Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, la discussion qui s’ouvre au Sénat à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 sera, comme chaque année, l’occasion de confronter nos visions des orientations que le Gouvernement a prises et qu’il défendra devant vous.
Mme Agnès Buzyn vient de vous présenter ce que ce texte prévoit en matière d’accès aux droits et aux prestations pour nos concitoyens. Je concentrerai donc mon propos sur les équilibres généraux et les articles relatifs aux recettes.
Disons-le d’emblée, la question de la non-compensation de certaines exonérations de cotisations sociales cristallisera certainement les critiques et, sans doute, une part des oppositions qui pourront s’exprimer sur ce texte. J’y reviendrai bien évidemment ; nous aurons ce débat lors de la discussion de l’article 3.
Néanmoins, pour avoir bien suivi les travaux de la commission des affaires sociales du Sénat et échangé avec elle le 15 octobre dernier, je crois aussi pouvoir souligner, en ouverture de cette discussion, que les points d’accord sont souvent plus importants que ceux sur lesquels nous sommes divisés.
Je souhaiterais, pour commencer, mettre l’accent sur ces points de convergence, avant de revenir sur la question de la compensation.
C’est d’abord un objectif, dont je sais qu’il est partagé sur ces bancs : poursuivre la maîtrise des dépenses sociales afin d’en assurer la soutenabilité financière tout en permettant la protection des plus vulnérables. Cet objectif se retrouve dans le solde de la sécurité sociale pour 2020, plus dégradé que prévu, puisque le déficit s’élève à 5, 1 milliards d’euros.
Vous savez que deux éléments expliquent ce résultat : d’abord, des hypothèses macroéconomiques moins favorables, qui affectent principalement les recettes ; ensuite, les réponses d’ampleur apportées par le Gouvernement à l’urgence économique et sociale dont la crise de l’automne et de l’hiver derniers a été le révélateur.
Nous assumons – je l’ai dit devant votre commission – le fait que la réponse à cette crise a conduit à dégrader, temporairement, nos comptes sociaux, mais ce déficit ne signifie nullement que nous ayons abandonné nos objectifs de finances publiques, bien au contraire.
Nous poursuivons la politique budgétaire sérieuse et efficace que nous conduisons depuis deux ans pour soutenir la croissance et l’emploi, car cette politique a permis d’obtenir des résultats.
Si l’on considère l’ensemble du champ des administrations publiques, nous sommes parvenus à la fois à maîtriser la dépense publique dans son ensemble – 40 milliards d’euros de dépenses ont été évités depuis 2017, soit autant d’économies tendancielles –, à réduire les déficits de 20 milliards d’euros entre 2019 et 2020, pour atteindre en 2020 le déficit le plus bas depuis 2001, et à baisser les prélèvements obligatoires de 40 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat, dont 27 milliards d’euros en faveur des ménages, tout en stabilisant notre endettement, ce qui n’était pas arrivé depuis plusieurs années.
La sécurité sociale a pris sa part à cet effort et continuera bien évidemment de le faire : ses dépenses demeurent maîtrisées et des efforts sont demandés à tous pour permettre à la sécurité sociale de revenir à l’équilibre d’ici à 2023. Ces efforts sont notamment demandés aux entreprises : ainsi, en 2020, elles connaîtront un encadrement de la déduction forfaitaire spécifique, qui est un dispositif ancien aux effets mal maîtrisés, puisqu’il amplifie le gain des allégements généraux. Cette déduction sera plafonnée à 130 % des allégements généraux de droit commun, ce qui contribuera au financement de nouvelles mesures en faveur du pouvoir d’achat.
Par ailleurs la dette sociale portée par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) sera apurée d’ici à 2024. En 2019, deux tiers de cette dette auront déjà été apurés, soit 171 milliards d’euros sur un total de 260 milliards.
Dans ce contexte, vous comprendrez que le Gouvernement émette un avis défavorable sur l’ensemble des amendements qui visent à étendre ou à renforcer des niches sociales nouvelles.
Il en sera ainsi de la proposition visant à encourager les employeurs à prendre en charge les abonnements de transports publics de leurs salariés, ou d’autres qui tendent à créer des niches catégorielles. Toutes ces propositions procèdent de préoccupations qui sont légitimes – la question ne porte pas sur cette légitimité –, mais elles partent de l’idée que la baisse des prélèvements serait la seule solution à tous les problèmes. Surtout, elles ont un coût que nous ne pouvons pas assumer à ce stade. Ces mesures ne sont en effet pas financées et sont par ailleurs contradictoires avec la volonté de limiter au maximum les niches fiscales et sociales.
Ce texte comporte également un certain nombre de dispositions importantes sur lesquelles nous devrions nous retrouver.
Nous reconduisons en 2020 la prime exceptionnelle entièrement désocialisée et défiscalisée que le Sénat avait adoptée l’année dernière. En 2019, cette prime a permis de distribuer 2, 2 milliards d’euros de pouvoir d’achat à 5 millions de salariés ; son montant moyen s’élève à environ 400 euros. Pour 2020, son versement sera conditionné à la négociation ou à la conclusion d’un accord d’intéressement dans l’entreprise ; les conditions seront assouplies pour les TPE. En effet, nous voulons encourager le partage de la valeur au sein de l’entreprise, entre les travailleurs et les employeurs.
J’ai bien noté, monsieur le rapporteur général, votre vigilance : vous souhaitez que cette prime, qui est une mesure de pouvoir d’achat, demeure exceptionnelle. Ce souci est partagé par le Gouvernement : si cette prime devait perdurer, cela créerait le risque d’une substitution de la prime au salaire, ce qui ne serait pas profitable pour les salariés en fin de compte, mais serait dangereux pour nos comptes sociaux.
C’est pourquoi nous avons inscrit ce dispositif dans la continuité de l’action que nous avons entamée au travers de la loi Pacte pour favoriser, de manière durable, le partage de la valeur dans l’entreprise grâce aux accords d’intéressement.
Le volet « simplification » de ce PLFSS rejoint également les travaux du Sénat et, en particulier, ceux qu’il a menés en faveur des travailleurs indépendants.
Dans le prolongement de nos engagements pris lors de la suppression du régime social des indépendants (RSI) en matière de simplification du recouvrement des cotisations sociales, nous allons, d’ici à 2021, fusionner les déclarations fiscales et sociales des travailleurs indépendants. Ils pourront ainsi effectuer en une seule formalité trois déclarations qu’ils adressent aujourd’hui à des interlocuteurs différents et à des dates distinctes. Cette mesure rejoint une proposition formulée de longue date par le président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat, M. Jean-Noël Cardoux, et par M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.
Nous proposons également de mener à son terme l’unification du recouvrement social autour des Urssaf pour que notre action publique soit plus efficace et que les entreprises n’aient plus qu’un seul interlocuteur pour leurs cotisations. Ce chantier fait écho à celui que nous conduisons dans le champ fiscal et qui sera discuté dans le projet de loi de finances pour 2020.
Un autre point d’accord, me semble-t-il, concernera la simplification de l’accès aux droits, grâce à la contemporanéisation du crédit d’impôt et des aides financières, pour les personnes dépendantes et les personnes handicapées.
Grâce à une expérimentation menée à Paris et dans le Nord, 1, 1 million de personnes bénéficieront à terme de cette mesure de simplification et de pouvoir d’achat pour l’accès à des services essentiels.
Il en sera de même pour l’exonération de cotisations sociales de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle dans la fonction publique, rupture créée par la loi du 6 août 2019. Cette exonération permet d’aligner le régime social de la fonction publique sur celui du secteur privé. Le Gouvernement est très attaché à ce que la mobilité soit favorisée au sein la fonction publique, mais aussi entre le secteur public et le secteur privé. Cette mesure de cohérence doit y contribuer.
Tels sont donc les points de convergence sur lesquels nous devrions nous retrouver ; vous pouvez constater qu’ils sont importants. Ils participent, à mon sens, à une large amélioration de notre système de protection sociale.
J’en viens maintenant au débat relatif à la compensation des exonérations de cotisations sociales.
Plusieurs mesures sont concernées, au premier rang desquelles l’exonération des heures supplémentaires que la loi portant mesures d’urgence économiques et sociales a avancé du 1er septembre au 1er janvier 2019.
Nous avions eu un premier débat, l’année dernière, lors de l’examen du PLFSS pour 2019, au sujet du choix de la non-compensation ; ce débat s’était poursuivi lors de l’examen de ces mesures d’urgence. L’article 3 du présent PLFSS prolonge le choix fait par le Gouvernement et adopté par l’Assemblée nationale, choix qui figurait déjà dans le programme de stabilité que nous avons présenté au printemps et qui a déjà fait l’objet de débats parlementaires.
Sur la question de principe, les termes du débat sont connus. Ils peuvent paraître byzantins aux non-initiés.
Du point de vue du contribuable, il n’y a pas, d’un côté, des impôts et des taxes d’État et, de l’autre, des impôts et cotisations : il y a seulement ce que l’État demande à chacun au bénéfice de la collectivité. Il en va de même s’agissant des dépenses : pour les Français, une dépense est une dépense, qu’elle relève du budget de l’État ou de celui de la sécurité sociale.
D’ailleurs, je tiens à préciser d’emblée que, sur les 16, 8 milliards d’euros auxquels est estimé le coût des mesures d’urgence économiques et sociales, 14 milliards d’euros sont à la charge du budget de l’État, contre 2, 8 milliards d’euros à la charge du budget de la sécurité sociale, ce qui démontre que celle-ci n’est pas mise à contribution pour financer l’intégralité des mesures, comme on peut le lire parfois.