Intervention de Stéphane Piednoir

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 6 novembre 2019 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « recherche et enseignement supérieur » - examen du rapport pour avis

Photo de Stéphane PiednoirStéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits budgétaires de l'enseignement supérieur au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » :

Je me livre, pour la deuxième année, à l'exercice de l'avis budgétaire et interviens à nouveau au lendemain de l'audition de la ministre, ce qui permet d'avoir à l'esprit les principaux enjeux financiers et stratégiques qui se posent à l'enseignement supérieur.

Mon appréciation sur le budget pour 2020 repose sur deux points saillants. D'abord, dans la continuité de la loi de finances pour 2019, un réel effort budgétaire est affiché en direction de l'enseignement supérieur : la dotation en crédits de paiement des programmes 150 « Financement des établissements » et 251 « Financement de la vie étudiante » augmente de 1,48 % pour atteindre 16,5 milliards d'euros. Aucune des personnes auditionnées - représentants des établissements, des syndicats d'étudiants ou de personnel -, ne conteste cet effort. Ensuite, ces moyens supplémentaires doivent être mis en regard d'un contexte plus complexe que ne le laisse penser la présentation budgétaire quelque peu édulcorée du Gouvernement. L'enseignement supérieur doit, en effet, relever de nombreux défis, nécessitant un changement d'échelle dans l'investissement financier qui y est consacré.

Dans le projet du Gouvernement, le programme 150 se voit attribuer 175 millions d'euros supplémentaires en 2020, soit une augmentation de 1,29 %, pour atteindre une dotation globale de 13,7 milliards d'euros en crédits de paiements. Ces moyens nouveaux sont ainsi ventilés : 50 millions pour la généralisation du dialogue stratégique et de gestion entre l'État et les établissements - au départ expérimentale, il s'agit d'une procédure d'échanges entre les établissements et leur tutelle concernant leur budget et leurs projets stratégiques - ; 50 millions pour le déploiement du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) et la reconnaissance de l'investissement pédagogique des enseignants ; 43 millions pour la poursuite de la mise en oeuvre du Plan Étudiants, en particulier l'ouverture de places supplémentaires en licence, dont le nombre et la répartition seront décidés dans le cadre du dialogue de gestion, et la montée en charge du dispositif « Oui, si » pour les admissions conditionnelles ; 23 millions pour les crédits de masse salariale ; 6 millions pour la réforme des études de santé, auxquels s'ajouteront, d'après une annonce récente de la ministre, 11 millions sur la base de projets présentés par les établissements ; enfin, 3 millions pour l'enseignement supérieur privé.

Les députés ont toutefois adopté, contre l'avis du Gouvernement, un amendement minorant de 20 millions d'euros les crédits du programme au profit des aides à l'innovation de BpiFrance. Bien sûr, elles sont utiles au développement des start-up et des petites et moyennes entreprises, mais rien ne justifie que soit amputé un budget des établissements supérieurs déjà sous-calibré. En effet, si l'augmentation de la dotation du programme 150 mérite d'être saluée, elle n'est cependant pas à la hauteur des enjeux.

Le premier est l'enjeu démographique. Le constat est bien connu : l'arrivée dans l'enseignement supérieur des générations issues du baby-boom des années 2000 augmente mécaniquement les effectifs d'étudiants qui, à l'université, s'établissent désormais à plus de 1,6 million. En 2019, plus de 30 000 étudiants supplémentaires y ont été accueillis. Certes, l'effort public consenti pour le financement de l'enseignement supérieur a augmenté, mais pas en proportion de la croissance des effectifs. Par conséquent, la dépense moyenne par étudiant diminue depuis 2010 : elle est ainsi passée de 11 990 euros en 2008 à 11 470 euros en 2018, soit 520 euros de moins par étudiant. L'augmentation des effectifs se trouve donc largement supportée par le budget de fonctionnement des établissements.

Le deuxième enjeu concerne la masse salariale. Alors que le glissement-vieillesse technicité (GVT) avait été intégralement compensé en 2018, cette politique n'a pas été poursuivie en 2019 et ne le sera pas davantage en 2020 : la ministre a, en effet, annoncé aux établissements que le financement systématique du GVT ne sera plus assuré. Il n'apparaît pas normal que de telles charges, qui découlent de décisions prises par l'État, ne soient pas prises en compte dans la dotation de base des établissements ! Ce manque les contraint à ajuster leurs effectifs, notamment par le non-remplacement de départs à la retraite. Pour les établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (Eespig), l'application d'un taux élevé de mise en réserve des crédits, compris entre 7 % et 8 % contre 3 % au maximum pour les établissements publics, vient aggraver la situation, d'autant que les crédits sont rarement dégelés. Cette pratique pénalise des établissements qui accomplissent une mission d'intérêt général et accueillent une part toujours plus importante de nouveaux étudiants.

Le troisième enjeu est lié au caractère successif et cumulatif des réformes que les établissements doivent mettre en oeuvre - Plan Étudiants, loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE), Parcoursup, plan « Bienvenue en France », label « campus connecté », refonte des études de santé - sans que les moyens nécessaires leur soient alloués. Ainsi, pour la réforme des études de santé, la dotation initiale de 6 millions d'euros prévue dans le projet de loi de finances n'est assurément pas suffisante au regard de l'ampleur de la réorganisation des cursus concernés. Une enveloppe supplémentaire de 11 millions d'euros a bien été annoncée dans le cadre du nouveau dialogue stratégique et de gestion, mais elle n'est pas de nature à donner aux établissements une visibilité suffisante sur les moyens exacts dont ils disposeront pour mettre en oeuvre la réforme à la rentrée 2020.

Le quatrième enjeu est patrimonial. D'aucuns se sont à juste titre émus devant Gilles Roussel, président de la Conférence des présidents d'université (CPU), de la vétusté de certains campus. Mais, pour financer des projets de rénovation, par nature coûteux, encore faudrait-il qu'un fonds d'amorçage ou qu'une capacité d'emprunt soit accordé aux établissements, ce qui vient à nouveau d'être refusé par la ministre !

Il y aurait sans doute d'autres enjeux, mais les quatre points précités suffisent à prendre la mesure du décalage entre les besoins de financement de l'enseignement supérieur et le niveau d'engagement de l'État proposé pour 2020. Nous pâtissons du manque d'anticipation et d'investissement, alors que certaines tendances conjoncturelles, au premier rang desquelles l'augmentation des effectifs d'étudiants, étaient prévisibles et quantifiables... L'enseignement supérieur, comme la recherche, ne constitue pourtant pas une dépense comme une autre, mais un investissement stratégique de long terme aux puissants effets de levier pour l'économie et la société. Face à une compétition mondiale sans cesse accrue, il paraît urgent de passer à la vitesse supérieure !

Notre système de financement de l'enseignement supérieur se trouve d'autant plus déstabilisé que la récente décision du Conseil constitutionnel sur les droits d'inscription ouvre une inquiétante période d'insécurité juridique pour les établissements. L'emploi de l'adjectif « modique », sans autre précision, laisse, en effet, la place à toute une gamme d'interprétations. Le juge administratif aura à se prononcer prochainement, mais le législateur aurait aussi toute légitimité à reprendre la main pour préciser le cadre de cette modicité. J'estime, pour ma part, que les droits d'inscription représentent un levier de financement qui mérite d'être activé, dès lors qu'il est tenu compte des capacités financières des étudiants.

Je me suis également intéressé à un autre mode de financement propre, le mécénat. Largement utilisé à l'étranger, notamment dans les pays anglo-saxons, les pays scandinaves ou en Allemagne, il demeure moins fréquent en France. Les grandes écoles de management et d'ingénieur ont initié la pratique, ce qui paraît logique au regard de leur structure de financement et de leurs liens avec le secteur privé. Les universités s'en sont emparées depuis peu, la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) ayant autorisé la création de fondations. Ces structures permettent aux universités de diversifier leurs ressources et de se rapprocher, au niveau local, des acteurs socio-économiques. Les trois quarts des universités se sont saisis de cette opportunité. Une véritable dynamique est à l'oeuvre, avec deux à quatre créations de fondations par an. En moyenne, chaque fondation perçoit chaque année 630 000 euros. Toutefois, les résultats sont extrêmement hétérogènes d'une fondation à l'autre. Globalement, 87 % des fonds récoltés proviennent des entreprises et 13 % émanent des parents, des anciens étudiants, des personnels des universités et des collectivités territoriales.

Il m'a semblé important d'approfondir le sujet, car l'article 50 du projet de loi de finances prévoit la diminution de 60 % à 40 % du taux de défiscalisation pour les dons d'entreprises d'une valeur supérieure à 2 millions d'euros. La mesure va mécaniquement créer un effet désincitatif sur les gros donateurs et enrayer l'élan en cours. D'ores et déjà, des mécènes ont prévenu certaines fondations d'université ou d'école qu'ils devront procéder à des arbitrages. À l'heure où le financement public n'est pas à la hauteur des besoins et où l'avenir des droits d'inscription apparaît incertain, le Gouvernement freine une démarche en plein essor ! Je soutiendrai donc toute initiative visant à exonérer du champ d'application du dispositif les structures de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Le programme 231 finance la vie étudiante. Il se voit attribuer 66 millions d'euros supplémentaires en 2020, soit une augmentation de 2,46 %, pour atteindre une dotation globale de 2,7 milliards d'euros. L'augmentation sera ainsi répartie : 60 millions d'euros pour les bourses sur critères sociaux, dont la majeure partie au titre de la réévaluation de 1,1 % de leur montant pour la première fois depuis 2016 ; 3 millions d'euros pour la certification en langue anglaise des 38 000 étudiants concernés ; 3 millions d'euros pour l'aide à la mobilité internationale des étudiants boursiers correspondant au versement de 7 500 mensualités supplémentaires.

Ces efforts sont évidemment bienvenus, alors que le coût de la rentrée universitaire - bien que ne faisant pas l'objet d'un chiffrage objectif et partagé - affiche une tendance haussière. Les syndicats d'étudiants m'ont toutefois alerté sur la nécessité, au-delà du niveau des bourses, de revoir le système dans sa globalité. D'après les services du ministère, le sujet est actuellement à l'étude dans le cadre d'une possible intégration des bourses au sein du nouveau revenu universel d'activité (RUA).

À ces crédits du programme 231 s'ajoutent, pour le financement de la vie étudiante, les montants résultant du paiement de la contribution à la vie étudiante et de campus (CVEC) par les étudiants. Dans le projet de loi de finances pour 2020, son plafond d'affectation est enfin relevé à un niveau plus conforme à ce que les projections de recouvrement avaient escompté, soit 140 millions d'euros. Nous devrons cependant rester vigilants, à l'occasion du projet de loi de finances rectificative, à ce que les recettes soient intégralement réattribuées à des actions de prévention et d'accès aux soins, ainsi qu'à des activités sportives et culturelles.

En conclusion, le présent projet de loi de finances affiche assurément un soutien à l'enseignement supérieur, mais pas, hélas, dans des proportions permettant de faire face aux enjeux. Sous les réserves précédemment développées, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de l'enseignement supérieur au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

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