Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit ce soir concerne malheureusement toutes les couches sociales de la population, ainsi que tous les territoires. Les violences au sein de la famille – contre les femmes, dans une très large majorité des cas – touchent aussi bien les milieux modestes que des familles plus aisées, les zones urbaines que les territoires ruraux.
À cet instant, j’ai une pensée pour les victimes de violences que j’ai pu avoir à connaître, comme élu local, pendant près d’une dizaine d’années. Nous connaissons toutes et tous de telles situations.
Ce mal est partout présent. Les chiffres font froid dans le dos : 129 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint depuis le début de l’année 2019. Non seulement ces chiffres sont élevés, mais ils augmentent d’une année sur l’autre.
Pourtant, le législateur n’est pas resté inactif en la matière. En effet, la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants a profondément amélioré notre droit. Comme la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, ce texte a modifié tant notre droit civil que notre droit répressif. Il a introduit d’importantes innovations, comme l’ordonnance de protection, que la présente proposition de loi tend à faire évoluer. Mais force est de constater, compte tenu du nombre de drames que l’on continue à déplorer chaque jour dans notre pays, que cette importante réforme de 2010 nous laisse un goût d’inachevé.
À cet égard, je tiens à saluer nos collègues députés qui ont pris l’initiative de déposer cette proposition de loi, en particulier Aurélien Pradié, qui a réalisé un travail important sur le sujet. Je me félicite que ce texte nous permette de dépasser nos clivages politiques : sur des sujets aussi graves, nous devons travailler collectivement, guidés par la volonté absolue de protéger les victimes, sans considération de nos étiquettes partisanes. Pour l’essentiel, les interventions des orateurs qui m’ont précédé à cette tribune s’inscrivent dans cet esprit.
Cela ne signifie pas, pour autant, que toutes les idées visant à protéger les victimes soient forcément bonnes… Attention aux fausses bonnes idées. Notre mission de législateur nous autorise évidemment à être innovants, mais elle nous oblige à être rigoureux, c’est-à-dire à ne voter que des dispositions effectivement normatives et, surtout, applicables concrètement. Susciter de faux espoirs chez les victimes est sans doute le principal des écueils que nous devons éviter.
Notre rapporteur a parfaitement respecté ces impératifs. L’exercice n’était pourtant pas aisé. Je tiens à rendre hommage à la qualité du travail réalisé par notre collègue Marie Mercier, dont chacun connaît l’engagement sur ces sujets. Les modifications proposées en commission étaient indispensables. Elles permettent de débattre cet après-midi d’un texte bien plus abouti, juridiquement plus précis et moins « bavard » que celui qui a été voté par les députés.
Mes chers collègues, permettez-moi de faire quelques observations sur le volet civil et sur le volet pénal de la proposition de loi.
Concernant le volet civil, il est essentiellement question de l’ordonnance de protection, outil à la disposition des juges aux affaires familiales depuis la loi du 9 juillet 2010. L’ordonnance de protection est une mesure très particulière. Elle est hybride : c’est une décision rendue par un juge civil, le JAF, qui évoque, par les mesures qu’elle peut contenir, une décision de nature pénale. Le JAF peut notamment ordonner des interdictions de rapprochement, contrôlées par un bracelet électronique, ainsi que des interdictions de paraître en certains lieux, comme pourrait le faire le juge répressif dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
Dix ans après sa création, les JAF utilisent-ils correctement et suffisamment cet outil ? Apparemment, non.
D’abord, en pratique, certaines juridictions font du dépôt de plainte une condition de recevabilité de la demande d’ordonnance de protection. Ce n’est pourtant ni l’esprit ni la lettre de la loi de 2010.
Ensuite, la moitié des demandes d’ordonnance de protection sont formées devant les JAF de seize juridictions, plutôt urbaines, alors que ces dernières regroupent à peine plus d’un quart des affaires familiales. Le rapport de notre collègue député Aurélien Pradié signale même que « 10 % des juridictions n’ont jamais rendu aucune décision en dix ans ». Il indique, en outre, que « la difficile montée en charge de l’ordonnance de protection » tient « toujours à un déficit de formation des juges aux affaires familiales appelés à les édicter. »