Intervention de Haïm Korsia

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 30 octobre 2019 à 16h35
Audition de représentants des cultes

Haïm Korsia, Grand rabbin de France :

Je remercie le pasteur Clavairoly d'avoir énoncé, en hébreu, la phrase de Caïn après avoir tué Abel. Les Juifs ont une certaine antériorité sur les évangiles pour dire : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »...

Réviser régulièrement la loi, et ainsi la rendre temporaire, n'est-ce pas en amoindrir la portée ? Je comprends l'objectif, mais cette fois-ci, on risque de fragiliser en permanence la vocation de la loi à dépasser les situations particulières. Elle ne doit pas juste constater et entériner ce qu'une majorité des Français font à un moment donné. Le bien doit nous élever.

Il serait plus juste qu'une commission permanente du Parlement examine régulièrement toutes les incidences éthiques ou bioéthiques des projets de loi. Cela permettrait une mise à jour régulière des sujets éthiques ou bioéthiques dans la loi, et éviterait l'écueil que chaque loi éthique ou bioéthique soit considérée comme datée au terme d'un certain délai.

Autre interrogation, qu'en est-il du désir individuel face au désir collectif ? Le désir individuel est au coeur de la volonté de chaque citoyen. Mais lorsque le désir individuel percute la volonté commune ou le sens collectif, il faut trouver un équilibre. Oui à la liberté, mais faites-le en mettant le manteau de Noé : ne nous demandez pas de valider. Le règlement fixerait une limite d'âge pour le recours à l'AMP pour les femmes. Celles qui veulent le faire peuvent se rendre en Espagne ; à leur retour, la Sécurité sociale ne va pas refuser de les prendre en charge, mais va prendre en compte les soins liés à leur grossesse - fort heureusement. Mais il ne faut pas faire comme si cet état de fait était un idéal. La loi doit gérer l'idéal, même si elle doit traiter aussi du concret.

Transgresser les règles tout en respectant leur bien-fondé n'est pas la même chose que de leur dénier tout bon sens. Ainsi, malgré la limitation de vitesse à 130 kilomètres par heure, je peux rouler à 150 kilomètres par heure, en raison d'une urgence. Si je me fais verbaliser, je comprends la raison d'être de la règle, mais à ce moment-là, j'avais arbitré en faveur de mon intérêt individuel et non de l'intérêt collectif - c'est mon choix. Ce n'est pas la même chose que quelqu'un qui transgresse la loi sans respecter son bien-fondé. On ne va pas changer la règle parce que certains, voire beaucoup, la transgressent ! On ne peut pas, du moins au sein du Gouvernement ou du Parlement, pour justifier une loi, dire que le père ne sert à rien, ou qu'une grand-mère peut jouer le rôle d'un père. Il faut un peu de bon sens. Certains veulent créer une réalité abstraite, théorique, qui n'existe pas. Dites aux Français : « faites comme vous voulez, mais pas en notre nom ». Certains ont des pulsions contradictoires : ce sont les mêmes qui voudraient donner accès aux origines et en même temps dire à un enfant qu'il n'a pas de père ! Ceux qui veulent légiférer sont un peu schizophrènes : ils veulent reconnaître certains pères, et organiser la disparition d'autres. Ce n'est pas une démarche sereine.

Comme le disait justement le pasteur Clavairoly, nos fragilités, nos impossibilités, nos imperfections et nos manques sont notre humanité. La médecine se conçoit pour réparer l'impossibilité, pour un homme et une femme, d'avoir un enfant, par la procréation médicalement assistée. C'est sa vocation de pallier un manque, mais si elle pallie un désir, jusqu'où ira-t-elle, et pour quel type de désir ? En sociologie des organisations, la priorité d'une organisation est d'assurer sa survie, et non de répondre aux désirs de chacun ou de chacune. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire. La matriarche Rachel hurlait sa douleur de ne pas avoir d'enfant, et a donné sa servante à son mari. Je ne dis pas que c'est bien, ni que c'est l'idéal, mais elle l'a fait. Entendons cette douleur, mais ne légiférons pas seulement pour répondre à ce cas particulier.

Est-ce que tout ce qui est possible est légitime ? Je fais confiance à votre sagacité pour trouver les réponses.

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