Monsieur le président, je suis bien d'accord avec vous : je ne sais pas si le titre Ier relève d'une loi de bioéthique. Je ne crois pas qu'il y ait une avancée scientifique au sujet de l'extension de l'AMP. On parle d'un choix politique clairement énoncé. Le mettre dans une loi de bioéthique fragilise le magnifique édifice bioéthique français qui a été construit depuis 1994. Comment la France pourra-t-elle parler au reste du monde sur cette question-là ? Nous allons toucher au principe de gratuité. Nous ne pourrons plus dire que tous les hommes naissent égaux en dignité et en droits puisque certains n'auront pas le droit d'avoir un père.
On ne distingue plus entre la pathologie et la non-pathologie. Ce n'est pas tant qu'on étende la PMA d'un couple hétérosexuel à un couple homosexuel. Le problème vient de ce qu'on supprime le critère de pathologie. Du point de vue de l'organisation de notre société, ne plus distinguer ce qui relève de la pathologie de ce qui n'en relève pas crée un flou. On ne sait plus très bien quel sera notre modèle social de solidarité, ni à quoi notre sécurité sociale sera consacrée. Cela mérite réflexion. Il y a eu des débats pour savoir ce qui doit être remboursé par la sécurité sociale, ce qui témoigne de la difficulté qu'il y a à ne plus faire de distinction entre ce qui est pathologique et ce qui ne l'est pas.
Je suis inquiet de voir que toutes les femmes seraient mises sur un pied d'égalité en matière d'AMP. Une femme mariée avec un homme sans aucun problème d'infertilité aura accès à une AMP, par exemple via une fécondation in vitro, ce qui ouvre clairement une voie vers l'eugénisme. On avance vers une plus grande fragilité dans notre société. Sur les femmes seules, certains exemples étrangers sont parlants. Le Royaume-Uni a décidé de ne plus accorder d'aides financières aux femmes qui choisissent, et non qui subissent, le fait d'être seules avec leur enfant. D'ailleurs, 91 % des Français pensent qu'il ne faut pas ouvrir l'AMP aux femmes seules. Outre le simple bon sens, cela pose la question de l'altérité, dont l'enfant a besoin pour ne pas être enfermé dans une relation exclusive avec sa mère, ce qui peut être dangereux.
L'accès à l'identité du donneur me paraît être une bonne chose, mais elle pose deux questions. Si on permet la connaissance de l'identité du donneur, c'est qu'il s'agit de réparer un mal. On reconnaît donc qu'il y a un mal. C'est très bien de réparer un mal. Mais, d'un autre côté, on promeut l'AMP avec tiers donneur, c'est-à-dire qu'on organise le mal ! Il y a là une contradiction interne. Or, s'agissant de l'AMP, il faudrait mettre en oeuvre le premier principe de la médecine qui est : primum non nocere. Si on ouvre l'accès à l'identité du donneur, c'est qu'on reconnaît que cela nuit à l'enfant de ne pas connaître sa source biologique.
Par ailleurs, on peut aujourd'hui contester la paternité en s'appuyant sur une preuve biologique. Un enfant qui naîtrait sur la base d'un projet parental pour un couple de femmes ne pourrait rien contester du tout. Cela lui serait imposé pour toute sa vie. Or, avec l'une des deux femmes, il n'aura aucun lien biologique. Elle aura simplement érigé sa volonté comme étant ce qui lui permet d'être désignée comme mère. Imaginons qu'à l'âge de dix-huit ans, il connaisse le donneur de sperme dont il est issu, et que cet homme, dans le fond, ne soit pas si mal que ça - même si c'est un homme - et que cet enfant se prenne d'affection pour lui et demande une reconnaissance en paternité. Aurait-il le droit de contester la maternité de la mère qui ne l'est que par volonté ? Ce droit me paraîtrait important pour l'enfant, que nous reconnaîtrions comme une personne à part entière. Je trouverais cela plus juste que de priver pour toujours l'enfant d'avoir un père.
Pour le don d'organes, se pose une question très difficile : plus on augmentera les paires, plus on accroîtra la distance, y compris affective. On risque d'en arriver à demander une contrepartie au don, qui ne serait plus gratuit. Plus on s'éloigne du cercle où il y a un authentique lien affectif, plus on va vers un besoin de reconnaissance. Je ne suis pas convaincu par le registre du don, selon lequel on est un donneur potentiel sauf si on en a exprimé le refus. Ce n'est pas respecter l'être humain, qui est capable de faire un acte de don. En Ille-et-Vilaine, il y a 357 établissements scolaires privés catholiques. Je m'y rends pour faire une éducation au don d'organes. Je suis frappé de voir que les collégiens et les lycéens sont prêts à faire un don, librement. C'est la grandeur de l'être humain d'être capable de faire un don.
Enfin, vous parlez des progrès qui permettraient cette loi. Mais comment réfléchir à l'embryon humain ? Si c'est une loi de bioéthique, quand allons-nous réfléchir sereinement, paisiblement, en écoutant les scientifiques, en écoutant les philosophes, en écoutant les sages, pour penser ? L'embryon humain n'est pas pensé : il n'est pas une personne, il n'est pas une chose. Résultat : la recherche sur l'embryon humain est encore accrue. Pourtant, détruire un embryon humain ne devrait jamais nous paraître banal. On le voit d'ailleurs dans les réponses aux questionnaires que doivent compléter les couples dans les centres d'AMP, s'agissant des embryons qui ne font plus l'objet d'un projet parental. Le plus souvent il n'y a pas de réponse... Difficile de répondre ! Or le projet de loi accentue la recherche sur l'embryon humain, en augmentant à quatorze jours le temps pendant lequel on peut le garder en culture, ce qui correspond à la première différenciation dans le tissu nerveux. Pourquoi pas ? Mais pourquoi pas plus tard ? Jusqu'où aller ? Je ne suis pas sûr qu'on aille vers le progrès, si on ne réfléchit pas de manière plus approfondie. Nous nous laissons guider par la fascination de la technique, sans réfléchir à ce qu'est la technique. Tous ceux qui ont réfléchi sur la technique lui demandent un supplément d'âme, comme dit magnifiquement Bergson. Et je ne vois pas comment la technique serait un progrès si elle n'engage pas un supplément éthique consubstantiel à notre fraternité.
Il n'y a pas de progrès en bioéthique si l'on ne considère pas l'écologie. Si on ne respecte pas la planète, ce n'est pas un progrès. Nous avons pris conscience qu'il y a des techniques qu'il ne faut pas utiliser pour la planète. Il y a un écosystème à protéger, je pense que l'être humain est aussi un écosystème à protéger et qu'il y a des techniques qu'il ne faut pas utiliser, parce qu'elles sont malfaisantes pour l'être humain, tout comme des techniques ne sont pas utilisées parce qu'elles sont malfaisantes pour la planète et l'environnement. On ne peut plus séparer la bioéthique de l'écologie. Peut-être, avec la sagesse qui lui est reconnue, le Sénat pourrait-il l'inscrire dans ce texte.