Intervention de Jean-Louis Tourenne

Réunion du 12 novembre 2019 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2020 — Discussion générale

Photo de Jean-Louis TourenneJean-Louis Tourenne :

Interrogés par Ipsos en septembre dernier, 62 % des enfants de 8 à 14 ans de ce pays craignent, un jour, de sombrer dans une situation précaire. Peut-on imaginer tableau plus sombre ?

Votre projet de loi de financement de la sécurité sociale n’échappe pas à cette rage destructrice : nouvelle désindexation des prestations familiales après une réduction du périmètre et du montant de la PAJE ; revalorisation en trompe-l’œil de l’AAH, comme nous le verrons dans le PLF – la supercherie finit par se voir et le mécontentement gronde – ; recul sur les crèches, alors qu’il en faudrait davantage dans les quartiers populaires et dans les territoires ruraux, qui ont des moyens trop limités pour faire face aux charges de fonctionnement.

L’argent si généreusement distribué aux plus riches vous conduit à rechercher, avec un certain cynisme, des ressources sur le dos des plus démunis. Il en est ainsi de la suppression de l’abondement des indemnités journalières aux parents de familles nombreuses.

Vous puisez aussi allègrement dans les ressources de la sécurité sociale pour tenter de réduire artificiellement le déficit du budget de l’État, signant ainsi un échec sur toutes les lignes. C’est une trahison inacceptable des valeurs portées par les créateurs de la sécurité sociale ou par ceux qui ont voté la loi Veil de 1994. Ainsi, les cotisations d’assurance payées pour se garantir santé et avenir sont détournées pour masquer la gestion inconséquente du budget de la Nation.

Le déficit de la sécurité sociale est dû en partie, selon la Cour des comptes… et vous, à une surestimation de la masse salariale. Pourtant, vous clamez urbi et orbi avoir relancé les créations d’emplois. Là encore, la distance est grande entre le discours et les actes. Ainsi, après des évolutions positives continues, l’année 2017 a été particulièrement faste, avec la création de 328 000 emplois, dont les deux tiers au cours du premier semestre – vous n’étiez pas encore au pouvoir ! Puis, il y a eu une chute brutale en 2018, avec 168 000 emplois, ce qui explique la baisse des recettes. Or là, vous étiez au pouvoir !

Quelles audaces pouvons-nous porter à votre actif en matière de politique de l’enfance et de la famille ? L’amélioration du dispositif existant sur les pensions alimentaires ? L’accompagnement des proches aidants après avoir refusé une proposition de loi, plus juste, de Mme Guidez, pourtant adoptée à l’unanimité ? Tout cela est bien mince au regard des réalités relevées par Yves Daudigny.

Vous nous parlerez, un peu plus tard, de votre plan de lutte contre la pauvreté, avec les mots du triomphe sûrement. Pourtant, 150 misérables millions au budget 2019 pour éradiquer une pauvreté qui ne cesse, avec vous, d’augmenter, n’est-ce pas leurrer tout le monde ? Mais vous en supprimez, fort opportunément, l’Observatoire. Les départements, eux, en supporteront la charge.

Votre projet paraît bien insuffisant quand la France est championne du monde du déterminisme social, quand l’OCDE constate qu’il faut cent cinquante ans à un petit Français né en milieu défavorisé pour atteindre le salaire moyen. Comment s’étonner, dès lors, qu’augmentent la violence gratuite, les votes extrêmes, les « gilets jaunes » ? Quand l’amertume et la révolte habitent ceux qui sont promis, dès leur naissance et irrémédiablement, à un sombre destin, il ne leur reste que le geste.

Face à la terrible perspective qui se dessine pour notre monde, votre projet semble n’être qu’indifférence, préoccupé essentiellement par la recherche d’économies au détriment des plus vulnérables.

Je voterai contre votre projet, parce qu’il est en lévitation, flottant au-dessus des réalités. Je voterai contre pour cause de vide.

Pour terminer, j’emprunterai quelques mots d’une étude récente de deux sociologues britanniques, Wilkinson et Pickett, intitulée Pour vivre heureux vivons égaux : « Il faut par ailleurs souligner que, dans les sociétés inégalitaires, les pauvres ne sont pas les seuls à souffrir : l’immense majorité de la population est frappée par des taux de violence plus élevés et des indicateurs de santé dégradés. » À méditer, n’est-ce pas ?

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