Les Anglais l’ont fait. Cependant, notre situation est, me semble-t-il, en bien des points différente. Nous avons moins d’endettement des ménages, moins de prêts risqués, moins de bulle immobilière, notre secteur financier n’est pas surdimensionné par rapport aux autres secteurs de notre économie, enfin, par le jeu des stabilisateurs économiques automatiques et de dispositifs comme le chômage partiel, nous avons mieux conservé le « capital humain » de notre économie.
Je vous le concède volontiers, cela prendra du temps, mais nous mettons tout en œuvre pour reconquérir le terrain perdu.
Le Conseil européen des 18 et 19 juin a intégré cette dimension d’incertitude dans son approche : le redressement des finances publiques doit se faire au rythme de la reprise de l’activité.
Il faudra continuer à mener une politique budgétaire souple et éminemment réactive. Tel a été mon mot d’ordre jusqu’ici, afin d’ajuster au mieux le rythme d’assainissement des finances publiques. Ne l’oublions pas, à vouloir consolider trop tôt, au milieu des années quatre-vingt-dix, après quelques rares signes positifs, le Japon avait tué sa croissance pour dix ans, en montant notamment les taux de TVA de façon prématurée.
Ce sont les grandes orientations de l’après-crise que le Président de la République a indiquées dans son discours devant le Congrès et que le Premier Ministre a eu l’occasion de préciser lors d’un séminaire gouvernemental qui s’est tenu il y a une quinzaine de jours.
Dans cette situation inédite, plusieurs conditions doivent être respectées.
Premièrement, pour réussir l’assainissement des finances publiques, il convient de conserver aux mesures de relance leur caractère temporaire. Le Gouvernement s’y est engagé, car il s’agit de ne pas répéter une erreur qui a été trop souvent commise dans le passé.
Deuxièmement, une hausse des prélèvements obligatoires est exclue. C’est une condition sine qua non et en aucun cas un a priori idéologique. L’augmentation des prélèvements obligatoires dans un pays où ceux-ci représentent déjà 43 points de PIB est tout bonnement inenvisageable quand ce même ratio avoisine les 37 points en Allemagne et au Royaume-Uni, voire moins de 30 points aux États-Unis. Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est tout bonnement inenvisageable, sous peine d’obérer la compétitivité et la croissance potentielle françaises et de peser, in fine, sur la soutenabilité des finances publiques.
Comme vous le savez, nous avons défini une stratégie en trois axes pour nos finances publiques : sécuriser les recettes ; réduire le poids de la dépense courante ; investir massivement dans les projets d’avenir. Si la presse n’en retient souvent que le troisième, les trois objectifs ont à mes yeux la même importance, car ils sont indissociables.
Nous aurons ainsi un vrai débat dans les semaines et les mois à venir sur notre capacité à investir dans les projets d’avenir.
Il faut donc sécuriser les recettes. Afin de compenser les pertes de recettes dues à la dégradation de l’activité, le surcroît de recettes qui interviendra au rythme de la reprise sera intégralement consacré à la réduction du déficit.
La lutte contre les déficits structurels doit être évidemment poursuivie. Depuis deux ans, tout est mis en œuvre pour infléchir drastiquement la dépense courante. Même si la crise l’a occulté, nous avons tout de même obtenu un certain succès. L’effort sera d’autant plus soutenu aujourd’hui que le Président de la République vient de nous appeler à mettre les bouchées doubles en la matière.
Soyons clairs : la dépense courante, pour moi, ce ne sont pas seulement les gommes et les crayons, loin de là ; j’en ai une vision extensive, qui inclut notamment les dépenses d’intervention et celles des opérateurs. Sinon, rien ne fonctionne !
La méthode que nous avons utilisée jusqu’à maintenant a porté ses fruits - nous avons contenu la dépense publique à moins de 1 % en euros constants l’année dernière -, mais elle ne suffira pas face aux défis qui nous attendent, compte tenu notamment de l’ampleur du champ auquel il faut s’attaquer. Il faut donc l’élargir et la renforcer.
Avec l’aide du Parlement, dans la lignée des États généraux de la dépense publique, une identification systématique de toutes les dépenses inutiles sera, encore une fois, réalisée.
La réforme de l’administration sera poursuivie.
La réforme des collectivités locales sera menée à bien, notamment sur la répartition des compétences, afin que tous les échelons administratifs contribuent plus efficacement au redressement des finances publiques.
Toutes les options envisageables pour la réforme des retraites seront examinées, avec des décisions en 2010.
La maîtrise des dépenses de santé sera quant à elle amplifiée : l’ONDAM peut être, selon moi, ramené à 3 % dès 2010 compte tenu de la baisse de l’inflation ; nous allons travailler en ce sens avec Roselyne Bachelot- Narquin pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale à venir.
Les niches sociales feront l’objet d’un examen systématique. Leur montant global s’élève à 42 milliards d’euros : 33 milliards d’exonérations de cotisations sociales, 9 milliards d’exemptions d’assiette diverses.
Depuis deux ans, nous avons agi sur deux leviers : nous avons rationalisé plusieurs dispositifs d’exonérations peu efficients et mis à contribution les stock-options, les « parachutes dorés », ainsi que l’intéressement et la participation au financement de la sécurité sociale. J’entends poursuivre et accentuer cette action dans le PLFSS 2010, notamment sur les « retraites chapeaux ».
Je vais également conduire un examen aussi critique des dépenses fiscales dans les mois qui viennent. Nous avons déjà travaillé sur deux axes, en réduisant certaines niches spécifiques et en instaurant le plafonnement global.
Je souhaite poursuivre sur ces deux voies : continuer de questionner certains dispositifs dont la pertinence et l’efficacité ne sont franchement pas avérées ; réfléchir aussi à une manière plus transversale de réduire le poids de la dépense fiscale globale.
Si aucune niche prise isolément n’est illégitime, il faut bien dire que le véritable dédale que constituent les niches fiscales ou sociales, sans parler des débats infernaux qu’elles suscitent entre les uns et les autres, devient difficilement gérable pour les finances publiques. Il faut donc, là aussi, redoubler d’effort et certainement inventer de nouvelles méthodes.
Avec la sécurisation des recettes et la réduction des dépenses courantes, le troisième pilier de la stratégie présentée par le Président de la République consiste à réorienter de manière résolue la dépense publique vers des projets d’avenir.
Le débat s’est curieusement focalisé sur les modalités de l’emprunt. À mon sens, c’est un point assez accessoire. L’emprunt n’est qu’un moyen, une modalité, et pas une fin en soi.
Le but ultime, c’est bien le redéploiement de nos dépenses vers les projets d’avenir. Ces projets seront financés par un emprunt dédié, qui donc ne pourra financer que des projets d’avenir prioritaires et clairement identifiés. Alain Juppé et Michel Rocard y travaillent. Aucune fongibilité ne sera possible avec le financement de la dépense courante, dont l’objectif est évidemment l’équilibre.
J’ajoute que nous imposerons, et c’est crucial, de rendre compte régulièrement sur les dépenses ainsi financées, et d’apporter la preuve qu’elles ont un intérêt et un rendement important pour les générations futures.
Ce processus pourrait d’ailleurs débuter, soit par une loi de finance rectificative, soit, le cas échéant, par un mini-débat d’orientation budgétaire au début de 2010, puisqu’en fin de compte il vous reviendra à vous, représentants de la nation, de trancher à la fois sur les priorités et sur les modalités de l’emprunt.
Permettez-moi de revenir sur la définition même des dépenses d’avenir.
Leur nature est, de fait, très variée : il peut s’agir d’engagements financiers pour soutenir des entreprises dans des secteurs de pointe, d’investissements physiques dans de nouvelles technologies, ou encore de certains investissements en capital humain, comme l’enseignement supérieur ou la recherche. Toutes ont évidemment une légitimité en termes d’avenir.
Mais, à mon sens, l’emprunt étant, par définition, une opération ponctuelle, la raison devrait nous engager à ne financer par l’emprunt que des dépenses non récurrentes. Cela ne préjuge en rien, naturellement, du montant et des modalités de l’emprunt. Des dépenses, même d’avenir, qui se renouvellent chaque année ont vocation à être financées par des recettes qui se renouvellent également.
Par ailleurs, je le disais en introduction, pour être efficace, il faut faire des choix. D’où le préalable de la grande consultation qui commence pour pouvoir choisir et hiérarchiser nos priorités nationales, tant il est vrai, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’on ne peut pas tout traiter sur le même plan.
À la demande du Premier ministre, cette consultation devra déboucher dans la première quinzaine de novembre sur des projets forts et structurants, mais en nombre restreint. Ils devront apporter la preuve qu’ils ont une rentabilité financière et socio-économique élevée et devront associer le plus possible des cofinanceurs externes pour démultiplier les efforts de l’État.
L’enjeu, c’est donc bien de parvenir à faire le tri dans les dépenses publiques. En tant que ministre du budget, je tiens à souligner que je ferai preuve de la même détermination dans l’identification des dépenses les plus productives pour notre pays que dans la suppression, déjà entamée, de celles qui ne sont pas ou plus efficaces.
Ces réformes permettront de réorienter l’effort public vers les dépenses d’avenir, la progression de l’ensemble des dépenses publiques restant limitée à environ 1 % par an en volume sur l’ensemble de la dépense publique, c’est-à-dire sur quelque 1 000 milliards d’euros.
En ce qui concerne l’évolution globale de nos finances publiques à l’horizon 2011, on peut raisonnablement miser sur une reprise de la croissance plus forte, et, surtout, sur des recettes plus dynamiques lors de la reprise de l’activité.
Je prends à nouveau l’exemple de l’impôt sur les sociétés : passer du niveau 2009, c'est-à-dire de 20 à 25 milliards d’euros, pour simplement retrouver le niveau de 2007- 2008, c'est-à-dire 50 milliards d’euros, soit 100 % de plus, cela permet déjà de retrouver plus de un point de PIB, et ce sans augmentation d’impôt, juste par la reprise de l’activité et le retour du prix des actifs à une valeur plus en rapport avec leurs fondamentaux.
Entre la maîtrise de la dépense et ce dynamisme des recettes, on peut ainsi espérer une amélioration du déficit public de l’ordre de deux points de PIB en deux ans, à moitié par les recettes et à moitié par la dépense. Nous irons plus vite si la croissance est plus forte, mais l’important, c’est bien de marquer une inflexion forte par la dépense.
Donc, nous misons sur deux points de PIB en deux ans à partir de la reprise, à moitié financés par une augmentation des recettes et à moitié financés par une diminution des dépenses, soit 20 milliards d’euros au titre de la maîtrise de la dépense, ce qui n’est pas mince.
Selon les informations actuellement disponibles, nous ne pourrons donc revenir à trois points de PIB de déficit en 2012 sans un rebond extrêmement fort de la croissance, qui ne peut être exclu, mais que l’on ne peut prendre comme référence dans un débat d’orientation budgétaire.
La dette atteindrait 88 points de PIB à l’horizon 2012. C’est un niveau très élevé, mais qui resterait encore inférieur à celui que connaissent déjà actuellement plusieurs de nos partenaires.
Dire tout cela, ce n’est pas renoncer au pacte de stabilité, c’est prendre en compte la réalité des effets de la crise. Nous conservons l’esprit du pacte : nous ferons le meilleur effort d’assainissement possible des finances publiques, sans casser le retour de la croissance et tout en préparant la croissance de demain, pour retourner au plus vite sous les trois points de PIB, et réduire la dette. Dans leur quasi-totalité les pays européens sont confrontés à la même situation.