Intervention de Marie-Pierre de La Gontrie

Réunion du 29 octobre 2019 à 14h30
Assistons-nous au recul de l'état de droit en france — Conclusion du débat

Photo de Marie-Pierre de La GontrieMarie-Pierre de La Gontrie :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons ce soir un débat dans le cadre de notre semaine de contrôle. Pourtant, peut-être à la surprise du ministre, qui a bien voulu suppléer la garde des sceaux, il s’est passé quelque chose.

Le groupe socialiste a souhaité que nous débattions sur le thème : « Y a-t-il un recul de l’État de droit en France ? » Le contrôle de l’exécutif par le Parlement est nécessaire, et nous avons tendance à considérer que le Gouvernement nous écoute peu. L’incidence de ce type de débats est faible, mais nous avons un rôle d’alerte. Ce soir, je crois que nous l’avons joué. J’espère, monsieur le ministre, que vous en serez le porte-parole auprès de Mme la garde des sceaux.

Tous ici, nous sommes fidèles à des valeurs et attachés à l’esprit des institutions ; tous, sur l’ensemble des travées, nous ne nous accommodons pas d’être de simples spectateurs d’un recul de l’État de droit. Au-delà du groupe socialiste, vous avez entendu, monsieur le ministre, toutes les inquiétudes qui se sont exprimées.

Au regard du glissement dont nous sommes les témoins et des empiétements répétés de votre majorité sur les libertés fondamentales, la question que nous avons posée semble se poser avec acuité : pouvons-nous considérer que, face à l’un des principaux défis de notre temps, le terrorisme, notre démocratie peut rester forte sans se renier elle-même ? Sur ces travées, visiblement, la réponse va au-delà de la gauche.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous remettre un livre, écrit par un de vos camarades de combat – puisqu’il a écrit les statuts du parti En Marche. §L’auteur conteste cet accommodement avec le « surveiller plus » et le « châtier davantage », après le terme de la peine s’il le faut, pourquoi pas avant même que le crime ne soit commis et en se passant parfois des droits de la défense.

La surveillance peut s’étendre graduellement, explique François Sureau, comme d’ailleurs Mireille Delmas-Marty, autre autorité. Transiger avec les libertés publiques dans une quête inaccessible de la sécurité absolue, c’est déjà renoncer à l’État de droit !

Seulement, nous avons un ministre de l’intérieur qui ne pense pas la même chose. Selon lui, « rien ne menace la liberté si ça permet de lutter efficacement contre le terrorisme ». Or l’expérience prouve qu’un régime ne peut rester démocratique que si la liberté est soigneusement garantie, y compris en limitant l’État. Vous en avez eu de nombreuses illustrations ce soir.

Sophie Taillé-Polian a rappelé la décision de faire entrer le droit d’urgence dans le droit commun.

Mme Benbassa a souligné que l’on en était venu à soupçonner chaque manifestant d’être un fauteur de troubles en puissance.

M. Leconte a insisté sur la marginalisation du rôle du pouvoir judiciaire et le renforcement du pouvoir administratif.

M. Babary a rappelé que le Président de la République avait appelé à une société de vigilance, qui implique le soupçon de tous par tous.

M. Delahaye a souligné que, pour lutter prétendument contre les contenus haineux sur internet, on permet désormais aux opérateurs du numérique de pratiquer la censure. N’est-ce pas là un recul de l’État de droit, tout comme le fait de permettre au juge des référés de supprimer des informations ?

Comme l’a pointé Sylvie Robert, la convocation de journalistes par la DGSI constitue un recul de la liberté de la presse. N’est-ce pas un autre recul de l’État de droit ?

Nous avons aussi évoqué la sécurité publique, l’usage et la doctrine d’emploi des forces de l’ordre, la création d’une brigade de répression des actions violentes motorisée – qui rappelle une brigade des voltigeurs.

Le fait de mettre des semaines à rendre compte des conditions de la mort de Steve, l’homme tombé dans la Loire le soir de la Fête de la musique, de ne toujours pas nous donner les conclusions de l’IGPN sur les très nombreuses violences policières qui ont été constatées au moment des manifestations des « gilets jaunes » ou de mesurer l’efficacité en matière d’encadrement des manifestations par le nombre de mutilations, ne sont-ils pas autant de reculs de l’État de droit ?

Enfin, le fait de discréditer – vous n’avez finalement pu y résister, alors que vous êtes le ministre chargé des relations avec le Parlement – toute tentative de contrôle, qu’il s’agisse du contrôle parlementaire – le président Requier l’a évoqué –, comme au moment de la commission d’enquête dite Benalla, ou du contrôle citoyen, au travers de la proposition de loi référendaire sur la privatisation d’ADP, dont on ne peut pas dire que l’État manifeste un enthousiasme excessif alors que c’est son obligation de l’organiser, constituent d’autres reculs de l’État de droit.

Au-delà de la gauche, nous avons voulu vous alerter sur le fait que les digues cèdent les unes après les autres face à la montée des extrémismes politiques dans notre pays. Ce que nous cédons, ce que vous cédez aujourd’hui par facilité, ou parfois peut-être par ignorance, c’est l’esprit même de nos institutions : la séparation des pouvoirs, le contrôle des gouvernants par les citoyens et leurs représentants et l’indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique.

Cette alerte, que le groupe socialiste voulait vous adresser, a résonné bien au-delà de ses travées, même si je note que le groupe La République En Marche n’a pas estimé devoir vous interroger sur ce sujet – j’aurais pu également lui offrir l’ouvrage susvisé, mais je le ferai à une autre occasion. Quoi qu’il en soit, nous espérons que vous l’aurez entendue.

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