Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat d’orientation, que nous engageons dans un contexte particulièrement contraint, est le second volet de notre diptyque annuel sur les finances publiques, après la discussion du projet de loi de règlement.
Les orientations de fond mises en œuvre ces dernières années ne doivent pour l’instant pas être modifiées, particulièrement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010 : la norme de progression de la dépense publique et les choix d’évolution des recettes fiscales, que l’on retrouve notamment dans la loi TEPA, doivent rester inchangés.
Le paquet fiscal, dont nous avons déjà dit tout le bien que nous en pensions, continuera à fonctionner, malgré la crise et la détérioration sensible des comptes publics.
Quant à la norme de dépense, c’est encore une fois au travers d’une nouvelle saignée d’emplois publics qu’elle sera tenue coûte que coûte. Il est par ailleurs fort probable que quelques judicieuses mesures législatives ou réglementaires viendront comprimer autant que possible la croissance des dépenses sociales.
Tout cela doit évidemment permettre de prendre en charge le coût grandissant et toujours plus préoccupant de la dette. Celle-ci agit de plus en plus comme un redoutable poids mort dans les comptes publics, en tout cas comme une contrainte qui va sérieusement mettre en question toute politique de réduction des déficits, toute politique fiscale et toute politique budgétaire originale pour quelques années.
Chers collègues de la majorité, vous pouvez fort bien manifester votre inquiétude devant la croissance de cette dette publique, mais vous ne parviendrez pas à nous faire oublier deux éléments.
Premier élément, la dette publique est une bonne affaire et un placement satisfaisant pour une certaine épargne, qui n’est pas toujours celle des ménages les plus modestes ou des petites et moyennes entreprises.
Parler de dette publique en oubliant un peu vite qu’une bonne part de celle-ci est souscrite par des résidents – ménages, compagnies d’assurance et autres structures de même nature –, c’est en effet mentir délibérément aux Françaises et aux Français.
Second élément, il y a bien évidemment plusieurs manières de faire croître et embellir la dette publique. Celle qui est aujourd’hui à l’œuvre consiste, pour l’essentiel, à gager le prix des réductions de recettes fiscales décidées politiquement par l’émission de nouveaux titres de dette publique.
Dans les faits, cela n’apporte absolument rien au développement économique et social de la nation, les initiatives privées ainsi libérées de l’impôt ne se mobilisant apparemment pas pour se substituer à l’intervention publique.
Si nous nous endettions pour réaliser les infrastructures de transport dont nous avons besoin, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, relier les territoires et favoriser le développement harmonieux de l’ensemble des bassins de vie de notre pays, cela pourrait se comprendre.
Si nous choisissions de nous endetter pour renforcer l’équipement éducatif du pays, pour développer le logement social ou pour répondre aux nécessités de l’égalité d’accès aux soins, cela pourrait aussi se comprendre.
Mais tel n’est pas le cas ! Nous nous endettons pour payer la facture des cadeaux fiscaux, l’importation de la récession américaine, celle qui découle de choix de gestion d’entreprises françaises de moins en moins responsabilisées. En un mot, c’est un « mal-endettement » de l’État qui se développe.
La même observation vaut d’ailleurs pour la sécurité sociale, victime d’une sensible réduction de ses recettes du fait de l’accroissement du chômage, et pour laquelle, là encore, la logique favorable aux revendications corporatistes de certains syndicats de médecins a été, en dépit du bon sens, prise en compte.
Quant aux prestations servies par les régimes de retraite, comme par l’assurance maladie, elles ont continué de subir les effets des choix inscrits dans les lois de financement de la sécurité sociale.
Cette situation n’a toutefois pas empêché la Cour des comptes de ne pas valider les comptes de l’assurance vieillesse, comme ceux de l’assurance maladie, au motif de leur absence de sincérité.
Ce cadre général, qui demande toujours plus au contribuable ou à l’assuré social modeste – plus de cotisations et d’impôts, pour moins de service en retour –, est, une fois encore, celui qui sera fixé par le Gouvernement dans les prochaines loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale.
Le cadre est d’autant plus contraint que plusieurs annonces ont déjà été faites quant à l’évolution de nos prélèvements.
La croissance de 0, 5 % prévue pour 2010, croissance qui relève, de notre point de vue, de l’incantation, est d’ores et déjà consommée. Il faut tout à la fois supporter les effets du paquet fiscal de 2007, la réduction de la TVA sur la restauration et la réforme de la taxe professionnelle.
A contrario, a été annoncée la création d’une taxe carbone, sur laquelle nous avons une position très simple : nous sommes contre ce qui contribuera, une fois encore, à extraire une partie de l’impôt du lieu de création des richesses, c’est-à-dire l’entreprise, et à taxer une consommation déjà largement obérée par un grand nombre de taxes et de droits divers.
La fiscalité environnementale rapporte déjà aujourd’hui quelque 50 milliards d’euros. Mais la plus importante recette de cette fiscalité, c’est-à-dire la taxe intérieure sur les produits pétroliers, ou TIPP, ne sert aucunement la cause écologique : elle est reversée soit au budget général, soit aux collectivités locales pour leur permettre de faire face aux charges transférées au titre de la décentralisation.
Nous sommes partisans d’une rénovation de notre système de prélèvements fiscaux : il faudrait par exemple s’interroger sur le bien-fondé de la prise en charge par les collectivités des compétences transférées depuis la décentralisation « à la sauce Raffarin », mais également prévoir le transfert d’autres recettes fiscales pour favoriser cette éventuelle prise en charge.
Pourquoi ne pas décider dès 2010 de cette orientation nécessaire au retour à la cohérence et à l’équilibre des dépenses publiques ? Pourquoi ne pas faire de la collecte de la TIPP le moyen d’alimenter un fonds d’investissement écologique permettant, par exemple, de faciliter le financement des travaux pour rendre les logements anciens moins gourmands en énergie ou de développer la recherche sur l’utilisation d’alternative aux carburants pétroliers ?
Pour le moment, si nous nous en tenons à ce qui figure dans la presse, la taxe carbone, au motif de favoriser la préservation de l’environnement, risque avant tout de servir, d’une part, à compenser la réforme de la taxe professionnelle et, d’autre part, à augmenter le prix de l’essence et du chauffage pour les ménages les plus modestes. Cela revient à accroître les défauts inhérents à notre système de prélèvements obligatoires, qui sont trop fondés sur des dispositions régressives, pénalisant lourdement les plus modestes au bénéfice des plus aisés et des grandes entreprises.
Selon nous, une réorientation des finances publiques doit participer de ce nécessaire examen de l’état des lieux, de la mise en cause des choix fiscaux et sociaux adoptés ces dernières années et de la valorisation de choix budgétaires plus conformes à l’intérêt général.
Nous l’avons vu, l’état des lieux est particulièrement préoccupant : de 125 à 130 milliards d’euros de déficit en 2009 et sans doute pas beaucoup moins en 2010. Dans le rapport annexé, il est indiqué que le déficit public devrait encore atteindre de 7 à 7, 5 points de PIB en 2010 et qu’il ne devrait baisser que d’un point en 2011 et d’un autre point en 2012.
En clair, nous devrions atteindre en 2012 un magnifique taux de déficit de 5, 5 %, bien au-delà des limites autorisées par l’Union économique et monétaire, et un niveau de dette publique proche des 90 % du PIB.
Cette situation – faut-il le dire ? – justifie pleinement qu’on réfléchisse à la mise en place d’un emprunt obligatoire pour les entreprises comme pour les ménages les plus aisés, emprunt dont nous souhaiterions ici caractériser certains principes.
Une telle initiative ne serait pas nouvelle puisque le gouvernement de M. Mauroy, auquel participait M. Delors, avait fait adopter en 1983 un projet de loi d’habilitation, d’ailleurs rejeté par le Sénat de l’époque à la suite des conclusions du rapport de notre ancien collègue Maurice Blin. C’est sur la base de ce texte, devenu la loi du 22 avril 1983, qu’avait été prise l’ordonnance du 30 avril 1983 relative à l’émission d’un emprunt obligatoire.
Cet emprunt, souscrit auprès des contribuables de l’impôt sur les grandes fortunes et des ménages acquittant les plus importantes cotisations d’impôt sur le revenu, était assorti d’un taux actuariel de 11 % – l’inflation était à l’époque d’une autre nature qu’aujourd’hui ! –, et sa durée de remboursement avait été fixée à trois ans.
Compte tenu de la situation, nous devrions nous orienter vers les mêmes caractéristiques, à une nuance près : l’inflation devrait conduire à mettre en œuvre un emprunt obligatoire à taux nul ou quasi nul.
Nous devons également nous pencher sur la question de la dette des entreprises publiques, puisque la controverse née de la situation d’EDF semble bel et bien montrer la nécessité de pousser la réflexion sur le sujet.
Les entreprises publiques sont endettées, parfois de manière importante, et ne sont pas véritablement en situation de faire face aux exigences du développement futur de leur activité.
Il est manifeste que nous devons réfléchir à la mise en œuvre d’une vaste opération d’échange de titres de dette, transformant en dette complémentaire de l’État la dette des entreprises publiques, et permettant de délivrer ces dernières du fardeau de leurs charges financières.
Dans le même ordre d’idées, permettez-moi d’évoquer les problématiques européennes. Il est plus que temps que la Banque centrale européenne, plutôt que de délivrer des bons et des mauvais points aux élèves de la « classe euro », prenne une initiative forte pour aider au développement de chacun des pays de l’Union européenne.
La Banque centrale européenne, jouissant de la position dont elle bénéficie au regard des marchés financiers, doit souscrire un emprunt destiné, entre autres, à faire face aux dépenses d’infrastructure et d’équipement nécessaires à la cohésion du projet européen, singulièrement en matière d’infrastructures ferroviaires, d’infrastructures de transport ou de développement de l’économie numérique.
Il faut que M. Trichet mette enfin au service des États de l’Union européenne les moyens d’un développement économique peu coûteux, en levant ces ressources pour permettre aux États de mettre en œuvre leurs choix politiques.
Revue générale de la dépense fiscale, remise en question des choix opérés depuis 2007, emprunt obligatoire et gestion active de la dette publique : voilà quelques-unes des orientations que nous devrions privilégier.
Et il ne faut pas oublier la question de l’avenir de notre système de sécurité sociale, sur lequel plusieurs orateurs sont intervenus.
D’aucuns pourront toujours gloser sur l’allongement de la durée nécessaire pour ouvrir droit à la retraite ou sur la faiblesse du taux d’emploi des seniors ; mais en réalité, il faut le dire, les comptes sociaux sont aujourd'hui dans le rouge ! Tout comme les comptes de l’État, ils pâtissent de l’insuffisance des recettes liée à la dégradation de la situation économique.
En parallèle, les comptes de l’assurance chômage sont particulièrement dégradés.
Pour répondre à ces problèmes, le Gouvernement a conçu différentes solutions.
D’une part, il a fait adopter un projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, qui va conduire à la dégradation du service rendu, pour des économies de bout de chandelle.
D’autre part, il va tenter, avec le texte sur le devenir de la formation professionnelle, de faire main basse sur l’argent des salariés – celui de leurs cotisations – pour financer son propre désengagement en matière de préservation de l’emploi productif.
Avec un gouvernement qui a mis en place un fonds de soutien au secteur automobile payant les plans sociaux et un fonds stratégique d’investissement pour alimenter les opérations spéculatives de quelques entreprises, il faut s’attendre au pire !
Dans le champ de la protection sociale, il est temps que l’on s’interroge une bonne fois pour toutes sur les politiques d’allégement de cotisations sociales et leurs effets pervers, de la même manière qu’il faudra sans doute un jour prendre les mesures qui s’imposent contre les professionnels de médecine refusant les bénéficiaires de la CMU.
Tels sont tous les points que nous souhaitions ici soulever, en regrettant par avance – faut-il le répéter ? – que les choix désastreux ayant conduit les finances publiques au plus mal ne soient pas remis en cause.