Je n'utiliserais pas l'expression « langue de bois ». À côté des formes discursives que vous mentionnez, ont également été utilisées les doubles négations - « ne pas accomplir de déplacement non indispensable » - qui rendent le message confus. Le discours a également eu recours aux litotes et euphémisations - « absence de toxicité aiguë » -, mais quid d'éventuelles toxicités intermédiaires ? Ces figures de style témoignent d'une volonté de rassurer le public à bon compte, sans admettre les inconnues ou les incertitudes et de minimiser l'ampleur de l'événement pour donner l'impression que la situation est maîtrisée.
Comment l'expliquer ? Je peux formuler quelques hypothèses que je n'ai cependant pas les moyens de vérifier scientifiquement.
Tout d'abord, les services de l'État ont peut-être moins l'habitude que les élus locaux d'être en contact direct avec le grand public et les médias en situation de crise. Ensuite, depuis les lois de décentralisation, le public a été habitué à recevoir des explications de la part de responsables politiques qui sont des élus locaux et qui ont cette aptitude à communiquer avec différents types de publics. Enfin, il y a peut-être eu aussi, dans les premières heures suivant l'événement, une différence de perception entre acteurs : pour le préfet et le colonel Lagalle, l'enjeu était d'éviter le sur-accident - sortir des fûts, éviter que d'autres ne fuient -, ce qui aurait conduit à une catastrophe absolument dramatique ; or le public ne le découvrira que de façon décalée. Ces différences de perception de la part des acteurs accroissent l'incompréhension voire l'incommunicabilité.