mère exemplaire meurtrie dans sa chair après l’assassinat de son fils par le terroriste Mohammed Merah. Depuis 2012, Latifa Ibn Ziaten, au sein de son association IMAD pour la jeunesse et la paix, circule dans les établissements scolaires pour venir en aide aux jeunes des quartiers en difficulté.
Elle porte le voile sans que cela pose problème.
Pour finir, je tiens à préciser que je m’exprime à titre personnel, et au nom de plusieurs des membres de mon groupe Les Indépendants – République et Territoires, mais chacun aura sa liberté de conscience au moment du vote.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet que la proposition de loi de Jacqueline Eustache-Brinio nous amène à discuter n’est ni médiocre ni conjoncturel. Ce n’est pas parce que quelques-uns l’hystérisent…
… qu’il ne faut pas le traiter. Nous n’avons que trop tardé !
Car, par aveuglement – pour paraphraser Charles Péguy, il faut dire ce que l’on voit, mais il est plus difficile de voir ce que l’on voit –, par manque de courage, ce sont hélas les extrémistes de tous bords qui se sont emparés, non pas du débat, mais des failles dans les lois de notre République.
Lors du vote de la loi pour une école de la confiance, sur mon initiative et après que j’avais déposé en mars 2018 ce même texte, le Sénat avait adopté un amendement défendu par Jacqueline Eustache-Brinio et affirmant le principe de laïcité, y compris lors des sorties scolaires, ainsi qu’un amendement, déposé par mes soins, pour lutter contre le prosélytisme aux abords des écoles. Je tiens d’ailleurs à votre disposition, monsieur le ministre, une proposition de loi de même teneur pour les universités.
Du respect de la neutralité religieuse à l’école, certains n’ont voulu voir qu’un prétexte de racisme, voire de « haine contre les musulmans ». Mais nous sommes en vérité bien en dessous d’Atatürk !
Le sujet n’est pas du tout celui-là ; il est celui du risque de fracturation profonde de notre pays, laïque et républicain, et, au premier rang, de son école publique.
Voulons-nous abandonner notre modèle pour l’enseignement laïque, issu des lois de Jules Ferry et des décrets de Jean Zay ?
Voulons-nous abandonner le creuset de l’école républicaine, sans distinction de race, de sexe et, à la suite de Portalis, de religion ?
Voulons-nous abandonner les combats des féministes, chère Laurence Rossignol ?
Ou voulez-vous plutôt, mes chers collègues, un modèle communautariste, où chacun s’accommode de la République selon ce qui l’arrange, où, par exemple, la charia l’emporterait ?
Ne trahissons pas Aristide Briand !
Si cela devait être, préparons-nous à vivre, selon une expression redoutable de l’ancien ministre chargé des cultes, plutôt « face à face » que « côte à côte ».
Préparons-nous aussi à modifier l’article 1er de notre Constitution sur l’unité et l’indivisibilité de notre République.
Sans texte clair, sans cadre légal, les positions des uns et des autres seront inconciliables : là est le risque grave de fracture de la République ! Voilà pourquoi, quinze ans après la loi de 2004, trente ans après l’affaire du foulard de Creil, dans le département de l’Oise que je représente ici avec Olivier Paccaud et Laurence Rossignol, il est temps d’engager un nouvel acte.
Robert Badinter nous l’a dit, lui qui sans nul doute aura sa médaille sur nos travées : « Ce qui n’est pas illégal n’est pas forcément bienvenu. » Selon lui, le voile ne marque pas une « bonne volonté de vivre ensemble », étant rappelé que le port du voile n’est pas une prescription canonique.
La laïcité est à la fois une « grande barrière contre le poison du fanatisme », mais aussi une garantie que « l’idée que l’on doit respecter l’autre signifie aussi que l’autre doit vous respecter ».
Dès lors, mes chers collègues, sans distinction de sensibilité, nous ne devons pas abdiquer.
Nous ne le devons pas, pour être dignes des Lumières et des pères de la République, Jules Ferry – notre prédécesseur en ces lieux – en tête. Nous ne le devons pas pour l’école, mais aussi pour tous les croyants, tous les agnostiques et tous les athées de France qui se retrouvent dans cette école de la République.
Il ne s’agit de rien d’autre que d’apporter une nécessaire précision à l’indispensable neutralité à observer par tous durant le temps scolaire !
Face aux extrémistes, nous ne pouvons pas avoir la main tremblante ! Je vous demande donc, très solennellement, de soutenir sans réserve ce texte sur la laïcité, qui porte le sceau, selon les mots du Général, de l’honneur, du bon sens, de l’intérêt supérieur de la patrie.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Philippe Pemezec . Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plus d’un an, ici même, j’interpellai le Gouvernement sur la question de la tenue des accompagnateurs de sorties scolaires. Votre réponse, monsieur le ministre, que j’ai écoutée religieusement à l’époque fut pour le moins ambiguë.
Sourires.
Vos propos ont été en substance : « Je suis plutôt d’accord avec vous, mais la loi est la loi ! » J’entends que, depuis, la situation n’a pas évolué.
Je ne suis donc pas surpris du retour dans l’actualité de ce problème, posant un réel cas de conscience à nos concitoyens, et je suis heureux que ma collègue Jacqueline Eustache-Brinio ait traité la question dans le cadre de cette proposition de loi, que j’ai cosignée sans hésiter et avec enthousiasme.
Ce qui est en question, dans cette affaire, c’est la remise en cause régulière des valeurs de notre société et de notre vivre ensemble par les tenants d’une vision de l’islam communautariste et radicale.
Nous en sommes là aujourd’hui, car, depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs ont manqué de lucidité, ont fait preuve de lâcheté et n’ont pas eu le courage ni de gérer l’immigration…
… ni d’adopter une ligne politique claire.
Cette ambiguïté a alimenté les tensions, attisées par les tenants d’un islam politique qui tente de remettre en cause notre société et ses valeurs républicaines.
Les sorties scolaires, puisque c’est bien d’elles qu’il s’agit, sont effectuées dans le cadre du temps scolaire et, à ce titre, doivent être soumises aux règles régissant l’obligation de neutralité des agents publics, indépendamment des fonctions exercées.
Ainsi, lorsque des parents se portent volontaires pour accompagner une sortie d’élèves, ils deviennent eux aussi, même bénévoles, des collaborateurs occasionnels du service public.
Il serait donc logique que les sorties soient considérées comme partie intégrante du temps scolaire et de l’environnement scolaire, et que les règles de neutralité vestimentaire soient appliquées dans ce cadre, comme à l’intérieur de l’établissement, pour toutes les personnes concourant à encadrer et éduquer les enfants.
L’école est le reflet de notre société ; c’est aussi le lieu où la France de demain se construit. Ce n’est pas avec de belles citations, de jolies petites phrases que le problème sera réglé !
Le communautarisme est en train de ronger la société française, il la fracture, la divise, créant des tensions de plus en plus vives. Il suffit de lire L ’ Archipel français, l’excellent ouvrage du politologue Jérôme Fourquet, pour comprendre le glissement sociétal que nous vivons.
Nous avons été incapables d’intégrer ou de combattre les ghettos : nous en subissons aujourd’hui les effets !
Et si vous me dites, mes chers collègues, que je me focalise uniquement sur les signes extérieurs de la religion islamique, je vous dirai la même chose s’il s’agissait d’accompagnateurs coiffés d’une kippa ou d’un turban, ou d’accompagnatrices vêtues d’une robe bouddhiste.
Arrêtons de nous cacher derrière la bien-pensance ! Aujourd’hui, ce sont les maires et les directeurs d’école qui gèrent seuls, tant bien que mal, ces questions au quotidien, en composant avec le flou entretenu en haut lieu depuis de trop nombreuses années. Ainsi, nous parlons aujourd’hui du voile, mais que dire du prosélytisme de certains animateurs, des revendications sur les menus des cantines scolaires ou pour l’obtention d’horaires spécifiques pour les femmes à la piscine ?
Notre Constitution de 1958 dit que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Puisqu’il n’y a plus de religion d’État dans notre pays, la religion doit s’exercer uniquement dans un cadre privé et ne doit en aucun cas influencer d’une façon ou d’une autre l’opinion des enfants, qui se forment, sur le temps scolaire, dans un cadre strictement laïque.
A-t-on jamais forcé un parent d’élève à accompagner une sortie scolaire ? Si, pour une mère de famille, retirer son voile et montrer ses cheveux est insupportable, elle peut rester chez elle
Exclamations.
Car il faut être lucide, c’est un véritable bras de fer qui est engagé par ces femmes brandissant le voile comme un étendard, appuyées par un communautarisme islamiste, politique, qui s’est fixé pour objectif d’utiliser chaque faille dans notre État de droit pour y imposer sa morale religieuse, faisant peu à peu de notre pays, non plus une Nation, mais un pays avec des communautés vivant les unes à côté des autres. Il est temps de choisir quel modèle de société nous souhaitons : vivre ensemble ou vivre à côté les uns des autres ?
Le Gouvernement nous dit : « On n’y peut rien, c’est la loi. » Mais la loi est faite pour évoluer ! Elle est faite pour s’adapter aux changements de la société, et nous autres parlementaires sommes là pour accompagner cette évolution !
Pour cela, il faut du courage. Il faut, pour une fois, avoir le courage d’entendre ce que disent les Français et comprendre ceux qui voient leur quartier et leur commune s’enfoncer peu à peu dans le communautarisme, leur environnement se transformer et les propos se radicaliser.
J’ai entendu récemment dans un débat : « Il suffit de généraliser la viande halal. Comme ça, tout le monde pourra en manger ! » Pourquoi ne pas imposer de manger casher dans ce cas ? Personnellement, je préfère manger du poisson le vendredi !
Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.
Mais au nom de quel principe devrait-on soumettre le droit commun et la pratique commune au caprice des religions, dans une République laïque et indivisible ?
M. Philippe Pemezec. Moi, j’ose encore croire en la France ! Je crois aux valeurs de notre République et je me refuse à les voir grignotées insidieusement par des idéologies politiques, radicales et communautaristes, mettant à mal nos valeurs communes et notre vivre ensemble.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une remarque pour débuter mon propos : j’imagine tout de même que les auteurs de cette proposition de loi se sont demandé si ce texte tombait vraiment bien et si nous allions pouvoir, dans le contexte actuel, nous concentrer sur son contenu. L’exercice me paraît délicat et un peu perdu d’avance !
Mais je voudrais partager avec vous un sentiment et quelques réflexions.
Mon sentiment, c’est celui – extrêmement désagréable – d’être prise dans un étau.
Mme Laurence Rossignol. La première mâchoire de cet étau est celle de la haine et du racisme, celle qui déteste les musulmans comme elle a toujours détesté les Arabes, celle qui n’a jamais été laïque, celle qui n’a jamais autant aimé la France que quand elle n’était pas la France.
Exclamations et sifflets sur les travées du groupe Les Républicains.
J’invite mes collègues de la droite républicaine à ne pas s’émouvoir quand je parle de l’extrême droite. Je ne parlais pas de vous jusqu’à présent, mes chers collègues !
Rires et applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Les femmes voilées personnifient, pour tous ceux-là, l’obsession d’une France islamisée par le « grand remplacement ».
La deuxième mâchoire de l’étau est celle de l’extension de l’emprise religieuse dans la société française, notamment de l’islam politique. En effet, autant la foi est un sujet intime, autant la religion est une question politique.
La première étape stratégique des doctrinaires passe par la réislamisation des musulmans de France. Il s’agit de communautariser les musulmans autour du fait religieux dans l’espace public, en opposant progressivement une pratique religieuse de plus en plus rigoriste à la laïcité républicaine.
Mmes Catherine Troendlé et Sophie Primas approuvent.
Pour ceux-là, aussi, le port du voile est l’objet symbolique de leur visibilité, même si, paradoxalement, cette visibilité passe par l’invisibilité des femmes.
Les uns comme les autres ont donc objectivement intérêt à installer le voile au centre du débat public.
Pour les promoteurs de l’islam politique, plus on parle du voile, de sa place et de sa compatibilité avec la République, mieux c’est, car c’est avec ce drapeau qu’ils comptent bien susciter la solidarité communautaire.
Si le voile devient un objet de racisme, alors il devient aussi le signe de la résistance au racisme, et c’est le pire des scénarios !
C’est le scénario de l’escalade : d’un côté, Dijon et son conseiller régional haineux, indigne, qui la nourrit ; de l’autre, la coalition des naïfs qui laissent prospérer l’islam politique, abandonnent celles et ceux qui résistent et choisissent le confort moral du déni.
Et nous, mes chers collègues, nous sommes au milieu, avançant sur une ligne de crête, pesant chacun de nos mots, chacun de nos actes, pour ne renforcer ni un camp ni l’autre.
Certains diront que c’est pleutre. Je me contenterai de dire que c’est précautionneux.
Il faut agir dans le bon ordre. À mes yeux, réduire la fracture qui s’est installée dans notre société est le préalable à toute reconquête républicaine.
Cette proposition de loi n’y contribuera pas. Je crains même qu’elle ne soit, si j’ose dire, du pain bénit pour les islamistes, une occasion supplémentaire de coaliser et de communautariser les musulmans, y compris ceux qui n’ont pas cette pratique rigoriste de l’islam.
Je ne pense pas non plus que cette proposition de loi rendra la laïcité plus aimable ou plus désirable à qui que ce soit.
Défendre la laïcité, c’est en faire un usage juste et constant. La laïcité, ce n’est pas exalter à tout propos l’identité chrétienne de la France ou convoquer les évêques à tout bout de champ pour solliciter leur avis sur le droit des femmes à disposer de leur corps !
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
La laïcité, c’est un projet de société, qui suppose la justice et l’égalité.
Je ne crois pas que de nouvelles interdictions soient la solution. C’est sans fin !
Peut-être certains d’entre vous, mes chers collègues, se sont-ils réjouis de constater, dans un sondage sorti dimanche dernier, que leur proposition était soutenue. Mais avez-vous vu, aussi, que davantage de personnes sondées sont favorables à une extension de l’interdiction aux usagers du service public : plus de voile, plus de kippa dans les halls d’hôpitaux, dans les bureaux de poste, aux caisses d’allocations familiales, etc. Êtes-vous prêts à les suivre ? Bien sûr que non ! Pas aujourd’hui ! Mais dans un an ou deux, en fonction du contexte, qui sait ?
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. François Patriat se joint à ces applaudissements.
Ce que nous payons aujourd’hui, c’est l’abandon des quartiers populaires, l’absence de perspective pour ceux qui y vivent, la ségrégation spatiale et notre inefficacité à lutter contre le racisme. Tant qu’un jeune avec un prénom musulman aura cinq fois moins de chances de trouver un travail qu’un jeune avec prénom d’origine catholique, …
Mme Laurence Rossignol. … il ne sera pas possible de convaincre ce jeune que la République et l’égalité sont faites pour lui et à partager avec lui !
Mme Martine Filleul applaudit.
Quand le relief est incertain, quand le paysage est trouble, il faut une boussole. La mienne tient en trois questions. Avec cette proposition de loi, allons-nous réduire la fracture qui s’est installée entre les Français ? Allons-nous désarmer les haineux de tous bords ? Allons-nous nous extraire du face-à-face sinistre entre les identitaires des deux camps ? Je ne le crois pas. Je pense même que nous nous tromperions de chemin en adoptant ce texte. C’est pourquoi le groupe socialiste et républicain ne le votera pas.
Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE, LaREM et Les Indépendants.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est une République laïque. Cette règle, fruit de notre histoire, a longtemps divisé notre nation, mais, aujourd’hui, elle la rassemble et elle doit la rassembler !
La laïcité n’est pas seulement un droit ; c’est un devoir ! Elle exige d’accepter des règles communes, indispensables à l’équilibre de la société, au premier rang desquelles la neutralité des services publics.
Le législateur a voulu faire de l’école un espace neutre d’un point de vue religieux, pour permettre à l’élève de se construire librement en tant que citoyen, en le protégeant contre les influences et les passions extérieures.
Cette conquête d’une école laïque s’est faite par étapes. Il y a d’abord eu la substitution à l’enseignement d’une morale religieuse d’une instruction morale civique et laïque, puis la suppression en 2004 des signes ostensibles d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires.
Il faut aujourd’hui franchir une nouvelle étape en inscrivant dans la loi le principe de neutralité religieuse applicable à toute personne participant aux sorties scolaires, ce qui est déjà le cas pour les enfants et les enseignants, mais pas pour les accompagnants. Il est donc temps de mettre fin à cette incohérence juridique !
Je ne comprends pas la posture de désintérêt du Président de la République, qui affirme que le port du voile dans l’espace public n’est pas son affaire. Doit-on lui rappeler que les sorties scolaires sont des temps pédagogiques s’inscrivant dans le temps de l’éducation nationale ?
Cela fait bien longtemps que l’enseignement scolaire ne se limite plus aux quatre murs de la classe. Cette ouverture vers l’extérieur nous invite à repenser le principe de laïcité appliqué à l’école.
Chaque sortie nourrit un projet pédagogique et fait l’objet d’une préparation en amont. Il n’est donc pas possible de déconnecter les enseignements scolaires en classe de ceux qui sont dispensés à l’extérieur. La sortie scolaire n’est en réalité qu’un prolongement des enseignements délivrés en classe, une école « hors les murs ».
La neutralité religieuse doit donc aussi s’y appliquer, de la même façon qu’elle s’applique en classe, de la même façon qu’elle s’applique dans le gymnase ou la salle municipale accueillant les activités d’éducation sportive.
Cette proposition de loi est également la suite logique des récentes évolutions jurisprudentielles, qui tendent vers toujours plus de neutralité des parents d’élèves.
En juillet dernier, la cour administrative d’appel de Lyon a admis la légalité d’un règlement intérieur imposant la neutralité religieuse à toute personne, y compris les parents d’élèves, intervenant dans une classe pour participer à des activités assimilables à celles des enseignants.
Par ailleurs, si le Conseil d’État estime que les parents d’élèves ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité religieuse, il a toutefois précisé que le chef d’établissement peut leur recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leur croyance religieuses. Cette situation entraîne des décisions différentes d’un établissement scolaire à l’autre, au grand dam des parents d’élèves et des élus locaux.
Le droit actuel et l’ambivalence du Gouvernement sont sources de polémiques et de tensions, comme l’ont récemment montré les affiches de campagne de la FCPE, la Fédération des conseils de parents d’élèves, défendant le droit pour les mères voilées de participer à des sorties scolaires.
Monsieur le ministre, alors que plusieurs de vos collègues ont multiplié les prises de position contradictoires – ce sont les limites du « en même temps » –, votre gouvernement doit sortir de l’ambiguïté. Les Français vous le demandent, puisque 66 % d’entre eux sont favorables à cette proposition de loi.
Mes chers collègues, la laïcité que nous défendons n’est en aucun cas l’expression d’un sentiment antireligieux. C’est, au contraire, la liberté et la tolérance pour tous.
Jacques Chirac affirmait en 2003 que le débat sur la laïcité renvoyait « à notre cohésion nationale, à notre aptitude à vivre ensemble, à notre capacité à nous réunir sur l’essentiel ». Seize ans plus tard, la loi a juste besoin de clarté, et ce texte en apporte.
Deux questions, mes chers collègues : la neutralité religieuse à l’école a-t-elle été pensée pour protéger les enfants ou les murs de l’établissement ? La sortie scolaire est-elle du temps scolaire ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon se joint à ces applaudissements .
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, si un Huron arrivait au sein de la Haute Assemblée à ce stade de notre débat, son premier constat serait qu’un principe unit tous les orateurs, sur l’ensemble des travées : c’est le principe de laïcité.
Chacun et chacune ont dit que la laïcité était fondamentale. Cela n’a pas été le cas à tous les moments de notre histoire.
Le fait que ce socle d’union existe est, à mes yeux, un atout considérable. Considérons-le comme un trésor, et voyons-le, le plus possible, comme un outil de concorde nationale.
D’autres thèmes abordés au cours de cette discussion sont, à mon sens, tout aussi consensuels : voyons-les, eux aussi, comme autant de trésors. Tous les orateurs ont rappelé que la lutte contre le communautarisme était essentielle ; bien entendu, ils en ont dit autant de la lutte contre la radicalisation, et pratiquement tout le monde considère qu’il ne faut pas confondre l’ensemble de ces sujets.
Je tiens à rappeler tous ces éléments : il est important de montrer aux Français que, en réalité, la représentation nationale repose sur notre contrat social, qui constitue son socle essentiel.
Notre sujet n’est donc pas le « pourquoi » – nous sommes, j’en suis persuadé, pratiquement tous d’accord sur ce point, et donc sur la base du contrat social –, mais le « comment » : par quels chemins arriverons-nous à une laïcité effective, en luttant contre le communautarisme et la radicalisation, pour une République de citoyens égaux ?
Sur chacun de ces points – je tiens à le redire –, j’ai mené depuis deux ans et demi des actions extrêmement concrètes. Personne ne peut donner d’exemples plus concrets d’initiatives prises, en la matière, pendant les quinze ou vingt dernières années…
À part la loi de 2004, je vous l’accorde bien volontiers. Mais, depuis cette date, rien d’aussi important n’a été fait dans la lutte contre la radicalisation, dans la lutte contre le communautarisme et pour une laïcité effective.
Dès lors, la question est la suivante : cette proposition de loi va-t-elle nous aider à atteindre nos objectifs communs ? Certains pensent que oui, d’autres pensent que non. Pour ma part, je vous l’ai dit, ma réponse est non, et ce non – je tiens à le dire, car il s’agit presque d’une question d’honneur –, c’est la réponse que je donne depuis deux ans et demi.
D’ailleurs, monsieur Pemezec, il y a quelques instants, vous m’avez attribué une citation que je qualifierai d’apocryphe. Je ne sais pas comment les débats sont retracés, …
… mais vous avez fait de mes propos une sorte de résumé qui n’en est pas un : je n’ai jamais dit une chose pareille.
J’ai toujours dit que le droit actuel nous permettait d’agir d’une manière pertinente. C’est pourquoi, aujourd’hui, je considère que cette proposition de loi serait contre-productive, au regard d’objectifs que, par ailleurs, nous approuvons tous : la lutte pour la laïcité, contre le communautarisme et contre la radicalisation.
Bien entendu, il faut respecter les visions différentes, la pluralité de chemins conduisant au même but. Mais, comme l’a dit Mme Rossignol, il faut être très attentif à l’importance des mots.
Il est difficile d’être subtil et équilibré sur ces questions aujourd’hui : celui qui vous parle est bien placé pour le savoir. Lorsque j’ai dit « pas interdit, mais pas souhaitable », j’ai résumé l’état du droit actuel et j’ai résumé ce qu’ensuite Robert Badinter a dit. Il est bien normal que vous ayez plus de révérence pour les paroles de Robert Badinter que pour les miennes, mais en réalité ce sont les mêmes !
Sourires.
Au fond, nous avons formulé un rappel de bon sens, que presque tous les Français approuveraient sans doute si l’on prenait le temps de consacrer un débat apaisé à ces questions. Certains sujets relèvent de la loi et d’autres n’en relèvent pas, même si nous pouvons nous accorder à dire que les signes ostentatoires ne sont pas souhaitables lors des sorties scolaires.
Ce qui est très important aujourd’hui, c’est que notre action nous permette d’aller vers une laïcité du quotidien et de faire reculer le communautarisme. Ce dernier a progressé, c’est exact, non seulement dans les espaces, mais aussi dans les esprits : je suis le premier à le dire, à le déplorer et à me battre contre. Je tiens à le dire : le communautarisme a notamment progressé dans l’esprit de certaines de nos élites – je l’ai largement observé ces derniers temps. La lutte contre le communautarisme et contre la radicalisation est bel et bien un sujet essentiel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à revenir sur ces points, car nous avons besoin d’être clairs. Nous avons également besoin d’être efficaces : puisque nous visons tous les mêmes objectifs, pesons nos points de vue et évaluons nos analyses à l’aune de l’efficacité. Ce que nous faisons nous permet-il d’atteindre l’objectif fixé ? J’ai donné ma réponse ; chacun a la sienne. Mais c’est en conscience que nous devons donner l’image d’une France qui, en réalité, est unie sur l’essentiel, donc sur son contrat social, où la laïcité occupe une place centrale !
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Indépendants et SOCR.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
I. – Le troisième alinéa de l’article L. 111-1 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les personnes qui participent au service public de l’éducation sont également tenues de respecter ces valeurs. »
II. – Après le premier alinéa de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La même interdiction s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et établissements publics locaux d’enseignement. »
Avec l’article 1er, nous abordons le cœur de cette proposition de loi, et je tiens à remercier M. le ministre de ses propos qui apaisent le débat en le plaçant au bon niveau. Je souhaite en faire autant, en tant que rapporteur de ce texte. D’ailleurs, tout au long des travaux de la commission, je me suis efforcé de centrer cette proposition de loi sur l’école.
À ce titre, il faut garder en tête la manière dont l’école publique s’est construite ; il s’agit d’une histoire très particulière, d’une histoire française, …
… que l’on ne retrouve pas dans les autres pays d’Europe.
Monsieur Assouline, la gauche y a pris sa part, mais elle n’a pas été la seule : peu à peu, un vrai consensus s’est construit dans notre pays, en faveur de cette école publique, de cette école laïque, de cette école où l’on n’affiche pas ses croyances.
M. David Assouline manifeste sa circonspection.
Mes chers collègues, la seule chose inscrite dans cet article, c’est la volonté de poursuivre le travail du législateur. En 2004, le législateur a fait du service public de l’éducation un service public particulier, où l’usager est soumis au principe de neutralité, alors que, dans les autres cas, seuls les agents du service public sont tenus de l’observer.
Dans le droit fil des pères fondateurs de l’école, le législateur a exigé, à l’école, une neutralité particulière. En essayant de sortir de cette période un peu tendue, de ce brouhaha médiatique et politique qui entoure nos débats, nous vous demandons tout simplement de parachever le travail, en considérant qu’un accompagnant participe à une activité d’enseignement, et uniquement à une activité d’enseignement.
Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit – et, personnellement, je m’y refuse absolument ! En revanche, même si l’on peut diverger sur ce point, il s’agit de considérer que la sortie scolaire, c’est la classe, la classe hors les murs, et que l’école hors les murs doit être protégée tout autant que l’école dans les murs.
Aussi, au cours de cette discussion, restons centrés sur l’école ; pensons aux sorties scolaires et protégeons ce temps d’activité pédagogique !
Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.
N’est-il pas de bon sens que les personnes participant au service public de l’éducation, pour des activités liées à l’enseignement dans les établissements ou en dehors d’eux, soient également tenues de respecter ses valeurs, comme l’indique le texte de l’article 1er ?
Dans notre société, de plus en plus fracturée par le fléau du repli communautariste, par les tentations du huis clos technologique ou de l’entre soi sociologique, « faire Nation » apparaît bien compliqué. Si « vivre ensemble » est devenu un slogan, c’est en fait désormais surtout un objectif, car ce n’est malheureusement plus une évidence. Or il est un lieu où l’on peut semer et faire germer les valeurs de la République, qui nous unissent ; un lieu où l’on transmet le savoir, où l’on ancre des valeurs, où les consciences se construisent, s’épanouissent et s’émancipent ; un lieu qui doit être protégé, préservé, sanctuarisé : c’est l’école de la République, véritable pré carré de la genèse citoyenne, libre et indépendante.
Si c’est la République qui a instauré l’école moderne gratuite et obligatoire, c’est l’école qui a fortifié la République. Toutes deux sont indissociables, consubstantielles. Or, dès l’origine, cette école s’est voulue laïque, donc neutre, d’abord parce qu’elle entendait respecter tous ses enfants – ceux dont les parents croyaient au ciel et ceux dont les parents n’y croyaient pas.
Remercions d’ailleurs notre rapporteur pour ses rappels juridiques et historiques, précis et précieux : mieux vaut savoir d’où l’on vient pour ne pas se perdre.
Le combat pour la laïcité a une histoire jalonnée de débats et de fièvres. On a évoqué les lois de 1882, de 1886 et de 1905 : personne aujourd’hui n’en conteste la légitimité ou l’utilité. On a aussi mentionné la loi de 2004, relative à l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les élèves : personne non plus ne la remet désormais en cause, bien au contraire. Or ce texte fut précédé de quinze ans de controverses et de polémiques nées, notamment, après l’affaire du collège Gabriel-Havez de Creil, dans le département de l’Oise, dont Jérôme Bascher et Laurence Rossignol sont, comme moi, les élus.
Relisez les articles d’alors : vous serez surpris par leur actualité. À l’époque, certains refusaient la perspective de légiférer, sous prétexte de « stigmatisation ». On nous annonçait même que certains établissements scolaires allaient se vider de leurs élèves ! Il n’en a rien été : au contraire, cette loi a permis de retrouver un débat plus serein.
L’école admet toutes les fois, toutes les croyances, pour peu qu’on ne les montre pas.
M. Olivier Paccaud. C’est valable pour les enseignants, pour les personnels administratifs et techniques et pour les élèves. Pourquoi ne le serait-ce pas pour les parents ?
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’avez dit à plusieurs reprises : le voile n’est pas anodin. Sur ce sujet, je me permettrai de vous donner quelques éléments purement factuels, avec la double distance que me donnent mon statut d’historien et ma qualité d’athée – sans porter de jugement de valeur.
Dans les trois religions du Livre, les religions juive, chrétienne et musulmane, le voile est la manifestation vestimentaire d’une position particulière de la femme au sein de la société.
( M. Pierre-Yves Collombat rit.) Vous trouverez cela dans le volume 424 des Sources chrétiennes.
M. Pierre Ouzoulias brandit l ’ ouvrage en question.
Tertullien, l’un des premiers catéchètes de la foi chrétienne, écrivait ainsi à l’intention des femmes, dans son ouvrage Le Voile des vierges : « Qu’elles sachent que tout est féminin dans une tête de femme ; […] tout ce que les cheveux dénoués peuvent recouvrir, voilà le domaine du voile, de façon qu’il enveloppe aussi la nuque. C’est la nuque en effet qui doit être soumise, elle à cause de qui la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion. Le voile est son joug – Velamen iugum illarum est. » §
Dans son travail d’histoire religieuse dédié au voile, Rosine Lambin montre que le christianisme est le premier monothéisme qui a construit la théorie religieuse de la morale de la coiffure féminine. Elle conclut ainsi : « Le voile des femmes est de souche méditerranéenne, donc à la fois occidental et oriental. […] C’est l’occident chrétien qui a institué religieusement le voile. »
Je ne crois pas qu’il nous appartienne de légiférer en matière théologique…
… et ce n’est pas à nous de décider ce que doit être la pratique religieuse des croyantes.
En revanche, dans notre travail législatif, seules comptent les lois que nous nous donnons à nous-mêmes : il n’y a rien au-dessus qui puisse nous être imposé.
Chers collègues, nous aborderons bientôt le projet de loi relatif à la bioéthique et il faudra s’en souvenir !
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ainsi que sur ces travées du groupe SOCR.
Le débat de cette après-midi illustre toute la complexité du rapport que nous avons, nous Français, avec la religion. N’en déplaise à certains, les racines de notre pays sont judéo-chrétiennes : c’est notre héritage commun.
Il a fallu des siècles pour établir le Concordat, un siècle de plus pour séparer l’Église de l’État, puis pour affirmer ce concept de laïcité auquel nous sommes tous très attachés, j’en suis convaincu.
On trouve bien quelques laïcards aigris qui voudraient pouvoir effacer totalement cette référence chrétienne, comme une sorte de revanche sur l’histoire.
Protestations sur des travées du groupe SOCR.
Rappelons que la religion musulmane n’oblige personne à porter en permanence un voile ou un foulard sur la tête. Ce bout de tissu est devenu un emblème politico-religieux pour ceux qui veulent défier la République, pour ceux qui veulent afficher comme une évidence la soumission de la femme.
Ce bout de tissu, comme d’autres, est tout sauf insignifiant. Faut-il que nous soyons à ce point aveugles, face aux références historiques qui ont été rappelées, pour refuser d’encadrer a minima tout ce qui concourt au service public ? Faut-il que nous soyons à ce point irrationnels pour ne pas même admettre que les activités qui se déroulent sur le temps scolaire sont des activités scolaires ?
Monsieur le ministre, vous l’avez dit il y a quelques instants : « L’enfant a besoin d’un cadre de neutralité. » Alors, étendons à ces temps l’interdiction de signes ostensibles, dans le prolongement de la loi de 2004.
Mes chers collègues, il y a une solution finalement assez simple au problème qui nous est soumis aujourd’hui : demandons aux accompagnants de ces sorties scolaires d’enlever, pour quelques heures, ce bout de tissu. Cela ne les privera nullement d’exercer librement leur religion comme notre Constitution le leur garantit !
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Pourquoi donc cette proposition de loi ? Sommes-nous submergés – je pèse mes mots – par des incidents à caractère prosélyte et antirépublicain lors des sorties scolaires ? Les auteurs du texte qui nous intéresse aujourd’hui n’instrumentalisent-ils pas plutôt le mot de laïcité au profit d’un calcul politique ?
Bien sûr, il y a des phénomènes de radicalisation dans notre pays, …
… qu’il s’agisse de l’islam ou d’autres religions. Mais les prédateurs qui rejettent notre modèle républicain peuvent se réjouir de l’émergence d’une société de prohibition, d’interdiction et d’exclusion, qui ne fera que renforcer les extrêmes.
On ne répond pas à une vision totalitaire de la société par l’instauration d’une intolérance institutionnelle vécue comme une humiliation.
La loi de 1905 sanctuarise une séparation entre les Églises et l’État, pas entre les Églises et la société. Le choix de convoquer cette loi, d’invoquer la laïcité, comme le fait aujourd’hui une partie de la droite sénatoriale, ne laisse pas de m’interpeller : la même sensibilité politique s’est farouchement opposée au grand service public laïque et unifié de l’éducation nationale ;…
Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.
M. Patrick Kanner. … ou, plus récemment, lors de l’examen du projet de loi Égalité et citoyenneté, à l’autorisation administrative préalable pour ouvrir une école privée ; et, plus récemment encore, à l’inscription de l’Église dans le répertoire des influenceurs.
M. Jean-Noël Guérini proteste.
Permettez-moi de m’étonner devant cette laïcité à géométrie variable : la laïcité ne se défend pas de manière occasionnelle !
L’unité de la Nation doit être notre préoccupation prioritaire, dans ces temps où les forces centrifuges minent notre modèle de société ; mais l’unité de la Nation ne peut être rabaissée à une uniformité mettant à mal ce que Jean-Paul Delevoye appelle très justement « le prosélytisme de l’empathie et de l’altérité », que je considère comme un fondement de l’intégration républicaine.
Sachons méditer cette belle maxime d’Armand-Jean du Plessis, plus connu sous le nom de Richelieu : « La politique, c’est l’art de rendre possible le nécessaire. » Le présent texte n’est pas nécessaire, et nous voterons contre !
Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à vous décrire aujourd’hui le moment que nous avons vécu au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Je ne reviendrai pas sur le fond ou sur la forme de l’intervention qui a déclenché l’incident, mais sur des circonstances qui illustrent l’ambiguïté totale dans laquelle nous nous trouvons, par rapport à la législation.
Les images diffusées sur les réseaux sociaux ne montrent pas le vrai moment : le moment où, dans l’assemblée, plus personne ne sait où l’on en est. La présidence ne suspend pas la séance, elle ne contredit pas l’intervenant. On voit des conseillers régionaux en venir aux mains, d’autres courir pour s’emparer des appareils photo de ceux qui viennent de les photographier, etc. Il a fallu un très grand nombre de minutes pour que nos travaux reprennent, le tout – j’y insiste – sans que la séance ait été suspendue.
Au moins, ce débat aura pour utilité de nous éclairer quant à l’état du droit aujourd’hui, car, à mon sens, celui-ci n’était pas clair. §Je ne reviendrai pas sur la dernière intervention de M. le rapporteur, qui, pour moi, était parfaite. Cela étant, je risquerai un parallèle.
Monsieur le ministre, dans son avis du 27 novembre 1989, rendu après l’affaire des filles de Creil, que dit le Conseil d’État ?
Si, mon cher collègue, il dit tout de même quelque chose : on a le droit de porter le voile, mais, sous certaines réserves, les directeurs d’école peuvent l’interdire.
Hier, il s’agissait des filles de Creil, aujourd’hui, il s’agit des accompagnantes. Mais qui reviendrait sur la loi de 2004, laquelle a mis fin à cette ambiguïté pour les élèves ? Entre-temps, l’un de vos prédécesseurs, M. Bayrou, a dit non au voile à l’école, par la voie d’une circulaire et contre l’avis du Conseil d’État. Il a fallu une loi pour clarifier la situation.
Aujourd’hui, nous sommes exactement dans cette situation : nous avons besoin d’un texte qui clarifie, qui rende service aux directeurs d’école, qui facilite la tâche pour tout l’encadrement de l’éducation nationale. Quand vous-même dites : « Ce n’est pas interdit, mais ce n’est pas souhaitable », on devine votre embarras !
La proposition de loi que nous vous présentons aujourd’hui n’est pas un texte révolutionnaire.
Elle ne fait que boucler la boucle de la laïcité dans nos établissements scolaires. Je le dis aux uns et aux autres : ne partons pas dans de grandes leçons au sujet de la laïcité !
M. Alain Joyandet. À mon sens, il s’agit d’une simple précision et, pour avoir vécu ces situations de l’intérieur, j’en suis persuadé : cette précision législative pourra ramener le calme dans nos établissements et dans nos assemblées !
Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.
Mme Esther Benbassa. Cette proposition de loi n’est pas le premier texte à s’en prendre aux mères accompagnatrices voilées. La droite va mal, son mauvais score aux élections européennes le confirme.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
En cette veille de municipales, elle cherche à mordre sur les plates-bandes de l’extrême droite, dans l’espoir de grappiller des voix.
En France, 35 % des musulmanes seulement portent le voile : le chiffre est modeste au regard la réprobation que le fait suscite chez certains. Il n’y a pas de quoi alarmer la population !
D’ailleurs, selon un récent sondage, la lutte contre l’islamisme, souvent confondu avec l’islam, n’intéresserait que 56 % des Français, la santé et la lutte contre le chômage venant largement en tête.
Voilà donc une droite faisant mine de lutter contre l’islamisme en enlevant leur voile aux mères accompagnatrices, quand d’autres, dignes héritiers de la vision paternaliste des colonisateurs d’antan, …
Protestations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.
Mme Esther Benbassa. … prétendent les émanciper des chaînes de l’oppression masculine musulmane.
Brouhaha.
Marqueur identitaire pour beaucoup de femmes dans une France peinant à les intégrer, le voile est certes utilisé par des intégristes comme un signe de ralliement. Mais, heureusement, le libre arbitre est encore la règle : 70 % des musulmanes y seraient favorables, …
… sans avoir obligatoirement à le porter.
Seule une laïcité inclusive nous mènera à l’intégration. La stigmatisation engendre le désordre en brisant la cohésion sociale. Occupons-nous plutôt des femmes battues et assassinées par leurs compagnons, de nos 9 millions de pauvres, ou encore du chômage, et luttons sérieusement contre la radicalisation avec un programme construit et de long terme !
Nous débattons aujourd’hui de l’interdiction de la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse, dès lors que la personne participe à une activité liée à l’enseignement : peu importe si cette dernière a lieu dans l’établissement scolaire ou en dehors.
Les lignes de fracture sont nombreuses : nous l’avons largement entendu au cours de la discussion générale. À cet égard, je fais mienne l’analyse livrée par M. le rapporteur et par mes collègues. Toutefois, il me semble déterminant que notre débat ne se focalise pas sur le port du voile, car il existe d’autres signes religieux susceptibles de provoquer des situations conflictuelles lors des sorties scolaires.
Je pense notamment à une problématique face à laquelle nous serions, me semble-t-il, très démunis. Prenons le cas d’une sortie scolaire au cours de laquelle une baignade est organisée dans un parc aquatique, sur un lac ou à la plage. Imaginons qu’une accompagnante arrive vêtue d’un burkini : en l’absence d’une législation portant sur la neutralité religieuse, quelle sera la réaction des enseignants face au port de cette tenue, qui est un signe religieux manifeste ?
La question du port du burkini a été largement relayée durant l’été. Le Gouvernement ne souhaite pas réellement traiter ce sujet, ce que je regrette : il me semble important que ce sujet ne soit pas instrumentalisé dans le cadre des sorties scolaires. Ainsi, l’on évitera toute dérive communautaire dans le cadre des sorties scolaires, mais aussi lors des activités liées à l’enseignement, que ce soit dans les établissements ou au-dehors.
Pour ces raisons, je soutiendrai le présent texte !
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
En préambule, je tiens à dire que je souscris, à la virgule près, aux propos prononcés il y a quelques instants par Laurence Rossignol.
Nous sommes pris dans une mâchoire, et l’on ne peut pas nier que ce débat est le symptôme du climat qui règne dans le pays.
À l’évidence, nous sommes face à une manœuvre politique. Il ne s’agit pas de régler un problème concret qui nous empêcherait de vivre ensemble. Personne ne peut dire aujourd’hui que, sur le front de la laïcité, le problème en milieu scolaire, ce sont les accompagnatrices : c’est, avant tout, le fait qu’un nombre croissant d’enfants soient retirés du système scolaire, pour être éduqués à domicile ou envoyés dans des écoles qui ne sont même pas déclarées, et où on les endoctrine. Réfléchissons aux moyens de lutter contre cela !
Et puis, mes chers collègues, y a-t-il oui ou non une montée du racisme antimusulman dans ce pays ?
Sommes-nous donc les seuls à le voir ? Non !
Quand M. Zemmour peut s’exprimer en direct sur LCI ;…
M. David Assouline. … quand M. Zemmour a pignon sur rue ; quand on permet à M. Zemmour de chroniquer dans la presse française tranquillement, alors qu’il a été condamné pour incitation à la haine religieuse et que le racisme est, non une opinion à débattre, mais un délit ; quand on est dans cette situation, on doit s’interroger sur l’opportunité des débats !
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
… et, aujourd’hui, je reste Charlie ! Je le répète, ceux qui ont été tués le 7 janvier étaient mes amis ! Mais regardons l’histoire de ce pays et celle de cet hémicycle : qui s’est battu pour la loi de 1905 ?
Relisez les débats !
À l’inverse, qui a été soutenu massivement par Sens commun, lors d’une campagne électorale qui a mobilisé l’Église et tout le réseau privé catholique
Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.
M. David Assouline. … pour aller à l’encontre du mariage homosexuel, après avoir lutté contre le droit à l’avortement ? Qui ?
Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.
Mouvements divers. – Oh là là ! sur des travées du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, dans le cadre de cette proposition de loi, on parle beaucoup des femmes voilées, mais on ne parle pas du tout des enfants.
On dit que les femmes voilées ont des droits. Mais, lors des déplacements scolaires, trouvez-vous normal que vos enfants ou vos petits-enfants, qui, je l’espère, ne sont pas habitués à côtoyer l’obscurantisme voilé, soient encerclés par des femmes voilées qui font du communautarisme ?
Les enfants sont des usagers du service public : en cette qualité, ils ont le droit de ne pas être confrontés au prosélytisme communautariste.
J’ajoute qu’ils sont plus fragiles que les adultes !
On s’apitoie sur le sort de cette mère de famille : « La pauvre, quelle misère ! » Mais elle n’avait qu’à ne pas mettre son voile, elle n’aurait pas eu de problème : c’est tout ! La question était réglée.
Je le répète, est-ce que l’on pense aux enfants ?
M. Jean Louis Masson. On pourrait choisir n’importe qui pour les accompagner lors des voyages scolaires : pourquoi pas les sorcières d’Halloween, tant qu’on y est ?
Exclamations et protestations diverses.
M. Jean Louis Masson. C’est scandaleux ! Nos enfants ne doivent pas être pollués par ce type de prosélytisme. Ce n’est pas à nous de nous aligner sur les communautaristes ; c’est aux communautaristes qui vivent chez nous de s’aligner sur notre société ! Et, s’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à retourner d’où ils viennent !
Huées sur des travées du groupe CRCE.
Quelle lourde responsabilité pour la majorité sénatoriale : elle a donné la parole aux extrêmes – on vient de l’entendre –, créé l’amalgame, clivé, divisé et stigmatisé. Nous n’avons pas besoin de cela et, par définition, nous n’avons pas besoin d’une loi inutile !
Au passage, je note que l’on s’en prend toujours aux mêmes : aux mamans, aux femmes. Mais pourquoi parler d’un sujet qui n’existe pas ? Pourquoi parler d’un non-problème ?
Chers collègues de la majorité sénatoriale, je vous pose la question : de quoi avez-vous peur ? Les valeurs de la République ne vous suffisent-elles plus ? Pourtant, la laïcité, c’est la liberté ; la laïcité, c’est l’égalité ; la laïcité, c’est la fraternité. La loi de 1905 assure ces valeurs, un point c’est tout.
Souvenons-nous des mots prononcés par Aristide Briand avant le vote de la loi de 1905 : « La réforme que nous allons voter laissera le champ libre à l’activité républicaine pour la réalisation d’autres réformes essentielles. »
Alors, passons à l’essentiel et parlons des vrais problèmes, c’est-à-dire l’urgence climatique, la santé, la précarité, la pauvreté qui augmente, avec plus de 9 millions de personnes touchées, les services publics qui ferment, nos biens communs qu’on abandonne. Mais peut-être ne voulez-vous justement pas en parler ?
Je citerai, pour conclure, une poésie de Brigitte Fontaine qui résume selon moi ce texte d’opportunité :
« Le voile à l’école
Frivoles paroles
Le voile à l’école
Folles fariboles ».
Faut-il donc en faire, à chaque réveillon, un plat que nous sert la télévision ?
M. Pierre Laurent applaudit.
Mes chers collègues, je voudrais faire deux remarques.
Premièrement, certains de nos collègues pensent calmer les esprits avec ce type de proposition de loi. Or rappelez-vous la dernière fois où l’on a voulu régler définitivement le problème de la laïcité : c’était à l’époque du projet de grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale, le SPULEN, qui a mis une bonne partie de la France dans la rue. Peut-être n’étiez-vous pas du même côté qu’aujourd’hui lors de ces manifestations ? Il faut donc toucher à ce sujet avec beaucoup de précaution !
Deuxièmement, on nous « bassine » – passez-moi l’expression ! – avec le service public de l’éducation nationale. Il s’agit certes d’un service public, mais c’est aussi plus que cela.
Ce n’est pas un service public comme celui de l’eau ou du gaz…
C’est une ardente obligation et la condition nécessaire pour faire des esprits républicains, c’est-à-dire des esprits libres, capables, quoi qu’ils pensent, de se faire leur propre idée sur tout.
C’est cela, faire des consciences libres ! Voilà pourquoi on a procédé notamment à la laïcisation des personnels enseignants.
J’aimerais que l’on m’explique en quoi la présence d’une mère lors d’une sortie, et non entre les murs de l’école, qui a été sollicitée pour accompagner les enfants, et dont les cheveux sont masqués conformément aux préceptes de Tertullien, serait une atteinte à ce principe de formation des consciences libres. C’est se moquer du monde !
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.
Puisque la présente proposition de loi tend « à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation », devons-nous considérer le poutou ou le kishali, que toutes les femmes mahoraises ou comoriennes portent sur la tête, comme des signes de distinction religieuse ?
Dieu sait, monsieur le ministre, si ces femmes demandent que l’on construise sur leur territoire, à Mayotte, des écoles de la République française pour que leurs enfants puissent recevoir l’enseignement que la République leur doit !
Considérons-nous, encore une fois, que le poutou porté par les Tamouls à la Réunion ou dans d’autres territoires par des personnes qui sont françaises, est un signe de distinction religieuse ?
Je comprends la proposition de loi. Je vous le dis très sincèrement, je vis sur un territoire français, le département de la Réunion, où toutes les cultures, toutes les religions, coexistent de manière pacifique. On a pu y voir, voilà quelques semaines, l’évêque remettre les insignes de la Légion d’honneur à un imam, et ce dans l’esprit de la République.
Je préfère que les femmes qui portent ce petit foulard ne soient pas assignées entre leurs murs, comme si elles n’appartenaient pas à la République, et qu’on ne les oblige pas à rester chez elles. En effet, dans ce cas, les enfants ne les reconnaîtraient pas comme faisant partie du système scolaire, tandis que, dans le même temps, on reconnaît un homme qui porte dans l’espace public ce qu’on appelle chez nous le bazou.
La mère de famille est un usager, même quand elle accompagne son enfant. Je connais la tolérance de notre collègue, et je ne doute pas un seul instant qu’elle nous soumet cette proposition de loi dans un esprit républicain.
Je vous le dis sincèrement, nous allons à contre-courant de ce que la République nous demande de faire en poussant ces femmes dans leurs retranchements.
Mme Nassimah Dindar. S’il faut lutter contre le radicalisme, et je suis bien consciente qu’il faut le faire, ce n’est ni en mettant la République et l’école sur le devant de la scène, ni en séparant les élèves ou les parents qui les accompagnent.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM, SOCR et CRCE.
Cela a été dit précédemment, le Conseil d’État, interrogé par le Défenseur des droits pour obtenir des clarifications sur le statut des accompagnateurs, a constaté, « à travers les réclamations reçues, que beaucoup d’incertitudes demeurent quant au champ d’application de ce principe de laïcité ». Il n’est donc pas illégitime de légiférer.
Pour autant, j’ai du mal à comprendre la position du Conseil d’État, que vous avez fait vôtre, monsieur le ministre, au prix de quelques contorsions, lorsqu’il énonce que les parents ont le statut de simples « usagers », n’exercent pas une mission de service public de l’éducation et ne seraient donc pas soumis au principe de neutralité, issu de la laïcité.
Il ne saurait être question de faire peser sur les directeurs la responsabilité d’interpréter les modalités applicables à ces accompagnants différemment selon les établissements ou selon le contexte. Cela doit en effet, à mon sens, relever de la loi, c’est-à-dire de la règle commune, sauf à s’engager sur la voie des accommodements déraisonnables, de surcroît quand il s’agit de l’école, et à aller contre une partie de notre héritage républicain.
C’est notre singularité, je crois, qui est précisément vilipendée parfois par les instances anglo-saxonnes qui, elles, ont fait le choix de reconnaître une forme de communautarisme. Or c’est l’honneur de notre histoire nationale que de faire de l’école un lieu sanctuarisé, dévolu à la transmission et protégé contre toute intrusion idéologique ou religieuse par le principe de neutralité religieuse.
Je ne crois pas qu’il faille que notre pays s’aligne peu à peu, d’accommodement en accommodement, sur le modèle de sécularisation qui prévaut dans d’autres pays européens, c’est-à-dire sur la laïcité libérale qui, au nom d’une conception dévoyée de la tolérance, laisse une place aux influences religieuses, quelles qu’elles soient, dans les lieux ou dans le temps de l’école.
L’école en dehors de l’école, à travers les sorties pédagogiques, c’est encore l’école !
Robert Badinter n’a pas dit autre chose sur la valeur de cette laïcité, qu’il a récemment qualifiée de « grande barrière contre le poison du fanatisme religieux ». Il a ajouté : « L’idée que l’on doit respecter l’autre signifie aussi que l’autre doit vous respecter. »
Il convient par conséquent de donner aux collaborateurs occasionnels du service public de l’éducation un statut spécifique, en fixant clairement leurs obligations et en tirant les conséquences de leur participation au temps pédagogique du point de vue du principe de neutralité, issu de notre laïcité.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a, d’un côté, le texte – je ne reviendrai pas sur notre opposition, Pierre Ouzoulias en ayant présenté les principales raisons – et, de l’autre, le contexte.
J’ai un différend avec M. le rapporteur, qui nous invite à ne pas tenir compte de ce contexte. Or on ne peut en faire fi !
Sans remonter à l’épisode de Creil que citait notre collègue, considérons ce qui s’est passé au cours des dernières semaines. Il y a d’abord eu la convention de l’extrême droite organisée par Marion Le Pen, Zemmour et compagnie, lesquels ciblent nos compatriotes musulmans comme un ennemi de l’intérieur. Puis l’agression verbale par un élu du Rassemblement national d’une femme qui donnait de son temps pour accompagner des enfants lors d’une sortie scolaire destinée à leur faire comprendre nos institutions. Je peux dire qu’il s’agit là de radicalité républicaine ! Et, hier, un attentat islamophobe a été orchestré par un individu, ex-candidat du Rassemblement national aux élections départementales.
Le climat est malsain et délétère à l’encontre de nos compatriotes de confession musulmane, en particulier les femmes qui portent le voile. Voilà le contexte !
On observe, en outre, une orchestration et une libération de la parole islamophobe, de la parole publique de l’extrême droite et d’une partie de la droite, et ce avec le soutien des médias. Un éditorialiste a tout de même comparé le voile à l’uniforme SS ! Un autre a dit qu’il quittait le bus dans lequel il était monté lorsqu’il y avait une femme voilée !
Sourires.
Nous en sommes arrivés là !
Il faut arrêter cette stigmatisation parce qu’elle renforce le communautarisme que vous êtes censés vouloir combattre. Ce sont les deux côtés de la même pièce ! Cette haine et ce rejet de l’autre renforcent la stigmatisation, le repli sur soi et le communautarisme.
Il faut donc parler d’une voix claire et forte. Liberté, égalité, fraternité, tel est évidemment notre combat commun, mais c’est une autre question.
À la société de vigilance, qui conduit à une société de délation, je préfère une société de la confiance et du vivre ensemble qui veut aller vers un monde de paix !
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quelques décennies, la question du port du voile par des femmes accompagnatrices lors de sorties scolaires ne se posait pas. Aujourd’hui, malheureusement – on ne peut pas dire le contraire ! –, ce prosélytisme religieux prospère et de nombreuses femmes sont obligées de se voiler, même s’il est vrai que certaines choisissent de le faire.
J’ai trop vu, lorsque j’étais enseignante, des jeunes filles habillées à l’européenne être du jour au lendemain contraintes – ce sont elles qui me le disaient – de s’habiller avec des vêtements les couvrant de la tête aux pieds !
L’école de la République, dont vous êtes le garant, monsieur le ministre, et dont nous sommes tous ici les garants, doit rester gratuite, mixte, mais aussi laïque. Il est question ici non pas, bien sûr, de stigmatiser qui que ce soit, mais bien au contraire de garantir cette laïcité que vous avez tous défendue, mes chers collègues, lors de la discussion générale.
C’est pourquoi je voterai sans hésiter ce texte qui donne un cadre et aide les directeurs d’école, bien souvent pris entre le marteau et l’enclume, entre des parents qui se fâchent en voyant des femmes voilées et des femmes voilées qui insistent pour accompagner les sorties. Il faut donner un cadre, surtout à l’heure où des femmes se battent, dans le monde, pour avoir la liberté de porter ou non le voile, et finissent en prison.
Nous sommes aujourd’hui les garants de la laïcité et nous devons permettre aux jeunes filles qui n’ont pas envie de se voiler de ne pas rentrer dans le carcan de ce prosélytisme.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Cet après-midi, nous faisions visiter le Sénat à des mamans de Marseille.
Cette visite était organisée depuis six mois. Ce sont les hasards du calendrier ! §Vous savez très bien que les visites ne s’organisent pas au pied levé, mais bien en amont ! Celle-ci avait donc lieu le jour de la présentation de cette proposition de loi.
Les enfants qui accompagnaient ces mamans m’ont dit qu’ils ne comprenaient pas de quoi l’on parlait. Il a fallu leur expliquer, monsieur le ministre, ce que l’on était en train de dire. « Pourquoi ils veulent du mal à ma maman quand elle nous accompagne ? », ont-ils réagi. §Oui, parce que c’est comme cela qu’ils le comprennent !
C’est ainsi que l’a compris également l’enfant qui s’est mis à pleurer, dans ce conseil régional, parce qu’on avait humilié sa mère en public !
Je vous assure que j’aurais eu les mêmes larmes aux yeux et la même peine si on avait humilié ma grand-mère de cette façon-là !
C’est vous qui faites du racolage auprès du Front national !
Où est la « douce France » de Charles Trenet, celle que nous chantions quand nous étions enfants ? Vous l’avez effacée pour laisser place à cette haine qui n’est pas la France, qui n’est pas la République et qui exclut, malheureusement, une partie des Français, lesquels ont aussi le droit d’exister.
Je veux répondre à Mme Goy-Chavent qu’il y a la liberté de ne pas porter le voile, mais aussi celle de le porter quand on choisit librement de le faire.
Interdire le voile, cela revient à reconnaître une conception de la liberté, un regard et un dress code qui vous conviennent, même s’ils ne conviennent pas aux autres. Prenez garde de ne pas devenir des extrémistes de cette liberté !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce que j’estime qu’on ne doit pas laisser les directeurs seuls pour décider d’accepter ou non les signes ostentatoires lors des sorties scolaires, parce que j’estime que ces sorties effectuées sur le temps scolaire doivent respecter le principe de neutralité, parce qu’il est utopique d’imaginer qu’un enfant de quatre, six ou huit ans est capable de discernement, et de faire la différence entre un accompagnateur et un intervenant, mais aussi parce que je crois à l’égalité entre les femmes et les hommes et que je n’oublie pas que, dans certains pays, des femmes risquent la mort, car elles refusent de porter le voile, et parce qu’aucune religion n’impose le port du voile, parce que parfois aussi – je dis bien : « parfois » ! – le voile est un signe de soumission à l’homme, …
… je voterai la proposition de loi de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio.
Je n’accepte pas non plus que l’actualité tragique nous pousse à nous dédouaner de nos responsabilités aujourd’hui.
Mme Annick Billon. Ce contexte ne doit pas nous empêcher d’adopter une position, comme nous l’avions fait lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance. Cette proposition de loi n’a pas créé le contexte !
Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle est la fonction première de la loi ? Protéger les plus faibles, les plus fragiles !
Or dans notre société, parmi les plus fragiles il y a, à l’évidence, les enfants, nous en sommes tous d’accord. C’est fort de ce constat que, depuis Jules Ferry jusqu’à aujourd’hui, tous ceux qui ont contribué à bâtir le système de l’école publique laïque l’ont composé de cette façon.
Parce que les enfants sont en croissance, le corps et l’esprit en évolution, ils ont besoin qu’on les protège.
Pour ma part, en cas de conflit d’intérêts entre un enfant et un adulte, je n’ai jamais hésité, j’ai toujours choisi l’enfant. Voilà pourquoi je voterai cette proposition de loi.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Ce que vient de dire notre collègue me stupéfie ! De quoi faut-il protéger les enfants ?
En quoi le fait de voir une femme voilée, ou toute autre personne pourtant un signe ostensible d’appartenance à une religion, quelle qu’elle soit, serait-il une maltraitance, provoquerait-il une souffrance ?
Je vous confirme, mon cher collègue, que dans nos quartiers, lors des sorties scolaires ou devant la porte des écoles, des enfants voient des femmes voilées et des hommes portant tel ou tel signe d’appartenance à leur religion. Mais attention, ne confondons pas tout ! Comme cela a été dit à plusieurs reprises, il y a le texte et il y a le contexte.
Or le contexte dans lequel nous sommes est extrêmement alarmant et, avec cette proposition de loi, vous donnez du grain à moudre à ceux que vous prétendez combattre !
L’école sert, entre autres, à apprendre la culture du respect et de la compréhension de l’autre. Non, porter le voile, ce n’est pas forcément faire du prosélytisme, cela peut être un choix personnel.
J’en ai d’ailleurs un peu assez que l’on parle des « mamans », ce que l’on ne fait nulle part ailleurs.
Mme Sophie Taillé-Polian. Ce sont des femmes libres, pour la plupart, de choisir.
Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.
Certaines de ces femmes font ce choix. D’autres, qui ne portent pas le voile, sont tout aussi asservies à leur domicile. J’aimerais que cesse ce féminisme de circonstance !
Exclamations sur les mêmes travées.
Mme Sophie Taillé-Polian. Nous saurons vous redire, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, notamment lors de l’examen du projet de loi de finances, à quel point vous n’êtes pas au rendez-vous de la lutte contre les féminicides et de l’égalité entre les femmes et les hommes !
Protestations sur les mêmes travées.
Je pense, quant à moi, que ces femmes sont, pour la plupart d’entre elles, des citoyennes qui font leur choix, que l’on soit d’accord ou non avec ce choix.
C’est à ce titre qu’elles interviennent au sein de l’école en tant qu’accompagnatrices, dans le cadre de leur choix personnel. En tant que parents, elles ont le droit de rester qui elles sont.
Je vais essayer de calmer les passions… On le voit, ce texte suscite de nombreux débats, tout comme la question du voile dans la société française. Mais nous pourrions, d’abord, regarder quels sont nos points communs, les points qui nous rassemblent.
Dans cet hémicycle, nous sommes tous favorables au principe de laïcité. Il faut qu’on se le dise, il n’y a pas à cet égard deux camps qui s’opposent, même si nous pourrons avoir des débats le moment venu.
Nous sommes tous favorables à la lutte contre le communautarisme et l’intégrisme, d’une part, et contre les identitaires, de l’autre. Parfois, les deux ont partie liée et s’organisent ensemble parce qu’ils ont, les uns et les autres, comme l’a dit Laurence Rossignol, une vision particulière de la société française. Nous sommes là pour les combattre.
Nous pouvons également nous dire que l’égalité entre les femmes et les hommes est un objectif partagé et soutenu sur toutes les travées.
Nous pouvons aussi convenir que la question de l’unité nationale est un bien précieux, et que la laïcité est un élément essentiel qui permet à tous de croire ou de ne pas croire, et à toutes les religions de notre pays d’exister.
Il existe par ailleurs dans notre société des forces, de diverses origines religieuses, qui souhaitent que leur dogme dépasse la République. Nous devons les combattre.
Cela étant dit – et je crois que nous sommes d’accord sur ces points –, on peut se demander pourquoi ce texte est présenté.
S’il s’agit du bien de l’enfant et de son développement, on pourrait décider que des personnels de l’éducation nationale participent à chaque sortie scolaire et l’organisent, auquel cas la question de la présence des parents serait totalement réglée.
S’il s’agit du port du voile, la question posée concerne le prosélytisme religieux, que nous combattons. Mais, dans ce cas, quelle sera la prochaine étape ? Après l’école, il faudra aller toujours plus loin…
Je préfère une société qui organise aujourd’hui un débat sur le vivre ensemble et sur la façon de faire vivre la laïcité au XXIe siècle. Pour ma part, je ne suis pas favorable à ce que l’on modifie la loi de 1905, car elle nous permettra parfaitement d’avancer.
Je considère que cette proposition de loi est un texte d’opportunité qui n’apporte pas de réponse et ne résout rien. Je m’y opposerai donc.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. François Patriat applaudit également.
C’est aussi simple que cela ! Le reste, c’est de la politique ou de la posture !
À titre personnel, si la question se posait, je voterais contre le principe d’une interdiction des signes religieux dans l’espace public. Or nous ne parlons pas de cela ! Le sujet est celui des sorties scolaires dans le cadre de la classe. Les règles doivent s’appliquer dans la droite ligne de ce que d’autres, avant nous, ont prévu dans les différentes lois relatives à l’espace scolaire – la classe, la cour – et aux intervenants. Il est logique d’appliquer les mêmes règles à l’extérieur de la classe, lorsqu’il s’agit de sorties dans le cadre scolaire.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne répéterai pas ce que j’ai déjà dit, mais j’aborderai la question de l’efficacité de la loi. Quelle serait en effet l’utilité d’un tel texte, à la lumière de tout ce que vous avez dit ?
La question de M. Joyandet permet de synthétiser plusieurs propos. Il a comparé cette proposition de loi avec la loi de 2004, dont je suis un très fervent partisan. Je l’étais déjà en 2004, lorsque j’exerçais les fonctions de recteur. Il y avait à l’époque, aussi, des débats autour de ce texte. Certains arguments avaient trait à sa non-applicabilité et à son éventuel caractère stigmatisant.
Vous avez eu raison de le rappeler, la loi de 2004 a été bien faite, de façon très réfléchie : elle n’a pas surgi d’un seul coup, mais était le fruit de travaux qui avaient duré de nombreux mois. Elle a été bien appliquée, et s’applique aujourd’hui encore de façon satisfaisante, et c’est une bonne chose.
On ne peut toutefois pas faire de parallèle entre cette loi et le texte qui est proposé, et pas seulement parce que le sujet a déjà été débattu ou a fait l’objet d’avis du Conseil d’État. La problématique est en effet différente, pour plusieurs raisons, comme on a pu s’en rendre compte au travers de plusieurs interventions.
La problématique est différente, d’abord et profondément, en raison de son hybridité : chacun peut avoir raison selon l’angle qu’il choisit. Il s’agit en effet, cela a été dit, du temps scolaire, mais pas de l’espace scolaire. On peut en discuter à l’infini, car la situation, encore une fois, est complètement hybride.
Je suis très sensible à la situation des directeurs d’école, qui a été évoquée, et dont je dois garantir qu’elle sera la meilleure possible par rapport à ce problème de société bien réel.
Certains directeurs d’école me disent qu’ils ont besoin de règles, car il y a un problème de prosélytisme à l’occasion de sorties scolaires. D’autres considèrent qu’il ne faut surtout pas adopter une loi parce qu’ils n’arriveraient pas à la faire appliquer, certaines mères d’élèves étant voilées, mais sans aucune velléité de prosélytisme. Par ailleurs, dans certaines écoles, les directeurs n’ont pas le choix, car toutes les mères sont voilées.
Nous connaissons tous des exemples de directeurs d’école qui sont dans une situation inconfortable, dans un cas comme dans l’autre. C’est pourquoi j’ai insisté dans mon propos sur le fait que le droit actuel n’était pas muet. Lisez l’avis du Conseil d’État, qui n’est d’ailleurs qu’un avis et pourra être complété par des jurisprudences ultérieures…
Vous avez raison, madame la sénatrice !
Selon cette étude, donc, qui fait le point sur le droit existant, il est loisible à un directeur d’école, avec le soutien de son ministre – mes propos ont été très clairs à cet égard –, d’interdire un accompagnement si la personne a des visées prosélytiques.
Vous pouvez, de chaque côté de l’hémicycle, décrire la réalité de deux façons différentes, car les deux aspects coexistent. Il existe des manières totalement naturelles et normales de vivre sa religion, quand d’autres correspondent à des poussées communautaristes dans certains quartiers. Encore une fois, les deux réalités coexistent. On peut donc toujours argumenter dans un sens ou dans un autre, et la loi viendra en quelque sorte écraser le réel.
Certains sujets sont en deçà de la loi et relèvent des pratiques quotidiennes. Nous ne devons pas laisser les directeurs d’école démunis. C’est pourquoi nous avons édicté des règles, via le vade-mecum de la laïcité et le Conseil des sages de la laïcité, de façon à nous adapter au cas par cas.
Soyez assurés que ma consigne au quotidien, notamment vis-à-vis des inspecteurs de l’éducation nationale, est d’aider les directeurs d’école confrontés à cette situation.
Encore une fois, ne généralisons pas ! Certaines situations de communautarisme confinent au prosélytisme actif, ne le nions pas. Mais il y a aussi des situations naturelles, qu’il convient de ne pas exagérer. Ces deux cas existent, nous le savons. L’état du droit et de la pratique doit donc permettre d’y faire face. Les textes dont nous disposons ainsi que mes discours adressés aux cadres de l’éducation nationale nous donnent les moyens de faire face à ces réalités.
Il est important, à ce stade du débat, de poser la question de l’utilité et de l’efficacité d’une telle proposition de loi si elle était adoptée, car les conséquences seraient contraires à l’objectif visé, ce qui n’était pas le cas pour la loi de 2004. Premièrement, elle aboutirait à uniformiser les réponses, alors qu’il n’y a pas lieu de le faire. Deuxièmement, elle cliverait, alors même que nous souhaitons emmener tous les enfants de la République dans la même direction.
Les exemples en outre-mer sont intéressants de ce point de vue. Les situations étant différentes, nous devons les régler différemment dans un esprit républicain.
Ayons confiance dans la République et dans le message des Lumières que nous donnons au travers de l’école de la République !
Vous avez raison, monsieur Assouline, la principale question est non pas ce dont nous parlons aujourd’hui, mais d’éviter les écoles hors contrat fondamentalistes, l’instruction à domicile totalement radicalisante, etc.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. La principale question, c’est de faire en sorte que tous les enfants aillent à l’école et qu’ils soient portés par une pensée pour laquelle, parce que nous y croyons, nous ne devons pas être sur la défensive : la pensée des Lumières.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, UC et SOCR.
L’amendement n° 10, présenté par M. Magner, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach, Manable et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
Il s’agit d’un amendement de suppression de l’article 1er. Certes, la commission de la culture et de l’éducation a modifié le texte de la proposition de loi. Mais cette modification ne va, en aucun cas, améliorer l’état du droit existant, ou apporter, comme elle prétend le faire, une aide aux chefs d’établissement. Au contraire, elle tend à accentuer la confusion juridique en étendant à davantage de personnes, d’une part, une interdiction et, d’autre part, l’obligation de respecter des valeurs.
Le texte dont nous débattons aujourd’hui, sous couvert d’appliquer une laïcité sans concession, ne comblera aucun éventuel vide juridique. À l’inverse, il va complexifier l’état du droit tout en stigmatisant une catégorie de citoyens, des parents d’élèves et, par là même, leurs enfants. Nous ne sommes pas dupes quant au but de ce débat.
En voulant étendre un article du code de l’éducation, issu de la loi de 2004, portant une interdiction destinée aux seuls élèves, qui – je le rappelle – sont des usagers particuliers du service public de l’éducation puisqu’ils sont soumis à l’obligation scolaire, le Sénat est en train de créer un amalgame entre deux catégories juridiquement distinctes : les agents du service public, qui doivent respecter la plus stricte neutralité dans l’exercice de leurs fonctions, et les usagers, soumis à une simple obligation de discrétion liée à la nécessité du bon fonctionnement du service, auxquels la jurisprudence constante depuis 2013 a toujours assimilé les parents d’élèves, notamment en tant qu’accompagnateurs.
En commission, le rapporteur a visé, de façon très large, toutes les personnes qui participent au service public de l’éducation et à tout moment ; le texte est ainsi potentiellement étendu aux intervenants extérieurs.
Est ainsi créée une nouvelle catégorie, qui correspond à une sorte de croisement entre la catégorie d’usager et celle d’agent public : celle des personnes « qui participent au service public de l’éducation ». Le problème est que cette nouvelle catégorie n’est absolument pas définie par la loi et que ses contours juridiques pour le moins incertains ne manqueront pas d’entraîner des contentieux. Qui dit participants et obligations dit également droits et, éventuellement, traitements liés à la fonction de participant.
Par ailleurs, le rapporteur ne cesse d’invoquer la très récente décision de la cour administrative d’appel de Lyon du 23 juillet 2019, laquelle admet que l’exigence de neutralité puisse être appliquée – ce n’est pas une obligation ! – aux parents d’élèves.
Ainsi, ces dispositions risquent d’entraîner des conséquences administratives et juridiques importantes, et peuvent être de nature anticonstitutionnelle. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste vous propose la suppression de cet article.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Adopter cet amendement reviendrait à rejeter l’article unique de la proposition de loi initiale, et donc le texte…
Or la construction de celui-ci repose sur le fait – Laurent Duplomb l’a fort bien rappelé – que la sortie scolaire est considérée comme du temps scolaire, et donc comme une projection de la classe à l’extérieur des murs. Je ne changerai pas d’avis, parce que c’est sous cet angle, et sous aucun autre, que nous avons examiné cette proposition de loi et l’avons travaillée.
La classe, c’est la classe dans les murs et hors les murs. Je ne vois pas pourquoi ce qui vaut pour la classe dans les murs ne vaudrait pas lorsque cette classe se déroule hors les murs, par exemple à l’occasion de la visite d’un musée.
J’ai proposé un amendement qui élargit l’exigence de neutralité à toute activité liée à l’enseignement, en m’appuyant d’ailleurs sur la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Lyon, qui peut-être vous gêne, mes chers collègues, mais qui existe bel et bien.
Demain, un intervenant qui entrera dans une classe ne pourra pas afficher sa croyance en vertu non pas de la proposition de loi, mais de l’arrêt du 23 juillet 2019 de la cour administrative d’appel de Lyon.
Donnez donc un cadre, monsieur le ministre ! J’ai apprécié votre intervention, mais je pense que lorsque deux directeurs, dans une même commune, prennent, dans un contexte tout à fait comparable, des décisions différentes sur un même sujet, cela n’est pas satisfaisant du point de vue de l’application des politiques publiques.
On peut avoir un avis divergent, mais, pour ma part, j’estime que les directeurs ne peuvent pas être laissés ainsi seuls face à leurs responsabilités. Le législateur doit avoir le courage de fixer le cadre que ces derniers appliqueront en toute clarté.
Finalement, et ce sera le seul moment où mon propos débordera du seul sujet de l’école, je veux dire que c’est cette laïcité intransigeante qui a construit l’école publique dans les campagnes de France à la fin du XIXe siècle. Une laïcité accommodante n’aurait pas permis de construire la même école publique dans notre pays. On peut changer de position vis-à-vis de l’école, mais alors il faut l’assumer. En ce qui me concerne, et avec beaucoup de mes amis, je m’en tiendrai à cette idée d’une laïcité intransigeante pour l’école, parce que c’est ainsi qu’elle s’est construite et que son caractère d’exception s’est façonné dans le temps.
Au nom de la commission, je vous propose de ne pas supprimer cet article, et donc d’émettre un avis défavorable sur l’amendement, pour protéger ce bien précieux, cet héritage que nous devons aux pères fondateurs de l’école publique et qui fait toute la spécificité de l’école française.
Cette école, il faut la protéger, et je vous propose de parachever le travail.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Cette explication de vote me permettra de compléter mon propos. Le problème, c’est la sincérité de notre débat, sur laquelle je terminais mon intervention précédente. Ceux qui ont jusqu’à présent défendu l’autonomie des établissements, le fait de juger au cas par cas, l’idée selon laquelle la loi ne peut pas tout régler dans le service public et notamment celui de l’éducation, disent aujourd’hui que cette proposition de loi est absolument nécessaire.
Je suis d’accord avec le ministre sur le fait qu’il y a voile et voile, que chaque situation est particulière et que le baromètre doit être le prosélytisme. Si ceux qui sont sur le terrain considèrent que le port d’un habit ou d’un signe ostentatoire quelconque est une manifestation de prosélytisme, alors ils peuvent sévir.
Pourquoi ai-je parlé de sincérité ? Parce que pour être crédible sur la laïcité, sur l’intransigeance par rapport à l’islamisme politique qui est un ennemi irréductible, alors il faut l’exiger complètement. Par exemple, on ne peut pas continuer à convoquer au concert des nations respectables celles qui financent massivement dans tous les quartiers de notre pays, et dans plusieurs autres, l’islamisme politique, au travers notamment des œuvres sociales et éducatives, et pas seulement religieuses. Si l’on est intransigeant sur ce point, alors j’écoute, car je me dis que le propos est sincère. Mais quand ceux qui tiennent ce discours laissent filer, alors que ce prosélytisme est bien plus massif que celui qui pourrait être pratiqué lors des sorties scolaires…
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
(Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ils dictent la position du chef d’État brésilien et, dans nos quartiers, ils agissent massivement, avec des moyens énormes. J’espère que nous aurons la même intransigeance à leur égard !
Protestations et sifflets sur les travées du groupe Les Républicains.
Je pense aussi – vous verrez, mes chers collègues, que nous aborderons bientôt cette question dans l’hémicycle, parce que le phénomène devient important et qu’il menace, comme l’islamisme politique, l’équilibre du monde – aux évangélistes, qui ont dicté la position de George W. Bush dans la guerre, tout comme celle de Trump. §
Je veux revenir au fond et au droit. Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous avez expliqué à plusieurs reprises ici, dans cet hémicycle, que cette loi était une étape fondamentale, essentielle, pour faire progresser la laïcité et qu’elle était, par ailleurs, un moyen de défendre la liberté des femmes.
Pourquoi n’avez-vous alors pas adopté cette disposition dans le cadre de l’examen de la loi Blanquer ? Je suis désolé, monsieur le ministre, mais je lui donne votre nom… Pourquoi avez-vous accepté en commission mixte paritaire d’écarter cette disposition, si elle était aussi fondamentale que ce que vous nous présentez maintenant ?
Par ailleurs, vous avez fait adopter, avec l’accord du Gouvernement, une disposition beaucoup plus large, qui interdit toute forme de prosélytisme lié à l’enseignement. Expliquez-nous pourquoi, alors que vous avez fait voter cet amendement fort, vous nous dites maintenant qu’il est absolument inutile ?
M. Pierre Ouzoulias. Enfin, je veux évoquer un point fondamental : je suis élu des Hauts-de-Seine, où aujourd’hui les petites filles qui ne veulent pas enlever leur voile vont à l’école privée confessionnelle, qui les accepte. Si vous considérez que le voile est une forme de joug pour les filles, comme je l’ai dit à propos de Tertullien, pourquoi ne l’interdisez-vous pas dans l’école privée ? Soyez logiques, allez jusqu’au bout de votre démarche laïque et féministe !
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.
Le rapporteur nous dit qu’il s’agit toujours de la classe, qu’elle soit dans les murs ou hors les murs. Je repose la question : puisque, dans les murs, interviennent des personnels de l’éducation nationale ou des agents des communes, pourquoi, dans votre système, ne pas faire la même chose hors les murs ? Cette solution permettrait de résoudre les problèmes. Il faudrait se mettre d’accord.
Par ailleurs, et mon collègue vient de l’évoquer, si la loi devait être votée, nous aurions dans une même commune des écoles privées, dans lesquelles les parents pourraient porter des signes religieux, et d’autres, pas très loin, dans la rue d’à côté, où les parents ne pourraient pas en porter. La question de la laïcité est tout de même variable ! §À un moment donné, si l’on veut que la loi, quelle qu’elle soit, soit acceptée par nos concitoyens, il faut de la cohérence, du sens. Allez jusqu’au bout de votre logique !
Nous sommes, je l’ai dit précédemment, pour la laïcité, pour le combat contre tout prosélytisme. Cela passe par des propositions cohérentes : c’est la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de cet article.
Je veux le souligner, on ne peut pas laisser des directeurs d’école décider eux-mêmes d’autoriser ou non l’accompagnement par les mères ayant un voile. Pourquoi ? Parce que cela conduit à une République à deux vitesses. Dans certaines écoles, pour des raisons personnelles ou d’appartenance religieuse par exemple, le directeur pourra dire qu’il s’en moque si un fourgon de femmes voilées vient accompagner les enfants. Dans d’autres, on dira que cela ne va pas et qu’on fait respecter une vraie laïcité. Il existe donc un véritable problème.
L’argument de M. le ministre selon lequel il faut autoriser les femmes voilées parce qu’elles sont nombreuses dans certaines écoles est scandaleux. Cela signifie que les enfants de cette école issus d’un milieu qui n’a rien à voir avec les femmes voilées, même s’ils ne sont que dix, subiront cet environnement. Je l’ai dit précédemment, c’est comme si on prenait comme accompagnatrices des personnes déguisées en sorcières pour Halloween ! Voilà le problème ! On a le droit de ne pas tolérer d’être entouré par de telles personnes. Nous sommes dans un régime de liberté : les communautaristes n’ont pas à empiéter sur la liberté des autres ou à faire du prosélytisme à l’égard d’enfants en bas âge qui risquent d’être influencés.
Si j’en juge par le nombre de caméras et de télévisions présentes dans la salle des conférences, le sujet dont nous discutons aujourd’hui intéresse beaucoup de monde, à l’intérieur et à l’extérieur de cet hémicycle…
C’est le premier point.
Comme à notre habitude, nous avons, au sein de la Haute Assemblée, un débat particulièrement intéressant, d’un haut niveau et relativement serein, mis à part quelques saillies excessives que nous devons tout de même, mes chers collègues, entendre, car elles sont une expression démocratique.
Je veux saluer le rapporteur, qui a mis le point technique – le statut des accompagnateurs – au cœur de notre désaccord. Sont-ils uniquement des usagers ou peuvent-ils être des collaborateurs occasionnels du service public ?
Pour ma part, j’estime que les sorties scolaires ont un contenu pédagogique : les accompagnateurs sont donc clairement des collaborateurs occasionnels du service public dans une école hors les murs, comme Max Brisson l’a très bien dit. C’est ce qui va expliquer mon vote.
Puisque Aristide Briand a été cité plusieurs fois sur d’autres travées de cet hémicycle, je voudrais qu’il le soit également sur les travées de notre groupe. D’ailleurs, le président de notre assemblée ne s’y est pas trompé, puisqu’il le citait hier dans les médias. J’aimerais donc que l’on médite cette citation d’Aristide Briand : « La loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dire la loi. »
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le ministre, j’ai bien enregistré votre soutien à cet amendement de suppression de l’article 1er et je vous en remercie. J’ai apprécié, comme beaucoup d’entre nous, je pense, sur ces travées, votre intervention claire sur cette question.
Monsieur le rapporteur, une nuance doit être apportée dans ce débat sur la nature pédagogique ou non de la sortie scolaire. Qui dit sortie pédagogique dit préparation de cette sortie, avec des professionnels qui l’organisent. Or, à ma connaissance – j’ai fait un certain nombre de sorties pendant ma carrière d’enseignant –, l’enseignant n’invite pas les accompagnateurs lors de la préparation de la sortie, il demande simplement, en espérant avoir des réponses positives, de l’aide aux parents, pour la partie non pas pédagogique, mais « logistique », si je puis dire, de la sortie : pour habiller les plus petits, faire traverser la rue aux enfants. Mes chers collègues, vous le savez aussi bien que moi pour avoir, soit en tant que parent, soit en tant qu’enseignant, participé à ce type de sortie.
Il ne peut donc pas y avoir d’ambiguïté. Si l’on rejette les bonnes volontés qui, avec ou sans voile, viennent au secours des enseignants quand cela est nécessaire – il n’est pas possible matériellement que des professionnels assurent toutes les sorties –, on se trompe de République !
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.
Monsieur le ministre, je vous remercie de vos propos, car vous nous apportez vous-même les arguments sur l’utilité de ce texte de précision – c’est de cela qu’il s’agit au fond dans notre esprit.
Vous avez dit que, sur le terrain, des directeurs d’école ont affaire à des femmes voilées qui ne posent aucun problème, tandis que d’autres sont confrontés à des mères qui font du prosélytisme – cela existe sur le terrain.
Alors ma question est simple : que pourrez-vous répondre à votre directeur d’école s’il n’a pas de loi sur laquelle s’appuyer pour refuser la présence de ces personnes ?
Sous prétexte de ne pas déplaire à des femmes qui ne posent pas de problème, vous vous privez d’un argument juridique fort ! Que va-t-il se passer ? Vous allez dire à votre directeur de ne pas autoriser de telles situations pour respecter votre circulaire. Comme avant la loi de 2004, un contentieux va surgir, et le juge dira que la loi est claire, qu’elle n’interdit pas le port du voile aux accompagnateurs, et que le directeur d’école a donc tort.
Un jour ou l’autre, vous allez être obligé de légiférer, certes peut-être moins dans l’urgence, mais vous devrez le faire. Vous nous avez vraiment donné le bon argument : nous sommes totalement dans l’ambiguïté. Vous avez même dit que la loi actuelle nous permettait d’agir au cas par cas. Mais comment est-ce possible ? La loi, c’est la loi, et elle est la même pour tout le monde. Cela me choque d’entendre un ministre dire que la loi permet d’agir au cas par cas.
Je sais, monsieur le ministre, qu’un de nos prédécesseurs illustres ici disait toujours : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. » Si, pour une fois, nous pouvions sortir de l’ambiguïté pour servir la République laïque, ce serait vraiment bien !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Je ne vais pas répondre à chaque intervention, de nombreux arguments ayant été échangés, mais puisque vous rebondissez précisément sur mes propos, monsieur Joyandet, je voudrais dire de la manière la plus claire, si je ne l’ai pas été assez, que l’état du droit permet à un directeur d’école d’empêcher un accompagnement dans ce cas-là.
Comme l’a très bien dit M. Ouzoulias, vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs, renforcé cette possibilité en votant une disposition dont nous n’avons pas assez mesuré l’impact pour le futur : il s’agit de l’article 10 de la loi pour une école de la confiance qui interdit tout prosélytisme aux abords des établissements.
J’ai écouté avec attention les discussions qui ont eu lieu au Sénat, et je les ai articulées avec les éléments du terrain dont je dispose. L’article 10 est absolument essentiel pour la suite. Dans l’exemple que vous citez, le directeur d’école aura une base juridique suffisamment solide pour faire ce qu’il souhaitera, et il aura évidemment son ministre avec lui.
En procédant ainsi, c’est-à-dire de façon pragmatique et souple, nous évitons d’entrer dans une casuistique législative dans laquelle certains essayent de vous précipiter. Quand je dis « certains », je vise ceux qui, sur le terrain, essayent de faire avancer le communautarisme. Cette casuistique vous obligerait à faire une loi chaque fois qu’un vêtement vous paraîtrait bizarre ou chaque fois qu’on commencerait à trouver que quelque chose ne va pas. Dans les faits, cela est impossible et nous dévie d’ailleurs du but essentiel, qui est de lutter réellement contre le communautarisme et la radicalisation.
Je l’ai dit, il y a des sujets très importants que nous devons regarder en face. C’est la raison pour laquelle je recherche tant l’unité nationale sur un tel sujet. C’est aussi pour cela que je me désole des polémiques qui surgissent chaque fois que l’on essaye de parler sobrement de ce sujet. Regardez toutes les insultes que j’ai subies depuis dix jours pour avoir tenu un simple propos, encore une fois complètement identique à ce que Robert Badinter a dit. Je sais que vous-même subissez des insultes en tous genres dès que l’on parle de ces questions.
Aujourd’hui, nous devons, chacun avec ses convictions, essayer d’aller vers ce qui nous rassemble, c’est-à-dire le respect de la laïcité et la lutte contre le communautarisme. Cela passe par un pragmatisme de terrain, parce que nous ne pouvons pas faire face à des phénomènes différents avec une règle unique, qui, en quelque sorte, « écraserait » le réel.
Donc, je le répète, dans le cas que vous citez, la situation juridique serait suffisamment solide pour que le directeur fasse ce qu’il a à faire. Une loi qui irait dans le sens que vous souhaitez serait, je le crains, contre-productive eu égard aux objectifs que vous affichez et que, par ailleurs, je peux partager.
J’ai souhaité que le débat soit centré sur l’école et soit digne. Depuis quelques instants, nous avons une véritable discussion, dans laquelle s’affrontent des visions différentes, sur des questions qui peuvent nous séparer. J’ai toujours parlé très sobrement de ce sujet. En tant que rapporteur, j’ai veillé à ce que le travail des sénateurs membres de la commission de l’éducation et la culture, qui s’est traduit par un rapport fort, ne soit pas altéré – la dernière réunion de notre commission l’a d’ailleurs, je le crois, montré.
Je voudrais revenir sur les interventions de Rachid Temal et Jacques-Bernard Magner, qui ont évoqué l’école avec des propos sur lesquels j’ai des divergences que j’assume.
On évoque l’école dans les murs, et l’école hors les murs. Des intervenants extérieurs entrent dans l’école dans le cadre d’activités liées à la classe. Avant la décision de la cour administrative d’appel de Lyon, ceux-ci pouvaient afficher leur croyance. Ils ne le peuvent plus dans les murs, dans la classe, au cours de l’activité liée à l’enseignement. Je vous propose, mes chers collègues, de projeter cette vision hors les murs, en considérant que la sortie est une activité liée à l’enseignement. On peut travailler sur ce point, car nous sommes là, me semble-t-il, au cœur du sujet.
S’agissant du rôle de l’adulte, Jacques-Bernard Magner nous a fait part de son expérience de professeur des écoles – d’instituteur certainement à son époque. Comme je l’ai dit lors de mon intervention à la tribune, j’aimerais que l’on se place du point de vue de l’enfant. Comment peut-on demander à un enfant de faire cette subtile nuance de statut, qui fait que le règlement exige de l’adulte qui est à ses côtés d’être motus et bouche cousue ? Au contraire, nous partageons une vision commune du rôle et des apports des parents à l’école, et de la coéducation. Je ne peux pas penser qu’un adulte puisse être strictement limité à compter les élèves, par exemple. Pour l’enfant, l’adulte est porteur de repères.
On en revient au sujet de fond : nous demandons seulement de ne pas afficher sa croyance dans le cadre d’une activité liée à l’enseignement, ni plus ni moins, et de faire l’effort du vivre ensemble et du respect de l’école publique. On peut afficher sa croyance, y compris à l’école, lorsque l’on vient remplir des papiers administratifs ou payer les droits de cantine. Mais lorsque l’on participe à l’activité liée à l’enseignement, on fait cet effort. De la sorte, on respecte la conscience des enfants. Voilà ce qui peut nous séparer sur le rôle de l’adulte.
Notre débat sur l’école me semble à la fois apaisé et digne, même si nous avons eu, comme on devait s’y attendre, quelques moments plus difficiles.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Je veux indiquer à mes collègues, en faisant preuve – je l’espère – de sobriété, que l’objet de cet amendement de suppression évoque un « éventuel vide juridique ».
Ce vide juridique est établi ! Nous avons des décisions de justice, du tribunal administratif de Nice ou de la cour administrative d’appel de Lyon, qui sont différentes. On ne légifère pas par plaisir, mais parce qu’une question est en suspens et met précisément en difficulté les chefs d’établissement ou les directeurs d’école.
Monsieur le ministre, vous ne souhaitez pas intervenir, mais je pense que, malheureusement, la réalité va vous rattraper dans quelques mois, lorsque ces chefs d’établissements vont se retrouver en porte-à-faux et seront mis en difficulté.
Ce n’est pas une vue de l’esprit, ce n’est pas quelque chose que l’on invente pour le plaisir d’une polémique ou d’un débat difficile ! C’est justement parce que la question est ardue que l’on doit intervenir, de manière sobre comme l’a dit notre rapporteur. Nous voulons uniquement préciser que les agents qui interviennent dans le cadre du service public, hors de l’école, mais dans le temps scolaire, pour des sorties, doivent être soumis à certaines règles. C’est tout de même extrêmement clair et limité, mais aussi véritablement nécessaire.
J’entends parfois ce débat déborder sur d’autres sujets. Nous parlons là de l’école, l’institution républicaine la plus importante, qui doit être préservée de toute intrusion de quelque nature qu’elle soit, y compris religieuse. La réaffirmation du principe de laïcité me semble essentielle.
Juste un point sur la sobriété lexicale. L’utilisation du terme « stigmatiser » dans l’objet de cet amendement est malvenue. On emploie ce mot à tout bout de champ : en 2004 par ceux qui étaient opposés à l’époque à la loi, en 2010 quand il s’agissait d’interdire la dissimulation du visage dans l’espace public, et chaque fois qu’un problème se pose.
Ce vocabulaire devrait garder sa signification première : je vous le rappelle, stigmatiser signifie « marquer des stigmates », en référence aux blessures du Christ en croix. C’est en quelque sorte un retour du refoulé ! Ce genre de vocabulaire ne participe pas à la sobriété des débats.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Mon intervention sera décalée, car je voudrais répondre avec beaucoup de respect et d’amitié au président Kanner, au président Assouline, à Pierre Ouzoulias et à Rachid Temal.
J’ai entendu ce que vous disiez sur la cohérence dont nous devrions faire preuve pour défendre l’école de la République, puisque l’école est bien le creuset de notre société et des valeurs dont nous ne cessons de parler.
Cher Max Brisson, il y a longtemps que nous avons quitté l’école, nous nous sommes envolés et non pas « envoilés ».
Sourires.
Cher président Kanner, vous avez loué les positions que défend la gauche depuis un certain nombre d’années en faveur de la République et de la laïcité. Permettez-moi de vous dire, sans polémiquer, que je m’étonne que vous n’ayez pas, dans cet esprit de cohérence évoqué par Rachid Temal, voté le texte sur l’école privée hors contrat, qui me semblait pourtant tout à fait répondre à la philosophie qui est la vôtre.
Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.
Premièrement, puisque l’on parle de cohérence, je veux dire que je soutiens les propos qu’ont tenus mon collègue Pierre Ouzoulias et M. le ministre.
Finalement, la loi pour une école de la confiance a posé un acte très fort : l’interdiction de toute forme de prosélytisme. Je ne vois donc pas pourquoi, chers collègues, vous revenez sur le sujet.
Deuxièmement, vous appelez à rester dans le champ de l’école. Soyez cohérents !
J’entends qu’il y aurait une école dans les murs et une école hors les murs. Il y aurait donc un contenu pédagogique dans les sorties scolaires.
Eh oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.
Certes ! Toutefois, comme un de mes collègues l’a déclaré, ce sont les enseignants qui travaillent lors des sorties scolaires. On ne demande pas aux accompagnateurs de jouer un rôle pédagogique.
Or, si l’on va jusqu’au bout de la logique que vous dévidez à longueur d’interventions et que je ne partage pas, celle d’une école dans les murs et d’une école hors les murs, alors les accompagnateurs ont un rôle pédagogique, appartiennent à l’éducation nationale et ne doivent plus être bénévoles, mais rémunérés. §J’essaie simplement de suivre votre raisonnement !
Troisièmement, il n’y a pas besoin de renforcer la loi. En effet, la loi sur la laïcité de 1905 est suffisante, car elle est d’abord et avant tout une loi de liberté.
Par conséquent, nous nous interrogeons sur l’opportunité de la présente proposition de loi, qui instrumentalise un problème pour lequel il n’existe pas de contentieux. De fait, vous n’évoquez aujourd’hui pratiquement aucun cas d’incidents en matière de port du voile.
Cette proposition de loi participe d’une instrumentalisation extrêmement dangereuse dans le contexte politique actuel. Cela ne grandit pas celles et ceux qui la portent !
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.
À mes yeux, la mission de l’éducation, dans la République, est d’accepter les jeunes, mais aussi leurs familles, tels qu’ils sont et d’où qu’ils viennent, et de les accompagner pour qu’ils deviennent des citoyens.
Dès lors, une école qui renverrait des enfants dans d’autres organisations et ne leur offrirait pas la chance d’être accompagnés, parce que leur famille se sentirait exclue, ne serait plus l’école de la République.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué une laïcité intransigeante et vous vous êtes inscrit dans les pas de ceux qui ont milité pour la séparation de l’Église et de l’État. En ce cas, pourquoi le dispositif de la proposition de loi n’a-t-il pas été voté il y a cent quatorze ans ?
Permettez-moi de vous citer un extrait de l’intervention d’Aristide Briand, rapporteur de cette loi de liberté qu’est la loi de 1905 : « Dans ce pays où des millions de catholiques pratiquent leur religion, les uns par conviction réelle, d’autres par habitude, par tradition de famille, il était impossible d’envisager une séparation qu’ils ne puissent accepter. Ce mot a paru extraordinaire à beaucoup de républicains qui se sont émus de nous voir préoccupés de rendre la loi acceptable. […] Nous n’avons pas le droit de faire une réforme dont les conséquences puissent ébranler la République. »
Mes chers collègues, ces mots restent d’actualité, alors que certains d’entre vous proposent d’utiliser la laïcité pour fracturer la société et créer des divisions.
Je crois que nous devrions en rester à nos fondamentaux, demeurer inspirés par cette loi de liberté et ne pas en faire un carcan pour fabriquer des clivages et du communautarisme – or c’est ce que vous proposez, monsieur le rapporteur.
Je vais tâcher d’être brève.
Je pense qu’il convient de parler d’accompagnants, et non de mamans accompagnatrices ou de papas accompagnateurs. Les accompagnants peuvent aussi être les grands-parents, par exemple.
Quoi qu’il en soit, ce qui me gêne, c’est que l’enjeu n’est pas la liberté des parents ou de ces accompagnants : c’est la liberté de conscience que les élèves sont en train de se construire et qui fait la force de notre école publique française.
Oui, je suis cohérente, cher Antoine Karam : j’ai voté en son temps l’amendement qui était très intéressant, même s’il n’avait pas été voté par tous. J’ai voté d’autres textes, comme la loi Gatel.
En revanche, il est vrai, monsieur le ministre, que je n’ai pas voté l’amendement relatif au prosélytisme aux abords de l’école, non pas parce que je ne le trouvais pas intéressant, mais tout simplement parce que je pense qu’il n’y aura évidemment pas de prosélytisme si une personne revêtue d’un uniforme, le vaguemestre ou le policier municipal, le professeur principal, le principal ou le proviseur surveille. Sans surveillance, il y en aura !
Je parle du prosélytisme en général – on ne me fera pas traiter d’une religion en particulier.
Je resterai cohérente avec la position que je défends depuis des années. Je rappelle que j’avais déjà soulevé la question du prosélytisme passif à l’occasion de la discussion d’un texte inspiré par l’affaire Baby Loup.
N’en ayant pas eu le temps dans la discussion générale, je veux citer Ferdinand Buisson maintenant – à chacun ses références – : « Le triomphe de l’esprit laïque, ce n’est pas de rivaliser de zèle avec l’esprit clérical pour initier prématurément les petits élèves de l’école primaire à des passions qui ne sont pas de leur âge. […] C’est de réunir indistinctement les enfants de toutes les familles et de toutes les églises » – cela vaut aussi, bien sûr, pour ceux qui ne sont pas dans les églises – « pour leur faire commencer la vie dans une atmosphère de paix, de confiance et de sérénité. »
Je crois que, dans cet hémicycle, nous avons été à peu près sereins !
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.
Le véritable problème est de lutter contre la religion de la violence dans les écoles.
À vous écouter, mes chers collègues, j’ai l’impression que l’on oublie la réalité du quotidien des chefs d’établissement : ceux-ci ne se demandent pas chaque matin qui sont les accompagnants et s’ils portent le voile !
C’est vraiment la question de la violence à l’école qui est le sujet principal.
Pour lutter contre les violences entre les enfants eux-mêmes, il vaut mieux que les parents soient parties prenantes, avec ou sans foulard sur la tête.
Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.
C’est très hésitante que je suis venue participer à ce débat.
Je ne citerai aucune grande réforme ni aucun grand homme de l’éducation nationale, …
Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.
… je parlerai plutôt avec mon cœur et sur la base de mon expérience.
Tout à l’heure, Laurence Rossignol a parlé de « ligne de crête ». Je crois que c’est la meilleure expression que l’on puisse utiliser dans ce débat. Oui, nous sommes sur une ligne de crête.
Je vois, partout sur le territoire, les élus locaux qui travaillent avec les écoles, les collèges, les lycées. Si certains y voient de l’électoralisme, je crois qu’il faut plutôt saluer ce travail, qui vise à recoudre la République là où elle pourrait se découdre. Il s’agit d’amener à l’école les accompagnants pour faire société et pour vivre ensemble.
Je veux remercier tous ceux qui, travaillant beaucoup sur ces problèmes, m’ont éclairée lorsque je les ai sollicités. Je pense à Raphaël Cognet, maire de Mantes-la-Jolie, à Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes, à François Garay, maire des Mureaux ou encore à Pierre Bédier, président du conseil départemental des Yvelines.
La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : doit-on considérer que le temps de l’école hors les murs est le même que le temps de l’école dans les murs ?
Monsieur le rapporteur, vous m’avez convaincue : je voterai cette proposition de loi.
Exclamations ironiques sur les travées du groupe SOCR.
Cependant, je ne veux pas donner raison aux fondamentalistes, comme à cette extrémiste avec laquelle vous avez débattu voilà quelques jours, madame Rossignol, sur un plateau de télévision – voyez comme je suis hésitante !
Finalement, je voudrais interroger les accompagnants : est-il si terrible d’enlever sa kippa ou son voile pour accompagner les enfants à une sortie scolaire ? Décider de retirer ce qui fait religion l’espace de quelques heures, n’est-ce pas, finalement, la meilleure façon d’affirmer, quand on est d’une confession, que, oui, on adhère aux principes de la République française ?
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.
D’abord, je tiens à saluer le travail de M. le rapporteur, qui, à travers l’article 1er, a essayé de trouver une voie d’équilibre. Ce n’était pas simple, compte tenu des différentes préoccupations qui ont été exprimées.
J’apprécie la notion d’école hors les murs et dans les murs. Elle a du sens, notamment du point de vue pédagogique, au-delà même du problème qui nous réunit aujourd’hui.
Cependant, la notion de participation aux activités liées à l’enseignement, qui figure à l’article 1er à la suite de l’adoption d’un amendement en commission, m’inspire une réserve.
La fonction d’accompagnement permet de respecter les règles en matière de taux d’encadrement des sorties scolaires, celles qui impliquent, pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires, la présence d’un nombre important d’adultes. Je ne souhaite pas que cette fonction soit assimilée à une fonction active d’enseignement et de pédagogie, qui doit relever du seul personnel de l’éducation nationale. Je ne doute pas que telle est aussi votre intention, mais, dans la rédaction de l’article, cette distinction n’apparaît pas en tant que telle.
Comme j’ai essayé de l’exprimer tout à l’heure, je dois vous avouer que je suis gêné par le fait que le statut de l’accompagnant ne soit pas mieux défini.
Monsieur le ministre, je veux rebondir sur vos propos. Je suis assez sensible à ce que vous avez dit sur la nécessité d’une souplesse un peu accrue et d’une liberté de jugement, toutes les situations ne s’équivalant pas, notamment du point de vue du risque de prosélytisme.
Toutefois – n’y voyez pas de critique –, je suis surpris que vous n’ayez jamais fait référence aux recteurs. Je m’étonne tout de même que l’administration de l’éducation nationale ne s’implique pas davantage, au niveau des rectorats, pour mettre à l’abri les directeurs d’école, dont on ne peut nier qu’ils soient un peu seuls face à ce problème. Étant, par leurs fonctions mêmes, davantage confrontés aux parents, ils ne disposent pas forcément de la même hauteur de vue ou du même recul sur la décision qui doit être prise.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne pourrai répondre à toutes les interventions, ne serait-ce que parce que je dois être à vingt et une heures trente à l’Assemblée nationale pour la discussion du projet de loi de finances. Si l’examen de la proposition de loi devait se prolonger au-delà, ce sera le ministre chargé des relations avec le Parlement qui me remplacera à ce banc.
Sur le fond, il arrive que l’on tienne, sur l’éducation nationale, des propos correspondant à des jugements que l’on a forgés avec le temps, sans considérer les évolutions bien réelles qui se produisent sur le terrain.
À cet égard, je veux vous rassurer : dès les premiers discours que j’ai tenus aux recteurs et aux inspecteurs d’académie, j’ai exprimé mon soutien total aux inspecteurs de l’éducation nationale et aux directeurs d’école sur les questions relatives à la laïcité. Cet engagement n’a pas été purement verbal, puisque, immédiatement après, nous avons créé le Conseil des sages de la laïcité. Chacun doit bien comprendre que le travail que réalise cette instance est tout sauf négligeable.
L’existence de ce conseil est, en soi, un point de repère. Il édicte des règles que j’endosse moi-même. Tout directeur, toute directrice d’école doit bien savoir que l’ensemble de ces règles, qui figurent dans un vade-mecum, reçoivent le soutien du ministre. Nous faisons ensuite valoir ces règles par des équipes spécialisées en matière de laïcité dans chaque rectorat. Ainsi, chaque recteur de France est en capacité de venir en appui sur le terrain chaque fois que se pose un problème de laïcité.
J’y insiste, tout cela n’est pas que discours et pure théorie, comme en témoignent les centaines d’interventions qui ont eu lieu depuis deux ans et demi. C’est cela la laïcité au concret sur le terrain ! Je ne voudrais pas que l’on minimise, aujourd’hui, cette situation.
Je répète, en effet, que la question de l’accompagnement scolaire, quelle que soit par ailleurs l’issue qui sera réservée à la proposition de loi, est très loin d’être le principal sujet en matière de laïcité ou de lutte contre le communautarisme – plusieurs intervenants l’ont d’ailleurs déclaré. Je concède que le sujet est devenu emblématique, mais, soyez-en convaincus, ce n’est pas le plus important des problèmes concrets qui se posent sur le terrain.
Quoi qu’il en soit, pour répondre très clairement à la question qui m’a été posée, oui, les recteurs et les inspecteurs d’académie sont pleinement mobilisés. D’ailleurs, s’il y avait une quelconque exception à cette mobilisation, le ministre pourrait parfaitement être saisi. Nous tenons des réunions consacrées à ces questions et je dispose, sur ces enjeux, de remontées d’informations quotidiennes, dont je rends compte publiquement chaque trimestre.
De nombreux arguments ont été échangés.
Je veux moi aussi rendre hommage à M. le rapporteur. Les propos qu’il a tenus sont très importants. J’y reviendrai tout à l’heure, dans mon explication de vote sur l’ensemble du texte.
On voit que, dans nos débats, deux conceptions de la laïcité, qui ne sont pas complémentaires, s’affrontent. J’y reviendrai également.
En réalité, si la question des signes ostentatoires divise notre hémicycle, si elle divise les élus et les politiques, elle rassemble très largement les Français.
Aujourd’hui, les sondages qui se succèdent, qu’ils soient réalisés pour la Fondation Jean-Jaurès ou pour l’Observatoire de la laïcité, montrent une angoisse de nos compatriotes, qui, à 78 %, craignent une remise en cause de la laïcité à laquelle nous tenons. Chaque fois qu’ils sont interrogés, les Français sont au moins 80 % à nous dire qu’il ne faut pas toucher à la loi de 1905 et qu’il s’agit d’un patrimoine commun, désormais consensuel à droite comme à gauche.
Je reviens sur notre histoire récente. Comme cela a été rappelé, l’affaire du voile de Creil, c’était il y a trente ans ! Il aura fallu quinze ans pour qu’une première loi soit votée. Il s’agissait alors d’exprimer une orientation pour ne pas se défausser sur les directeurs d’école.
Mes chers amis, dans ce parcours législatif, notre famille politique a rendu de nombreux services à la communauté nationale. C’est elle qui, en 2004, a porté l’interdiction du voile. C’est aussi elle qui, en 2010, a défendu l’interdiction du voile intégral.
Je dois rendre hommage à Myriam El Khomri, qui, dans la loi Travail, même si ce fut un peu timidement, a donné aux entreprises la possibilité de mieux encadrer la présence de signes ostentatoires dans leur règlement intérieur. Si ce texte avait existé à l’époque, l’affaire Baby Loup n’aurait sans doute jamais vu le jour…
Monsieur le ministre, vous avez évoqué la question de l’efficacité. C’est une question clé.
La loi de 2004 est efficace. J’en veux pour preuve la dernière mouture du sondage réalisé par l’IFOP pour la Fondation Jean-Jaurès, qui montre que seulement 15 % des jeunes filles sont voilées.
Vous nous parlez d’une situation hybride, de casuistique, de cas par cas. Non ! La loi doit être claire. Elle ne peut pas verser dans le « en même temps ».
… cela signifiera que nous nous défaussons sur le personnel de l’éducation nationale.
Il y a l’école dans les murs et l’école hors les murs !
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
M. le rapporteur a, dès le début de son intervention, essayé d’encadrer la définition de l’activité périscolaire.
Qu’est qu’une activité périscolaire ? C’est une activité qui se déroule à côté de l’enseignement traditionnel dispensé au sein des établissements.
Durant ma modeste carrière, j’ai eu à encadrer des activités périscolaires, en particulier des activités sportives : piscine, ski de fond, ski alpin, escalade, natation, football, rugby… Cela ne s’est jamais produit, mais, franchement, je ne sais pas comment j’aurais réagi si un accompagnant, susceptible de participer à un arbitrage ou à l’encadrement d’un groupe, s’était présenté avec des signes religieux ostentatoires. Je pense que cela m’aurait paru complètement décalé.
Je crois que la définition des activités périscolaires, de leurs objectifs pédagogiques et de ce qui est attendu des accompagnants doit être clarifiée. Ainsi que M. le rapporteur l’a bien précisé au début de son propos, c’est là que se situe la limite ! On ne doit pas faire d’amalgame.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
L’histoire, sur ce sujet, est parfois complexe.
On a évoqué tout à l’heure la grande loi d’apaisement Briand-Clemenceau, Georges Clemenceau ayant été appelé au ministère de l’intérieur pour participer à ce grand compromis. On oublie de dire que, dans celui-ci, une circulaire très précise, consécutive à l’adoption de la loi de 1905, autorise le port de signes ostentatoires à l’école en échange du décrochage des crucifix.
Pourquoi ? Bien sûr, il y avait la nécessité de trouver un compromis politique avec les forces conservatrices du pays mobilisées – elles ont un peu changé de point de vue aujourd’hui. Cependant, il y avait aussi le pari de l’école, parce que l’interdiction du port de la croix aurait, à l’époque, fait sortir énormément d’enfants de l’école publique pour les ramener vers les écoles confessionnelles. D’ailleurs, je suis obligé de dire que, d’un point de vue religieux, ce choix assumé de Briand a porté ses fruits, puisque, malgré le droit de porter des signes ostentatoires, la pratique catholique a plutôt baissé.
La question qui est posée aujourd’hui porte toujours sur la force de l’école : l’école est-elle assez puissante pour permettre que les enfants, qui sont évidemment héritiers de la culture et des choix religieux de leur famille, se trouvent confrontés, à l’école, à un autre cadre de valeurs ? C’est cet équilibre entre l’héritage familial et ce qu’apporte l’école qui fait société.
Finalement, avec le dispositif que vous proposez, chers collègues, vous montrez du doigt les parents, vous ramenez l’enfant vers son héritage familial et vous fragilisez le message de l’école, qui permet justement de faire société en créant une distance entre l’enseignement scolaire et ce qui relève de l’héritage familial. Je crois donc que vous allez à l’inverse de ce que vous semblez rechercher.
La loi, aujourd’hui, est claire. Elle interdit le prosélytisme. Il ne faut pas y toucher !
Mme Nassimah Dindar applaudit.
Mme Esther Benbassa. Nous parlons, depuis quatorze heures trente, du voile. Or, dans le texte, le mot « voile » n’apparaît pas. C’est pourtant l’une de nos obsessions !
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Je veux poser une question aux concepteurs de ce texte : celui-ci concerne-t-il également les accompagnateurs hommes qui seraient porteurs d’une kippa ?
Bien sûr ! sur les travées du groupe Les Républicains.
Le vote que nous allons émettre sur cet article et sur l’ensemble de la proposition de loi est extrêmement politique.
Je vois bien les efforts des auteurs de ce texte pour le réduire à un « texte de précision technique », comme cela a été dit tout à l’heure, et pour masquer leurs intentions réelles.
Chers collègues, pourquoi en êtes-vous réduits à ce genre d’arguments ? Parce que vous n’êtes pas convaincants sur le texte et encore moins sur le contexte.
Sur le texte, vous ne cessez de dire que l’éducation nationale fait face, en ce moment, à un problème majeur, mais l’avez-vous démontré une seule fois depuis le début de nos débats ? Vous êtes-vous appuyés sur des faits qui en témoignent ? Non. Et pour cause : alors que 14 millions de personnes interviennent aujourd’hui dans le monde éducatif, si l’on additionne les enfants et les enseignants, on estime qu’il n’y a que quelques centaines de problèmes par an.
Au demeurant, ces problèmes, pour l’essentiel, ne concernent absolument pas l’accompagnement de sorties scolaires par des femmes voilées. Pourtant, vous focalisez tout le débat sur cette question.
En vérité, l’argument prétendument technique que vous employez n’en est pas un. Même si l’on s’en tenait à ce qu’a dit M. le rapporteur, à savoir qu’il ne s’agit que d’une qualification concernant les accompagnants, on ne réglerait pas le problème posé, car les parents d’élèves interviennent à de nombreux moments de la vie scolaire, et pas seulement lors des sorties : ils accompagnent leurs enfants dans les classes à l’école maternelle, ils participent aux kermesses, aux réunions de parents d’élèves…
En adoptant ce texte, on mettrait le doigt dans un engrenage extrêmement dangereux.
En vérité, les motivations de votre proposition de loi sont ailleurs : on les trouve malheureusement dans le contexte très préoccupant que nous connaissons actuellement, que, pour certains, vous accompagnez et que, pour d’autres, vous alimentez ! Vous surfez sur des eaux nauséabondes
Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.
M. Pierre Laurent. … et de construire une société d’unité et de solidarité.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.
Je vais mettre aux voix l’amendement n° 10.
Je rappelle que, si cet amendement était adopté, il n’y aurait pas lieu de débattre de l’article 2, pas plus que de soumettre la proposition de loi au vote, puisque celle-ci serait vidée de son contenu.
Je mets aux voix l’amendement n° 10.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Je vous invite, mes chers collègues, à vérifier que votre carte de vote est bien insérée dans votre terminal.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater les résultats du scrutin.
Mmes et MM. les secrétaires constatent les résultats du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 17 :
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 3, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par les mots :
et de s’abstenir de porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ou communautariste
La parole est à M. Jean Louis Masson.
Mon amendement donnera certainement moins lieu à discussion que le précédent, sinon on sera encore là tard ce soir…
Si j’ai déposé cet amendement, ce n’est pas pour m’opposer à cette proposition de loi, dont j’approuve l’esprit et que je trouve pertinente, mais parce que la rédaction du texte de la commission ne me semble ni assez ferme ni assez claire. Il faut indiquer explicitement la nécessité de s’abstenir de porter des signes ou des tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ou communautariste. C’est très important !
Je ne suis toujours pas convaincu par les propos tenus par M. le ministre de l’éducation nationale, selon lequel tout finira par s’arranger. L’un de nos collègues nous a même dit que, sur 14 millions d’enfants et de parents, il y a seulement une centaine de problèmes par an. Or, même s’il n’y a que cent problèmes par an, c’est déjà énorme ! Ça signifie qu’il doit y avoir des milliers d’endroits où les difficultés ne sont pas remontées à la surface. Combien de parents sont-ils mécontents que leur enfant soit entouré de personnes habillées pour Halloween et combien écrivent au ministre ou à l’éducation nationale pour dire qu’ils sont choqués ? Ces personnes ne prennent tout simplement pas l’initiative de se plaindre. Il est donc absolument indispensable de légiférer très fermement.
On aurait presque pu attendre encore deux jours : on aurait été à la veille de la Toussaint, et ça aurait été vraiment Halloween !
L’article L. 111-1 porte sur les principes, les valeurs et les missions de l’école. La mention de tenues ou de signes ostensibles ne nous semble pas aller dans le sens de cet article du code de l’éducation. C’est la raison pour laquelle j’avais déposé en commission un amendement visant à exclure la mention des sorties scolaires de cet article.
Laissons à cet article toute sa cohérence. M. Olivier Paccaud, dont j’ai apprécié l’intervention, s’est parfaitement exprimé sur ce sujet tout à l’heure. La commission est donc défavorable à cet amendement.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour explication de vote sur l’article.
Tout d’abord, je souhaite remercier Max Brisson des propos qu’il a tenus.
Ensuite, parce que j’ai été enseignante dans un lycée à Argenteuil, je souhaite dédier cette proposition de loi à Zora, Fatima, Leïla et Samia, ces élèves que j’ai eues jusque dans les années 2000, qui se sont battues pour sortir du carcan familial, de la pression des pères et de la pression religieuse pour vivre leur liberté, comme toutes les jeunes filles de France dans les années 1980, 1990 et 2000.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote sur l’article.
Je veux revenir sur le débat philosophique que vous nous proposez, monsieur le président Retailleau.
J’ai lu différemment le sondage que vous avez cité. J’ai ainsi noté que, quand on questionne les Français sur le sens qu’ils veulent donner à la laïcité, 26 % d’entre eux considèrent qu’il faut faire reculer l’influence des religions – au pluriel – dans notre société. Ce chiffre progresse de 6 %, ce qui représente l’évolution la plus importante.
Aujourd’hui, les deux tiers des Français ne se réclament d’aucune religion. On assiste à un mouvement de fond, à savoir le recul du religieux de la sphère publique, celui-ci se cantonnant peu à peu à la sphère privée.
Vous nous dites, monsieur le président Retailleau, que cette loi est destinée à accompagner ce mouvement. Irez-vous au bout de cette logique ? Souhaitez-vous vraiment que la religion sorte complètement de l’espace public ? Je n’en suis pas sûr. Lors de l’examen de lois à venir, notamment en matière de bioéthique, vous reviendrez certainement à des conceptions beaucoup plus traditionnelles.
Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Je vous invite, mes chers collègues, à vérifier que votre carte de vote est bien insérée dans votre terminal.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater les résultats du scrutin.
Mmes et MM. les secrétaires constatent les résultats du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 18 :
Nombre de votants322Nombre de suffrages exprimés285Pour l’adoption165Contre 120Le Sénat a adopté.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna.
L’amendement n° 11, présenté par M. Magner, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach, Manable et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
Il s’agit d’un amendement de coordination avec notre amendement de suppression de l’article 1er.
La majorité sénatoriale n’a pas souhaité nous suivre, n’entendant ni nos arguments juridiques ni nos arguments politiques, ce qui est fort dommage. J’espère que tous ceux qui s’apprêtent à voter le texte dont nous débattons ont bien à l’esprit que, en excluant des sorties scolaires les mères d’élèves portant un foulard, ce sont des classes entières que l’on va priver de sortie. Ces parents d’élèves que la majorité sénatoriale est en train de stigmatiser font pourtant preuve, en accompagnant une sortie scolaire, d’un souhait d’intégration. Vous le savez, mes chers collègues, il leur en coûte souvent de faire la démarche d’entrer à l’école. Au lieu de leur tendre la main et de les conforter dans leur souhait d’intégration, on va les exclure définitivement.
Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.
Mon cher collègue, votre argumentaire est sans rapport avec l’amendement.
Si, il y a un rapport ! À moins que vous vouliez me dire ce que je dois dire, monsieur le président…
Cela ressemble à une explication de vote sur le texte et non pas à la présentation de l’amendement.
Quand on présente un amendement, on parle de l’amendement. Vous êtes, à mon avis, très largement à côté. Vous pourrez reprendre la parole ensuite si vous le souhaitez.
Je vais essayer de répondre à une intervention qui n’a pas eu lieu…
Les sorties scolaires sont du temps scolaire sur l’ensemble du territoire de notre République. Par conséquent, pour que le texte soit appliqué à Wallis et Futuna, comme l’est la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles pour les élèves, la loi doit expressément le prévoir.
Pour ce qui concerne les autres territoires d’outre-mer, soit la loi est applicable de plein droit dans ce domaine, soit le législateur que nous sommes n’est pas compétent pour intervenir.
Dans la mesure où votre amendement précédent n’a pas été adopté, je vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir retirer celui-ci. À défaut, la commission se verra contrainte d’émettre un avis défavorable.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ article 2 est adopté.
L’amendement n° 9 rectifié, présenté par Mme Laborde, MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, M. Collin, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mme Guillotin et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Remplacer le mot :
concourant
par le mot :
participant
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Dans la mesure où le texte initial de la proposition de loi a été modifié, il me semble cohérent de changer son titre. Cet amendement ne devrait pas susciter de polémique.
Je profite de cette occasion pour répondre à Laurent Lafon.
Dans le cadre d’une querelle byzantine, nous avons pensé que le terme « participant » prenait mieux en compte les activités des intervenants adultes à l’extérieur des murs ou dans les murs de l’école, le terme « concourant » semblant plus restrictif.
Je rejoins Françoise Laborde : le terme « participant » ayant été retenu pour le texte, il semble nécessaire de mettre le titre en conformité. Sans doute le rapporteur aurait-il dû y penser… La commission est donc favorable à cet amendement.
Il existe une nuance entre les termes « concourir » et « participer ». Celui qui participe est dans l’action du début jusqu’à la fin de la sortie scolaire. Il participe à son organisation et à sa préparation. Or tel n’est pas le cas en général. Par conséquent, le terme « concourir » paraît mieux convenir.
Je trouve que vous vous éloignez beaucoup des textes qui organisent les sorties scolaires. En la matière, l’ensemble des circulaires donne bien un rôle aux accompagnants.
Je prends acte d’un clivage concernant nos appréciations du rôle des adultes, car il ne s’agit pas uniquement des parents, dans une activité liée à l’enseignement, lorsqu’il s’agit d’accompagner une classe. Manifestement, nous n’avons pas la même vision sur ce sujet.
Madame Benbassa, bien évidemment, c’est l’ensemble des signes religieux ostensibles qui sont visés. Je n’ai d’ailleurs pas beaucoup utilisé le mot « voile » au cours de nos débats. Le cœur de cette proposition de loi ne porte que sur l’affichage. Le prosélytisme, c’est un autre sujet ! Il s’agit ici de s’inscrire dans la logique d’une école publique où l’on n’affiche pas ses croyances religieuses.
Bien avant la loi de 1905, qui a été beaucoup citée, les lois de 1881, 1882, 1886 et même de 1903, c’est-à-dire avant la loi de séparation des Églises et de l’État, ont précisé clairement que, à l’école publique, on n’affiche pas – je n’ai parlé que d’affichage – des signes religieux ostensibles.
Notre rapporteur a longuement disserté sur la terminologie du titre. À quoi sert-il d’en modifier le libellé ? Si la proposition de loi est adoptée, c’est le contenu de l’article qui sera appliqué, le titre n’ayant aucune importance.
Je n’ai donc pas très bien compris l’intérêt de la querelle sur les termes du titre. Notre rapporteur pourrait-il nous l’expliquer ?
Comme professeur, j’ai souvent bataillé contre les élèves qui mettaient des titres bien différents de la dissertation qu’ils présentaient. Je pense que le titre doit être en concordance avec le texte. Celui-ci ayant été modifié par rapport à la proposition de loi initiale, cet amendement me paraît de bonne logique.
Je souhaite revenir sur l’intervention de notre collègue de La Réunion. Je ne crois pas que sa question, qui me semblait très pertinente, ait reçu une réponse de la part de M. le rapporteur ou de M. le ministre.
Je rappelle que nous examinons l’amendement n° 9 rectifié. On pourrait refaire tout le débat et reprendre toutes les questions qui n’ont pas obtenu de réponse, mais cela me semble un peu compliqué…
Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié.
L ’ amendement est adopté.
Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Voilà maintenant près de cinq heures que nous débattons de ce texte. Chacun a pu développer ses arguments, et nous voyons bien que nous avons de réelles divergences de point de vue.
Je maintiens que cette proposition de loi est vraiment un texte de circonstance. Après toutes les clarifications qui ont pu être apportées, nous ne sommes toujours pas convaincus de sa nécessité. La loi actuelle est claire. Ce texte sera donc totalement inefficace.
Par ailleurs, pour reprendre ce qu’ont dit M. le ministre et notre collègue Pierre Ouzoulias, dans notre République indivisible, laïque, démocratique et sociale, cette loi n’est pas la bienvenue. Je souhaiterais qu’on s’en tienne aux valeurs de la laïcité et à la loi de 1905. Je suis d’ailleurs effarée et stupéfaite que vous puissiez arranger à votre sauce cette loi, que vous avez qualifiée d’« intransigeante ». Non, la loi de 1905 est une loi de liberté, dont les valeurs sont claires !
Je le répète, il s’agit d’une proposition de loi de circonstance. Dans le contexte actuel, elle est malvenue, voire dangereuse. Nous l’avons dit, elle introduit confusion et amalgames dans un climat de tension. Mes chers collègues, cela fait trois semaines qu’on ne parle que de ça !
Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme Sylvie Robert. Pour toutes ces raisons, et pour tous les arguments que nous avons défendus, nous ne voterons pas cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
M. Pierre Ouzoulias. Ma collègue l’a dit, le contexte est très difficile. Nous avons accepté – je vous demande de le mettre à notre crédit – de revenir sur le terrain du droit, comme le rapporteur nous a demandé de le faire. Mais vous ne nous avez pas donné les explications que nous vous demandions. Vous ne nous avez pas expliqué les raisons pour lesquelles cette proposition de loi a été déposée cinq jours après le vote de la loi Blanquer. Que s’est-il passé durant ces cinq jours pour que vous changiez d’avis ? Ainsi, une disposition rejetée par vous en commission mixte paritaire est devenue fondamentale et indispensable. Quelle est votre motivation profonde ?
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur des travées du groupe LaREM.
Vous nous avez expliqué que vous défendiez la laïcité, abandonnée par la gauche. Je ne doute pas de votre sincérité sur ce point. Nous vous proposerons donc, dans les semaines et mois qui viennent, un certain nombre de propositions de loi nous permettant d’aller plus loin dans la laïcité. Je pense notamment à des textes auxquels vous vous êtes récemment opposés. Nous mettrons ainsi à l’épreuve votre sincérité sur ce sujet.
De notre côté, nous considérons que la laïcité est un outil fondamental dans nos sociétés du XXIe siècle, afin de permettre une émancipation totale des consciences. Nous porterons cette valeur jusqu’au bout, avec vous ou sans vous !
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR. – MM. Henri Cabanel et Joël Labbé applaudissent également.
Je tiens à remercier notre rapporteur et à saluer sa rigueur, qui nous a permis de suivre ce que d’aucuns ont appelé à juste titre un « chemin de crête ». Je tiens également à témoigner de mon respect vis-à-vis de nos collègues ayant déposé cette proposition de loi.
Pour répondre aux derniers propos tenus, je dirai, sans mauvais jeu de mots : ne nous voilons pas la face ! Reste que je ne voterai pas non plus le texte qui nous est proposé. Les mères de famille et les enfants dont nous parlons ont un lien ténu avec la République. Ces enfants sont scolarisés à l’école de la République, là où on forge le creuset de la société. Si nous portons l’anathème sur ces familles, je crains que nous ne les jetions dans les bras de radicaux, qui prétendront que les Français les rejettent.
En même temps, mes chers collègues siégeant à gauche, je veux bien entendre des leçons de morale, mais je rappelle que c’est la majorité sénatoriale qui a voté la proposition de loi sur les établissements privés hors contrat ; à ce titre, je la salue.
Je vous invite tous, mes chers collègues, à considérer qu’il existe dans notre pays des lieux où la République n’est pas. C’est vrai à l’école de la République, dès qu’un petit enfant refuse de s’asseoir à côté d’une petite fille ; c’est vrai à l’hôpital, où certaines personnes ne veulent pas être soignées par des femmes médecins. C’est vrai aussi à l’université, où une pensée politiquement correcte interdit de tenir des débats sur la prévention de la radicalisation.
Monsieur le ministre, vous avez toute ma confiance. Je sais le combat que vous menez pour la laïcité à l’école, et je salue votre action : rien n’a été fait de cette nature auparavant – il faut le dire. Mais, en même temps, la question qui est posée aujourd’hui est celle du communautarisme. Il y va d’une mobilisation en tous lieux de toute la société, du Gouvernement, mais aussi – on l’a dit – des musulmans, qui doivent eux aussi avoir une parole sur le radicalisme et le communautarisme.
Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.
L’immense majorité de notre groupe va bien sûr voter ce texte, parce qu’il est nécessaire, parce que nous devons sortir de l’entre-deux et de l’« en même temps », parce que nous considérons que les règles qui s’appliquent à l’école dans les murs doivent aussi s’appliquer à l’école hors les murs – Max Brisson l’a formidablement démontré.
Cela étant posé, pourquoi l’école doit-elle être le lieu d’une exigence de neutralité religieuse renforcée ?
La première raison tient à la dimension individuelle du problème : les élèves sont des jeunes, des enfants, qui, comme tels, sont en construction, des consciences fragiles qui, comme telles, doivent être libérées de toutes les allégeances, de toutes les affiliations, de tous les déterminismes.
La deuxième raison tient au fait que l’école est aussi le lieu par excellence de la conception que nous nous faisons de la laïcité à la française.
Il existe deux conceptions de la laïcité, deux modèles : une conception républicaine et française et une conception anglo-saxonne, très libérale, que j’ai entendu s’exprimer dans cette enceinte aujourd’hui.
La première différence entre les deux est la suivante : en France, le processus de laïcisation a été public ; la laïcisation s’est faite par l’État, alors que, outre-Atlantique et dans le monde anglo-saxon en général, le lieu par excellence de la liberté individuelle, c’est la société civile. La laïcité à la française, mes chers collègues, ne connaît que le citoyen, qui n’est pas l’individu ; elle ne reconnaît qu’une seule communauté, la communauté nationale, tandis que le régime libéral anglo-saxon ne reconnaît, lui, que l’individu, et s’accommode parfaitement du communautarisme.
Ce texte est important ; il doit nous permettre de lutter en nous munissant de principes républicains. Dans la République, mes chers collègues, le citoyen est beaucoup plus qu’un individu ; en tout cas, c’est un individu qui se défait de ses avis privés, de ses allégeances, de ses particularités, pour rejoindre la communauté nationale.
La logique de la laïcité est la logique de la citoyenneté : ces deux logiques sont sœurs jumelles, et même sœurs siamoises ; elles sont ce qui donne au citoyen cette liberté et cette autonomie qui doivent précisément s’épanouir dès l’école, au plus jeune âge.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au moment où vous vous apprêtez à voter, je voudrais de nouveau, au risque de me répéter, souligner les éléments d’unité entre nous.
Je le dis avec un peu de solennité, le sujet dont nous avons traité aujourd’hui, celui du port du voile ou de signes ostentatoires quels qu’ils soient par des accompagnants, est ambivalent. Il n’est certes pas, sur le plan pratique, le sujet le plus important, aujourd’hui, en matière de laïcité ; en revanche, les débats auxquels il renvoie – nous venons encore de l’entendre – deviennent, eux, des sujets centraux dans notre société – il faut en être conscient.
De ce point de vue, notre responsabilité est grande. Je voudrais remercier l’ensemble des sénateurs et des sénatrices : les débats ont été de grande tenue – l’un d’entre vous l’a dit. Il est normal qu’une diversité de points de vue s’exprime sur un tel sujet. En même temps, il est très important de souligner ce qui nous unit. Le débat entre nous n’est pas tout, en effet ; il faut penser aux commentaires qui en seront faits, à ceux que vous ferez, à n’en pas douter, en sortant de l’hémicycle, et à tout ce qui s’ensuivra.
Tout cela n’est pas forcément facile à comprendre : nous avons tous constaté combien un discours précis, subtil, attentif à chaque mot, n’est pas facile à tenir sur ces questions, alors même qu’elles l’exigent. La dimension juridique du sujet, en particulier, requiert cette précision. Sa dimension politique nous rappelle à notre sens des responsabilités.
Quel que soit le vote que vous ferez dans un instant, nous avons à souligner ces éléments d’unité. Il est très important en effet de dire qu’il existe un contrat social français, qui est un contrat spécifique. S’il y a un point dont on doit se réjouir, c’est qu’au fil des décennies s’est finalement imposée une définition commune de ce contrat, qui n’était pas acquise au début de notre histoire républicaine, et qui peut correspondre à ce que vous venez de dire, monsieur le président Retailleau : nous sommes contre une société fragmentée, contre l’idée que l’appartenance à une communauté serait supérieure à l’appartenance à la République.
Tout le monde ou presque en serait d’accord ; en tout cas, l’immense majorité des Français l’est. Nous avons aujourd’hui à relever le défi consistant à montrer, d’une manière qui ne soit pas apeurée mais constructive et volontariste, la supériorité de la vision républicaine du contrat social. C’est bien ce genre de choses qui se jouent là.
Croyez bien que, sur ces questions, chacune de mes prises de position, aujourd’hui comme hier et comme demain, est inspirée par ce que je vois sur le terrain ; les réponses que je donne me semblent appropriées sur un plan pratique. Or, précisément, sur un plan pratique, je ne pense pas que cette proposition de loi fasse avancer ce que nous souhaitons en matière de laïcité, de lutte contre le communautarisme et de lutte contre la radicalisation. Je voudrais que nous ayons ces trois sujets à l’esprit.
La lutte contre la radicalisation est par définition un sujet d’unité nationale ; elle concerne chacun des services publics, et l’éducation nationale y prend largement sa part en ce moment, même si l’on doit toujours être plus attentif.
La lutte contre le communautarisme ne doit pas tant être une lutte contre qu’une lutte pour : une lutte pour la République, pour des choses auxquelles nous croyons, c’est-à-dire l’égalité des citoyens et l’émancipation par l’éducation. Là encore, ce sujet, qui doit faire de notre part l’objet d’un travail quotidien, nous unit, et il est très important que la société française sente cette unité.
S’agissant enfin de la mise en œuvre des principes de laïcité, notamment de la neutralité du service public de l’éducation, je ne reviendrai pas sur l’ensemble des arguments. Je le redis, il s’agit d’un sujet-frontière : la variable pertinente est-elle l’espace scolaire ou le temps scolaire ? Ce dont je suis sûr – je tiens à le souligner, comme l’ont fait certains sénateurs –, c’est que nous disposons aujourd’hui des outils juridiques qui nous permettent d’assurer le respect de ce principe de neutralité et nous permettront, à l’avenir, d’aller plus loin dans la lutte contre le prosélytisme.
Par ailleurs, quoi qu’il en soit de ce texte, y compris s’il ne devient jamais loi, sachant que, même si vous le votez ce soir, il faudra du temps pour qu’il parvienne devant l’Assemblée nationale, …
… où l’on peut imaginer, le cas échéant, quel sort sera le sien, ce qui pose la question de l’utilité politique d’une telle discussion…
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … – je ne me prononce pas sur ce point –, je soutiendrai évidemment les directeurs d’école dans les mesures qu’ils souhaiteront prendre pour éviter tout prosélytisme. D’une certaine façon, il vous sera démontré que nous pouvons lutter contre le prosélytisme et pour la laïcité avec les outils juridiques dont nous disposons aujourd’hui.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes SOCR, RDSE et UC.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe CRCE et, l’autre, du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Je vous invite, mes chers collègues, à vérifier que votre carte de vote est bien insérée dans votre terminal.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater les résultats du scrutin.
Mmes et MM. les secrétaires constatent les résultats du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 19 :
Nombre de votants317Nombre de suffrages exprimés277Pour l’adoption163Contre 114Le Sénat a adopté.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la conférence des présidents a inscrit à l’ordre du jour de cet après-midi, à la suite de cette proposition de loi, un débat sur le thème : « Assistons-nous au recul de l’État de droit en France ? », puis un débat sur la politique sportive.
Je constate qu’il ne reste pas suffisamment de temps pour commencer le deuxième débat avant la suspension si nous voulons reprendre nos travaux ce soir à une heure raisonnable. Dans ces conditions, en accord avec le groupe Les Républicains, la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation et le Gouvernement, je vous propose de reporter le débat sur la politique sportive à la reprise de la séance, ce soir, avant le débat sur les conclusions du rapport Catastrophes climatiques. Mieux prévenir, mieux reconstruire.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe socialiste et républicain, sur le thème : « Assistons-nous au recul de l’État de droit en France ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe auteur de la demande.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, si nous avons demandé la tenue de ce débat, c’est parce que nous estimons que le Gouvernement distille continuellement le discours de la peur. Ce faisant, il court derrière l’illusion du tout-sécuritaire et met en péril l’équilibre entre libertés publiques et sécurité.
Dans ce monde dangereux, le plus grand péril est peut-être celui de la remise en cause de notre idéal de liberté, car ce monde est aussi celui où les progrès technologiques permettent un contrôle de chacun à chaque instant.
Mes chers collègues, cette liberté, pour s’exprimer, s’appuie sur l’État de droit, c’est-à-dire un État qui protège les individus face à l’arbitraire en soumettant la puissance publique à de puissants contrôles, notamment via la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.
Dans ce cadre, un État de droit a, bien sûr, besoin de forces de l’ordre, et je tiens à rendre hommage à l’action des hommes et des femmes qui ont choisi de passer, voire de risquer, leur vie pour nous protéger ; je salue leur engagement, et je me range à leurs côtés quand, à l’instar de tant d’autres agents publics, ils hurlent leur désarroi face à leurs conditions de travail indignes.
Mais cela ne doit pas nous rendre aveugles au fait que nous assistons à l’institutionnalisation de la machine sécuritaire, au détricotage progressif de nos droits, au recul constant de la place du juge par rapport à celle du préfet. Oui, ce recul est constant ! Où en sommes-nous ?
Vous avez accepté l’assignation à résidence sans intervention d’un juge.
Quel bilan tirer de l’état d’urgence, qui, je le rappelle, a été instauré à un moment particulièrement grave pour notre société ?
Sur les 4 600 perquisitions qui ont été menées durant la période de l’état d’urgence, seules 20 étaient liées au terrorisme et 16 seulement relevaient d’actes d’apologie du terrorisme. L’état d’urgence a occasionné l’interdiction de 155 manifestations en dix-huit mois et a servi de cadre pour ordonner 639 interdictions individuelles de manifester.
Pourtant, alors même que, tirant ce bilan, nous avions démontré que l’état d’urgence n’était pas une réponse satisfaisante et posait de graves problèmes en termes de libertés publiques – par exemple, il a été largement démontré que les individus qui avaient été interdits de manifester n’avaient été, pour nombre d’entre eux, auteurs d’aucune violence –, le Gouvernement a fait en sorte, via la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, d’inscrire les principes de l’état d’urgence dans le droit commun.
Vous avez accepté le filtrage individuel des manifestants.
La loi dite « anticasseurs », promulguée cette année, prévoyait que l’autorité administrative pourrait interdire toute manifestation à une personne constituant une « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ».
C’est accepter l’idée qu’il n’est pas nécessaire de passer à l’acte pour être coupable.
C’est accepter l’idée que le préfet prenne la place du juge – et nous touchons là aux fondamentaux !
Le Conseil constitutionnel a, fort heureusement, joué son rôle de garant et censuré ce dispositif. Avons-nous pour autant entendu ce rappel à l’ordre ? Je ne le pense pas.
Vous avez accepté que la doctrine française du maintien de l’ordre devienne celle de la lutte contre les violences urbaines et que notre gouvernement considère son propre peuple comme son adversaire.
Cela doit nous ouvrir les yeux sur les méthodes qui ont été employées depuis plus de vingt dans nos banlieues et qui, de fait, sont maintenant employées contre des manifestants de tout âge et de toutes origines sociales.
Or, ces méthodes, qui nous apparaissent aujourd’hui dans toute leur violence, comment avons-nous pu accepter qu’elles soient utilisées, normalisées, légitimées, dans des quartiers de France où, désormais, l’uniforme est parfois vécu comme une menace et non plus comme une protection ?
Il faut changer radicalement d’orientation et renouer les liens de notre police avec les Français.
Il ne s’agit pas là de céder à l’angélisme, mais de se rendre à l’évidence : la violence engendre la violence. Nous ne pouvons cautionner les pratiques qui entretiennent les discriminations. La Cour de cassation, en novembre 2016, a relevé le caractère abusif des contrôles d’identité discriminatoires et a condamné l’État pour faute lourde.
Ma collègue Michelle Meunier, élue de la Loire-Atlantique, peut témoigner de ce qui s’est déroulé sous nos yeux : comment certaines manifestations sportives ou culturelles ont servi de laboratoire de la contention, voire de la répression de la foule par les forces de l’ordre, la police finissant, à Nantes, par disperser la Fête de la musique par des mesures disproportionnées, qui ont conduit à la chute dans la Loire de quinze personnes et à la noyade tragique de Steve.
Vous avez accepté le dévoiement total de l’usage des lanceurs de balles de défense, qui blessent gravement et handicapent à vie. Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », vingt-cinq personnes ont perdu un œil, cinq une main.
Je voudrais ici saluer les journalistes, qui, mettant parfois en jeu leur propre intégrité physique, nous ont permis de mesurer les conséquences de cette conception du maintien de l’ordre par la répression systématique. Car qui contrôle les forces de l’ordre ? L’IGPN n’est pas indépendante, le parquet non plus, et le juge est trop peu souvent saisi.
Les experts en droits de l’homme de l’ONU ont fait part de leurs inquiétudes, relevant la mise en place d’une conception nouvelle de la pratique judiciaire, celle d’une société sans vrai procès. Sont pointés du doigt le nombre élevé d’interpellations, de gardes à vue et de fouilles, l’utilisation abusive de la comparution immédiate, des audiences de nuit et des gardes à vue sans qu’aucune infraction soit constatée ou sans qu’aucune condamnation soit prononcée après coup.
Malgré cela, nous offrons souvent de belles leçons de morale « à la française » à ceux qui nous alertent.
Parlons-en, justement, de ceux qui nous alertent. Vous avez accepté de sacrifier les lanceurs d’alerte, notamment les journalistes, sur l’autel complaisant du secret des affaires. Vous avez accepté de mettre en danger le secret des sources. En mai, plusieurs journalistes du Monde et de Disclose ont été convoqués par la DGSI pour avoir diffusé des contenus relatifs à l’affaire Benalla et à l’utilisation d’armes françaises par l’Arabie saoudite au Yémen. En février, Mediapart faisait face à une perquisition scandaleuse !
Vous avez accepté que notre liberté d’expression soit limitée. La proposition de loi contre les contenus haineux sur internet viendra s’ajouter à la liste, alors même que nous avons observé, la semaine dernière encore, à quel point les réseaux sociaux pouvaient être des lieux de censure, après la suspension de comptes Facebook et Twitter de syndicalistes de la SNCF.
Vous êtes en train de céder sur la biométrie faciale, qui va s’installer progressivement, si nous n’y prenons garde, dans notre vie quotidienne. Face à ces dérives permises par les avancées technologiques, la CNIL a de bien trop faibles moyens.
Vous êtes en train de promouvoir la société de vigilance et le transfert de responsabilité de l’État vers les citoyens pris individuellement. Conséquence : ce ne sont plus les autorités qui assument, mais la société tout entière qui s’inquiète et qui, dès lors, participe à la construction des barreaux d’un espace sécuritaire toujours plus important.
Toutes les digues sautent.
Ce qui est sûr, c’est que l’ensemble de ces dispositifs contribuent à accroître la violence dans notre société plutôt qu’à la résorber.
Benjamin Franklin le disait : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux. »
Mes chers collègues, un État de droit, c’est aussi un pouvoir exécutif contrôlé. Notre débat est un débat de contrôle, et nous en connaissons les limites. L’illustration en sera très certainement criante, car, quelle que soit la teneur des propos qui seront échangés ici, quelle que soit la gravité des faits exposés, qui, mis bout à bout, offrent un tableau alarmant de l’état de nos libertés publiques, le pouvoir exécutif nous répondra, certes, mais n’aura aucune obligation d’en tenir compte. Cette situation doit aussi nous interpeller quant au rôle du Parlement, qui doit être renforcé dans l’exercice de ses missions de contrôle.
Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose qu’une « société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » C’est sur ce fondement que nous avons construit patiemment, depuis deux siècles, notre État de droit.
Cet État de droit s’est constitué autour d’institutions parlementaires et juridictionnelles. C’est le Parlement qui, tout d’abord, a su s’émanciper du pouvoir exécutif pour instituer un régime de liberté. C’est l’époque des grandes lois de la IIIe République comme celle sur la liberté de la presse. Nous vivons encore sur ces acquis républicains, qui sont notre ADN commun. Je n’oublie pas que le Sénat fut à cette époque, notamment lors de l’affaire Dreyfus, un défenseur intransigeant de ces libertés. Je ne m’étonne pas que vous soyez encore profondément attachés à ces questions, comme en témoigne le débat d’aujourd’hui.
Cet État de droit s’est aussi constitué grâce à la montée en puissance de nos juridictions judiciaire, administrative et, plus tardivement, constitutionnelle. Je ne prendrai qu’un exemple récent, avec l’introduction dans la Constitution de la question prioritaire de constitutionnalité par la révision constitutionnelle de 2008.
Le débat d’aujourd’hui s’intitule : « Assistons-nous à un recul de l’État de droit en France ? » J’ai entendu le propos introductif de Mme la sénatrice Taillé-Polian et les inquiétudes qu’elle a exprimées. Je vous le dis : je les ai trouvées, pour un certain nombre d’entre elles, excessives, voire inexactes.
Je ne prends pas pour autant à la légère ces préoccupations, car je pense que, en matière d’État de droit, nous devons toujours être vigilants. Il s’agit d’une conquête permanente, et rien n’est jamais totalement acquis. Par tous les moyens, nous devons conforter et même renforcer l’État de droit. Mais faut-il considérer qu’il serait menacé en France ?
En ce domaine, la vigilance n’interdit pas la rigueur et la lucidité. Oui, nous faisons face à des menaces de tous ordres, à des menaces nouvelles, à des menaces qui s’amplifient ! Le terrorisme a justement pour projet d’anéantir tout ce à quoi nous croyons ensemble : la République, la démocratie, la liberté, l’égalité, en particulier l’égalité entre les hommes et les femmes.
Madame la sénatrice, il me semble que ce gouvernement a justement voulu sortir de l’état d’urgence. Un gouvernement précédent avait été obligé de l’instaurer – et il avait eu raison –, mais c’est nous qui avons fait entrer dans le droit commun des mesures auparavant exceptionnelles.
Le populisme et la démagogie entendent aussi ébranler notre démocratie représentative. Or, si la représentation politique doit évoluer et faire plus de place à la participation des citoyens, elle constitue le fondement de notre démocratie et, partant, de notre État de droit.
Ne nous y trompons pas. Ceux qui sèment le désordre absolu ou qui le cherchent n’ont jamais pour dessein de respecter les libertés. L’histoire en offre bien des témoignages.
Face à cela, le Gouvernement est attentif à assurer le respect des libertés en trouvant des équilibres entre différentes aspirations. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’il s’agit de rendre possible le droit de manifester dans des conditions sereines en empêchant les casseurs – car c’est bien de ce cela dont il s’agit – de porter atteinte aux personnes et aux biens.
Tel est aussi le cas lorsqu’il s’agit de lutter contre la propagation de la haine en ligne dans un espace numérique où le meilleur et le pire souvent se côtoient. Nous devons trouver des équilibres entre le maintien de la liberté de cet espace, mais aussi le respect des personnes en mettant fin à ce qui s’apparente parfois à des torrents de haine déversés en toute impunité.
Tel est encore le cas quand nous luttons contre les manipulations de l’information et les fake news, car elles peuvent porter atteinte au fonctionnement de notre démocratie – on l’a vu dans d’autres pays – avec des conséquences d’une extrême gravité.
Quant à la justice, elle demeure le fondement même de l’État de droit. Le Gouvernement s’est engagé dans une réforme de fonctionnement avec la loi de programmation de la justice afin de donner plus de moyens à cette dernière et de lui permettre d’être plus accessible à nos concitoyens.
C’est également préserver l’indépendance de la justice. La loi organique de 2013 a interdit les instructions individuelles faites aux parquets. Le Gouvernement respecte scrupuleusement cet interdit. Quant aux nominations des membres du parquet, le Gouvernement propose que le Conseil supérieur de la magistrature donne désormais un avis conforme.
Madame la sénatrice, vous avez pris des positions très critiques faisant état d’une présidence autoritaire ou de lois liberticides. Votre droit de porter ces critiques est fondamental, et je suis heureux que vous puissiez l’exercer pleinement. C’est ce qui nous vaut ce débat aujourd’hui. Mais je crois que ce sujet est suffisamment important pour ne pas porter de jugements excessifs ou à l’emporte-pièce, car l’État de droit est une chose précieuse et fragile.
Par son article V, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. »
Des lois sont votées. Certaines d’entre elles défendent les actions nuisibles à une société fragile et en proie au doute. Le Conseil constitutionnel veille à ce que les lois respectent l’État de droit. Telle est la situation dans notre pays. Je crois que nous devons en apprécier toute la réalité, car, dans bien d’autres pays, y compris parfois en Europe, tel n’est pas tout à fait le cas.
Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
L’État de droit est un concept juridique, philosophique et politique. Il implique dans un État la prééminence du droit sur le pouvoir politique et que tous, gouvernants et gouvernés, doivent obéir à la loi. En effet, l’État de droit suppose le respect de la hiérarchie des normes, l’égalité devant le droit et l’indépendance de la justice.
La loi votée par le législateur peut être déclarée inconstitutionnelle par une cour qui s’appuie sur un certain nombre de principes. La réforme du 23 juillet 2008 de notre Constitution permet, sous certaines conditions, d’invoquer l’inconstitutionnalité d’une loi. C’est la question prioritaire de constitutionnalité.
On peut également considérer l’État de droit d’une façon bien plus large que le seul respect de la hiérarchie des normes, en intégrant dans sa définition un contenu dont le cœur est, en France, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Constitution de 1958.
Dès lors, il apparaît que la question des mesures à prendre d’urgence pour lutter, par exemple, contre les violences terroristes, met en cause ces différentes conceptions de l’État de droit. Or, dans les pays démocratiques, il est essentiel que les ennemis de la démocratie soient combattus par des moyens démocratiques. C’est même la difficulté centrale !
L’État de droit existe lorsque la loi votée par le Parlement est appliquée et que les décisions administratives sont rapidement exécutées.
L’État de droit existe lorsque les citoyens ont confiance dans les institutions de la République et que celle-ci sait, d’une part, se faire respecter et, d’autre part, faire respecter les droits fondamentaux de ces derniers.
Pour ma part, mes chers collègues, sur ces deux points et pour ne citer qu’eux, il me semble que le doute est permis et que le recul est flagrant. Aussi prenons garde, monsieur le ministre, à cette situation, car, lorsque l’État de droit est bafoué, ce sont la cohérence et la solidarité de la nation qui sont menacées. Qu’entendez-vous faire pour améliorer cette situation ?
Monsieur le sénateur, l’État de droit suppose un strict respect, vous l’avez rappelé, de la hiérarchie des normes – on le sait depuis deux siècles, et c’est finalement l’un des héritages des Lumières et de la Révolution française –, mais aussi et surtout de la doctrine constitutionnelle du début du XXe siècle, en particulier celle de Hans Kelsen.
Dans notre pays, nous avons désormais un édifice juridique très robuste. L’institution du Conseil constitutionnel en 1958, sa décision de 1971 sur la liberté d’association, sa saisine ouverte à soixante parlementaires – réforme que l’on doit au Président Giscard d’Estaing – et, enfin, l’introduction de la QPC en 2008 : tout cela a contribué à ce que notre bloc de constitutionnalité soit protégé et respecté.
La loi doit respecter la Constitution, vous le savez mieux que moi encore. Elle doit aussi respecter les conventions internationales, singulièrement la convention européenne des droits de l’homme. Il appartient ici à toutes les juridictions d’assurer ce respect, ce que les juges judiciaires depuis 1975 et les juges administratifs depuis 1989 font. C’est aussi l’une des conditions absolues de notre État de droit. Il s’agit même d’une certaine façon de sa clé de voûte.
Le Gouvernement est toujours attentif à ces données juridiques, comme le Parlement d’ailleurs. Il ne le serait pas que les juridictions, en particulier le Conseil constitutionnel, nous rappelleraient à l’ordre, comme elles le font parfois à bon escient.
Le fondement de l’État de droit, c’est une séparation des pouvoirs dans laquelle l’autorité judiciaire est indépendante et la justice ainsi que les décisions qu’elle rend sont dépourvues de toute suspicion.
Notre Constitution prévoit que le juge judiciaire est garant de nos libertés individuelles. L’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme garantit, quant à lui, le droit à un procès équitable, dont le principe du contradictoire est un des fondements.
Or nous assistons actuellement à un inquiétant glissement des prérogatives du juge judiciaire vers l’exécutif et l’administration, mais aussi à plusieurs atteintes aux droits de la défense, qui sont particulièrement inadmissibles et inquiétantes pour nos libertés. À ce titre, j’évoquerai les pratiques relatives à des personnes étrangères « entendues » en visioconférences effectuées depuis un commissariat dans le cadre d’un appel de la décision du juge des libertés et de la détention prolongeant leur enfermement, dans l’attente d’une procédure d’éloignement. Cela s’est produit dans un commissariat, un établissement de police, dépendant du ministère de l’intérieur, qui jouxte le CRA d’Hendaye au Pays basque !
Plusieurs associations et syndicats d’avocats ont dénoncé ces audiences scandaleuses « conçues dans le seul but de faire l’économie des escortes policières » et « tenues en violation des principes les plus essentiels régissant les débats judiciaires dans un État de droit ».
Si les vidéoaudiences, sans consentement des intéressés, ont été malheureusement introduites avec le vote de la loi Collomb relative à l’asile et à l’immigration, il n’en demeure pas moins que l’article L. 552-12 du Ceseda prévoit à cette fin des « salles d’audience ouvertes au public » et la « confidentialité de la transmission ». Or, en l’espèce, un commissariat n’est pas une salle d’audience remplissant ces conditions !
Ces vidéoaudiences semblent donc dépourvues d’une base légale. Comment rendre une justice impartiale depuis des locaux de police et en dehors d’un bâtiment du ministère de la justice ? Comment rendre la justice sans respecter les conditions de son exercice, de son impartialité et le droit de la défense ?
Monsieur le ministre, dans un climat où le justiciable manifeste de plus en plus de méfiance à l’égard du système judiciaire, comment peut-on justifier de telles dérives ?
Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur certaines conditions de garde à vue.
Les gardes à vue demandées sur l’initiative d’un officier de police judiciaire, ou sur demande d’un procureur ou d’un juge d’instruction, sont toujours placées sous le contrôle d’un magistrat, qui peut les lever dès qu’il estime que la mesure n’est plus nécessaire. Le code de procédure pénale décrit précisément les cas dans lesquels des personnes peuvent être placées en garde à vue. Il s’agit, principalement, de conduire l’enquête et d’empêcher que l’infraction ne se poursuive. C’est une mesure essentielle au travail d’investigation, qui a son équivalent dans tous les systèmes juridiques.
La garde à vue est soumise enfin au contrôle des juridictions de jugement lorsque la procédure est présentée au tribunal.
Vous posez la question du recul en France de l’État de droit en raison d’un recul du juge dans ce domaine. Je puis vous garantir qu’il n’en est rien. L’emploi des moyens coercitifs est très encadré et le contrôle du juge est omniprésent, que ce juge soit le juge national ou parfois le juge européen.
Monsieur le ministre, je vous interrogeais d’abord sur la vidéoaudience et sur la justice rendue dans des commissariats. Vous avez répondu à côté. Avez-vous écouté ma question ou avez-vous mélangé vos réponses ? Je l’ignore. Quoi qu’il en soit, vos explications n’ont rien à voir avec la question que j’ai posée, ce qui prouve bien la considération du Gouvernement pour l’État de droit !
Je remercie tout d’abord nos collègues du groupe socialiste et républicain de ce débat qui soulève beaucoup de passions, mais aussi des questions consubstantielles à notre démocratie. Ce rappel est salutaire : notre État de droit n’est pas un acquis qu’il nous suffit de revendiquer par réflexe, sans conscience ni vigilance. Il doit être protégé en permanence et affermi contre tous ceux qui abusent de ses valeurs pour prêcher l’intolérance et tenter de miner nos libertés.
Oui, notre République est le fruit d’une histoire complexe, d’oppositions, de luttes, comme de moments d’unité nationale lorsque l’essentiel est en jeu ! La démocratie représentative en est l’incarnation, certes imparfaite, mais sûrement la plus poussée pour que s’expriment les composantes du corps social.
Le Parlement vote la loi, dans les conditions fixées par la Constitution de 1958, mais encore faut-il qu’il dispose de toute l’information utile pour délibérer en connaissance de cause. Or notre société tend vers toujours plus de complexité et d’informations à trier et à analyser.
J’ajoute que la Constitution favorise structurellement la concentration par le pouvoir exécutif de la masse critique de données nécessaires pour légiférer. Je pense, par exemple, aux données de fiscalité locale, qui seraient indispensables au représentant des collectivités territoriales qu’est le Sénat.
C’est enfin peu dire également que les études d’impact sont des coquilles vides en ce qu’elles n’engagent pas à grand-chose, puisque seul leur formalisme fait grief.
Ma question est donc simple : comptez-vous améliorer l’information préalable du Parlement, en lui donnant réellement accès à davantage de données, afin de nourrir ses travaux et d’éclairer ses votes ?
Monsieur le président Requier, vous m’interrogez au fond sur trois sujets.
Premièrement, vous m’interrogez sur l’information des parlementaires en amont des débats législatifs. Il me semble qu’on essaye de progresser, puisqu’un agenda prévisionnel sur trois mois est envoyé au Sénat pour faciliter le travail en amont et que nous avons pu, dans certains cas – c’est au président du groupe du RDSE que je m’adresse –, travailler à la construction avec les sénateurs. Je pense, par exemple, à la conférence de consensus qui s’est tenue sur le logement, initiative proposée par le Sénat pour préparer le projet de loi sur le logement.
Deuxièmement, vous m’interrogez sur les études d’impact et leur caractère parfois imparfait, incomplet ou insatisfaisant. Je vous rappelle qu’une circulaire du Premier ministre, en date du 5 juin 2019, demandait que les études d’impact puissent comporter des indicateurs permettant de préciser les effets attendus de la réforme envisagée. Ce sont des objectifs mesurables, tournés vers les Français, pour partie qualitatifs et aisément compréhensibles par tous : faciliter l’information des sénateurs et améliorer le suivi après le vote des lois.
Troisièmement, vous m’interrogez sur les données fiscales. Une convention passée avec le Sénat permet l’accès au logiciel dit « Chorus », qui est l’outil de gestion financière, budgétaire et comptable de Bercy. Il me semble qu’un hackathon est prévu à partir du mois de janvier avec Bercy et le Sénat sur cette question. Cette manifestation permettra aussi d’améliorer le processus sur l’accès aux données fiscales.
L’État de droit est-il en recul en France ? À cette interrogation, je répondrai sans préambule que, oui, indéniablement, l’État de droit est mis à mal au sein de la nation.
Qu’est-ce qu’un État de droit ? Un système institutionnel dans lequel la séparation des pouvoirs est de mise. Un système institutionnel dans lequel la branche judiciaire prévient toute atteinte aux libertés fondamentales et sanctionne sa police quand des dérives sont à déplorer, comme ce fut le cas avec le mouvement social des « gilets jaunes », à l’encontre des lycéens de Mantes-la-Jolie ou quand le jeune Steve a disparu.
Depuis plusieurs années, tant les exécutifs successifs que la majorité conservatrice du Sénat utilisent la loi pour porter atteinte à de nombreux droits fondamentaux.
En 2017, un projet de loi a fait entrer dans le droit commun des dispositions de l’état d’urgence. En avril et en octobre 2019, des propositions de loi sont venues gravement porter atteinte aux droits à manifester et à s’exprimer dans l’espace public.
Peu à peu, nous entrons dans une société de la répression permanente. Les droits inhérents à une démocratie moderne sont mis à genou au nom de la lutte contre le terrorisme et du maintien de l’ordre public.
Alors que tout semble désormais permis en matière sécuritaire, ma question est simple, monsieur le ministre : quand les pratiques de nos forces de police seront-elles encadrées, sur le modèle de la « désescalade » dans les manifestations appliquée en Allemagne et dans les pays scandinaves ?
Madame la sénatrice, je ne partage pas votre point de vue sur la question de l’État de droit. Le recours assez régulier à la violence dans les manifestations, c’est un problème pour l’État de droit. La menace qui pèse sur les journalistes dans leur travail, c’est une menace contre l’État de droit. Les violences à l’endroit des policiers ou des forces de secours, c’est une menace contre l’État de droit. Les actions terroristes et le danger qu’elles font peser, y compris sur la cohésion collective, c’est une menace contre l’État de droit.
On peut certes regarder les choses comme vous le faites, mais un certain nombre d’événements se produisent qui nécessitent que notre pays se dote de moyens et d’outils pour rétablir l’État de droit et protéger nos citoyens, y compris dans leur droit de manifester.
Je vous rappelle que nous sommes profondément attachés – cela a été rappelé à plusieurs reprises – à la liberté de manifestation. Ce droit s’inscrit dans les racines de notre démocratie, c’est d’ailleurs un droit et une liberté fondamentale. Contrairement à ce que vous dites, je ne pense pas que nous pénalisions le droit à manifester – car, au fond, c’est ce que vous affirmez. En revanche, il faut reconnaître que, lors de l’émergence il y a tout juste un an du mouvement des « gilets jaunes », des faits d’une violence inouïe ont été commis à Paris ou en région. Chacun a pu le mesurer : cela n’a plus rien à voir avec le fait d’exprimer son opinion sur la voie publique.
Les parquets ont exercé leurs prérogatives, conformément à la loi. Des manifestants qui commettent des actes délictuels – pillages, violences – contre les forces de l’ordre ne sont plus des manifestants et doivent être poursuivis conformément à la loi.
Garantir l’État de droit, c’est garantir la possibilité de manifester publiquement. Je ne voudrais pas que, par notre incapacité à empêcher les Black Blocs d’agir, nous privions les manifestants pacifistes du droit à manifester. C’est bien dans ce cadre-là que la doctrine du maintien de l’ordre s’inscrit pour faire respecter l’État droit, en particulier la liberté de manifester.
Monsieur le ministre, la sécurité doit nous permettre d’exercer nos libertés et non de les restreindre. Vous avez parlé des « gilets jaunes » et de leur violence. Je crois que vous les confondez avec les Black Blocs ! Ceux qui commettaient les violences, c’étaient des Black Blocs que les forces de l’ordre n’arrêtaient pas ! Certes, il y a eu également des violences de la part des « gilets jaunes », mais, curieusement, les Black Blocs n’ont pas souvent été arrêtés…
Notre population est meurtrie par plusieurs mois de contestation sociale. Le rôle de l’État de droit est de permettre à nos concitoyens d’exercer leur liberté d’expression et de manifester. Les entraves se multiplient ces derniers mois. Je crains, hélas ! que nos institutions ne puissent bientôt plus garantir liberté et sérénité aux mouvements sociaux populaires dans nos territoires.
Nous avons vu ces dernières années le climat sécuritaire de la France se tendre. Afin de parer les menaces, des mesures ont été prises. Le gouvernement précédent y a largement contribué, notamment avec l’importante loi relative au renseignement de 2015 et un état d’urgence prolongé. La majorité actuelle poursuit cette démarche, et certains sont inquiets de voir la liberté de plus en plus contrainte au profit de la sécurité.
Il est vrai que nous voyons dans le domaine de la sécurité, comme dans les autres, proliférer une inflation législative toujours plus difficile à maîtriser. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », disait Montesquieu. La profusion permanente de nouvelles règles fait peser un risque sur l’État de droit.
Nul n’est censé ignorer la loi, mais qui peut prendre connaissance et retenir la soixantaine de lois promulguées chaque année ?
Partant de ce constat, le groupe Les Indépendants est convaincu que nous devons collectivement veiller à limiter la production de nouvelles normes et à ce que les lois restent de portée générale et visent à s’appliquer à tous. Cela nous permettrait d’améliorer sensiblement la stabilité du cadre juridique de nos concitoyens, mais aussi la connaissance des libertés et des devoirs de chacun.
À l’heure actuelle, certaines normes créent de nouveaux dispositifs censés être plus adaptés aux situations nouvelles. Mais nous constatons bien souvent qu’un dispositif préexistant, de portée plus générale, pourrait suffire à régler les difficultés récentes s’il était effectivement mis en œuvre.
Monsieur le ministre, le Gouvernement partage-t-il ce point de vue et compte-t-il s’engager sur cette voie aux côtés du Parlement ?
Madame la sénatrice, vous avez raison : l’État de droit, c’est aussi la lisibilité du droit, car si nul n’est censé ignorer la loi, encore faut-il être en mesure de la connaître dans sa profusion. Aucun esprit, aussi puissant soit-il, même s’il avait les capacités d’un Pic de la Mirandole, n’est en mesure aujourd’hui de maîtriser tout notre corpus législatif. Vous le soulignez à juste titre : lutter contre l’inflation législative est au fond un vieux combat. Chacun s’y est attaqué à sa façon, quelles que soient les majorités.
Le Sénat a pris des initiatives heureuses, par exemple, en déclarant irrecevables de manière systématique les amendements non normatifs, les cavaliers divers ou réglementaires. Mais cela ne peut suffire, et le chantier est immense, car nous partons de loin.
Des solutions plus fortes pourraient être trouvées, je suis d’accord avec vous. Si la Constitution de 1958 établit une distinction plus stricte entre la loi et le règlement, c’est aussi pour préserver le caractère simple, lisible et surtout général de la loi. Nous devons retrouver collectivement cet esprit et cette inspiration initiale. Il faut être conscient que voter des lois plus générales, c’est aussi donner plus de latitude aux juges pour régler au quotidien les litiges. Cela a toujours été l’office de la jurisprudence. C’est aussi ainsi que cela se passe dans de nombreux pays qui sont de grands États de droit.
Je suis, pour ma part, grandement convaincu de la nécessité de nous guérir d’une forme d’addiction nationale à la loi et au normatif, ce qui faciliterait au passage le travail du ministre des relations avec le Parlement. §Néanmoins, je suis un peu dubitatif sur notre capacité à trouver des remèdes à la hauteur de ce mal bien français, mais nous y travaillons. C’est en tout cas ce à quoi s’attache chacune des institutions pour ne pas aggraver cette inflation législative.
Je remplace Vincent Delahaye, qui ne pouvait être parmi nous.
« Sans liberté, il n’y a rien dans le monde. Sans liberté, il n’y a pas de société politique, il n’y a que le néant. » Ainsi s’exprimait Chateaubriand, lui qui avait tout connu des horreurs de la terreur révolutionnaire, de l’autoritarisme impérial et de la réaction de Charles X. Il nous rappelait que sans liberté les citoyens ne sont plus que des individus isolés, face à un État porté par nature à réduire la liberté au nom de l’efficacité.
Certes, la France de 2019 n’est plus celle de 1848. La France est évidemment un État de droit, donnant vie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’elle est si fière d’avoir rédigée. Néanmoins, depuis quelques décennies, notre législation tend davantage à multiplier les interdits, à accroître la répression et à banaliser les exceptions plutôt qu’à proclamer et à protéger de nouvelles libertés. Nous réduisons largement les libertés des individus dans la société en contrepartie d’une sécurité qui n’est pas toujours bien vécue.
Que la violence et la haine soient blâmables ne fait aucun doute. Que le terrorisme soit le fléau de l’époque pour lequel aucune pitié n’est permise, assurément. Mais cela ne doit pas se faire au mépris de nos libertés que détestent tant ceux que nous combattons.
Force est néanmoins de constater que le recul des libertés se fait par petites touches. Pour ne citer que deux exemples, est-il pertinent de demander au juge de définir dans l’urgence ce qu’est une « fausse information » et ce qui ne l’est pas ? Est-il opportun de réinstaurer une sorte de délit d’opinion comme le préconise la proposition de loi Avia relative à la répression des discours de haine sur internet ? Cette proposition de loi fera des gestionnaires de réseaux sociaux des censeurs arbitraires, sans légitimité démocratique.
La liberté a un prix : celui d’être blessé, révolté et atteint par les opinions contraires. Monsieur le ministre, comme l’écrit François Sureau, si la gauche a abandonné la liberté comme projet et la droite comme tradition, qu’en est-il du Gouvernement ?
Vincent Delahaye propose que l’on abandonne l’examen de la proposition de loi Avia.
Monsieur le sénateur, vous m’interrogez en particulier sur la proposition de loi Avia. Ce texte est important, car il tend à mettre les grands fournisseurs d’accès et les GAFA face à leurs responsabilités. La cyberhaine est un fait, vous n’en avez pas disconvenu. Les infractions ainsi commises doivent être sanctionnées, qu’elles soient commises dans la réalité ou dans un espace virtuel. Des équilibres doivent être trouvés. Mme Avia et l’Assemblée nationale s’y sont employées. Je suis certain que le Sénat examinera avec minutie ce texte, comme il le fait toujours, en veillant au plus près au respect des équilibres.
Les enjeux sont, il est vrai, importants. Il ne faudrait pas en arriver à instaurer des mécanismes qui restreindraient les libertés d’expression, mais il importe aussi de sanctionner ce qui relève d’un délit. On ne doit pas impunément pouvoir appeler dans l’espace virtuel à la haine raciste, à l’antisémitisme, à l’homophobie ni proférer des menaces sur internet ou sur les réseaux. Je suis certain que c’est aussi ce que vous souhaitez.
La proposition de loi Avia a été examinée par le Conseil d’État – c’est un élément de nos institutions –, comme c’est possible depuis la révision constitutionnelle de 2008. Le Conseil d’État a fixé le cadre de référence de la Constitution et de la Cour européenne des droits de l’homme. Je sais que l’Assemblée nationale s’est conformée à cette exigence. La Haute Assemblée, je n’en doute pas, examinera tout cela avec attention, et je fais confiance au débat qui aura lieu ici.
L’État, selon Max Weber, se caractérise par le monopole de la violence légitime. Guy Carcassonne l’affirmait : « L’emploi de la force publique ne peut se faire que dans le respect du droit, et c’est le fait que l’État se plie à cette exigence qui définit justement ce qu’on appelle l’État de droit ».
Cette idée figure à l’article XII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » C’est l’État de droit comme rempart à l’arbitraire, à l’État de police qui ne connaît pas d’autre limite à sa volonté ou à son action que celle de ses forces.
Après l’attaque de la préfecture de police, le Président de la République a affirmé que les institutions seules ne suffiront pas à venir à bout de l’islamisme souterrain. Il a appelé « à bâtir une société de la vigilance », exigeant de chaque citoyen qu’il apporte son concours à la force publique. Ces déclarations ont probablement justifié le présent débat. Si elles interrogent, elles sont surtout révélatrices d’une impuissance de l’État à faire respecter le droit, à faire cesser les atteintes et les provocations contre la République.
Cette crise de l’État de droit ressort, tout d’abord, de son incapacité à garantir la sécurité sans entraver la liberté. La sécurité n’est pas une liberté, mais c’est l’une des conditions de l’exercice de nos libertés. Pendant la crise des « gilets jaunes », la réponse de l’État a été de dire : n’allez pas manifester, car vous ne serez plus en sécurité. Comment en est-on arrivé là ?
Un an et demi après l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les ex-zadistes sont toujours présents et les tensions demeurent.
Cette crise existe aussi au plus haut de l’État, lorsque l’exécutif critique une mission d’information qui témoigne pourtant de l’indépendance d’une assemblée parlementaire dans l’exercice de son devoir de contrôle, ou encore lorsque la présence d’un juge d’instruction pourrait dépendre des résultats électoraux.
Je conclurais par une citation du général de Gaulle : « Plus le trouble est grand, plus il faut gouverner ! » Monsieur le ministre, quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour que l’État de droit ne recule plus en France ?
Monsieur le sénateur, vous avez cité avec raison Max Weber, car il a formulé de la manière la plus limpide qui soit les conditions dans lesquelles l’État peut recourir dans certains cas – et dans certains cas seulement – à la force.
L’État de droit doit être protégé contre tous les actes qui entendent y porter atteinte. Je suis d’accord avec vous : pour que l’État de droit existe, il est nécessaire que l’État dispose des moyens juridiques, matériels et humains lui permettant de l’exercer. C’est d’ailleurs de ces moyens dont nous discuterons de nouveau lors du débat budgétaire pour 2020. Nous avons besoin de moyens pour faire respecter les lois.
Vous avez raison de le souligner, la République n’est plus la République sans ce respect des lois. Le Gouvernement n’a de cesse d’assurer ce respect.
En revanche, je suis moins d’accord avec vous quand vous parlez de la séparation des pouvoirs. Lorsqu’un ministre de la justice appelle à respecter la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice au moment de la création d’une commission d’enquête, il s’agit tout simplement de la stricte application de l’ordonnance du 17 novembre 1958. Cela ne porte pas atteinte à la souveraineté parlementaire ?
Vous nous sollicitez pour que nous proposions des mesures concrètes. Elles sont prises chaque jour lorsque les forces de l’ordre font face à des manifestants violents ou luttent contre le terrorisme. Elles sont prises aussi quand nous donnons plus de moyens à la justice. Elles sont enfin prises quand nous soutenons des initiatives parlementaires, comme celle de la proposition de loi d’initiative sénatoriale sur la liberté de manifester, qui a été reprise par le Gouvernement et votée à l’Assemblée nationale.
M. Jean-Yves Leconte . Monsieur le ministre, sentez-vous libre de répondre à ma question précédente…
Sourires sur les travées du groupe SOCR.
Dans un État de droit, toute réduction d’une liberté ou toute contrainte imposée doit être soumise au contrôle du juge et doit se limiter à ce qui est strictement nécessaire et proportionné. Ces principes sont réaffirmés à l’article 66 de la Constitution et constituent le fondement de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ils sont également rappelés dans la convention européenne des droits de l’homme.
En 2015, compte tenu d’une situation dramatique, nous avons dû nous résoudre à déclarer l’état d’urgence et à donner à l’administration des compétences auparavant dévolues au seul juge du siège.
En 2017, le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a décidé que ces mesures exceptionnelles devaient entrer dans le droit commun, confortant ainsi, en particulier, le rôle du parquet, du procureur, en cas de mesures administratives prises à titre préventif.
En 2018, la conjugaison de votre doctrine et de l’évolution de la doctrine du maintien de l’ordre face à la crise des « gilets jaunes », marquée par votre volonté d’appliquer aux manifestants des dispositions inspirées de la lutte antiterroriste en donnant aux préfets des pouvoirs de prévention et d’interdiction de manifester vis-à-vis de personnes non condamnées par un juge, a conduit à limiter largement la liberté de manifester des Français.
Dans ce contexte, compte tenu des nouvelles prérogatives aujourd’hui confiées aux procureurs, quand aurons-nous un parquet réellement indépendant ?
Monsieur le sénateur, je tâcherai dans quelques instants de répondre à la question à laquelle j’ai imparfaitement répondu… Reconnaissez que je ne suis pas garde des sceaux : je m’efforce humblement de suppléer ma collègue, et, si des précisions vous manquent, je vous propose que nous vous fournissions un complément de réponse écrit.
S’agissant d’abord de la doctrine d’emploi des forces, je rappelle que le maintien de l’ordre et l’usage juste et proportionné de la force publique sont seuls légitimes dans une démocratie, afin de de rétablir la paix publique lorsque des troubles sont causés et à l’égard de ceux qui ne respectent pas le cadre légal de la manifestation publique. La doctrine de maintien de l’ordre établie par le Gouvernement s’inscrit dans le cadre de ces principes, que vous avez aussi rappelés.
L’emploi des moyens des forces de l’ordre en cas de trouble est gradué en fonction de l’importance de celui-ci. C’est cet équilibre entre le respect du droit de manifester et la garantie de la sûreté qui fonde l’État de droit en démocratie.
Le dialogue est toujours privilégié, et les forces de l’ordre sont réorganisées dans leurs modes d’intervention pour cibler les fauteurs de troubles, en particulier pour empêcher les Black Blocs de se constituer en noyau, et permettre aux manifestants de poursuivre leur marche.
Ainsi, la doctrine du maintien de l’ordre n’a pas d’autre objectif que de garantir le déroulement normal des manifestations. Nous ne devons pas laisser la liberté de manifester, qui est à la racine de la démocratie, être entravée par des individus qui n’ont d’autre mode d’expression que la violence.
J’en viens aux visioconférences. Le Conseil constitutionnel a jugé que le recours à ce dispositif contribuait à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics. Par ailleurs, dans certains cas, qu’il s’agisse de prolonger une garde à vue ou une détention, la visioconférence suppose l’accord de la personne concernée.
En ce qui concerne les étrangers placés en rétention sur proposition de l’autorité administrative, il importe que les prolongations respectent le cadre légal : ces mesures, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, sont soumises à l’État de droit. Les prolongations sont faites dans ce cadre et évaluées. Par ailleurs, des voies de recours existent, qui garantissent aussi l’État de droit.
Enfin, je répète que les procureurs ne peuvent plus recevoir d’instructions individuelles depuis 2013 ; en outre, ils ne sont pas nommés si le Conseil supérieur de la magistrature émet un avis non conforme aux propositions de la garde des sceaux.
Merci, monsieur le ministre, pour ces quelques précisions sur les vidéoaudiences. Il importe, pour respecter et faire respecter la justice, que celle-ci soit rendue dans des locaux adéquats – pas dans les commissariats.
S’agissant de l’indépendance du parquet, le Sénat et l’Assemblée nationale ont voté une réforme constitutionnelle. Il convient maintenant, sans attendre le prochain épisode de la série « révision constitutionnelle », que le Congrès adopte définitivement cette réforme pour un Conseil supérieur de la magistrature plus indépendant, rendue indispensable par l’accroissement continu des compétences des procureurs.
L’été dernier, plus d’une quinzaine de permanences parlementaires ont été vandalisées et, parfois, visées par des inscriptions injurieuses.
L’été dernier aussi, au lendemain du décès du maire de Signes dans l’exercice de ses fonctions, la commission des lois du Sénat a lancé une consultation des élus pour prendre la mesure des incivilités et violences dont ils sont victimes. Parmi les élus ayant participé à cette consultation, 92 % affirment avoir été victimes d’incivilités, d’injures, de menaces ou d’agressions civiques. Or ils ne sont que 37 % à avoir saisi la justice, et 21 % seulement des plaintes ont abouti à la condamnation pénale des fautifs.
Enfin, le Sénat constate également une augmentation des agressions contre les sapeurs-pompiers, aujourd’hui au nombre de soixante-quatorze par mois en moyenne. Cette augmentation a atteint plus de 23 % entre 2016 et 2017.
Si l’État de droit s’impose à l’État pour la protection des libertés individuelles et des droits de l’homme, il s’impose également aux individus, qui ne peuvent en faire un totem. Car l’État de droit n’est pas une orientation politique ou idéologique, mais consiste en l’application des règles de droit.
L’État de droit doit assumer la liberté, mais aussi combattre l’incivisme et refuser l’immobilisme ; il doit assurer la sécurité de nos concitoyens tout en prévenant l’arbitraire.
Le thème même de ce débat, suggérant un éventuel recul et, a contrario, la possibilité d’avancées, montre que l’État de droit n’est jamais définitivement acquis. De fait, la défiance généralisée, synonyme de manichéisme croissant, ne saurait justifier qu’on se soustraie aux règles de droit pour répondre aux fractures sociales et territoriales qu’elle dénonce. Ce serait apporter de mauvaises réponses à de bonnes questions et affaiblir encore plus le fonctionnement apaisé de notre démocratie.
Monsieur le ministre, comment peut-on rappeler que l’État de droit n’est pas une formule incantatoire, mais reste un objectif à fixer et une ambition à marteler sans cesse face aux attaques dont j’ai parlé ?
Monsieur le sénateur, vous m’interrogez en particulier sur les violences contre les élus, locaux ou nationaux.
La préoccupation et la vigilance du Gouvernement sont maximales face à la recrudescence constatée du nombre d’agressions contre des élus locaux, des parlementaires ou leur permanence. Ainsi, la garde des sceaux prépare une circulaire, qui sera diffusée dans les prochains jours à l’ensemble des procureurs généraux et des procureurs de la République, afin de rappeler que les infractions commises contre les élus, qu’ils soient dépositaires de l’autorité publique, comme les maires, ou chargés d’une mission de service public, comme les parlementaires, sont aggravées du fait de leur qualité ; que la réponse pénale, si elle doit être adaptée aux faits et à la personnalité des auteurs, doit être systématique, après défèrement des mis en cause dans les cas les plus graves ; et que les élus victimes doivent être systématiquement tenus informés des suites données à leur plainte.
Plus largement, le dialogue entre les élus, les forces de police et les parquets, déjà permanent, doit être une priorité, car, au-delà du meilleur traitement de la délinquance qu’il permet, il doit aider à comprendre les préoccupations et les alertes et, ainsi, à mieux prévenir les atteintes aux élus, négation même de la démocratie.
Outre les élus, vous avez cité le cas des pompiers ; d’autres autorités, comme les magistrats ou les journalistes, sont également concernées, sans oublier les personnels d’accueil de certains établissements. Nous devons être particulièrement vigilants pour tous et, à chaque fois, trouver une réponse adaptée aux faits graves qui sont commis.
Je serai factuel, en prenant l’exemple le plus visible, le plus spectaculaire, du recul permanent de ces dernières années : l’échec du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes.
Cet échec, c’est l’abandon de l’État de droit en zone rurale sur des milliers d’hectares, la démission des pouvoirs publics face à la violence de groupuscules, des voies publiques confisquées au détriment de la circulation : bref, une zone où la République s’est effacée pendant plusieurs années.
M. Serge Babary opine.
En 2016, les manifestations violentes à Nantes ne furent ni interdites ni autorisées : étonnante jurisprudence que ce « ni-ni » en plein état d’urgence… Sans oublier un référendum dont on n’a pas tenu compte.
En mai 2017, de l’aveu même du Premier ministre, l’ensemble des autorités administratives et juridictionnelles s’étaient prononcées dans le sens d’un feu vert au projet. C’est pourtant le même Édouard Philippe qui, le 17 janvier 2018, annonça l’abandon définitif du projet, faisant fi de plus de 170 décisions de justice favorables.
Sous la présidence d’Emmanuel Macron, une mission de médiation partisane a été nommée. L’impartialité des trois médiateurs a été remise en cause sur le fondement d’éléments indiscutables. Ainsi, ils ont largement minoré les prévisions de trafic. C’est comme si, lors de l’élaboration d’un plan local d’urbanisme, on nommait commissaire enquêteur un propriétaire foncier pour ouvrir les droits à construire : aucun maire ne pourrait l’admettre, ni l’État d’ailleurs avec son contrôle de légalité.
Pour couronner le tout, un représentant de l’État, le préfet de région, est allé trinquer avec les zadistes à l’annonce de l’abandon du projet…
Chaque fois que le politique manque de courage, c’est l’État qui s’affaiblit. Et l’État qui faiblit, c’est le recul du droit !
Monsieur le sénateur, je ne reviendrai pas sur le fond du dossier de Notre-Dame-des-Landes. Vous m’interrogez sur l’adéquation entre l’État de droit et ce que cette affaire pourrait, selon vous, signifier.
Au fond, dans le processus que vous avez décrit, l’État de droit a reculé chaque fois que l’État a refusé de prendre une décision et de la faire appliquer dans les périodes qui ont précédé l’entrée en fonction de ce gouvernement – sous des gouvernements que, du reste, vous ne souteniez pas forcément.
La vérité, c’est que, pendant cinq, six, sept ans avant la décision prise par le Premier ministre en 2018, on a laissé s’installer, avec la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, une situation intenable. C’est là que l’État de droit a reculé : tout en continuant à œuvrer pour le projet, on ne se donnait pas les moyens de le faire aboutir et on laissait s’installer une zone de non-droit.
La décision du Premier ministre, qui n’était pas simple, a permis de clarifier, enfin, la position de l’État : à force de dire à la fois « on fait » et « on laisse faire », on ne laisse rien faire… D’une part, nous renoncions au projet tel qu’il était conçu, en prévoyant des mesures d’accompagnement – je sais, monsieur le sénateur, que vous êtes vigilant à cet égard – ; d’autre part, il fallait que la ZAD soit évacuée. C’est une reconquête territoriale qu’il a fallu opérer sur ce territoire, devenu, comme vous l’avez bien expliqué, une zone de non-droit.
Je vous signale que des zones de même nature étaient en train de se constituer et que le Gouvernement a agi pour éviter que ne se reforme, notamment à Bure, ce qui s’était développé à Notre-Dame-des-Landes.
Ainsi, nous nous sommes efforcés, d’une part, d’assurer l’État de droit en faisant cesser une occupation illégale et, d’autre part, pour les projets à venir, de tirer les conséquences de l’expérience de Notre-Dame-des-Landes, douloureuse pour ce territoire, afin d’éviter que des situations de même nature ne bloquent des projets ou ne donnent naissance à des zones de non-droit dans la République française. C’est dans cet esprit que nous avons œuvré à Notre-Dame-des-Landes, à Bure et ailleurs.
Il faut rappeler aussi, monsieur le ministre, la promesse non tenue du candidat devenu Président de la République de respecter le résultat du référendum…
Sans oublier les décisions annoncées hier par le Gouvernement : la prolongation de 400 mètres de la partie sud de la piste de l’aéroport actuel en direction de l’une des plus grandes zones humides de France et le sacrifice d’habitants de la banlieue nantaise, notamment ceux de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, qui subiront les nuisances actuelles et futures. Au bout du compte, le coût du projet pourrait atteindre le prix d’un aéroport neuf !
Ce compromis, aujourd’hui, tutoie l’abandon et le renoncement : c’est bien la conséquence du recul de l’État de droit !
La liberté de la presse, une pierre angulaire de notre État de droit, est d’autant plus nécessaire que jamais notre société n’a été aussi informée par les chaînes d’information, internet, les réseaux sociaux et même les médias traditionnels. D’ailleurs, ceux qui souhaitent nuire à la démocratie commencent souvent par s’en prendre à la presse.
Voici ce que disait un de nos illustres prédécesseurs, Victor Hugo : « La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l’une c’est attenter à l’autre. »
Le dernier rapport de Reporters sans frontières fait état, pour la seule année 2018, de la mort de 80 journalistes, dont 49 assassinés en raison de leur profession. En dix ans, ce sont 702 journalistes qui ont trouvé la mort dans ces conditions. Par ailleurs, 348 journalistes sont en détention et 60 gardés en otage. Voilà l’état de la presse dans le monde !
Nous vivons dans un pays qui garantit la liberté la presse en la rattachant à notre Constitution, et c’est une chance. Pourtant, chez nous aussi, des menaces existent.
Elles sont, d’abord, d’ordre financier : la situation économique de la presse se dégrade, laissant apparaître des concentrations inédites, avec des risques pour l’indépendance des titres, et des achats d’éditeur sans respect des rédactions, malgré nos lois. De plus en plus de journaux et de chaînes peinent à produire de l’information par manque de moyens. Actuellement, nous nous débattons face aux Gafam pour que la presse bénéficie de la valeur qu’elle crée.
Les menaces sont aussi d’ordre international, avec la divulgation par certains États ou personnes affiliées d’infox qui influencent l’issue d’élections ou de référendums et, plus généralement, s’attaquent au débat démocratique.
Elles sont, enfin, d’ordre sociétal, car une parole violente s’exerce contre les journalistes, ouvrant la voie à des attaques physiques contre ceux qui se rendent sur le terrain.
Mis bout à bout, ces périls nuisent à la liberté de la presse dans notre pays ; par la violence ou les risques de contentieux, ils créent une forme d’autocensure chez les journalistes.
À la lumière de constat, monsieur le ministre, quelles actions le Gouvernement compte-t-il entreprendre pour protéger la liberté de la presse, dans un moment où nous en avons tant besoin ?
Madame la sénatrice, je commencerai par la dimension économique de votre question. Même si elle n’est peut-être pas l’aspect le plus important de la liberté de la presse, il est nécessaire que les journalistes et les éditeurs puissent travailler dans un cadre qui leur permette de vivre de leurs publications.
David Assouline, au Sénat, et Patrick Mignola, à l’Assemblée nationale, quoique d’horizons politiques différents et siégeant dans deux assemblées de sensibilités politiques différentes, ont uni leurs efforts sur la question des droits voisins. Nous avons été les premiers à proposer la transposition de la directive européenne, votée à l’Assemblée nationale et au Sénat. Je rends hommage au travail qui a été accompli afin que les journalistes soient rémunérés pour leur travail, y compris quand leurs articles sont publiés sur les plateformes.
Il se trouve que la société Google a décidé de ne pas respecter la directive européenne. C’est dans le cadre européen qu’il faut mener le bras de fer, et je suis sûr que nous y arriverons.
On voit bien que c’était une première étape. Les géants du numérique, nous le voyons bien, s’efforcent de ne pas payer le travail des journalistes. Dans ce domaine, nous ne pourrons avancer que si l’Europe sait faire valoir sa puissance vis-à-vis des Gafam.
Le travail réalisé sur la loi dite Bichet pour moderniser la distribution de la presse vise aussi à assurer à celle-ci une rémunération juste, afin qu’elle vive mieux de son travail.
Si la France, comme vous l’avez souligné, garantit mieux la liberté de la presse, nous devons permettre aux journalistes de travailler dans des conditions satisfaisantes, en particulier lors des manifestations.
Ils doivent aussi pouvoir exprimer leurs opinions et avis. À cet égard, je me souviens que, au moment de la crise dite des « gilets jaunes », certains manifestants, certes peu nombreux, ont empêché la publication ou la distribution d’un journal de l’ouest de la France, parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec l’éditorial d’un journaliste : c’est une entrave à la liberté de pensée et à la liberté d’opinion. Nous avons agi pour que chacun puisse exercer cette liberté comme il l’entend.
Nous avons besoin, comme contre-pouvoirs, de journalistes qui expriment leurs opinions. Soyez assurée, madame la sénatrice, que le Gouvernement est particulièrement vigilant à ce sujet !
La loi sur le secret des affaires, celle sur la manipulation de l’information, la proposition de loi que nous examinerons bientôt relative à la haine sur internet témoignent d’une forme de judiciarisation de l’information hors du cadre protecteur de la loi de 1881. Cet enjeu nécessite un engagement de tous, singulièrement du Gouvernement.
Un État de droit digne de ce nom, c’est un État qui assure la primauté du droit, l’égalité devant la loi, la responsabilité au regard de la loi, l’équité dans l’application de celle-ci, la séparation des pouvoirs, la participation à la prise de décision, la sécurité juridique, le refus de l’arbitraire et la transparence des procédures. En d’autres termes, peut se prévaloir de ce nom un État dans lequel le droit s’impose à tous. Or de nombreuses situations nous portent à croire que notre État de droit s’est étiolé et que certains mouvements minoritaires, souvent radicaux, pèsent davantage dans notre démocratie que la majorité silencieuse.
Si notre État de droit est aujourd’hui menacé, c’est en raison de la fragilisation de l’un des piliers sur lesquels il se fonde : l’autorité de l’État. L’exemple de la retenue d’eau de Sivens est évocateur.
Alors que l’ensemble des acteurs agricoles et publics s’étaient accordés sur un projet, celui-ci a été abandonné en décembre 2015, en catimini. Ce projet de retenue d’eau devait permettre la constitution d’une réserve d’environ 1, 5 million de mètres cubes d’eau, utilisable pour l’irrigation des terres agricoles. Sa réalisation était indispensable pour développer des cultures porteuses de valeur ajoutée comme le maraîchage et les semences, pour favoriser l’autonomie fourragère et encourager l’installation.
Le 9 octobre dernier, l’instance de coconstruction, selon les termes devenus habituels, chargée de trouver une alternative à la retenue d’eau de Sivens a décidé de lancer un complément d’étude sur les besoins en eau dans la vallée du Tescou. Si l’on peut se féliciter que le principe de la création d’une retenue ait été à nouveau entériné, je forme le vœu que d’autres groupes minoritaires ne viennent pas reporter l’échéance d’un chantier attendu par l’ensemble des acteurs agricoles.
Monsieur le ministre, le Gouvernement peut-il s’engager à faire respecter, cette fois, l’État de droit, en veillant à ne pas reproduire les erreurs du passé et en allant au bout du projet ?
Monsieur le sénateur, comme vous l’avez rappelé, la démocratie, c’est la loi de la majorité, dans le respect des minorités, qu’il faut toujours garder à l’esprit, et dans le dialogue.
À Sivens, la situation était très complexe – vous le savez beaucoup mieux que moi –, avec un abcès de fixation et des affrontements entre les forces de l’ordre et des zadistes très violents qui ont conduit, malheureusement, à la mort d’un manifestant, Rémi Fraisse, en 2014.
Une telle situation pose la question de notre capacité à mener globalement des projets d’intérêt général d’envergure. Ce n’est pas simple, surtout quand l’abcès de fixation existe déjà, ce qui était le cas à Sivens.
De même qu’il a tiré pour Bure les leçons de Notre-Dame-des-Landes, le Gouvernement a pris ses responsabilités pour éviter que ne se forment des abcès de fixation comme celui de Sivens.
Le besoin en eau, avéré, sera grandissant dans les années à venir. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, le président du conseil départemental et l’ensemble des élus se mobilisent pour trouver une solution alternative.
Comme le ministre de l’agriculture et le Premier ministre lui-même l’ont souligné, le Gouvernement entend que les retenues collinaires et barrages nécessaires à certains territoires pour continuer à développer une activité agricole soient réalisés dans des conditions à la fois acceptables par les populations et respectueuses de l’État de droit.
Monsieur le ministre, je prends acte de votre réponse, qui d’ailleurs ne me surprend pas.
Au-delà des principes généraux du droit du rappel de la nécessité d’une concertation et d’une coconstruction, il faut maintenant passer à l’action.
Dans le Sud-Ouest, nous avons un problème considérable – non pas depuis hier, mais depuis des années. Aucun projet n’a abouti en Tarn-et-Garonne ! Si l’on ajoutait tous ceux qui sont mort-nés par anticipation de la faiblesse de l’État, croyez-moi, la facture serait lourde.
Nous allons au-devant de gros problèmes de ressource en eau. Il y aura des coupures d’eau, dont nos concitoyens ne mesurent pas aujourd’hui encore les conséquences, si rien n’est fait, et urgemment !
Monsieur le ministre, ma question porte sur le recul de l’ordre public.
Sur ce sujet, je pourrais parler du recul de l’État de droit dans les banlieues, du recul de l’ordre public dans certains lieux de culte, déjà assez longuement évoqué, ou du recul de l’ordre public dans l’affaire de l’aéroport de Nantes ou à Sivens ou Bure – M. le ministre a déjà largement répondu sur ce point, ce dont je le remercie, car il n’est pas toujours facile de répondre au pied levé. Mais c’est une dimension plus moderne et plus lancinante du recul de l’ordre public que je souhaite souligner : je veux parler de la désobéissance civile.
De plus en plus, des groupes d’action pas toujours identifiés, des collectifs, qui ne veulent pas forcément du bien à la République ni à la loi, donnent des mots d’ordre de désobéissance civile consistant, en vérité, à empêcher les autres d’exercer leurs libertés. Sans doute, ces actions sont souvent pacifiques ; mais, parfois, quelques individus, peut-être intellectuellement mieux armés, incitent les uns ou les autres à un peu plus de violence ou sont le ferment d’une violence par complicité.
M. Jean-Claude Requier opine.
C’est ainsi que, la semaine dernière, on a vu une place de Paris occupée et la circulation empêchée pour les Parisiens – lesquels n’ont pas besoin de cela, car, hélas, la mairie de Paris se charge habituellement d’eux… Le comble, c’est que ce groupe a laissé ses ordures sur place, alors qu’il prétend sauver la planète !
Monsieur le sénateur, la désobéissance civile est un mouvement assez ancien, né aux États-Unis au XIXe siècle des écrits d’Henry Thoreau, théoricien de cette forme d’action utilisée ensuite par Gandhi. Mais on est parfois un peu loin de Gandhi…
De fait, à côté des grandes références intellectuelles ou politiques, on voit se développer depuis plusieurs années des mouvements qui s’inspirent de ce concept, même si, parfois, ils s’en éloignent. On y trouve des opposants à des projets publics, des collectifs anticapitalistes, des groupes qui entendent alerter contre tel ou tel danger, comme le réchauffement climatique.
Ce phénomène est multiforme, et ces mouvements s’estiment légitimes, parce qu’ils défendraient des idéaux plus élevés que l’intérêt général recherché par les élus. Cette critique de la démocratie représentative conduit trop souvent à ignorer la loi, voire à la combattre, au nom d’une conscience individuelle qui surplomberait la délibération démocratique. Le Gouvernement ne peut évidemment souscrire à une telle conception.
Il faut être attentif à ces mouvements, porteurs de questions parfois essentielles, mais aussi considérer les modes d’action, qui consistent souvent à prendre en otage des projets publics, à occuper des sites et à restreindre la liberté de circulation ou simplement d’activité d’un certain nombre de nos concitoyens, comme à Paris récemment. Cela n’est pas acceptable, lorsque ces groupes débordent du droit légitime et constitutionnel de manifester.
Je continue de penser que, en démocratie, tout engagement, associatif, politique collectif ou personnel, est utile ; mais le respect de la démocratie représentative et de l’État de droit est un cadre indépassable.
Sans doute serons-nous appelés à légiférer en la matière. Je sais que le Sénat a travaillé sur le délit d’entrave. Nous devrons trouver l’équilibre qui garantisse les libertés constitutionnelles et permette à chacun d’exercer sa profession ou à des projets publics de voir le jour dans le cadre légal.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre réponse. Avec certains appels à la désobéissance civile, on est parfois plus dans le bandit que dans le Gandhi…
Il est vrai que le Sénat, sur l’initiative de Jean-Noël Cardoux et avec le soutien du Gouvernement, a voté le délit d’entrave. Je crois beaucoup à la liberté d’expression et aux causes nobles que défendent parfois ceux qui appellent à la désobéissance civile – j’ai parlé de bandits, mais ce ne sont pas de vrais bandits… –, mais il faudra que ce texte soit adopté aussi par l’Assemblée nationale, afin que l’État de droit progresse.
Pour clore le débat, la parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe auteur de la demande.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons ce soir un débat dans le cadre de notre semaine de contrôle. Pourtant, peut-être à la surprise du ministre, qui a bien voulu suppléer la garde des sceaux, il s’est passé quelque chose.
Le groupe socialiste a souhaité que nous débattions sur le thème : « Y a-t-il un recul de l’État de droit en France ? » Le contrôle de l’exécutif par le Parlement est nécessaire, et nous avons tendance à considérer que le Gouvernement nous écoute peu. L’incidence de ce type de débats est faible, mais nous avons un rôle d’alerte. Ce soir, je crois que nous l’avons joué. J’espère, monsieur le ministre, que vous en serez le porte-parole auprès de Mme la garde des sceaux.
Tous ici, nous sommes fidèles à des valeurs et attachés à l’esprit des institutions ; tous, sur l’ensemble des travées, nous ne nous accommodons pas d’être de simples spectateurs d’un recul de l’État de droit. Au-delà du groupe socialiste, vous avez entendu, monsieur le ministre, toutes les inquiétudes qui se sont exprimées.
Au regard du glissement dont nous sommes les témoins et des empiétements répétés de votre majorité sur les libertés fondamentales, la question que nous avons posée semble se poser avec acuité : pouvons-nous considérer que, face à l’un des principaux défis de notre temps, le terrorisme, notre démocratie peut rester forte sans se renier elle-même ? Sur ces travées, visiblement, la réponse va au-delà de la gauche.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous remettre un livre, écrit par un de vos camarades de combat – puisqu’il a écrit les statuts du parti En Marche. §L’auteur conteste cet accommodement avec le « surveiller plus » et le « châtier davantage », après le terme de la peine s’il le faut, pourquoi pas avant même que le crime ne soit commis et en se passant parfois des droits de la défense.
La surveillance peut s’étendre graduellement, explique François Sureau, comme d’ailleurs Mireille Delmas-Marty, autre autorité. Transiger avec les libertés publiques dans une quête inaccessible de la sécurité absolue, c’est déjà renoncer à l’État de droit !
Seulement, nous avons un ministre de l’intérieur qui ne pense pas la même chose. Selon lui, « rien ne menace la liberté si ça permet de lutter efficacement contre le terrorisme ». Or l’expérience prouve qu’un régime ne peut rester démocratique que si la liberté est soigneusement garantie, y compris en limitant l’État. Vous en avez eu de nombreuses illustrations ce soir.
Sophie Taillé-Polian a rappelé la décision de faire entrer le droit d’urgence dans le droit commun.
Mme Benbassa a souligné que l’on en était venu à soupçonner chaque manifestant d’être un fauteur de troubles en puissance.
M. Leconte a insisté sur la marginalisation du rôle du pouvoir judiciaire et le renforcement du pouvoir administratif.
M. Babary a rappelé que le Président de la République avait appelé à une société de vigilance, qui implique le soupçon de tous par tous.
M. Delahaye a souligné que, pour lutter prétendument contre les contenus haineux sur internet, on permet désormais aux opérateurs du numérique de pratiquer la censure. N’est-ce pas là un recul de l’État de droit, tout comme le fait de permettre au juge des référés de supprimer des informations ?
Comme l’a pointé Sylvie Robert, la convocation de journalistes par la DGSI constitue un recul de la liberté de la presse. N’est-ce pas un autre recul de l’État de droit ?
Nous avons aussi évoqué la sécurité publique, l’usage et la doctrine d’emploi des forces de l’ordre, la création d’une brigade de répression des actions violentes motorisée – qui rappelle une brigade des voltigeurs.
Le fait de mettre des semaines à rendre compte des conditions de la mort de Steve, l’homme tombé dans la Loire le soir de la Fête de la musique, de ne toujours pas nous donner les conclusions de l’IGPN sur les très nombreuses violences policières qui ont été constatées au moment des manifestations des « gilets jaunes » ou de mesurer l’efficacité en matière d’encadrement des manifestations par le nombre de mutilations, ne sont-ils pas autant de reculs de l’État de droit ?
Enfin, le fait de discréditer – vous n’avez finalement pu y résister, alors que vous êtes le ministre chargé des relations avec le Parlement – toute tentative de contrôle, qu’il s’agisse du contrôle parlementaire – le président Requier l’a évoqué –, comme au moment de la commission d’enquête dite Benalla, ou du contrôle citoyen, au travers de la proposition de loi référendaire sur la privatisation d’ADP, dont on ne peut pas dire que l’État manifeste un enthousiasme excessif alors que c’est son obligation de l’organiser, constituent d’autres reculs de l’État de droit.
Au-delà de la gauche, nous avons voulu vous alerter sur le fait que les digues cèdent les unes après les autres face à la montée des extrémismes politiques dans notre pays. Ce que nous cédons, ce que vous cédez aujourd’hui par facilité, ou parfois peut-être par ignorance, c’est l’esprit même de nos institutions : la séparation des pouvoirs, le contrôle des gouvernants par les citoyens et leurs représentants et l’indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique.
Cette alerte, que le groupe socialiste voulait vous adresser, a résonné bien au-delà de ses travées, même si je note que le groupe La République En Marche n’a pas estimé devoir vous interroger sur ce sujet – j’aurais pu également lui offrir l’ouvrage susvisé, mais je le ferai à une autre occasion. Quoi qu’il en soit, nous espérons que vous l’aurez entendue.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Esther Benbassa applaudit également.
Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Assistons-nous au recul de l’État de droit en France ? »
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.