Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen du premier PLFSS d’une nouvelle décennie. C’est l’occasion de regarder dans le rétroviseur et de constater que, lors des dix dernières années, le régime général de la sécurité sociale a constamment été déficitaire.
Mais si l’on se fie à vos prévisions antérieures de retour à l’équilibre, alors seuls les regrets peuvent être de mise. En effet, ces excédents auraient peut-être permis de faire face à la situation catastrophique que traverse actuellement l’ensemble des services d’urgence du pays ou encore de pouvoir apporter des solutions aux évolutions démographiques que nous connaissons.
Pour comprendre cette situation, il convient de rappeler la chronologie des événements. La fin de l’année 2018 a été marquée par un mouvement social inédit connu sous la dénomination de mouvement des « gilets jaunes ». Face à cette situation, le Gouvernement a décidé une série de mesures en faveur du pouvoir d’achat pour répondre à une partie des revendications.
La discussion d’aujourd’hui n’a pas pour objectif de commenter ces choix politiques. Toutefois, ces mesures ont un impact financier sur les comptes actuels de la sécurité sociale. Et tout le problème est là ! En effet, la loi du 25 juillet 1994 dite loi Veil précise, entre autres choses, que dans ce cas précis l’État doit compenser le manque à gagner pour la sécurité sociale.
Madame la ministre, nous pouvons avoir des divergences d’appréciations concernant les choix politiques et les priorités qui sont déterminées par l’exécutif, mais à aucun moment nous ne pouvons tolérer que ce principe qui garantit l’autonomie de la sécurité sociale vis-à-vis de l’État soit bafoué.
Nous connaissons l’appétence du Président de la République pour le modèle anglo-saxon, mais, je le dis très solennellement, la France n’a pas vocation à s’aligner sur un tel modèle. La sécurité sociale à la française est un idéal que nous ne pouvons pas compromettre. Au sein de cet hémicycle, et malgré nos divergences, il existe un attachement commun aux principes qui ont été institués dans ce pays à partir de 1945, date de création de la sécurité sociale.
Aussi, nous soutiendrons la suppression à l’article 3 des dispositions permettant à l’État de ne pas compenser le coût des mesures d’urgence économiques et sociales. Il s’agit pour nous, d’une part, de se mettre en cohérence avec la loi Veil, d’autre part, de réaffirmer le rôle du législateur en matière de compensation du budget de la sécurité sociale.
Les mouvements sociaux que le monde de la santé et du médico-social de notre pays connaît ces derniers mois sont assez inédits. Ils traduisent des situations alarmantes qui ne sauraient être minimisées et reportées au lendemain.
Je veux ici parler des Ehpad et des personnels qui sont à bout. Bien que les projecteurs se soient détournés du quotidien des soignants, la situation ne s’est pas arrangée et la question de la refonte du modèle du « tout Ehpad » demeure.
Je souhaite également parler de la situation de nos hôpitaux. Comment peut-on tolérer que, dans la France de 2019, les médecins ne puissent plus opérer à partir d’une certaine heure de la journée, faute de matériel suffisant ? Je ne reviendrai pas non plus sur l’épisode des tentes qui ont fait office de salles d’opération dans le département de la Guadeloupe, scène surréaliste qui rappelle plus les conflits auxquels sont confrontés certains pays du tiers-monde qu’un hôpital de la République française.
Je rappellerai une nouvelle fois la situation de nos territoires, ruraux ou non, en matière d’accès aux soins. Dire que la situation est difficile est un euphémisme ! À terme, nous ne serons plus dans une problématique d’accès aux soins à plusieurs vitesses, mais dans celle de l’accès aux soins, tout court !
La stratégie « Ma santé 2022 » était attendue avec beaucoup d’espérance par l’ensemble des acteurs du monde de la santé. Les récentes mobilisations de ces mêmes acteurs nous laissent à penser que le compte n’y est pas. Lors de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, nous vous avions alertée sur la faiblesse des mesures proposées, mais vous aviez rejeté l’essentiel des solutions pragmatiques proposées par l’ensemble des sénateurs. Il a fallu une commission mixte paritaire engagée pour que votre majorité daigne accepter une solution consensuelle répondant à l’urgence du manque de médecins dans nos territoires ruraux.
Plus que le désaccord politique qui nous sépare, je regrette la méthode qui est employée et qui consiste à considérer les propositions sénatoriales comme des coups politiques inapplicables et, de l’avis du Gouvernement, inacceptables. Je vous le redis, madame la ministre, nous sommes là pour vous aider, mais il faudrait nous écouter. §La santé est un sujet bien trop sérieux pour se laisser aller à des affrontements stériles, dont les premiers perdants seraient les Français eux-mêmes.
Notre système de santé est fragile, il tient à un fil, notamment grâce à tous les professionnels de santé qui prennent en charge les patients au quotidien, mais sous prétexte qu’ils ne sont pas dans une maison de santé pluriprofessionnelle ou dans une communauté professionnelle territoriale de santé, ils n’apparaissent plus dans vos radars. Attention à ne pas les décourager !
Le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire et le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique sont de bons exemples de textes législatifs qui ont vu le Gouvernement et le Sénat travailler afin de parvenir à des solutions équilibrées et pragmatiques. Aussi, je forme le vœu que, lors des futures discussions au sein de cet hémicycle – je pense en particulier au projet de loi Grand âge et autonomie, dont ce PLFSS ne porte pas la trace –, le Gouvernement écoute la voix des territoires que nous représentons ici. L’expérience de terrain des sénateurs est un bien précieux qui ne sera jamais remplacé par une quelconque administration.
Pour revenir à la thématique du projet de loi Grand âge et autonomie, la question du financement va être essentielle et permettez-moi de douter de la capacité du Gouvernement à dégager une enveloppe budgétaire suffisamment importante pour répondre à l’un des grands enjeux de demain.
La question de la réforme des retraites est régulièrement évoquée et je ne reviendrai pas ici sur l’ensemble des modalités techniques de la branche vieillesse du PLFSS 2020 – mon collègue René-Paul Savary l’a déjà très bien fait.
Cependant, je tiens à souligner l’hypocrisie avec laquelle l’exécutif s’entête à promettre à nos concitoyens que le système de demain sera meilleur en termes de droits sans pour autant que les devoirs de chacun soient accrus. Il suffit de rappeler le quasi-gel des pensions de retraite de plus de 2 000 euros, quasi-gel qui s’applique également aux prestations sociales. De manière pragmatique, le groupe Les Républicains défendra un recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Bien que peu populaire, cette mesure est nécessaire et s’inscrit dans un contexte de rallongement constant de l’espérance de vie dans notre pays.
En revanche, nous ne pouvons que saluer la volonté du Gouvernement de mieux accompagner les proches aidants, en proposant la création d’un congé indemnisé de trois mois pour les personnes qui soutiennent un proche âgé, malade ou handicapé. Le financement de cette mesure reste cependant plus qu’incertain. Comme il faut toujours rendre à César ce qui appartient à César, je tiens à saluer le travail de notre collègue Jocelyne Guidez qui a été avant-gardiste sur ce sujet, en étant l’auteure d’une proposition de loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants, texte déposé au Sénat dès juin 2018.