Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 6 novembre 2019 à 15h00
Violences au sein de la famille — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Une deuxième annonce a porté sur la réquisition des armes à feu dès la première plainte. Très bien, mais pourquoi ne pas présenter d’amendement sur ce point dès aujourd’hui ?

Enfin, le Gouvernement a évoqué le retrait de l’autorité parentale et l’aménagement du droit de visite et d’hébergement – j’aborderai tout à l’heure la question du délit de non-présentation d’enfant –, mais quelque chose me dit, madame la ministre, que vous opposerez un avis défavorable à tous les amendements relatifs à l’autorité parentale en cas de violences conjugales que je présenterai…

Nous nous trouvons dans une situation un peu particulière : vous avez pris un véhicule législatif d’origine parlementaire, mais les parlementaires ont l’impression de ne pas avoir véritablement de capacité d’initiative pour améliorer ce texte. Et voilà maintenant que nous apprenons qu’une seconde proposition de loi sur le même sujet sera déposée par le groupe LaREM de l’Assemblée nationale, probablement le 25 ou 26 novembre prochain ! Tout cela fait petite cuisine et donne le sentiment constant que le fond et le sérieux s’inclinent devant la communication…

Un autre sujet d’inquiétude tient aux matières que nous abordons. Pour tout vous dire, mes doutes ne se sont pas dissipés à l’écoute de ce qui se dit aujourd’hui et de ce que vous avez déclaré ce matin sur France Inter, madame la ministre.

Les trois dispositifs dont nous traitons ici – l’ordonnance de protection, le téléphone grave danger et le bracelet anti-rapprochement – figurent déjà dans les codes. Si aucun d’entre eux ne produit les résultats que l’on escomptait, ce n’est pas parce que la loi est mal faite ou insuffisamment précise ; c’est parce que nous n’arrivons pas à faire bouger la pratique judiciaire.

Ce matin, madame la ministre, interrogée sur les propos tenus par l’actrice Adèle Haenel au sujet de faits dont elle dit avoir été victime, vous avez répondu qu’elle avait tort de ne pas s’adresser à la justice. Je comprends ce que vous avez voulu dire : elle aurait tort de donner à penser aux femmes victimes de violences qu’il ne faut pas aller en justice. Cependant, elle a raison d’évoquer une « violence systémique » faite aux femmes par l’institution judiciaire.

Cette violence systémique, c’est d’abord la présomption d’insincérité, de manipulation qui pèse immanquablement sur la parole des femmes. C’est ensuite la croyance tenace qu’un mari violent peut aussi être un bon père, alors que, depuis des années, avec le magistrat Édouard Durand, nous répétons que ce n’est pas le cas. La violence systémique, c’est le déni par les institutions que sont la police et la justice de leurs propres carences. Le parcours d’une victime de violences s’apparente à une loterie : il lui faut tomber sur le bon commissariat, la bonne gendarmerie, le bon juge, le bon procureur… C’est un barillet dans lequel tournent quelques balles qui, à la fin, frappent trop souvent les femmes.

La violence systémique, c’est aussi son ignorance, son déni. Cette proposition de loi sera sans doute votée et changera la législation, mais, madame la ministre, nous attendons de vous que vous disiez aux magistrats, à l’institution judiciaire, qu’il faut changer de pratique, changer de regard sur les femmes et enfin les croire ! Quand une femme dit qu’elle a peur, c’est qu’elle est en danger, ce n’est pas qu’elle cherche à manipuler.

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