Dans le premier testament, que je citerai en grec, le äïêéìÜæåéí est le discernement, le mot de l'éthique, qui dit quelque chose de la sagesse pratique pour discerner les voies justes afin que l'institution soit juste. La révolution intervient lorsque l'institution représentant le peuple est injuste. Discerner l'institution juste est le point majeur de la réflexion actuelle.
Plusieurs points animent notre réflexion.
Avec ce projet de loi, certains enfants auront le droit d'avoir un père mais pas d'autres. On peut y remédier en permettant à un enfant né de deux femmes de pouvoir dire « père ».
Le projet de loi tel qu'issu des travaux de l'Assemblée nationale postule que tout repose sur le « projet parental ». L'enfant est donc soumis à un projet d'adulte qui lui est imposé. Ce concept a été critiqué par les juristes, car il aboutit au retour d'un droit des puissants - les adultes - sur un enfant. Peut-on considérer qu'il s'agit d'une institution juste ?
L'égalité dans les modes de filiation n'est-elle pas en outre une pétition de principe ? Les modes d'établissement de la filiation ne sont pas identiques : l'enfant issu d'une femme seule n'aura jamais pas la même filiation que l'enfant d'un homme et d'une femme, mais on voudrait faire croire le contraire.
Qu'est-ce qui est vraisemblable ou invraisemblable ? Qu'une filiation soit vraisemblable a toujours existé, mais instaurer l'invraisemblable pose question. La loi propose « d'inciter les parents au récit le plus exact possible ». La loi s'immiscerait alors dans ce que doit faire la famille ; n'est-ce pas dangereux, au vu de la politique menée par certains États en ce sens ? Selon le doyen Carbonnier, la famille est le domaine dans lequel on doit le moins entrer par la loi... Il est nécessaire que le récit dise ce qu'il est advenu en raison d'un accident de la vie ; cela aidera considérablement la conscience psychologique et psychique de l'enfant. Mais il est différent d'accepter le récit d'une volonté qui s'impose. Permettra-t-il au psychisme de se construire paisiblement ?
La logique du marché de la procréation est considérable. Voyez les publicités qui s'affichaient sur nos écrans d'ordinateur une demi-heure après le vote de l'article 1er en première lecture à l'Assemblée nationale : la marchandisation de gamètes existe dans différents pays. Cela nous interroge sur le principe de non patrimonialité du corps humain et de gratuité du don : est-il possible de le violer sans violer le principe de dignité humaine ? Une institution juste peut-elle le permettre ?
Nous assistons à un grand débat sur la réalité du principe de dignité. Le Conseil d'État a clairement mis en évidence ce sujet dans le débat. Pouvons-nous dire que c'est faire justice de considérer qu'il y a un bien qui nous précède tous, un bien de la planète et de l'humanité ? Nous sommes tous inscrits, par notre généalogie, sur une planète qui nous précède. Ce bien nous est donné, il est constitué et rationnel. Nos aînés ont pu dire quelque chose d'intelligible, cela nous invite à la responsabilité. Le concept de dignité irrigue tout le modèle français de bioéthique, et relativise le concept d'autonomie, qui est toujours relationnelle - comme le soulignait très bien la loi de 2002 sur les soins donnés au patient. C'est toujours avec le personnel soignant que le patient prend ses décisions. La liberté n'est jamais celle d'un sujet autonome, absolu, sans aucun lien avec ce qui le précède, mais c'est une liberté responsable, car un bien le précède. C'est dans ce lien que s'imagine le principe de dignité.
L'article 2 bis du projet de loi a introduit une étude sur l'infertilité. Ce sujet mériterait d'être approfondi, car c'est un vrai mal de notre temps. Ce serait une étude capitale pour la santé publique mais aussi pour l'environnement.
Promouvoir l'adoption serait d'une grande utilité sociale. Auparavant, cette solution était obligatoirement proposée verbalement aux personnes souhaitant s'engager dans une AMP. Le projet propose que cela soit mentionné uniquement dans le dossier sans échange avec les personnels soignants. Or, avoir un échange oral est important. Si notre société est fraternelle, elle doit mettre en lumière l'adoption comme réparation d'un accident de la vie et comme moyen de donner des parents à un enfant qui en manque. Cela mériterait une plus grande attention dans le projet de loi.