C'est un bonheur de vous présenter ce rapport spécial consacré au budget de l'enseignement scolaire. Les crédits en question sont affectés, pour leur grande majorité, au ministère de l'éducation nationale, mais également au ministère de l'agriculture. Il s'agit de la première mission du budget de l'État après les dégrèvements fiscaux. Les frais de personnel mobilisent 68 milliards d'euros, soit 93 % du budget de cette mission, au sein desquels le compte d'affectation spéciale « Pensions » se voit octroyer 20 milliards d'euros.
Je vous proposerai d'adopter ces crédits sans modification, tout en vous faisant remarquer que certaines questions sont aujourd'hui posées et que le ministère de l'éducation nationale ne pourra pas en reporter l'examen indéfiniment. Il convient de les adopter parce que la maîtrise de la dépense est réelle. On relève une petite réduction des effectifs par rapport à 2019, à hauteur de 1 239 équivalents temps plein travaillé (ETP) et de 400 équivalents temps plein (ETP). Ce n'est pas spectaculaire, mais rappelons que les effectifs avaient augmenté de près de 50 000 agents entre 2012 et 2017. La maîtrise de la dépense s'explique aussi par le glissement-vieillissement technicité (GVT) différentiel : le rajeunissement des enseignants aboutit à un GVT négatif élevé, ce qui occasionne des économies, même si les mesures du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) augmentent le GVT positif.
Nous relevons cette année des mesures catégorielles fortes. Certaines sont parfaitement utiles, d'autres ne sont que l'application, suspendue en 2018, de l'héritage du quinquennat précédent. Les 58 millions d'euros qui seraient consacrés en 2020 au renforcement des rémunérations des enseignants en réseaux d'éducation prioritaire (REP) me paraissent utiles. En revanche, le protocole PPCR, qui représente un effort de près de 300 millions d'euros, n'apporte aucun soutien à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les enseignants qui débutent leur carrière, notamment dans le primaire et les secteurs difficiles. Le Gouvernement ne fait là qu'appliquer les droits acquis au cours du quinquennat précédent.
Je note aussi le parachèvement, tout à fait satisfaisant, de toutes les fonctions destinées aux élèves handicapés : les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) sont titularisés, ou leurs contrats transformés en CDI ou CDD.
On relève une diminution des fonds consacrés à l'action sociale des chefs d'établissement, ainsi qu'une baisse des subventions aux établissements publics d'enseignement. Ces diminutions sont nécessaires pour rendre plus sincère le budget et mettre fin à des dépenses qui ne sont pas engagées effectivement. Elles n'auront pas d'effet sur les dépenses habituellement engagées en la matière.
Globalement, ces crédits témoignent d'une gestion mesurée et réfléchie, même si elle est marquée par un héritage lourd et discutable.
Parmi les grandes inflexions de la politique ministérielle qui s'expriment dans ce budget, je relève, d'abord, le rééquilibrage de la dépense de l'enseignement scolaire en faveur du primaire. M. Jean-Claude Carle, quand il était rapporteur pour avis de la commission de la culture, et moi-même avions dénoncé à maintes reprises l'insuffisance des moyens consacrés à l'enseignement primaire : la dépense par élève y est inférieure de 10 % à la moyenne des pays de l'OCDE, alors qu'elle lui est supérieure de 20 % pour le secondaire. Heureusement, depuis 2017, les crédits affectés au primaire ont augmenté d'environ 7 %, alors que ceux qui reviennent au secondaire n'ont augmenté que de 4 %. On observe ainsi un renforcement des effectifs d'enseignants dans le primaire depuis 2018.
Ce besoin était évident, du fait du dédoublement des classes en CP et en CE1, qui se poursuit dans l'ensemble du réseau d'éducation prioritaire. Si nous ne disposons pour le moment d'aucun bilan « scientifique » concernant les effets positifs de ce dédoublement, il semblerait que les progrès soient bien réels, en particulier en mathématiques. J'espère que, à l'occasion du débat en séance, des résultats plus précis nous seront communiqués et que nous n'aurons pas à nous contenter du communiqué de presse dont s'autosatisfait le ministère, lequel n'est pas à la hauteur de son engagement ni de celui du contribuable dans cet effort.
Je dirai un mot sur les mesures « qualitatives », les « stages de la réussite », la politique des « devoirs faits » au collège, les « petits-déjeuners » à l'école primaire : elles ne sont pas anecdotiques. La somnolence des élèves, par exemple, est utilement combattue même si cela montre qu'il faudrait sans doute éduquer les parents avant les enfants !
Ces efforts budgétaires en faveur du primaire se doublent d'une réflexion très intéressante sur le secondaire, avec la mise en oeuvre de la réforme du baccalauréat. Celle-ci pourrait permettre de mieux maîtriser l'offre du secondaire, qui, trop dispersée, aboutit aujourd'hui à des ratios très dégradés en matière de nombre d'élèves par enseignant. Avec la réforme, le système sera plus complexe à gérer, certes, mais permettra une meilleure adaptation des choix des élèves à la réalité du monde universitaire ou professionnel, la proximité de l'enseignement secondaire à ces deux mondes étant ainsi renforcée. Accessoirement, grâce à l'allégement de la procédure du baccalauréat, l'Éducation nationale reconquiert une semaine d'utilisation des locaux, ce qui n'est pas négligeable sur le plan financier.
L'autre réforme dans laquelle le ministère est engagé, c'est celle de l'orientation, qui fait appel aux régions. Je vous invite à soutenir cette transformation, tant il est vrai que les régions sont très fortement impliquées dans la formation professionnelle et le développement économique et connaissent bien leurs bassins d'emploi.
Quant à nos lycées professionnels, ils cherchent un peu leur voie. La création des campus professionnels est, comme celle des internats d'excellence, une mesure excellente, mais symbolique, car très minoritaire ; elle ne fera pas basculer l'enseignement sur la voie d'une véritable rénovation.
Le collège, quant à lui, est aujourd'hui le maillon le plus faible de la politique menée - le primaire, lui, est relancé et soutenu, et le deuxième cycle du secondaire se réorganise autour du nouveau bac. Sans remettre en cause le principe du collège unique, auquel nos concitoyens sont attachés, je pense qu'il faudrait accepter la mise en oeuvre d'une certaine différenciation, en fonction de réalités régionales ou sociologiques par exemple - la réussite de l'enseignement agricole sous toutes ses formes témoigne des résultats satisfaisants de ce genre de démarche ; je pense en particulier aux maisons familiales rurales (MFR).
Je voudrais d'ailleurs saluer, concernant l'enseignement agricole, une mesure de bon sens : celle qui consiste à assouplir l'organisation des classes pour éviter que les lycées agricoles qui reçoivent néanmoins des demandes ne puissent pas satisfaire ces dernières en raison des règles de dédoublement de seuil.
Par ailleurs, l'Éducation nationale a, d'une façon constante, poursuivi avec succès le défi de l'intégration des élèves handicapés. Cette année, les crédits du programme « Vie de l'élève » augmentent de 5 % principalement en raison de la titularisation des accompagnants d'élèves en situation de handicap, là où l'augmentation des dépenses, pour les autres programmes de la mission, plafonne à 1,5 ou 2 %.
J'évoquerai également l'attractivité des métiers de l'éducation. L'héritage du protocole PPCR est lourd à porter ; nous l'avions dénoncé à l'époque de son instauration. En revanche, la préprofessionnalisation est assurément un bon investissement ; elle donne à de jeunes étudiants un statut d'emploi compatible avec le maintien des bourses étudiantes. La stabilisation des recrutements, après la période excessive du quinquennat précédent, a permis la réduction du déséquilibre constaté.
Autre sujet en liaison avec l'attractivité des métiers de l'éducation, qui n'a pas à proprement parler de réponse budgétaire : le problème de la violence à l'école. On pourrait imaginer un renforcement de l'autorité des chefs d'établissement, adossé à des conseils d'administration à la fois plus représentatifs de la vie locale et plus engagés. Le ministre a le mérite de ne plus taire ce problème, sans avoir pour autant la solution pour le faire reculer de manière significative.
J'évoquerai maintenant la baisse de la démographie française et, partant, la diminution du nombre de jeunes scolarisés, y compris dans le primaire. Cette diminution n'est pas corrigée par la mise en oeuvre dès cette année de la scolarisation à trois ans, 96 % des enfants de cet âge étant en réalité déjà scolarisés. Cette mesure représente 25 000 élèves supplémentaires, répartis sur l'ensemble de la France, soit un nombre négligeable sur un total de 6,7 millions d'élèves.
Malgré cela, on peut s'attendre à une baisse des effectifs au cours des trois ou quatre prochaines années, de l'ordre de 200 000 élèves. Le rythme de la décrue étant spectaculaire, la question de la gestion prévisionnelle des effectifs du primaire et du secondaire va se poser. De plus, j'attire votre attention sur le fait que cette diminution quantitative n'est évidemment pas homogène sur l'ensemble du territoire. Certaines régions voient en effet leurs effectifs augmenter, d'autres les voient diminuer de façon significative. Comme on ne peut pas demander aux enseignants de faire preuve d'une totale mobilité géographique ou fonctionnelle, il appartient au ministère de nous proposer une vision à moyen et long termes de l'offre d'enseignement, qui ne tienne pas uniquement compte de ses propres préoccupations, au demeurant légitimes comme le renforcement du primaire - avec, par exemple, la mise en oeuvre du dédoublement des classes -, ou la simplification de l'offre dans le secondaire - y compris dans l'enseignement professionnel -, mais aussi de cette baisse démographique prévisible, annoncée, et qui n'est malheureusement pas combattue, la politique familiale étant inexistante. Une telle politique serait d'ailleurs taxée d'un natalisme primitif par des détracteurs avisés, bavards et nombreux.
Il faut bien se rendre compte que la simple diminution du nombre d'élèves va entraîner une augmentation favorable du ratio enseignant/élèves. C'est en apparence une bonne chose, mais il y a peut-être une meilleure façon d'utiliser les moyens humains qui vont être dégagés. Il faut peut-être également réfléchir aux évolutions à long terme, au-delà du simple exercice budgétaire ou d'une simple loi de programmation puisqu'un enseignant est recruté pour quarante ans. J'ajoute que la mission « Enseignement scolaire » n'a pas respecté la loi de programmation, un dépassement, somme toute assez raisonnable, de 300 millions d'euros sur trois ans ayant été constaté. Le dépassement serait de 30 millions d'euros cette année, hors CAS et pensions, sur les 48 milliards d'euros de personnels en activité.
Les enseignants, à juste titre, parce que c'est leur nature et leur histoire, défendent l'enseignement général et technologique, au moment où le Gouvernement souhaite défendre l'alternance et l'enseignement professionnel. Quant au privé, il bénéficie d'une sorte de statu quo qui ne correspond en rien à la réalité de l'offre qu'il assure, ce qui aboutit d'ailleurs à des évolutions contestables en termes d'élitisme, les établissements privés pouvant choisir leurs élèves, car ils ont plus de demandes que d'offres.
J'ajoute enfin que l'enseignement agricole, qui est une véritable réussite sur le terrain, est plutôt maltraité par le ministère de l'éducation nationale, alors qu'il s'agit d'un enseignement de deuxième chance pour les élèves et de première chance pour les territoires.
En conclusion, je préconise de voter ce budget, sachant qu'un certain nombre de questions devront être posées lors du débat en séance publique.