… un face-à-face dangereux, soumis au risque des mouvements de la rue, pouvant conduire à la paralysie et à l’abandon des réformes, mais peut-être à pire encore.
Or notre pays a besoin de réformes. Dans l’intérêt même de notre protection sociale, nous devons la faire évoluer. Dans ses différentes composantes – un système de santé tout à la fois de pointe et solidaire, des retraites décentes et une politique de soutien aux familles –, la protection sociale appartient à l’identité même de notre pays. Laisser filer les déficits revient à la mettre en péril.
Ce qui se passe aujourd’hui à l’hôpital est le produit d’une absence de réformes structurelles. À passer le budget des hôpitaux sous la toise à grand renfort de mesures de régulation pour tenir l’Ondam, c’est tout le système qui craque, et il est déjà trop tard. Le temps que les mesures d’organisation portent leurs fruits, il faut réarmer l’hôpital. Le Gouvernement n’a pas d’autre choix.
Des choix, il faudra pourtant en faire en matière de santé si nous voulons maintenir un système solidaire, faire de la place à l’innovation et assumer les charges liées au vieillissement et aux pathologies chroniques.
C’est ainsi que, s’agissant des retraites, il faut agir, sans attendre une réforme très ambitieuse qui, peut-être, ne viendra pas. Au motif de l’injustice des régimes spéciaux, le Gouvernement s’est lancé dans une vaste entreprise qui pourrait conduire à réformer tout le reste, en laissant de côté ces mêmes régimes qui ne rentreraient qu’un jour peut-être dans le système universel. Or nous sommes tout près des années les plus difficiles en matière de financement des retraites, René-Paul Savary en a parlé. Nous ne pouvons attendre quarante ans les fruits d’une hypothétique réforme. La commission des affaires sociales invite donc le Sénat à prendre ses responsabilités sans tarder, et le Gouvernement à en faire autant.
Nous avons alerté sur la question de la dette de la sécurité sociale. Pour ce qui est de la partie transférée dans le mécanisme d’amortissement de la Cades, l’extinction est programmée. Quant au reste, évalué par notre rapporteur général à près de 50 milliards d’euros en fin de période couverte par le présent texte, rien n’est moins sûr. Nous avons du mal à comprendre le choix, clairement assumé par le Gouvernement, de laisser perdurer cette dette. Est-elle un aiguillon pour inciter à la vertu budgétaire ?
C’est la logique même de la sécurité sociale qui se trouve ainsi mise à mal, le sens même des cotisations sociales et, à la suite, le consentement à les payer. Le rapporteur général a évoqué Sisyphe, les références mythologiques sont riches et, pour les Français, ce « trou de la sécurité sociale » pourrait bien évoquer le tonneau des Danaïdes.
La vocation de la sécurité sociale est la redistribution ; la redistribution des bien-portants vers les malades, des actifs vers les personnes âgées, des célibataires vers les familles. Cette redistribution passe par les prestations et non par les prélèvements. En d’autres termes, l’objet de la sécurité sociale n’est pas de financer des mesures de pouvoir d’achat.
Il a beaucoup été question dans nos débats de la non-compensation des mesures « gilets jaunes ». L’objectif de la loi Veil, au moment où s’amorçait une diversification des recettes de la sécurité sociale, était de garantir que le remplacement des cotisations serait bien pérenne et que la baisse des cotisations ne se traduirait pas par des déficits. La tentation est grande, nous l’observons chaque année, de « miter » ces recettes. Pour les ministères, les allégements de cotisations, s’ils peuvent être laissés à la charge de la sécurité sociale, sont un outil commode en période de disette sur les crédits. Un amendement de Jean-Pierre Door à l’Assemblée nationale a opportunément remédié à une première tentative dans ce sens, qui contrevenait même aux principes du rapport Charpy-Dubertret sur lequel le Gouvernement s’appuie pour justifier les non-compensations.
La non-compensation ne change rien à l’échelle des finances publiques. Elle n’est qu’un moyen de loger un « bout de déficit » en dehors du budget de l’État. Il convient de corriger cette anomalie et, puisque le texte que nous examinons aujourd’hui semble provisoire, il reste une occasion à saisir pour le Gouvernement !