Intervention de Laure Darcos

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 6 novembre 2019 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « recherche et enseignement supérieur » - examen du rapport pour avis

Photo de Laure DarcosLaure Darcos, rapporteur pour avis des crédits budgétaires de la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » :

Pour la troisième année, je rapporte au nom de notre commission les crédits de la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». L'exercice revêt, cette fois-ci, une dimension quelque peu particulière puisqu'il a pour horizon la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), dont l'examen est prévu l'année prochaine et l'entrée en vigueur en 2021. Le flou régnant sur le calendrier d'examen du texte n'a, cependant, pas été levé lors de l'audition de Mme Vidal... L'année 2020 représente une charnière pour la recherche et le projet de budget en constitue l'expression : il ne contient ni mesure structurelle ni virage financier, mais s'inscrit dans la continuité de la trajectoire budgétaire tracée l'an passé. Cet attentisme suscite, au sein de la communauté de la recherche dont j'ai entendu de nombreux acteurs avec l'aide précieuse de nos collègues Pierre Ouzoulias et Laurent Lafon, au mieux une impatience mêlée d'inquiétude, au pire une déception teintée de colère.

Le premier programme en termes d'engagements financiers est le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » qui regroupe les opérateurs de recherche, à l'exception du Centre national d'études spatiales (CNES). Sa dotation pour 2020 est identique à celle de 2019 et s'établit à 6,9 milliards d'euros.

En 2020, se poursuit l'accroissement, avec 30 millions d'euros supplémentaires, des capacités d'intervention de l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour les porter à près de 715 millions d'euros. Grâce aux efforts réalisés depuis 2016, le taux de sélection des appels à projets s'est amélioré et se situe entre 15 % et 16 %. Les marges de progression restent toutefois importantes au regard des taux enregistrés par les agences de recherche étrangères, compris entre 20 % et 40 %.

Ensuite, le plan national pour l'intelligence artificielle (IA) continue son déploiement, à hauteur de 38 millions d'euros. Lancé en mars 2018 par le Président de la République et coordonné par l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), il prévoit notamment la création d'instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle, les 3IA, ainsi que le développement d'un programme doctoral en IA et de chaires d'attractivité internationale. Ces projets ont vocation à se développer d'ici à 2022.

La mise en oeuvre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR), dont les mesures de revalorisation s'élèveront à 28 millions d'euros en 2020, représente également une dépense importante, bien qu'insuffisante pour répondre au problème du niveau de rémunération des chercheurs.

En outre, pour la troisième année consécutive, une enveloppe spécifique de 25 millions d'euros est attribuée aux laboratoires de recherche au titre de leur dotation de base. La mesure, qui n'a été possible qu'au prix de l'application d'une réserve de précaution, n'est toutefois pas de nature à leur redonner les marges de manoeuvre nécessaires. La LPPR devra s'y atteler.

Parmi les autres actions financées par le programme 172, moins conséquentes budgétairement parlant, mais tout aussi importantes pour les activités de recherche, je tiens à mentionner la fusion, au 1er janvier 2020, de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement (Irstea), qui deviendront l'institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). L'opération, qui repose sur un véritable projet scientifique, n'est pas sacrifiée sur l'autel de la régulation budgétaire. J'en veux pour preuve l'absence de fermeture de site et la démarche de convergence au plus favorable des statuts du personnel et des dotations de base des unités de recherche. Cette politique, ambitieuse et responsable, est accompagnée par les deux ministères de tutelle, le ministère de l'enseignement supérieur et ministère de l'agriculture, qui confirment leurs engagements en 2020, respectivement à hauteur de 2,5 millions d'euros et de 1,8 million d'euros.

La dotation du programme 193 « Recherche spatiale » enregistre, en 2020, une augmentation importante de 11,74 % pour atteindre 2 milliards d'euros. Cet effort, qualifié de « remarquable dans un contexte budgétaire qui reste particulièrement contraint » par le président du CNES, traduit la priorité accordée par le Gouvernement au secteur spatial, compte tenu des défis stratégiques aux niveaux national et européen : la mise en oeuvre de la nouvelle politique spatiale de défense, l'étude des effets du changement climatique, la problématique du cyberespace, l'achèvement du programme Ariane 6, la pleine capacité opérationnelle de Galileo, le lancement de la mission ExoMars et le prochain vol de Thomas Pesquet vers la station spatiale internationale.

Les moyens supplémentaires prévus en 2020 sont destinés, pour 15 millions d'euros, aux programmes prioritaires du CNES et, pour 226 millions d'euros, aux engagements de la France envers l'Agence spatiale européenne ou European space agency (ESA). Le Conseil ministériel de l'agence, qui se tiendra dans quelques semaines à Séville, est crucial, car il doit déterminer les programmes et les financements de la politique spatiale européenne des trois prochaines années. J'ai alerté hier la ministre sur le danger, pour la France, de ne pas avoir nommé de commissaire européen à cette échéance...

À l'Assemblée nationale, le programme 193 s'est toutefois vu retirer, contre l'avis du Gouvernement, 2 millions d'euros au profit de BpiFrance afin de financer son fonds de garantie « Prêts Étudiants ». L'amélioration de ce dispositif de caution destiné à faciliter le financement de la vie des étudiants constitue, certes, un objectif louable, mais je doute que procéder à un transfert de crédits au détriment de la recherche spatiale présente la solution la plus pertinente.

Outre les programmes 172 et 193, cinq programmes intéressant la recherche sont rattachés à la mission tout en étant sous la responsabilité d'autres ministères. Pour trois d'entre eux, l'évolution des crédits de paiement en 2020 apparaît favorable : augmentation de 2,55 % pour le programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables », au bénéfice notamment de l'énergie nucléaire et de l'aéronautique civile, de 7,64 % pour le programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle », en particulier le plan Nano 2022, et de 1,24 % pour le programme 142 « Enseignement supérieur et recherche agricoles » pour la reconstruction d'une halle technologique de l'Irstea. La dotation du programme 186 « Recherche et culture scientifique », qui finance notamment Universcience, demeure stable, mais, compte tenu du désengagement du ministère de la culture, le risque est grand de voir l'opérateur disparaître. Enfin, le programme 191 « Recherche duale » enregistre un recul de 14,2 % de ses crédits de paiement en raison d'un recentrage sur des projets intéressant directement la défense et concernant à la fois le CNES et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

La somme des budgets des sept programmes consacrés à la recherche s'élève, pour 2020, à 12,1 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 2,46 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2019. L'effort mérite évidemment d'être salué, mais il n'est pas de nature à enclencher une véritable dynamique permettant de rassurer les esprits.

Je souhaite maintenant évoquer plusieurs problématiques relatives au financement des organismes de recherche. La plupart sont anciennes et bien connues, mais l'absence persistante de résolution ne fait qu'accroître les attentes envers la future LPPR.

Le premier sujet concerne le taux de la réserve de précaution appliqué à ces organismes. Alors qu'en loi de finances pour 2018, il avait globalement été abaissé à 3 % sur les dépenses hors personnel, exception faite du taux de 8 % appliqué à l'ANR, il pourrait repasser à 4 % l'année prochaine. Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation se mobilise pour remporter l'arbitrage face au ministère de l'action et des comptes publics, car, à l'aube de la LPRR, la confirmation d'un tel relèvement constituerait un signal négatif envoyé au monde de la recherche. De fait, la réserve de crédits a des conséquences délétères en termes de marge de manoeuvre et de visibilité.

La deuxième problématique porte sur le financement du GVT : absent de la subvention pour charge de service public, les opérateurs doivent donc en supporter la charge, ce qui les oblige à réduire régulièrement leurs effectifs afin de contenir leur masse salariale. Le seul CNRS a ainsi perdu, depuis 2010, 3 000 emplois financés par la subvention de charge de service public, soit près de 11 % de ses effectifs. Les mesures de réduction d'effectifs expliquent d'ailleurs le décalage entre les plafonds théoriques inscrits en projet de loi de finances et le nombre réel d'emplois occupés. Il serait utile que le Parlement puisse se prononcer à partir d'une présentation sincère et exhaustive de l'état des emplois dans chaque établissement de recherche !

La troisième problématique, directement liée à la précédente, concerne la réduction de la part de la subvention pour charge de service public pouvant être consacrée aux dépenses de recherche hors masse salariale, avec pour conséquence une forte dépendance des opérateurs de recherche vis-à-vis des financements sur projet, par le biais de l'ANR, de l'Union européenne, des crédits du programme d'investissements d'avenir (PIA) ou de contrats avec les entreprises ou les collectivités territoriales. Ce type de financement est certes pertinent - il est source d'émulation, permet la sélection des meilleurs projets et limite le saupoudrage -, mais il ne peut se substituer complètement aux dotations de base. Le juste équilibre entre les deux sources de financement apparaît fondamental. La LPRR devra y répondre, sachant que la part du produit intérieur brut (PIB) consacré à la recherche publique s'élève à 0,79 % seulement : l'objectif de 1 % implique un effort supplémentaire compris, selon les projections, entre 5 et 8,5 milliards d'euros. La marche est haute et le projet de budget pour 2020 ne saisit pas vraiment l'occasion de l'abaisser !

Je souhaite enfin évoquer le niveau de rémunération et le déroulement de carrière des chercheurs. J'avais traité de ces sujets l'an passé dans mon avis, mais leur caractère alarmant est apparu avec une acuité accrue à l'aune des auditions menées, notamment lors d'une table ronde avec les représentants syndicaux des chercheurs.

Le constat est connu et partagé : la rémunération des chercheurs et enseignants-chercheurs français est en décrochage par rapport aux standards internationaux, particulièrement en début de carrière ; le même phénomène de déclassement est observable entre les chercheurs et les cadres supérieurs de la fonction publique, principalement sur le volet indemnitaire ; le recrutement est particulièrement tardif - trente-cinq ans en moyenne - ce qui pénalise les femmes ; le métier de chercheur souffre d'une perte d'attractivité, ce qu'illustre la diminution inquiétante du nombre de doctorants ; l'emploi contractuel précaire dans la recherche progresse ; enfin, le recours aux vacataires, qui se définissent comme les invisibles du système, est de plus en plus systématique. La liste n'est pas exhaustive, mais elle suffit à mesurer l'ampleur de la tâche qui nous attend. Elle ne se résume pas à une simple question financière, mais ressort d'un devoir moral : il s'agit de renouer le pacte de la nation avec ses chercheurs. Les attentes sont fortes et ne devront pas être déçues par la LPPR, au risque d'une rupture profonde, peut-être irréparable, avec le monde de la recherche.

Le secteur de la recherche est en évolution permanente. Je pense, par exemple, aux rôles des instituts Carnot et des sociétés d'accélération du transfert technologique (SATT) dans la maturation des projets de recherche pour leur trouver un débouché dans le secteur industriel. Leur fonction de passerelle entre le monde de la recherche et celui de l'industrie étant essentielle, j'ai souhaité l'approfondir en visitant la SATT de Saclay et en rencontrant plusieurs responsables d'instituts Carnot.

Sous le bénéfice des observations formulées, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

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