Intervention de Marta de Cidrac

Réunion du 6 novembre 2019 à 15h00
Violences au sein de la famille — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Marta de CidracMarta de Cidrac :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue député Aurélien Pradié permet de poser les premières fondations d’une politique de défense des victimes de violences conjugales. Il était temps !

À Bordeaux, le 21 octobre, une femme de 35 ans s’écroulait dans l’escalier de son immeuble, un couteau planté dans le cœur et des traces de violences autour du cou. Son ancien compagnon, déjà connu pour des faits de violences conjugales, est toujours activement recherché.

En 2018, 121 femmes ont péri sous les coups de leur conjoint ou ex-compagnon. Nous avons déjà dépassé ce chiffre cette année : triste record, dont nous commençons à comprendre les raisons. Oui, il faut une réponse de la justice, mais surtout il faut une réponse rapide. Ainsi, cette proposition de loi prévoit de ramener à six jours le délai pour la délivrance d’une ordonnance de protection, sans dépôt de plainte préalable, car une victime a besoin de se sentir protégée au plus vite. Il lui faut un courage inouï pour accepter de témoigner de la violence qui se déploie dans son intimité, remettre en question son univers familial.

En moyenne, les femmes retirent leur plainte sept fois, parce que leur parole n’est pas toujours bien accueillie, bien entendue. Il y faut de l’expérience, du temps et de l’espace. Dans mon département des Yvelines, des formations à l’écoute sont organisées par la police et un portail de signalement des violences sexuelles ou sexistes est accessible de façon anonyme 24 heures sur 24. Il a déjà recueilli 5 000 signalements depuis le mois de novembre 2018, date de sa mise en service. Cela a abouti au dépôt d’une plainte dans 33 % des cas. Les victimes peuvent ainsi prendre rendez-vous avec l’enquêteur concerné et ne pas subir la salle d’attente et le délai de prise en charge. De tels dispositifs doivent être étendus.

Si une femme décide de déposer plainte, c’est aussi parce qu’elle a peur pour ses enfants, dont elle ne veut pas risquer de perdre la garde. On oublie trop souvent ces victimes collatérales, dont le nombre est officiellement de 90 000, mais qui avoisinerait plutôt 4 millions, d’après le docteur Ben Kemoun, psychiatre expert près la cour d’appel de Versailles. En effet, comment les repérer ? Les traces de coups ne sont pas toujours apparentes et, même si elles le sont, les enfants sont experts pour les dissimuler : il est trop difficile d’expliquer ce qui se passe à la maison. Cependant, des yeux n’oublient pas ce qu’ils ont vu, ni des oreilles ce qu’elles ont entendu, et ce quel que soit l’âge. Ce souvenir va évidemment transformer leur comportement au quotidien : les enfants victimes collatérales de violences conjugales sont quinze fois plus susceptibles que les autres d’être victimes de harcèlement ou de devenir eux-mêmes des prédateurs. Leur risque de connaître un retard scolaire est de 40 % plus élevé que celui d’un enfant élevé dans un contexte normal et ils développeront beaucoup plus souvent des maladies chroniques, telles des maladies cardio-vasculaires, mais aussi des troubles alimentaires, des conduites addictives ou des tendances suicidaires.

La prévention de la maltraitance est ainsi une prévention de la délinquance future. Nous devons agir vite, et nous le pouvons !

Il s’agit tout d’abord de former les enseignants et les médecins à repérer les signaux faibles, ceux que l’on peut détecter dans le quotidien d’un enfant décrocheur ou en cas de changement de comportement. En effet, ils sont en première ligne et une formation de deux jours peut déjà permettre de les sensibiliser.

Il s’agit ensuite de respecter la parole de l’enfant, qui peut être dénaturée par les répétitions inévitables de son histoire – jusqu’à sept fois avant qu’elle n’atteigne les autorités compétentes.

Plus la situation est prise en charge rapidement, moins le traumatisme de l’enfant sera profond et son rétablissement sera rapide.

Nous devons mettre les moyens financiers à la hauteur des besoins matériels, aider la police et la gendarmerie à développer leurs programmes de sensibilisation et de prévention, qui fonctionnent déjà avec succès sur certains de nos territoires, et continuer à former à l’écoute de la parole de la victime, quelle qu’elle soit.

Il faut ensuite protéger le parent victime – ce faisant, on protège l’enfant –, en lui permettant de quitter rapidement le lieu où la violence s’exerce, c’est-à-dire, le plus souvent, ce foyer qui devrait être un refuge. Il s’agit de lui offrir un hébergement d’urgence et un temps de répit pour reprendre ses esprits et s’organiser – à cet égard, je salue l’annonce de la création de nouvelles places en ouverture du Grenelle des violences conjugales –, mais surtout de lui donner la possibilité de rester dans son foyer en éloignant la menace du conjoint violent. Pourquoi infliger à la victime de violences une deuxième peine, celle de devoir quitter son foyer ? En toute logique, je soutiens les articles ouvrant la possibilité d’attribuer la jouissance du logement conjugal au conjoint victime, à sa demande, même s’il a bénéficié d’un logement d’urgence.

Cette proposition de loi nous permet de remédier à des carences constatées en matière de rapidité de la réponse de la justice et de protection du conjoint victime. Cependant, vous l’aurez compris, les enfants, victimes trop souvent muettes et qui constitueront la société de demain, ne doivent pas être oubliés.

Pour conclure, je remercie tous ces hommes et toutes ces femmes qui s’engagent dans nos territoires pour lutter contre les violences faites aux femmes, ainsi que Marie Mercier, notre rapporteur, pour son excellent travail.

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