Je remercie Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice, d'avoir trouvé le temps de répondre à notre demande d'audition, une audition brève car ponctuelle. Nous aurons l'occasion de la retrouver prochainement pour l'examen du budget de son ministère.
Madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice a prévu la fusion des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance au sein de tribunaux judiciaires, et ce au 1er janvier 2020. Cette loi a également prévu une possibilité de spécialisation des juridictions. Cette réorganisation territoriale de la justice doit être mise en oeuvre par le Gouvernement par la voie réglementaire.
Les matières civiles, les délits et les contraventions qui pourront donner lieu à une spécialisation des tribunaux judiciaires ont été déterminés en tenant compte, selon les termes de la loi, « du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières ». C'est un décret en Conseil d'État, pris le 1er septembre dernier, qui met en oeuvre ces dispositions.
Il reste maintenant au Gouvernement à déterminer par décret simple les tribunaux judiciaires qui seront concernés par la spécialisation, de même que les tribunaux dans lesquels sera supprimée la présence d'un juge d'instruction par un regroupement des cabinets d'instruction.
Le Sénat n'a pas approuvé cette mesure de spécialisation. Il estimait à l'époque qu'elle porterait atteinte à la proximité de la justice dans les territoires. Nous en avons débattu, et il nous revient d'être d'autant plus vigilants sur son application.
Au cours de la discussion de la loi de programmation, vous avez fait, madame la garde des Sceaux, plusieurs déclarations au Sénat ainsi qu'à l'Assemblée nationale et précisé - je vous cite - que « les projets de spécialisation remonteront du terrain », que « rien ne sera imposé par l'administration centrale », ou encore que « les contentieux spécialisés seront répartis de manière équilibrée sur chacun des tribunaux de grande instance des départements qui en comptent plusieurs », car un certain nombre de départements en comptent en effet jusqu'à trois, voire davantage, comme dans le Nord.
Nous ne pouvons bien entendu qu'approuver ces principes. Néanmoins, nous nous interrogeons sur l'état d'avancement de vos préparatifs et sur leur orientation générale, ce qui justifie aujourd'hui notre audition dans des délais assez courts.
La semaine dernière, la presse a dévoilé certains documents préparatoires dont le contenu interroge, notamment un tableau faisant apparaître, au regard de chaque tribunal de grande instance, outre l'existence éventuelle d'un pôle d'instruction et la moyenne du flux annuel d'affaires nouvelles à l'instruction, des données relatives au score des candidats du parti La République En Marche (LaREM) au premier tour des élections présidentielles et législatives, ainsi qu'aux élections européennes.
S'agit-il d'éviter, par cette démarche, de créer des difficultés aux élus d'un parti proche du Gouvernement ou, au contraire, de créer des avantages en faveur de certains proches du Gouvernement dans le choix des localisations des services de la justice ? Nous voulons aujourd'hui nous assurer du contraire.
Les choix qui vont être faits de spécialiser tel ou tel tribunal judiciaire ou de priver tel autre tribunal de juges d'instruction vont avoir, à l'évidence, un impact sur l'accessibilité de la justice et sur sa proximité pour le justiciable. On ne saurait imaginer que des critères électoraux puissent être pris en considération pour déterminer l'accès à la justice des citoyens.
Ce qui nous intéresse, c'est de savoir comment vous entendez procéder aux évolutions prévues par la loi, en excluant - j'insiste sur ce point - toute prise en considération de critères politiques, et en assurant la transparence sur les choix qui devront, à l'évidence, être concertés.
Notre questionnement portera sur le stade que vous avez atteint aujourd'hui dans vos travaux préparatoires, le calendrier, et les étapes qui restent à franchir. Quels critères entendez-vous utiliser dans le cadre de cette réforme ? L'activité actuelle des juridictions va certainement être prise en compte, ainsi peut-être que l'évolution démographique ou économique des territoires concernés. Vous allez pouvoir nous le dire.
De notre point de vue - et je crois me faire le porte-parole de l'ensemble des sénatrices et sénateurs -, notre démocratie, notre État de droit, le service qui doit être rendu aux justiciables exigent que l'administration de la justice soit totalement impartiale, comme doit l'être la justice elle-même. Je suis sûr que c'est aussi votre point de vue. C'est un domaine de l'action publique pour lequel cette exigence s'impose comme un impératif même si, naturellement, la partialité est de règle pour tous les volets de l'action gouvernementale.
Madame la ministre, vous avez la parole.