Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission de la culture, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, avec la crise, la mission régulatrice de l’État vient de reprendre une vigueur nouvelle.
Jamais, en effet, la politique budgétaire n’a été autant au cœur du débat public ; jamais elle n’a été autant sollicitée. Chacun perçoit désormais que le séisme économique mondial actuel constitue tout à la fois un risque et, même si nous ne l’avons pas choisi, une chance.
Le risque serait de voir, à la suite de cette crise financière, se multiplier d’autres crises, à la manière de poupées gigognes. Le risque serait surtout, derrière cet enchaînement diffus et dangereux, de voir se propager une mentalité de retrait, ainsi qu’une tendance à se défausser de l’intérêt collectif sur les générations futures.
La chance, c’est de comprendre que cette période, avec son lot de bouleversements, peut être l’occasion de moderniser la France et de permettre à notre pays de conquérir une puissance économique digne de ses talents.
Les choix budgétaires que nous arrêterons dans les semaines et les mois qui viennent peuvent se révéler fondateurs.
Or nous sommes fermement décidés à préparer l’avenir et à utiliser encore plus cette période de difficultés pour développer les capacités de notre pays, en ne nous contentant pas d’essayer de le préserver.
Préparer l’avenir, c’est d’abord sortir de la crise.
Préparer l’avenir, c’est évidemment amplifier la lutte contre nos déficits structurels et poursuivre nos efforts pour faire de la France une démocratie financière moderne.
Préparer l’avenir, c’est enfin identifier les domaines stratégiques dans lesquels nous devons investir pour mettre la France à l’heure du monde.
Aujourd’hui, en matière budgétaire, il serait aussi irresponsable d’en appeler à une politique de resserrement immédiat qu’à un assouplissement permanent.
Notre crédibilité va reposer tout à la fois sur notre capacité à savoir dépenser dans les secteurs qui permettront à la France de conforter sa place dans le concert des nations les plus performantes et sur notre aptitude à tenir le cap de la raison économique.
Durant trente-cinq ans, nous avons produit du déficit. Si nous voulons rester crédibles sur le long terme, nous ne pouvons plus nous permettre le moindre relâchement dans notre volonté de maîtriser nos dépenses publiques.
Dépenser à bon escient, au bon endroit, tout en restant rigoureux et responsables vis-à-vis des générations futures, ce n’est pas hors d’atteinte.
Pour assainir nos finances publiques, encore faut-il faire des choix précis et concrets, sur le plan tant des politiques publiques que de la gestion publique. Il doit s’agir de vrais choix, et non d’un simple élagage aléatoire cumulant tous les inconvénients, notamment une faible efficacité budgétaire et le risque d’entraîner une paralysie décourageante pour les administrations.
De vrais choix, mesdames, messieurs les sénateurs : voilà qui nous ramène à la politique dans sa fonction et sa pratique véritables.
Vous vous souvenez peut-être que, dès 2007, j’avais pris soin de présenter le budget en privilégiant, dans sa construction, les dépenses d’avenir.
Aujourd’hui, c’est bien l’ensemble de la dépense publique que nous voulons orienter vers l’avenir.
Mais avant d’aller plus loin dans mon propos, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par faire le point de l’année en cours.
Si les déficits se creusent – nous l’avons souligné hier lors de l'examen du projet de loi de règlement –, c’est bien en raison de la crise, mais c’est tout à la fois le coût de la crise et le prix de la relance. Telle est l’idée qui mériterait d’être gardée à l’esprit, s’il ne fallait qu’en retenir une seule.
Le déficit public atteindrait 7 à 7, 5 points de PIB en 2009. Cette dégradation d’un peu moins de 4 points de PIB d’une année sur l’autre, c’est la facture de la crise sous l’action conjuguée de la baisse énorme des recettes et, bien évidemment, du coût inhérent aux mesures de relance elles-mêmes.
Notre prévision de baisse du PIB, identique à celle de l’INSEE, est de 3 %, soit près de 5 % en deçà de notre croissance potentielle. En temps normal, l’effet de baisse de l’activité se traduirait donc par une hausse des déficits non pas de 4 points de PIB, mais d’un peu moins de 2, 5 points. Or, précisément, nous ne sommes pas en temps normal et les recettes fiscales se replient en fait bien plus vite que le PIB, en raison d’une élasticité beaucoup plus importante.
Prenons l’exemple des recettes d’impôt sur les sociétés. Alors qu’elles ont atteint 50 milliards d'euros l’année dernière, elles retomberaient brutalement cette année, oscillant entre 20 et 25 milliards d'euros, soit une baisse supérieure à 50 %.
Cette « sur-réaction » à la baisse de certaines recettes par rapport à l’activité explique un peu moins de 1 point de PIB de déficit. Il nous faudra, bien sûr, en analyser les raisons dans les mois à venir.
Concernant l’impôt sur les sociétés, je crois pouvoir d’ores et déjà confirmer une intuition que j’avais avancée dès le début de la crise, à savoir que l’IS pâtit non seulement de la baisse des résultats d’exploitation des sociétés, mais évidemment aussi de celle de leurs résultats financiers.
La réalité est là : nombre d’entreprises ont passé des provisions pour dépréciation de leur portefeuille de participation financières, ce qui réduit leur résultat fiscal. C’est donc la chute brutale du prix des actifs financiers concomitante au ralentissement de l’activité qui explique, en grande partie, cette sur-réaction. Finalement, la baisse du produit de l'impôt sur les sociétés est beaucoup plus rapide que celle du PIB.
À ce jeu des stabilisateurs automatiques, qui est sans précédent par son ampleur, s’ajoute naturellement le coût budgétaire des mesures de relance, pour environ 0, 75 point de PIB.
Cette dégradation de près de 4 points de PIB s’explique donc bien intégralement par l’effet mécanique de la récession, avec la « sur-réactivité » de la diminution des recettes fiscales et l'augmentation d’un certain nombre de stabilisateurs, notamment celle des dépenses sociales.
À l’inverse, M. le président de la commission des finances le notait hier à cette tribune, les dépenses ordinaires, en d’autres termes, les dépenses « hors crise », pour employer une expression qui tend à entrer dans le langage courant, sont parfaitement maîtrisées : les dépenses de l’État hors relance sont contenues au niveau voté par le Parlement ; l’objectif national de dépenses d’assurance maladie sera, cette année, pour la première fois depuis 1997, respecté ou quasi respecté.
Le déficit de l’État atteindrait 125 à 130 milliards d'euros en comptabilité budgétaire, au sein duquel le déficit « hors crise », c'est-à-dire le déficit structurel, représenterait un peu plus de 40 milliards d'euros, contre environ 85 milliards d'euros pour le déficit dû à la crise, c’est-à-dire les deux tiers. Il faut noter qu’une partie du déficit, autour de 15 milliards d'euros, ne pèse pas sur le déficit « maastrichtien » – tout cela est certes compliqué, mais le fait de disposer d’indicateurs au niveau européen permet les comparaisons avec nos voisins –, notamment les prêts au secteur automobile ou les fonds versés au Fonds stratégique d’investissement.
Sur le montant total du déficit du régime général de la sécurité sociale, de l’ordre de 20 milliards d'euros, 10 milliards d'euros doivent être directement imputés à la crise.
À ce stade, il est sans doute utile d’indiquer ce qui se passe au-delà de nos frontières.
L’Espagne vient de réactualiser ses prévisions de déficit à 9, 5 points de PIB cette année. D’après les dernières prévisions de l’OCDE, les États-Unis passeraient en 2009 à plus de 10 points de PIB, probablement 12 points, et le Royaume-Uni connaîtrait également un déficit proche des 12 points. Même le déficit allemand, qui est inférieur au déficit français, se dégrade au même rythme que le nôtre, c'est-à-dire, je le répète, de 4 points de PIB en 2009.
Chez nous, le déficit public serait globalement stable en 2009 et en 2010, l’amélioration du déficit budgétaire étant malheureusement compensée par la poursuite en 2010 de la dégradation des comptes sociaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le déficit budgétaire se réduirait donc en 2010.
Les recettes de l’État se rétabliraient quelque peu avec le retour – modeste – de la croissance, et l’amorce du retour de recettes d’impôt sur les sociétés à un niveau moins atypique.
De plus, pour une large part, les dépenses de relance disparaîtraient : elles seraient ramenées à 3, 5 milliards d'euros. La maîtrise des dépenses « hors relance » se poursuivra, puisque celles-ci respecteront la norme « zéro volume », malgré la révision à la baisse de l’inflation. Ces dépenses hors relance progresseront donc de 1, 2 %.
Je tiens à souligner le rôle majeur que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 a eu dans le cadre de l’élaboration du budget 2010. J’ai pu, avec mes collègues, et sous l’autorité du Premier ministre, concentrer mon attention sur les budgets qui étaient les plus concernés par la crise et ses impacts macroéconomiques.
Plusieurs budgets ont d’ailleurs été revus à la hausse. C’est le cas notamment de l’emploi – ce n’est pas une surprise ! –, pour faire face à la montée du chômage, mais aussi d’un certain nombre de dotations sociales, compte tenu du nombre de leurs bénéficiaires. Le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne augmente également, mais cela s’explique justement parce que notre situation économique s’est relativement moins dégradée que celle de nos partenaires !
À l’inverse, la révision à la baisse de l’inflation a conduit à réduire certaines dépenses, parmi lesquelles figurent les pensions, qui sont indexées, les charges de la dette, ou encore, la défense, laquelle, faisant l’objet d’une programmation en euros constants, subit les aléas de l’inflation. La baisse des taux d’intérêt a en outre allégé la charge de la dette.
Pour la plupart des autres budgets, les modifications ont été marginales par rapport à la loi de programmation. Cela prouve que ma volonté de mener, avec vous, la discussion et le vote de cette loi pluriannuelle jusqu’à son terme se justifiait bel et bien, malgré les incertitudes économiques.
Je veux le redire, cette loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 a toute son importance : elle représente, au fond, l’une des rares boussoles à notre disposition dans le domaine des finances publiques, dans un monde terriblement incertain.
Par ailleurs, nous poursuivons évidemment la politique dite du « 1 sur 2 », à savoir le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, avec des réductions d’effectifs atteignant 34 000 emplois équivalents temps plein en 2010.
Toutefois, comme je le disais, l’amélioration du déficit budgétaire serait compensée par la poursuite de la dégradation des comptes sociaux. En effet, le recul de la masse salariale de 0, 5 % en 2010 pèserait de nouveau sur les recettes du régime général, des régimes complémentaires de retraite et de l’UNEDIC.
Au total, le déficit s’établirait de nouveau en 2010 entre 7 et 7, 5 points de PIB.
On ne peut évidemment pas s’en réjouir, c’est le moins que l’on puisse dire, mais ces déficits sont, face à la crise, la traduction très concrète du rôle d’amortisseur social de la politique budgétaire.
En particulier, selon l’INSEE, le pouvoir d’achat des transferts sociaux devrait croître de 4, 8 % en 2009. Il faut l’avoir en tête, c’est deux fois la moyenne de ces vingt-cinq dernières années ! Voilà qui, je l’espère, mettra finalement un terme aux passes d’armes quelque peu dépassées auxquelles nous avons assisté ces derniers mois entre les tenants de la relance par la consommation et ceux de la relance par l’investissement.
Cette dynamique des transferts aux ménages, c’est notre système social qui joue à plein pendant la crise. C’est aussi l’action du Gouvernement, qui ne perd pas de vue qu’une société avancée se doit d’être solidaire. Il faut le dire, jusqu’au plus haut du sommet de l’État, nous sommes convaincus qu’il faut apporter plus de justice sociale à ceux qui sont touchés directement par la crise. Nous le faisons et continuerons à le faire, parce que, à nos yeux, c’est un devoir autant qu’un bénéfice pour le pays tout entier.
Plus de justice sociale, c’est, par exemple, l’augmentation du minimum vieillesse et de l’allocation aux adultes handicapés, c’est la prime exceptionnelle de fin d’année, la prime de solidarité active et c’est, bien sûr, depuis le 1er juillet dernier, le versement du revenu de solidarité active, nouveau venu dans notre paysage social.
Naturellement, il existe d’autres urgences, en particulier le soutien à l’investissement et à la trésorerie des entreprises, pour préserver au mieux notre appareil productif.
Mon collègue Patrick Devedjian et moi-même avons mis en place le plan de relance dans toutes ses composantes : les lois ont été votées, les primes versées, les crédits d’impôt restitués, les chantiers engagés, les dispositifs d’aide à l’emploi activés. Aucun autre pays n’a agi aussi vite et aussi fort.
Aujourd’hui, il ne se trouve guère d’observateurs objectifs pour critiquer le plan de relance. Au contraire, le FMI et l’OCDE en saluent à la fois le ciblage et le calibrage.
La question qui nous préoccupe à présent est donc plutôt de savoir ce que nous faisons à partir de là pour préparer l’après-crise tout en poursuivant notre effort pour sortir de la crise. Tout le monde reconnaît l’incertitude du calendrier de la reprise. Quelle sera sa force après une telle récession ? Comment évolueront les prix des actifs ? Qu’escompter comme croissance potentielle au lendemain d’une telle bourrasque ?
Je voudrais m’arrêter un instant, comme le fait M. le rapporteur général dans son rapport, sur la question de l’évolution de la croissance potentielle, sujet majeur pour les années à venir.
La crise révèle que le potentiel de croissance de la France et, surtout, du monde était, à l’évidence, surévalué. Il y avait bien un excès de demande dû à des bulles – bulles d’endettement privé des ménages, bulles immobilières –, bien d’autres, d’ailleurs, ayant explosé par le passé. Nous avons donc révisé à la baisse l’évaluation de la croissance potentielle, qui passe ainsi d’un peu plus de 2 % à environ 1, 75 %.
Mesdames, messieurs les sénateurs, faut-il aller plus loin et dire que le terrain perdu dans la crise ne sera jamais reconquis ?