Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme dans tout débat, il est important de savoir de quoi l’on parle. Aujourd’hui, la proposition de loi qui nous est présentée – je m’interroge d’ailleurs sur son opportunité, à l’heure où les polémiques enflamment le débat public – concerne le port du foulard des mamans accompagnatrices de sorties scolaires, et rien d’autre !
Je suis convaincue par ces mots : « laïcité de l’État, pas de la société ». Cela veut dire trois choses.
D’abord, cette expression signifie que la France garantit la liberté de conscience et de pratique, lorsque cette pratique s’inscrit dans la tolérance et le respect des valeurs républicaines.
Enseignante, j’ai exercé dans un collège en zone d’éducation prioritaire à Melun, en Seine-et-Marne, où j’ai également été adjointe au maire pendant trente ans.
Je connais bien ces femmes qui, pour la plupart, vivent dans des quartiers difficiles. Il est caricatural de penser que la totalité de ces Françaises musulmanes utilisent le foulard comme l’étendard d’un projet islamique. Plus simplement, elles veulent vivre dans une société ouverte, tolérante, respectueuse de toutes les religions, en préservant des traditions familiales.
Si l’on interdit à ces mamans d’accompagner leurs enfants lors de déplacements scolaires, l’organisation des sorties dans les écoles de ces quartiers sera probablement rendue plus difficile. Cela aura pour effet de « ghettoïser » encore davantage des enfants issus de milieux populaires. Est-ce cela que nous voulons ?
Les femmes qui se portent volontaires pour participer à ces sorties expriment également une volonté de s’intéresser à la vie de l’école, et nombre d’entre elles sont d’ailleurs élues dans les conseils d’écoles.
Interdire le port du voile risque, à l’opposé de l’objectif visé, de compromettre leur intégration sociale. En les stigmatisant, on les enferme dans leurs pratiques, on renforce le communautarisme, on empêche, paradoxalement, l’islam d’évoluer avec la société. L’école est parfois le seul lieu de socialisation pour ces femmes.
L’expression « laïcité de l’État, pas de la société » signifie aussi que l’État n’a pas à se plier aux revendications communautaires.
Il doit veiller à lutter contre une certaine vision de l’islam incompatible avec les valeurs de la République, sans céder aux pressions électorales, aux caricatures et sans faire de concessions.
Il doit également veiller à apaiser les tensions entre communautés, en s’opposant avec la plus grande fermeté à toute démonstration de haine à l’encontre d’une communauté ou d’une autre.
Enfin, ces quelques mots veulent dire que nous devons, collectivement, veiller à ce qu’aucun enfant ne soit victime de prosélytisme dans le cadre de l’école publique, à ce qu’aucune pression d’ordre religieux, même insidieuse, ne porte atteinte à la liberté de conscience de l’enfant, par définition vulnérable et influençable. Fions-nous à l’intelligence des enseignants, des directeurs d’établissements et, en dernier ressort, au juge pour garantir l’application éclairée du principe de laïcité.
La réponse au communautarisme n’est pas la stigmatisation qui exacerbe les tensions.
L’école, à mon sens, doit rester un sanctuaire, un abri pour permettre à tous les enfants de grandir avec les valeurs républicaines. Mais la France n’a jamais prôné l’égalitarisme. Elle ne saurait écarter une communauté qui lui paraît étrangère, mais, finalement, reflète une partie d’elle-même. Vivre en démocratie, c’est accepter les différences culturelles et religieuses de chacun de ses membres. Dès la petite enfance, c’est trouver la paix et l’entente, par-delà les différences.
Pour autant, cette tolérance n’est pas sans limites, nous le savons, comme l’interdiction du voile intégral l’a démontré en 2010, comme l’obligation de neutralité religieuse à l’école l’a démontré en 2004, comme le renforcement du contrôle des écoles coraniques et des enfants déscolarisés l’a démontré encore récemment.
D’autres lois viendront probablement, des lois que j’estime nécessaires, sur la formation et le contrôle des imams, sur le mode de financement des mosquées, sur l’évolution de notre système d’intégration. Les questions soulevées par ce débat sont éminemment plus complexes, plus vastes, que la réponse qui nous est proposée à travers ce texte.
Il me semble que la réponse la plus saine pour désamorcer ces tensions consiste à réaffirmer, au sein de la République une et indivisible qui est la nôtre, les principes de tolérance, de liberté de conscience, de fraternité entre les communautés, et de partage des valeurs républicaines.
Je pense que le respect de nos différences s’enseigne dès le plus jeune âge, par la confrontation aux autres, par le dialogue et l’ouverture.
Ce que nous devons vraiment combattre, ce n’est pas le port du voile par quelques femmes qui démontrent, en participant à des sorties scolaires, leur implication dans l’éducation de leurs enfants. Ce que nous devons combattre, c’est le glissement d’une partie des musulmans vers une pratique radicale de l’islam ; c’est l’obscurantisme religieux, les haines communautaires et l’aliénation des femmes.
Nous connaissons tous cette mère exemplaire meurtrie dans sa chair après l’assassinat de son fils par le terroriste Mohammed Merah. Depuis 2012, Latifa Ibn Ziaten, au sein de son association IMAD pour la jeunesse et la paix, circule dans les établissements scolaires pour venir en aide aux jeunes des quartiers en difficulté.