Intervention de François Clavairoly

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 30 octobre 2019 à 16h35
Audition de représentants des cultes

François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France :

La réponse de l'homme, c'est parfois de se défausser de sa responsabilité : suis-je le gardien des actes de mon frère ? Nous devons être ensemble coresponsables de nos actes.

Les protestants sont partagés sur l'extension de l'AMP, comme la plupart de l'opinion publique et des confessions. Cette façon de vivre le débat en partage est un signe de bonne santé spirituelle.

Nous ne sommes pas opposés à cette extension, mais nous émettons des réserves et des interrogations : nous récusons une éthique purement naturelle, « ce qui est doit devenir ce qui doit être », tout comme une vision purement technicienne, « ce qui est faisable doit être fait ». Entre ces deux visions, l'une conservatrice et l'autre progressiste, se trouve une place pour le débat.

La liberté ne se confond ni avec l'individualisme, ni avec la loi de l'offre et de la demande, ni avec la loi du plus fort. Nous défendons l'amour du prochain, au nom d'une transcendance.

Plusieurs techniques répondent à l'infertilité des couples hétérosexuels. Nous saluons ces avancées. Mais la médecine de la fertilité devient de plus en plus réparatrice d'un désir manqué ou d'un projet parental impossible pour des femmes seules ou des couples de femmes. L'évolution de la médecine reproductive répond à des attentes sociétales et nécessite notre vigilance. Il faut accompagner ces nouvelles formes de parentalité, de plus en plus présentes. Au départ purement réparatrice, la médecine reproductive devient une médecine sociétale qui s'inscrit dans le processus civilisationnel occidental, accompagné par des décisions de justice. La loi du 17 mai 2013 qui a ouvert le mariage aux couples de même sexe et les avis de la Cour de cassation de septembre 2014 qui ont validé l'adoption des enfants issus d'AMP pratiquée à l'étranger par la conjointe de la mère ont contribué à reconnaître ces nouvelles formes de familles. L'insémination artificielle par des paillettes de sperme d'un donneur n'est plus seulement utilisée par des couples hétérosexuels mariés ou des partenaires de fait souffrant d'infécondité d'origine masculine, mais par des femmes célibataires et des couples de femmes, sans problème d'infertilité, dans d'autres pays d'Europe. Cette évolution s'est traduite dans les législations, selon des modalités différentes, en Grèce, en Estonie, en Autriche, en Suède, en Norvège, au Danemark, aux Pays-Bas, en Espagne, et au Royaume-Uni.

Le contexte institutionnel traduit des évolutions civilisationnelles. Nous ne pouvons pas rester sans cadre juridique, sinon nous aboutirons à des parentalités clandestines, à des injustices, à des situations de fragilité, notamment pour les femmes seules avec enfant.

Quelle compréhension avons-nous de la médecine reproductive, sur fond de déni de la finitude humaine, au risque de la marchandisation des corps humains ? Comment accompagner les nouvelles formes de parentalité et de filiation en veillant à protéger les plus vulnérables - notamment l'enfant à naître et les femmes seules - tout en refusant les discriminations, et en faisant preuve de solidarité et en assurant l'égalité des droits ?

Des études existent, certaines sont interprétables, mais toutes encouragent les questionnements. De fait, il existe une nouvelle réalité à accompagner.

Les confessions, notamment le protestantisme, doivent veiller à ce que ces principes de liberté, responsabilité et fraternité soient préservés contre la tentation de l'exploitation du corps, contre des désirs injustifiés et contre le risque de dérive eugéniste qui nous guette, si notre société se laisse uniquement guider par la technique.

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