Intervention de Nuihau Laurey

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 30 octobre 2019 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « outre-mer » - examen du rapport spécial

Photo de Nuihau LaureyNuihau Laurey, rapporteur spécial des crédits de la mission « Outre-mer » :

La mission « Outre-mer » comprend l'ensemble des interventions spécifiques de l'État dans les collectivités d'outre-mer. Elles s'élèvent à 2 555,9 millions d'euros en crédits de paiement (CP) et à 2 409,5 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE).

Ces interventions représentent à peu près 11,6 % de l'ensemble des crédits budgétaires octroyés cette année à l'outre-mer, à côté des 29 autres missions totalisant 90 programmes, auxquelles il convient, par exhaustivité, de rajouter les dépenses fiscales pour un montant de 4,5 milliards d'euros, soit une contribution totale de l'État de 26,55 milliards d'euros en AE et de 26 milliards d'euros en CP aux collectivités d'outre-mer. Ce budget ne diffère pas grandement des précédents, avec son lot de mesures de périmètre et sa tendance générale baissière sur le long terme, avec cette année une baisse des crédits de 6,5 % en CP et 4 % en AE. La mission fait ainsi l'objet de deux grandes mesures de périmètre et de transferts : le prélèvement sur recettes au bénéfice de la collectivité territoriale de Guyane (CTG), relatif à l'octroi de mer, est réintégré dans l'enveloppe de la mission pour un montant de 27 millions d'euros, alors que la dotation globale d'autonomie de la Polynésie française est pour sa part transformée en prélèvement sur recettes à compter de l'exercice 2020, pour 90 millions d'euros.

En tenant compte de ces mouvements, les crédits alloués à la mission s'avèrent, à périmètre constant, en baisse de 1,3 % en AE et de 3,9 % en CP par rapport à 2019. La mission comprend deux volets, le programme 123 pour les crédits relatifs aux dispositifs permettant l'amélioration des conditions de vie en outre-mer et le programme 138 pour les mesures destinées à favoriser l'emploi.

Je laisserai à mon collègue Georges Patient le soin de présenter les mesures relatives à l'emploi et présenterai pour ma part le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui totalise 808,9 millions d'euros de crédits en AE et 659,2 millions d'euros en CP.

Il convient de noter que la baisse globale du budget évoquée précédemment se retrouve mécaniquement dans l'évolution budgétaire du programme « Conditions de vie outre-mer » avec une baisse particulièrement marquée.

Dans le domaine du logement tout d'abord, qui représente près de 29 % des crédits de paiement du programme, où nous indiquons chaque année que les moyens mis en oeuvre restent largement inférieurs aux besoins exprimés par tous les acteurs publics ou privés, nous notons pour 2020 une baisse particulièrement importante des crédits alloués, de plus de 3 % en AE et de plus de 13 % en CP. Ces crédits s'avèrent malheureusement en baisse chaque année depuis 2014, avec en 2020 un plus bas historique sur les dix dernières années, alors que le déficit de logements est de plus en plus criant dans tous les territoires.

S'agissant des crédits relatifs à l'aménagement du territoire, on note une hausse des AE de plus de 6 % et une baisse des CP de 7 %.

Derrière cette évolution divergente, nous trouvons en réalité le mécanisme de substitution des contrats de développement et des contrats de projets en cours dans les différentes collectivités par les contrats de convergence et de transformation prévus par la loi sur l'égalité réelle outre-mer (EROM) promulguée en février 2017. Il s'agit de sa troisième année de mise en oeuvre, avec des crédits alloués en hausse de 10 millions d'euros pour 2020 - je rappelle à ce propos que la hausse annoncée en 2018 dans le projet de loi de finances pour 2019 s'était élevée à 23 millions d'euros. Nous ne pouvons donc que faire le constat d'une montée en puissance très modeste de ces plans de convergence conçus pour réduire les écarts de développement constatés entre l'outre-mer et l'hexagone.

Quelques points positifs ont aussi attiré notre attention.

En matière de relance de l'activité économique, nous notons avec satisfaction le maintien, en 2020, du Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) à 110 millions d'euros en AE. Je rappelle qu'en 2019 le Gouvernement avait demandé la suppression de 170 millions d'euros de dépenses fiscales en outre-mer. En contrepartie, il s'était engagé à utiliser les gains budgétaires dégagés à l'abondement de ce fonds destiné à soutenir le développement économique. Ce choix était justifié par le caractère plus « pilotable » des dépenses budgétaires qui permettent un meilleur ciblage que la dépense fiscale. Il n'offre cependant aucune garantie quant à leur pérennité.

Comme pour d'autres missions, la question de l'efficacité de la conversion des dépenses fiscales en dépenses budgétaires se posera, sachant que la réponse ne pourra être pleinement appréciée que dans la durée et en prenant en compte l'ensemble des crédits de la mission. Il est important de le rappeler, car certaines dépenses qui n'avaient pas fait l'objet d'engagements gouvernementaux font l'objet d'importantes baisses. C'est le cas des dépenses en faveur du logement ou encore de la participation de l'État au financement du régime de solidarité de la Polynésie française (RSPF) qui est supprimée dans l'attente de la mise en oeuvre de nouvelles mesures faisant suite à une mission diligentée par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2018-2019. Il aurait été, à notre sens, préférable de les maintenir en attendant la mise en oeuvre effective de ces mesures de substitution.

Les crédits de la mission « Outre-mer » ne peuvent que faire l'objet d'appréciations générales nuancées, compte tenu de la diversité des collectivités auxquels ils sont destinés. L'État intervient ainsi aussi bien à Mayotte, marquée par une immigration clandestine massive, que dans les Antilles, touchées par des fléaux sanitaires comme le chlordécone ou les sargasses, ou encore en Polynésie française, collectivité qui doit gérer les conséquences du passé nucléaire qu'elle a subies, ou dans une collectivité où se pose la question de son avenir institutionnel.

Chaque élu d'outre-mer aura donc sa propre vision de ce budget, d'où la difficulté de le synthétiser. Cependant, en tenant compte de ces éléments de prudence nécessaires à une appréciation mesurée de ce budget, deux faits nous conduisent à une extrême réserve.

Premièrement, force est d'abord de constater qu'il s'avère en baisse, aussi bien en AE, avec une baisse de 1,3 %, qu'en CP avec une baisse de 4 %, après prise en compte des mesures de périmètre, cela en contradiction avec les engagements répétés du Gouvernement en faveur des outre-mer.

Deuxièmement, ce budget créé une véritable déception au regard des attentes légitimes engendrées par l'adoption à l'unanimité de la loi pour l'égalité réelle en outre-mer promulguée le 28 février 2017. Cette loi faisait le juste constat d'un écart de développement particulièrement important entre les collectivités métropolitaines et celles d'outre-mer, sur la base de nombreux indicateurs, tels le PIB par habitant ou l'indice de développement humain.

Ces écarts de développement résultent de problématiques insulaires connues depuis longtemps : la petite taille des marchés économiques, les coûts d'éloignement et de dispersion, la concurrence limitée dans de nombreux secteurs, le sous-emploi ou encore le manque de qualification, avec des taux de chômage oscillant entre 17,7 % pour la Martinique et 35,1 % pour Mayotte, contre une moyenne nationale de 9,1 %.

Cette loi proposait de prendre à bras-le-corps ces difficultés en prévoyant des moyens importants pour résorber sur le long terme ces écarts, dans le cadre de contrats de convergence propres à chaque territoire et tenant compte des spécificités de chaque territoire. En réalité, cet engagement de la loi n'est pas tenu, puisque les crédits consacrés à ces contrats de convergence et de transformation viennent en substitution des contrats de projets ou de développement qui existaient déjà. Si le nom des contrats a changé, les crédits n'ont pas augmenté, ceux de la mission ont même diminué, et l'écart de développement que l'on constate depuis plusieurs décennies restera probablement le même à long terme. Le constat tiré en 2017 risque donc d'être le même en 2027 si un redimensionnement de l'accompagnement des outre-mer n'est pas clairement acté...

Compte tenu de ces éléments, je proposerai à la commission d'émettre un avis de sagesse sur les crédits de la mission « Outre-mer ».

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