Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’an dernier, à l’occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, redoutant que ce ne soit le dernier budget de la « Sécu » dont la représentation parlementaire ait à discuter, nous avions déjà déposé une motion d’irrecevabilité constitutionnelle.
Le projet de réforme constitutionnelle prévoyait, en effet, l’examen commun du budget de l’État et de celui de la sécurité sociale avec, en filigrane, l’idée de transférer les excédents potentiels de la sécurité sociale vers le budget de l’État. Mais vous avez été contraints de repousser cette réforme constitutionnelle devant le fort mécontentement qui s’est exprimé dans la rue durant de très longs mois, et quinze jours après le vote du PLFSS 2019, le Président de la République annonçait les mesures d’urgence économiques et sociales pour répondre aux revendications des « gilets jaunes ».
Si la réforme constitutionnelle ne semble plus à l’ordre du jour, les intentions du Gouvernement de remettre en question l’autonomie de la sécurité sociale sont plus que jamais d’actualité. Pourtant, madame la ministre, comment ne pas adhérer aux propos que vous avez tenus avec conviction à l’Assemblée nationale lors de l’examen en première lecture du budget de la sécurité sociale ?
Permettez-moi de vous citer : « Le PLFSS n’est pas seulement un acte de responsabilité budgétaire. En faire une lecture strictement comptable, c’est passer à côté de ce qu’il est vraiment. Il est avant tout un instrument politique. Nous sommes en train de repenser la protection sociale dans son ensemble : dans sa méthode comme dans ses finalités, pour la rendre plus universelle, plus juste et plus efficace. Notre objectif consiste à réaffirmer la présence de l’État social à chaque étape de la vie. »
Une question me taraude, madame la ministre, comment justifiez-vous, pour ce nouveau PLFSS, cette envolée des exonérations patronales non compensées par l’État, faisant fi de la loi Veil du 25 juillet 1994 ? Le groupe CRCE auquel j’appartiens n’a manifestement pas la même conception que vous de ce que vous appelez « l’État social à chaque étape de la vie » !
La baisse des taux de cotisations patronales et l’exonération totale des cotisations, désormais non compensées par l’État, créent un déficit artificiel des comptes de la sécurité sociale. C’est donc la double peine pour les assurés sociaux qui financent deux fois, par l’impôt et par les cotisations, un déficit dû aux choix politiques du Gouvernement. C’est d’autant plus insupportable quand on sait que près de 9 millions de personnes vivent avec moins de 1 000 euros par mois et que 34 % de nos concitoyens ont dû renoncer à un ou plusieurs soins, ce chiffre pouvant atteindre 64 % pour les familles les plus modestes !
Chaque année, la sécurité sociale se voit contrainte d’assumer des choix qui ne dépendent pas d’elle. Elle doit notamment rembourser à marche forcée la dette qui pèse sur elle depuis la crise financière. En 2019, la sécurité sociale, Cades comprise, a réduit son endettement de 11, 7 milliards d’euros. Cela relativise encore un peu plus son pseudo-déficit de 5, 4 milliards d’euros pour 2019 !
Madame la ministre, vous nous parlez avec M. Darmanin de dépenses de santé trop élevées, qui videraient les caisses de notre système de protection sociale. Mais de quoi parlez-vous ? Les dépenses de la sécurité sociale ont augmenté de 2, 1 %, soit nettement moins que le PIB, dont la croissance est de 2, 7 %. La sécurité sociale ne souffre donc pas d’une explosion de ses dépenses, mais d’un manque de financement. Cela rend plus dogmatique que jamais votre refus d’accepter nos amendements qui apporteraient de nouveaux financements pour notre protection sociale. Mais force est de reconnaître qu’agiter le spectre du « trou de la sécurité sociale » permet de justifier la baisse des prestations et de préparer le terrain pour réduire les pensions de retraite lors de la future réforme Delevoye !
Vous me direz, sans doute, que cette remise en cause du principe de compensation intégrale par l’État n’est pas une nouveauté. Certes, mais son ampleur est sans précédent. L’ensemble des allégements généraux de cotisations et d’exonérations ciblées représenteront 66, 4 milliards d’euros en 2020. Selon la Cour des comptes, les niches sociales seraient, en réalité, proches de 90 milliards d’euros si l’on ajoute les nombreuses déductions sectorielles, dont 52 milliards d’euros d’allégements généraux de cotisations sociales.
Si bien que nous sommes aujourd’hui à un tournant, puisque les allégements et les exonérations ont explosé au point de dépasser le montant des recettes de la branche famille. C’est un tournant pour la sécurité sociale en raison du volume que représentent les cotisations non acquittées, principalement par les employeurs, puisque, depuis 2013, le CICE a amputé de près de 100 milliards d’euros les cotisations sociales à la Sécu pour un effet en termes de création d’emplois quasi nul ! C’est aussi un tournant en raison du niveau des cotisations fictives des employeurs, puisque, en dessous du Smic, ils ne cotisent pas un euro ! Nous sommes bien là face à une remise en cause du système paritaire.
Comment ne pas rappeler ici que, en 2020, la part des cotisations sociales dans le budget de la sécurité sociale ne représente plus que 50, 7 % des recettes ?
Le principe même des exonérations de cotisations sociales doit être abandonné, pour des raisons fondamentales : c’est une catastrophe pour notre système de protection sociale, mais également pour notre économie. En effet, selon le Comité de suivi et d’évaluation des aides publiques aux entreprises et des engagements (Cosape), les exonérations de cotisations patronales, dont le coût est élevé pour les finances publiques, ne vont pas vers les salaires ou l’investissement, mais vers l’augmentation des marges et la part des dividendes dans la valeur ajoutée qui a fortement augmenté.
Nous ne sommes pas les seuls à refuser la remise en cause de l’autonomie budgétaire de la sécurité sociale ; au Sénat comme à l’Assemblée nationale, de la part de la gauche, mais également d’une partie de la droite jusqu’à votre propre majorité, puisque des députés de La République En Marche ont émis des réserves, plusieurs amendements s’en font l’écho ! Je pense à celui de notre rapporteur, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sur l’article 17, qui refuse les nouvelles non-compensations de l’État, et que nous voterons si notre motion n’est pas adoptée.
En fait, madame la ministre, jamais budget de la sécurité sociale n’a été autant contesté. Au-delà des parlementaires, ce sont les organisations syndicales, les associations d’usagers, des fédérations hospitalières, les conseils d’administration des caisses de la sécurité sociale ainsi que la Mutualité française qui se sont publiquement prononcés contre ce budget.
Par ce PLFSS 2020, vous bafouez le principe d’autonomie organique et financière reconnu par notre législation républicaine. Je pense, notamment, à l’article XIII de la Déclaration de 1789 et au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, sans oublier la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale de 2005, qui a reconnu le principe de la compensation systématique de toute perte de recettes pour la sécurité sociale. Notre groupe a donc déposé cette motion tendant à opposer l’irrecevabilité constitutionnelle, afin de dénoncer la mise en cause du principe constitutionnel d’autonomie des finances sociales.
Mes chers collègues, l’heure est grave. Il n’est pas possible de laisser passer ce PLFSS qui ne tient pas compte de l’état réel de notre système de santé, de la situation dramatique des hôpitaux, de l’état d’épuisement et de colère des personnels soignants, administratifs et techniques.
Madame la ministre, ne pas rompre avec des choix de restrictions budgétaires qui ont prouvé leur nocivité depuis des décennies, vouloir faire taire le malaise en pratiquant des transferts de financements à moyens constants, nous parler de mesures en préparation pour remédier à la crise des urgences, que vous ne dévoilerez que le 20 novembre prochain – après, donc, le vote sur le budget de la sécurité sociale et sur celui de l’État –, c’est au mieux prendre les parlementaires que nous sommes ainsi que toutes celles et tous ceux qui luttent depuis des mois pour de doux naïfs, au pire pour des imbéciles !