Or nous n’avons jamais dépassé le stade de l’incantation ni traduit par de réelles mesures d’assainissement ce que nous pensions constituer un engagement. Nous ne pouvons donc plus nous contenter de décisions ponctuelles, que ce soit pour nous permettre de revenir à l’équilibre – un immense défi à soi seul ! – ou, plus encore, pour faire face à l’enjeu que constitue le vieillissement de la population. Celui-ci, vous le savez, est bien réel : en matière de retraites, de santé et de dépendance, il pourrait se traduire par au moins trois points de PIB de dépenses supplémentaires d’ici à 2050.
Je vous présenterai les principaux éléments du diagnostic établi par la commission des affaires sociales. Alain Vasselle, nouveau rapporteur général de cette dernière, mais déjà rapporteur-président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, et expert éprouvé et reconnu des comptes sociaux, vous décrira tout à l’heure les conditions que la commission des affaires sociales estime indispensables pour parvenir à un vrai retour à l’équilibre.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? La commission des comptes de la sécurité sociale a publié les chiffres définitifs pour 2008 : le déficit du régime général s’est finalement élevé à 10, 2 milliards d’euros, en phase avec les dernières prévisions. Les recettes de la sécurité sociale sont restées relativement dynamiques, le ralentissement économique n’ayant commencé à produire ses effets qu’en toute fin d’année.
La branche maladie a poursuivi son redressement avec un déficit ramené de 11, 6 milliards d’euros en 2004 à 4, 4 milliards d’euros. La réduction très importante de ce dernier est un résultat positif incontestable, surtout si l’on songe que les dépenses de santé, par nature extrêmement dynamiques, progressent toujours à un rythme supérieur à celui de la richesse nationale.
En revanche, la branche vieillesse a vu son déficit se creuser fortement pour atteindre 5, 6 milliards d’euros sous l’effet à la fois du départ à la retraite des générations du baby-boom et de la poursuite des départs en retraite anticipée pour carrière longue.
Pour 2009, la situation est tout autre, puisque le déficit du régime général devrait doubler et s’établir, selon les dernières prévisions, à 20, 1 milliards d’euros. Si l’on y ajoute le déficit du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, ce montant pourrait même atteindre 22, 2 milliards d’euros.
L’essentiel de cette évolution est dû à l’arrêt brutal de la croissance des recettes, alors que celles-ci progressaient régulièrement au cours des dernières années : les cotisations sociales devraient ainsi stagner en 2009, et les recettes de la contribution sociale généralisée, ou CSG, diminuer.
Ce constat inspire deux réflexions à la commission des affaires sociales.
Premièrement, nous avions exprimé notre scepticisme quant aux hypothèses économiques très volontaristes qui sous-tendaient la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Je ne prendrai qu’un exemple : le projet de loi tablait sur une croissance de la masse salariale de 2, 75 % ; or, celle-ci devrait diminuer de 1, 25 %. Il y aurait donc, au minimum, quatre points d’écart entre la prévision et la réalité, ce qui bouleverse naturellement les équilibres initiaux.
Deuxièmement, la commission s’interroge sur l’absence de projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif. N’aurait-il pas été justifié de demander au Parlement de prendre acte, à défaut de mesures correctrices, de la caducité totale des équilibres votés en fin d’année dernière ? Je souligne au passage que, dans le même temps, pas moins de deux collectifs ont été votés en matière budgétaire...
Quoi qu’il en soit, ces pertes de recettes font s’effondrer les comptes de chacune des branches – elles affichent désormais toutes un déficit –, malgré une croissance des dépenses relativement maîtrisée. La branche maladie pourrait ainsi connaître un déficit de 9, 4 milliards d’euros, la branche vieillesse de 7, 7 milliards d’euros, la branche famille de 2, 6 milliards d’euros et la branche accidents du travail–maladies professionnelles de 0, 3 milliard d’euros.
Pour la branche maladie, je vous rappelle que le comité d’alerte du 29 mai 2009 n’a pas constaté de dérapage de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM. Il a seulement noté un dépassement de l’ordre de 300 à 500 millions d’euros. Il a mis en exergue la progression dynamique des indemnités journalières et des frais de transport, ainsi que le retard pris sur certaines mesures d’économie, comme les baisses de tarifs ou de médicaments, la limitation du nombre de séances de soins paramédicaux, l’encadrement des transports sanitaires par taxis ou l’augmentation du ticket modérateur en cas de non-respect du parcours de soins. La commission des affaires sociales estime que tout doit être fait pour corriger cette situation et pour revenir à un respect strict de l’ONDAM pour 2009.
Pour la branche vieillesse, je note un motif de satisfaction : la maîtrise des charges liées aux départs en retraite anticipée grâce à un meilleur encadrement de cette mesure. En revanche, le FSV, qui avait retrouvé une situation excédentaire en 2007 et en 2008, renoue avec un déficit massif en 2009 – de l’ordre de 2, 1 milliards d’euros –, sous l’effet de l’augmentation du chômage et du transfert d’une partie de ses ressources vers la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES. Alain Vasselle vous fera part de la position de la commission des affaires sociales sur ces « tuyauteries » qui, si elles apportent une solution à un instant donné, constituent rarement de bonnes réponses à moyen terme, ainsi que nous l’avons trop souvent constaté.
S’agissant de 2010, nous disposons encore de trop peu d’éléments. Les premières prévisions font état d’un déficit du régime général s’élevant à environ 30 milliards d’euros, chiffre évidemment considérable, sans précédent et, je n’hésite pas à le dire, très inquiétant. Ce rapide tableau des comptes sociaux montre en effet l’ampleur des difficultés à résoudre et donne la mesure du chemin à parcourir non plus pour revenir à l’équilibre, mais simplement pour stabiliser nos déficits.
À cet égard, monsieur le ministre, nous regrettons – nous l’avions malheureusement déjà souligné les années précédentes – que le document préparatoire au débat d’aujourd’hui soit aussi succinct s’agissant des finances sociales. En particulier, il ne mentionne toujours pas la trajectoire pluriannuelle détaillée de l’évolution de l’ONDAM, comme le prévoit pourtant la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. C’est dommage, car la définition d’objectifs clairs que tous pourraient s’approprier est désormais une priorité : c’est à cette seule condition que les modalités concrètes de leur respect pourront ensuite être déterminées.
Vous nous apportez néanmoins l’assurance que la nouvelle discipline issue de la loi de programmation des finances publiques en matière de recettes et de niches sociales sera respectée. Nous le souhaitons vivement, car nous éprouvons à nouveau quelques inquiétudes quant à cette nécessité, affirmée depuis longtemps par la commission des affaires sociales.
À ce sujet, permettez-moi, monsieur le ministre, de formuler deux séries de remarques.
En premier lieu, la commission des affaires sociales présente régulièrement des propositions raisonnables et concrètes trop souvent écartées par le Gouvernement. J’en veux pour preuve notre vote d’il y a trois ans pour taxer les stock-options ou celui d’il y a deux ans pour instituer une flat tax sur les niches sociales. Dans les deux cas, vous nous avez contraints à revenir sur ces dispositions pour, un an après, les proposer vous-même dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale. Nous avons perdu, au passage, une année... M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales va à nouveau vous présenter aujourd’hui un certain nombre de mesures que je souhaite voir retenues dans le cadre de la préparation de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
En second lieu, permettez-moi de vous redire combien il nous paraît important que le Parlement soit pleinement et parfaitement informé sur la situation des finances sociales. À cet égard, je renouvelle des demandes plusieurs fois formulées par la commission des affaires sociales : un chiffrage précis de l’incidence de toutes les mesures nouvelles envisagées, ce qui exige d’enrichir l’exposé des motifs ainsi que l’annexe 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale ; un cadrage pluriannuel plus étayé, avec des scénarios d’évolution plus solidement établis à partir d’hypothèses crédibles et différenciées. Nous devons disposer d’éléments aussi transparents et précis que ceux qui sont désormais disponibles en matière de loi de finances.
En conclusion, je voudrais insister sur le caractère stratégique de l’année 2010. Des décisions majeures, peut-être douloureuses, devront être prises pour inverser les tendances actuelles et pour permettre, dans un premier temps, une stabilisation de nos déficits, puis, dans un deuxième temps – c’est ce que nous espérons –, un retour à l’équilibre à moyen terme de nos comptes sociaux.
Nous ne pouvons plus repousser encore les échéances. Je souhaite que, dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, les décisions du Gouvernement traitent réellement et en profondeur l’ensemble des questions qu’Alain Vasselle et moi-même évoquons aujourd’hui devant vous.