Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille.
Dans le contexte mortifère que nous connaissons, ce texte apporte des solutions concrètes pour protéger rapidement et efficacement les conjoints victimes de violences et leurs enfants. Nous devons féliciter notre collègue député Aurélien Pradié de cette excellente initiative, récompensée par une adoption à l’unanimité à l’Assemblée nationale.
De nombreuses dispositions – certaines figurent déjà dans le code civil, mais leur portée est renforcée – permettent de mettre à l’écart le conjoint violent, qu’il s’agisse de l’attribution de la jouissance du domicile familial aux victimes, de l’interdiction faite au conjoint présumé violent de se rendre dans certains lieux que la victime fréquente de façon habituelle, de la modulation du droit de visite et d’hébergement, du placement sous dispositif électronique anti-rapprochement, qui fera toutefois l’objet d’une évaluation préalable avant son éventuelle pérennisation, ou de l’exclusion de la médiation familiale quand des violences ont été alléguées, et non plus commises.
Ces mesures pragmatiques devraient démontrer toute leur pertinence dans la lutte implacable que nous menons contre les violences au sein de la famille. Elles répondent à l’objectif majeur de protéger l’intégrité physique de la femme et des enfants du couple et elles sont, à n’en pas douter, parfaitement conformes aux recommandations formulées à plusieurs reprises par la délégation aux droits des femmes du Sénat.
Il ne faudrait toutefois pas occulter une triste réalité que l’on a tendance à oublier : plus de 70 000 hommes sont aussi victimes de violences conjugales. Je pense particulièrement à l’un d’entre eux.
Si la question des violences conjugales est au centre de nos débats aujourd’hui, celle des violences subies par les enfants en est indissociable. Dans près de 70 % des cas, en effet, la violence conjugale, qu’elle prenne la forme d’agressions physiques, verbales, sexuelles ou psychologiques, se déroule devant les enfants. Dans un cas sur deux, ils la subissent directement.
Cette violence peut parfois se traduire par une agression sexuelle ou un viol. Dans les cas les plus dramatiques, elle entraîne la mort de l’enfant. Notre collègue député Aurélien Pradié rapporte le chiffre de 25 décès d’enfants en 2017.
De nombreuses études confirment l’impact psychotraumatique des violences conjugales sur l’enfant, cet impact variant selon le degré d’exposition à ces violences, l’âge et le sexe de l’enfant. Toutes soulignent l’altération de sa santé, de son développement affectif, physique ou cognitif et de ses conduites, l’enfant manifestant notamment des problèmes « extériorisés » d’agressivité ou d’usage de la violence ou « intériorisés », comme la dépression et la propension à être victime.
Pour l’adolescent, les conséquences sont principalement des problèmes accrus de manque de confiance et d’estime de soi et le développement de comportements à risques, dont la dépendance aux psychotropes.
En tout état de cause, les enfants et adolescents exposés présentent un risque élevé de reproduire les comportements violents à l’âge adulte, comme le relève l’Observatoire national de l’enfance en danger.
Coconstruite avec des juristes et les acteurs associatifs, la proposition de loi d’Aurélien Pradié représente incontestablement une avancée majeure dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants.
Toutefois, il nous faudra, j’en suis convaincue, réfléchir dans un second temps à une inflexion de certaines dispositions de notre législation, notamment en matière civile.
Dans le cadre de ses travaux récents, la délégation aux droits des femmes du Sénat a, par exemple, jugé indispensable une mise en cohérence de notre législation pénale, très protectrice, avec notre législation civile, notamment le droit de la famille, qui ne prend pas suffisamment en compte les situations de violences intrafamiliales.
C’est particulièrement vrai au moment de la séparation des parents, où trop souvent prévaut le modèle unique du droit de la famille, celui de la coparentalité, en vertu duquel le statut de parent est maintenu, quelles que soient les circonstances. La question de la pertinence de la résidence alternée systématique doit par ailleurs être posée.
Il en est de même de la question de l’articulation de la médiation pénale, exclue en cas de violences conjugales, et de la médiation familiale, option qui demeure ouverte quand les faits de violences sont seulement allégués et non pas commis. Sur ce point, la proposition de loi Pradié apporte une réponse précise, dont nous pouvons nous féliciter.
Enfin, nous devrons réfléchir à l’évolution éventuelle de l’autorité parentale, pouvant aller jusqu’au retrait total de celle-ci, car nous savons bien qu’elle peut être un moyen, pour le parent violent, de maintenir son emprise sur les membres les plus vulnérables de la famille, c’est-à-dire les enfants.
À ce sujet, je rappelle que la délégation aux droits des femmes avait recommandé au garde des sceaux, dans son rapport d’information de 2016, « de diligenter une mission d’information sur le retrait total de l’autorité parentale par décision expresse du jugement pénal, à l’encontre des père ou mère qui auraient été condamnés comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime sur la personne de l’autre parent ».
J’ajouterai pour conclure que nous ne devons pas négliger la possibilité de développer une offre de soins psychotraumatiques destinée aux enfants sur l’ensemble du territoire. L’accompagnement et le soutien psychologique des enfants sont indispensables pour les aider à se reconstruire et à comprendre les faits subis par le parent victime de violences conjugales ou par eux-mêmes, afin qu’ils ne risquent pas de devenir à leur tour des adultes maltraitants.