Il y a quelques semaines, un attentat islamiste est intervenu au coeur de la Préfecture de Police de Paris. Considérez-vous qu'un attentat de cette nature puisse toucher les armées et le présent projet de loi de finances vous donne-t-il les moyens de prévenir ce risque ?
Général Thierry Burkhard. - Beaucoup de questions me sont posées sur l'opération « Sentinelle ». Celle-ci a évolué considérablement depuis 2015. Elle a été étendue de Paris à l'ensemble du territoire. Elle a évolué dans ses modes d'action. En 2015, les missions étaient statiques, désormais, elles sont toutes dynamiques. Elle a aussi évolué dans notre capacité à nous coordonner avec les forces de sécurité intérieure. Aujourd'hui, les liaisons sont établies et la coordination sur le terrain est bonne. L'opération a aussi évolué, s'agissant de la condition du personnel, grâce à l'attribution de moyens. Les unités disposent désormais de bases à partir desquelles elles opèrent pour exécuter les missions qui leur sont confiées. S'agissant des effectifs, 7 000 soldats sont engagés aujourd'hui, ce chiffre pouvant monter jusqu'à 10 000 hommes. Une partie des 7 000 est déployée sur le terrain, l'autre étant en alerte et en mesure de réagir très rapidement, comme l'a fait une section du 3e RIMa lors du récent crash d'un F16 belge en Bretagne. Des éléments sont en alerte de manière à être déployés en moins de 24 heures. D'autres le sont pour être déployés en 72 heures, ce qui reste un délai très bref. Nous pouvons probablement faire encore évoluer le ratio entre unités déployées sur le terrain et moyens en alerte. Bien sûr, il faut aussi prendre en compte l'appréciation de la menace sur le terrain qui incombe au SGDSN. Mais si l'on attend que la menace ait disparu pour adapter notre dispositif sur le terrain - la récente attaque terroriste à la Préfecture de Police montre que ce n'est pas le cas - on ne le fera jamais. Nous avons deux échéances de très grande importance : la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques en 2024. Les armées vont être sollicitées et cela me semble tout à fait normal. Il faut pouvoir réagir vite mais aussi avoir le courage de réduire ensuite le niveau de mobilisation.
Plusieurs questions m'ont été posées sur le volet capacitaire, notamment sur le programme Serval. Le véhicule blindé Serval est un complément au Griffon. Il est très efficace et doté d'armements tout à fait performants, notamment une tourelle télé-opérée permettant de délivrer des feux précis jusqu'à 1 800 mètres. L'armée française est en Afrique pour longtemps. Le Griffon avait besoin d'un matériel complémentaire et le Serval est ce matériel. Il sera intégré dans la bulle « Scorpion ». Il répond au besoin de nos armées de disposer d'une gamme la plus complète possible de produits ; comprenant aussi bien des Griffon de près de 25 tonnes destinés aux combats de moyenne intensité que des véhicules blindés légers pour effectuer par exemple et comme nous le faisons en Afrique, des opérations d'évacuation. Le Serval relève de ce segment. Nous en avons commandé 689 sur la durée de la programmation militaire.
Vous m'interrogez sur le programme MGCS. Ce programme est nécessaire lorsqu'on observe le monde actuel. Le Léopard vieillit, le Leclerc aussi. Dès lors il convenait de lancer un programme de travail commun avec les Allemands pour renouveler le matériel sur le segment lourd. Le programme franco-allemand MGCS répond à ce besoin. Mais, il nous faut être ambitieux. Le futur matériel sera-t-il simplement un Leclerc 2 ou un Léopard 3 ? Ne pourrions-nous pas envisager un équipement plus complet doté, par exemple, d'une propulsion hybride, voire de senseurs embarqués ? Nous devons faire preuve d'imagination parce que ce matériel sera en rupture avec le précédent. Nous faisons aussi preuve d'imagination et d'anticipation en armant le Patroller alors que ce n'était pas prévu au départ. Le Patroller sera donc armé parce que l'armée de terre le souhaite mais sa mission première ne sera pas d'appuyer nos troupes. Cependant, il bénéficiera de cette capacité. Par conséquent, si un Patroller découvre un poste de commandement ennemi à détruire, il doit pouvoir le faire.
Vous évoquez le programme « CaMo ». Il constitue un défi majeur pour l'armée de terre. En effet, nous avons défini un partenariat stratégique de grande ampleur avec un pays ami et allié, la Belgique. Nous allons travailler sur la tactique tout autant que sur les aspects techniques. Cela suppose une grande humilité de notre part. L'avantage est que nous partageons la même culture de la guerre et que nous avons la même conception de la maîtrise de l'ouverture du feu. Les Belges doivent devenir nos meilleurs ambassadeurs vers d'autres pays qui pourraient également être intéressés par un éventuel partenariat. Nous n'avons donc pas le droit de rater ce partenariat avec nos amis belges.
Vous m'avez interrogé sur le maintien en condition opérationnelle. Le point d'entrée sur le MCO terrestre est le comité stratégique de l'armée de terre, qui est en quelque sorte le comité de direction de l'armée de terre, constitué du chef d'état-major, du major général commandant l'état-major de l'armée de terre, du commandant des forces terrestres, du directeur des ressources humaines de l'armée de terre et du directeur central en charge du MCO de tous les matériels terrestres. Le MCO est absolument incontournable pour la pérennité des capacités de combat de l'armée de Terre. L'une des caractéristiques du MCO terrestre est son caractère continu de la paix à la guerre, de la France aux théâtres d'opérations. Les industriels ont un rôle très important à jouer dans le MCO, en particulier dans les opérations lourdes de réparation, la maintenance dite industrielle. Conformément aux orientations de la ministre des Armées, la part d'activité confiée aux industriels privés devrait croître et atteindre 40 % de la maintenance industrielle. Nous en avons besoin pour régénérer nos équipements soumis à l'abrasivité des opérations. Cette évolution n'est possible qu'à la seule condition que les industriels s'investissent à la hauteur de ce que nous leur demandons et de la visibilité que nous leur avons donnée. Ils doivent être au rendez-vous.
Vous m'avez aussi interrogé sur les livraisons des Griffon. Quatre ont été livrés à la fin du mois de juillet 2019, 92 doivent être livrés d'ici la fin de l'année 2019. C'est l'objectif qui a été fixé aux industriels. Peu m'importe comment ils y parviendront. Il leur revient de les livrer car tout retard nous pénalise. Il est difficile pour une armée de voir cohabiter pendant vingt ans, deux, trois ou quatre gammes différentes de matériels. Par ailleurs, la livraison des matériels ne se limite pas à la réception des clefs des véhicules. Elle suppose aussi que les militaires soient formés à leur utilisation, ce qui se planifie dans la durée et ne peux pas être reporté indéfiniment. La marge de manoeuvre est donc assez réduite. Concernant l'infrastructure opérationnelle, elle recouvre en particulier l'hébergement des soldats, qui a un impact très fort sur leur fidélisation. Pendant des années, nous avons sous-investi dans ce domaine. Un plan d'hébergement a été initié par la ministre des armées et le budget consenti à cet effet est passé de 750 000 euros à 1 million d'euros. Ce plan permettra d'améliorer la qualité des infrastructures existantes, d'améliorer les conditions de vie de nos jeunes engagés et d'augmenter l'offre d'hébergement des cadres. C'est, je pense, le minimum si nous voulons être une armée de référence. Vous me posez la question de la gestion des logements domaniaux. Ce problème ne concerne pas seulement l'armée de terre. Aujourd'hui, l'offre ne correspond plus à la demande. L'offre de la SNI doit être compétitive. La question se pose d'abord évidemment à Paris, qui est un sujet à part à entière.
J'ai été interrogé sur la préparation opérationnelle. Nous devons la renforcer dans ses différentes composantes : préparation initiale, préparation opérationnelle métier et préparation opérationnelle interarmes. La dernière étape suppose d'avoir maîtrisé les étapes précédentes et d'être en mesure de réunir les unités pour qu'elles s'entraînent ensemble. Une bonne préparation opérationnelle interarmes suppose d'abord une bonne préparation opérationnelle métier. C'est dans ce domaine que je dois redonner de la marge de manoeuvre aux régiments. Vous avez évoqué une reprise des entraînements « en terrain libre » en France. Bien évidemment, manoeuvrer sur le territoire national permet de redonner de la liberté d'action aux unités qui peuvent s'entraîner à proximité de leur garnison. Nous ne devons donc surtout pas nous interdire d'effectuer de la préparation opérationnelle en terrain libre. Cela contribue au renforcement du lien entre l'armée et la Nation et à la présence de l'État dans les territoires.
Concernant le taux d'encadrement, il est de 11 % actuellement, contre 15 % dans les autres armées occidentales. Nous avons l'intention de le porter à 13 %, dans un premier temps. La relative faiblesse de ce taux s'explique par la remontée en puissance de l'armée de terre depuis 2015. Quand nous avons injecté 11 000 nouveaux soldats dans l'armée de terre, il nous a fallu ajuster les effectifs de l'encadrement intermédiaire. Or, nos cadres ne se trouvent pas sur le marché du travail, il faut d'abord les former. Nous devons être d'autant plus vigilants à la question de la formation que nos cadres de contact les plus anciens vont progressivement quitter le service actif.
Même si nous y arrivons, cette faiblesse du taux d'encadrement entraîne une difficulté à honorer nos postes dans les états-majors de l'OTAN ou des organisations militaires alliées. Présence qui mobilise des moyens humains importants ! Les postes de commandement de régiment manquent aussi cruellement d'officiers supérieurs qui sont essentiels pour entraîner et préparer nos unités. Il est donc impératif de réajuster ce taux d'encadrement.