Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 6 novembre 2019 à 15h00
Violences au sein de la famille — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Nicole Belloubet :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous le savons, plus de 120 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint depuis le début de l’année 2019. Cette réalité insupportable nous guide collectivement, quelle que soit notre appartenance politique.

C’est dans cet esprit que le Premier ministre a ouvert, le 3 septembre dernier, le Grenelle consacré aux violences au sein du couple et que l’Assemblée nationale à la quasi-unanimité la proposition de loi qui vous est aujourd’hui soumise. C’est encore dans cet esprit que nous souhaitons aborder les débats qui vont se tenir dans cet hémicycle, afin que soient rapidement – j’insiste sur cet adverbe – apportées des solutions opérationnelles pour que ces situations de violence ne soient pas une fatalité, pour que nulle n’ait peur en rentrant dans son foyer.

Dans la lutte contre les violences conjugales, la justice occupe évidemment une position centrale. Je mène à ce titre, depuis plusieurs mois, une politique extrêmement volontariste, construite autour d’un plan d’action très structuré. Ma circulaire du 9 mai dernier a ainsi rappelé aux procureurs le caractère prioritaire du traitement de ces violences, en les incitant à utiliser pleinement l’arsenal législatif dont ils disposent, comme les téléphones grave danger (TGD) ou l’ordonnance de protection, des dispositifs qui méritent d’être mis en lumière.

Je souhaite bien entendu que le recours au dispositif de l’ordonnance de protection soit facilité, afin que sa mise en œuvre devienne une pratique très régulière, dès que la situation dont le juge est saisi correspond au cadre pour lequel elle est prévue.

Mes services ont d’ailleurs analysé toutes les décisions d’ordonnance de protection qui ont été rendues depuis 2016, soit au total 3 102. Ce chiffre est d’ailleurs très inférieur au nombre d’ordonnances de protection délivrées en Espagne.

Le travail d’analyse de ces ordonnances de protection qui a été engagé par mes services a néanmoins permis de révéler que ce dispositif est de plus en plus fréquemment utilisé, même si l’on ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle.

En raccourcissant les délais de délivrance de l’ordonnance de protection, la proposition de loi qui vous est soumise garantira une protection plus rapide, et donc plus efficace, de la victime.

Un guide très complet exposant l’objectif et le cadre juridique de cette mesure a été réalisé par la direction des affaires civiles et du sceau de mon ministère. Il sera très rapidement et très largement diffusé.

La mise en place du bracelet anti-rapprochement (BAR) pour les auteurs de violences conjugales à titre de peine, mais aussi avant tout jugement pénal dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ou hors de toute plainte dans le cadre civil d’une procédure d’ordonnance de protection, a été annoncée par le Premier ministre dès l’ouverture du Grenelle.

Cette mesure fait l’objet d’un très large consensus. J’avais moi-même d’ailleurs engagé des travaux en ce sens avec plusieurs parlementaires – je pense notamment aux députés Guillaume Vuilletet, Guillaume Gouffier-Cha et Fiona Lazaar. Le groupe LaREM de l’Assemblée nationale avait également déposé une proposition de loi qui traduisait ce travail. Je suis ravie que, dans un esprit de coconstruction, il ait finalement été décidé, pour avancer plus rapidement, d’opter pour l’examen de la proposition de loi déposée par le groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale.

Parce que le phénomène des violences au sein du couple est très spécifique, parce que certains mécanismes psychologiques, tels que l’emprise, n’ont été clairement identifiés et décrits que depuis quelques années, j’ai souhaité renforcer l’offre de formation en la matière.

Un important travail a donc été réalisé en ce sens, et l’École nationale de la magistrature offre, depuis le début de ce mois, de nouvelles formations ouvertes aux magistrats, mais aussi aux personnels de l’administration pénitentiaire ou encore de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi qu’à des officiers de police judiciaire, à des avocats et à des personnels associatifs, sur l’ensemble du territoire national. L’objectif est que les magistrats soient parfaitement formés et sensibilisés au traitement spécifique de cette délinquance. Ainsi, tous les magistrats qui seront amenés à changer de fonction devront suivre un module de formation sur les violences conjugales – j’y insiste, cette formation sera obligatoire.

Au-delà de ces questions, il me paraît essentiel de travailler au développement d’une meilleure synergie entre tous les acteurs. J’ai eu l’occasion de le dire, il faut « défragmenter » le travail des acteurs et des services, et ainsi faire en sorte que ne se glisse aucun interstice, aucune faille entre l’action des enquêteurs, celle des juges et celle des associations.

Trop souvent, au sein du monde de la justice, et surtout dans les juridictions les plus importantes, les juges aux affaires familiales (JAF) ou les juges des enfants et les procureurs ne travaillent pas suffisamment en symbiose sur ces sujets. C’est pourquoi une expérimentation a été lancée au tribunal de grande instance de Créteil, juridiction pilote, aux fins d’élaborer un schéma modèle de traitement judiciaire des faits de violences conjugales, intégrant tout à la fois l’urgence des réponses et la prise en considération de leur particularité. Deux autres juridictions, de taille plus réduite, deviendront, elles aussi, pilotes en la matière, afin que le système retenu soit applicable à l’ensemble des tribunaux : il s’agit des tribunaux de grande instance de Rouen et d’Angoulême.

Le Grenelle des violences conjugales aura déjà eu le mérite de provoquer une forme d’élan au sein des juridictions sur ces sujets, et je ne peux que me féliciter que mes services aient été spontanément contactés, dans les jours ayant suivi l’annonce du Premier ministre, par des juridictions désireuses de participer à cette expérimentation de filières d’urgence.

C’est dans cet esprit que j’ai installé, à la Chancellerie, un groupe de travail réunissant l’ensemble des acteurs concernés. Ce groupe suivra, au-delà même du Grenelle, l’avancée des actions annoncées. Il s’est déjà réuni à plusieurs reprises ; les échanges qui y ont été conduits ont été fructueux et ils ont permis d’engager des réflexions sur de nouvelles améliorations possibles ; j’en parlais précédemment, en réponse à M. Jean-Pierre Sueur.

Pour en revenir plus précisément aux dispositions de la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui, je rappelle que ce texte vise, d’une part, à renforcer l’ordonnance de protection, et, d’autre part, à généraliser l’utilisation du bracelet anti-rapprochement. Évidemment, je partage pleinement cette double volonté, puisqu’il s’agit de deux axes majeurs sur lesquels travaille le ministère de la justice depuis plusieurs mois. La proposition de loi tend à inciter non seulement les parties, mais encore les avocats qui les assistent, à demander les mesures prévues par les textes, ainsi qu’à renforcer ces mesures.

L’ordonnance de protection est en effet une décision rendue par un juge civil, dans le cadre d’une procédure civile, présentant cette particularité que les parties en ont la maîtrise. Pour cette raison, le rappel du principe selon lequel la délivrance d’une ordonnance de protection n’est pas subordonnée à une plainte préalable a une vertu pédagogique.

Le texte qui vous est présenté conforte aussi le traitement de l’urgence. L’Assemblée nationale a en effet adopté un amendement visant à instaurer « un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience » pour que le juge aux affaires familiales rende sa décision.

Je crois qu’il est effectivement indispensable de raccourcir les délais de délivrance des ordonnances de protection. Il est toutefois tout aussi nécessaire de respecter le principe du contradictoire et la nature spécifique de la procédure civile, qui repose, je le précisais à l’instant, sur la volonté des parties, donc sur des principes différents de ceux du procès pénal. Je vise, comme vous, un objectif de célérité. Néanmoins, je ne suis pas certaine que le dispositif juridique soit parfait, la notion de « fixation de la date de l’audience » n’existant pas en procédure civile.

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