Intervention de Marie-Pierre de La Gontrie

Réunion du 6 novembre 2019 à 15h00
Violences au sein de la famille — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie-Pierre de La GontrieMarie-Pierre de La Gontrie :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens en préambule à saluer la présence symbolique sur nos travées, tout à l’heure, du président du Sénat. Il a ainsi voulu marquer, je le crois, l’importance de ce texte pour nous tous.

Cette année, 129 femmes sont mortes, tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint ; 129 femmes assassinées, autant de vies anéanties. Ce chiffre est insensé, insupportable ; il cache des douleurs insondables. Pourtant, il ne fait qu’approcher la réalité sans vraiment en rendre compte.

Combien de femmes souffrent à l’heure où je m’exprime devant vous ? Combien sont gravement blessées ? Combien se sont suicidées ? Ce chiffre de 129 femmes tuées signe l’échec de toute une société, notre échec collectif. Devant ce drame quotidien, agir résolument contre les violences et les féminicides est une obligation.

Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale qui tend à agir contre ces violences, bien souvent constatées dans le cadre privé du foyer. Son adoption à l’unanimité montre que l’ensemble des députés, quelle que soit leur sensibilité, sont convaincus de la nécessité d’agir pour enrayer ce fléau.

Pourtant, la situation dans laquelle nous nous trouvons cet après-midi ne doit pas manquer de nous interpeller. C’est bien une proposition de loi que nous examinons. Pour un sujet présenté il y a deux ans et demi comme la « grande cause du quinquennat », le recours à ce véhicule législatif a en soi une signification. De par sa nature même, ce texte est dépourvu de toute étude d’impact et d’avis du Conseil d’État ; nous verrons ultérieurement que cela manque.

À cela s’ajoute un calendrier contraint, déjà évoqué, marqué par la clôture prochaine du Grenelle des violences conjugales, au terme duquel des annonces gouvernementales seront faites.

Enfin, nous apprenons le dépôt à venir d’une nouvelle proposition de loi par le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale.

Quelle conception du travail parlementaire ! Quelle approximation dans la prise en compte des violences conjugales !

Le Sénat n’a disposé que de deux semaines pour étudier ce texte, qui s’inscrit pourtant, je le répète, dans la grande cause du quinquennat, et il ne pourra y avoir qu’une seule lecture, le choix ayant été fait d’engager la procédure accélérée.

Je le dis donc sans détour : les conditions ne sont pas réunies pour garantir aux Françaises et aux Français une production qualitative de la loi ; je le déplore. Compte tenu des enjeux, puisqu’il s’agit bien d’épargner des vies, nous ne saurions nous en satisfaire.

Je le disais à cette tribune en juillet 2018, à propos du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, la « grande cause du quinquennat » débouche parfois sur de bien petites lois. Je crains que cela ne soit encore le cas aujourd’hui, alors qu’un tel sujet mérite, au contraire, un vaste projet de loi, impliquant les services de police et de gendarmerie, les services sociaux, les collectivités locales, la formation des agents et l’organisation judiciaire, en particulier la répartition des compétences entre le juge aux affaires familiales, le juge des enfants et le juge des libertés et de la détention.

Enfin, un projet de loi à la hauteur des ambitions affichées par le Président de la République lui-même exigerait que des moyens financiers massifs soient déployés afin d’améliorer la prise en charge des victimes, le soutien aux associations, l’hébergement d’urgence des victimes, la formation des personnels… Nous nous tournons souvent vers l’Espagne, modèle de lutte efficace contre les violences conjugales : nous connaissons le budget colossal que ce pays a alloué à cette lutte. Nous sommes loin, ici, de ces exigences, et l’on peut craindre que, une fois encore, des effets d’annonce ne masquent de maigres avancées.

Vous le savez, nous adhérons aux objectifs de ce texte, mais nous savons qu’il ne va pas assez loin et que l’ensemble du sujet n’est pas traité. Les résultats risquent donc d’être, une nouvelle fois, en deçà des enjeux. En effet, il s’agit avant tout de protéger les victimes et de renforcer les moyens mis à cette fin à disposition des associations, des collectivités, de la police et de la justice.

Telle est l’intention de l’auteur du texte, pour ce qui concerne le raccourcissement à six jours du délai de délivrance de l’ordonnance de protection, mais ce nouveau délai pourra-t-il être tenu sans moyens supplémentaires ?

C’est également l’intention qui sous-tend l’extension du recours tant au téléphone grave danger qu’au bracelet anti-rapprochement et l’ouverture de la possibilité d’ordonner le port de celui-ci en phase pré-sentencielle, bien qu’il s’agisse d’une mesure attentatoire aux libertés et que le texte fasse reposer cette décision sur le juge aux affaires familiales.

C’est aussi le sens des mesures d’aide au logement, qui tendent à préserver de la précarité les victimes et, bien souvent, leurs enfants.

Le groupe socialiste et républicain aborde l’examen de cette proposition de loi dans un esprit constructif. Il proposera toutefois des amendements pour en améliorer certains aspects, notamment en ce qui concerne l’ordonnance de protection, le bracelet anti-rapprochement et la situation des enfants, qui mérite d’être mieux appréhendée.

Pour autant, nous sommes lucides ; mettre fin au funèbre décompte des mortes par centaines sous les coups de leur conjoint exige de courageuses décisions budgétaires. Or, jusqu’à présent, le Gouvernement nous a davantage gratifiés de paroles que de décisions budgétaires…

Cela étant, je reste optimiste ; les discussions budgétaires ne sont pas terminées, et nous espérons que le Grenelle des violences conjugales débouchera sur la mobilisation de moyens propres à donner aux acteurs de terrain la capacité de lutter efficacement contre ce fléau.

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