J’en viens à ce projet de loi de financement de la sécurité sociale tel qu’il nous est présenté. Vous venez de rappeler, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement va proposer au Sénat d’adopter un exercice 2019 en déficit de 5, 4 milliards d’euros ; un déficit presque équivalent, de 5 milliards d’euros, nous est présenté pour l’année 2020. La trajectoire présentée en annexe B du PLFSS n’envisage plus qu’un timide retour à l’équilibre à l’horizon de 2023 ; entre-temps, si tout va bien, la sécurité sociale aura accumulé quelque 17 milliards d’euros de nouveau déficit.
Alors, que s’est-il passé depuis l’année dernière ? Tout d’abord, la conjoncture a été moins bonne que prévu ; en particulier, la masse salariale hors primes exceptionnelles n’a progressé que de 3 %. En conséquence, la sécurité sociale a perdu 1, 6 milliard d’euros par rapport à la prévision de progression de 3, 5 %. Ensuite, certaines dépenses des branches maladie et vieillesse ont un peu dérapé, à hauteur de 1, 2 milliard d’euros. La conjugaison de ces deux facteurs explique la moitié environ de la dégradation du solde de l’année 2019.
Quant à l’autre moitié, elle résulte d’un choix du Gouvernement, tiré de la conclusion d’un rapport remis au Parlement à l’été 2018 : ne plus compenser à la sécurité sociale les nouvelles mesures entraînant des pertes de recettes. Désormais, comme vous le dites, c’est « chacun chez soi ». À l’État, d’une part, et à la sécurité sociale, d’autre part, d’assumer le coût de la diminution de leurs recettes.
À l’évidence, notre commission ne peut suivre cette logique, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, elle méconnaît la vraie nature de la sécurité sociale. À l’inverse du budget de l’État, il n’y a pas, à la sécurité sociale, de grand pot commun ; au contraire, des ressources précises sont affectées à des dépenses précises. « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » : ce principe fondateur reste complètement d’actualité.
« À quoi bon ces subtilités, nous dit-on : après tout, l’argent sort de la même poche ! » Certes, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mais quand je paie mon assurance habitation et mon abonnement de téléphone, ces deux paiements sortent aussi de la même poche. Pour autant, dans les deux cas, je sais pour quoi je paie ! De même, les Français savent pour quoi ils paient leurs cotisations, la CSG, la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) – du moins, j’ose l’espérer – : c’est pour pouvoir faire face à la maladie, aux accidents du travail et aux charges de famille, et un jour vivre leur retraite. C’est par nature plus clair que dans le cas de l’État, dont les recettes et les dépenses sont universelles.
En outre, le principe de non-compensation repose sur un postulat qui n’existe plus. MM. Christian Charpy et Julien Dubertret, dans leur rapport, tablaient sur des excédents qui n’existent malheureusement plus. Nous devons donc constater ensemble que, s’il n’y a plus d’excédent, la situation ne justifie plus l’absence de compensation. Comme nous le disions l’année dernière, l’État impécunieux s’est précipité pour « faire les poches » de la sécurité sociale avant qu’elles ne soient pleines !
Pour l’ensemble de ces raisons, de ces principes de bonne gestion des finances publiques, nous défendrons au nom de la commission plusieurs amendements visant à refuser les nouvelles entorses à la loi Veil du 25 juillet 1994 qui figurent dans ce PLFSS.
Toutefois, mes chers collègues, que nous adoptions ou non la recompensation des mesures de la loi portant mesures d’urgence économiques et sociales, soyons conscients qu’il faudra maîtriser l’évolution des dépenses de la sécurité sociale, cette année, bien sûr, mais aussi les années à venir.
En effet, même si l’État compense, les comptes risquent de rester dans le rouge encore très longtemps. Au vu des masses en jeu, cela concernera au premier chef les branches maladie et vieillesse, qui pèsent à elles seules 470 milliards d’euros de dépenses en 2020.
Nous proposerons nos propres solutions, plus structurelles qu’un énième coup de rabot. Elles seront difficiles, sans doute, mais compréhensibles par les Français et de nature à garantir le pouvoir d’achat de tous les retraités et des familles.
Quant à l’hôpital, madame la ministre, à l’évidence, les plans d’économie ne suffisent plus, même s’ils sont nécessaires. La réorganisation tarde à produire ses effets. Il faudra donc bien des mesures nouvelles.
Alors, respect du principe de compensation, vigilance sur les recettes de la sécurité sociale, maîtrise de ses dépenses : la commission des affaires sociales proposera au Sénat une gestion sérieuse et capable de ramener la sécurité sociale au plus vite sur la voie des excédents et de l’apurement total de sa dette.
Au bout du compte, mes chers collègues, la question est de savoir si nous pourrons léguer à nos enfants une sécurité sociale enfin délestée de sa dette. Or si nous laissons les comptes glisser sur la pente que le Gouvernement nous invite à emprunter, quelque 47, 5 milliards d’euros de dette, gérés sous forme de découverts, auront été accumulés d’ici à 2023 par les différentes branches. Bref, à l’heure où s’éteindra la Cades, en 2024, la sécurité sociale sera plus endettée que lorsque cette caisse a été créée. Sisyphe sera en quelque sorte revenu au pied de la montagne, au moment même où il pensait avoir achevé son ouvrage.