Monsieur le ministre, que nous réserve l’année 2010 sur le plan économique et financier ? Vos pronostics ne sont pas faits pour nous rassurer.
Vous avez parlé d’un taux de croissance terriblement comprimé. J’ai cru comprendre que la France serait moins réactive que l’Allemagne.
Vous avez évoqué un déficit de 130 milliards d’euros en 2009 et en 2010, sans oublier les 30 milliards d’euros de déficit des comptes sociaux, ce qui représente donc une somme gigantesque.
Vous avez aussi dit que la dette, dont le taux est aujourd’hui de 70 %, atteindra rapidement 80 %, voire 86 % en 2010, puis très vite 100 %. Si nous continuons sur le même rythme, nous serons à 130 % en 2020.
M. le président de la commission des finances a parlé de « vertige », d’ « asphyxie », et il a souligné à quel point la politique de communication du Gouvernement anesthésiait l’opinion. Nous partageons bien sûr cette façon de voir, même si nous souhaitons aller plus loin que lui dans l’analyse des responsabilités politiques.
De fait, la crise systémique apparue dans un premier temps dans la sphère bancaire frappe désormais tous les secteurs économiques. Notre inquiétude se porte évidemment sur la question du pouvoir d’achat et du chômage.
Nous n’oublions pas non plus la question vitale de l’environnement et du climat, qui impose de placer la conduite des politiques publiques, et donc de leurs financements, sous le signe du développement durable. Peut-on à cet égard parler de développement durable lorsqu’on laisse filer l’endettement comme le fait le Gouvernement ? Assurément non, mais j’y reviendrai.
C’est donc dans une situation tendue à l’extrême que s’inscrit la préparation du budget pour 2010. Le rapporteur général, Philippe Marini, parle ainsi de « la France en état d’apesanteur financière ».
Pourtant, malgré les risques qui pèsent sur l’avenir, et non content de poursuivre une politique budgétaire dangereuse, le Gouvernement s’autorise à lancer des réformes hasardeuses dont l’impréparation le dispute à la démagogie. Il en va ainsi de la réforme territoriale, dont nous avons bien compris qu’elle a surtout vocation à renforcer le poids du parti présidentiel. C’est également le cas de la suppression de la taxe professionnelle, qui conduira inévitablement à l’étouffement financier des collectivités locales.
Complètement désarçonné par la crise financière, le Gouvernement abuse des effets d’annonce, comme, par exemple, le « grand emprunt » annoncé à Versailles par le chef de l’État sans qu’il y ait eu au préalable la moindre réflexion sur le montant, le taux, la durée et encore moins l’usage ! À ce jour, une chose est sûre : faute d’avoir clairement expliqué aux Français le sens de cet emprunt, le Gouvernement l’a d’ores et déjà rendu impopulaire à 82 % de nos concitoyens, si l’on en croit un récent sondage.
Monsieur le ministre, en 2010, la situation économique et financière sera très difficile en France comme dans la plupart des autres grands pays ; chacun ici en convient. Il est incontestable que les marges de manœuvre seront très étroites pour les gouvernants. Raison de plus pour veiller à appliquer la bonne politique au bon moment de manière à préparer au mieux l’avenir de notre pays ! À cet égard, je suis véritablement inquiet ! En effet, comme beaucoup de mes collègues sénateurs, de tous bords d’ailleurs, j’ai le sentiment que la politique de recette conduite en France depuis 2002 mène à une véritable catastrophe !
Nous avons le sentiment, monsieur le ministre, que vous vous trompez lourdement dans votre politique fiscale. J’aimerais ici vous le démontrer, de façon à vous convaincre de changer profondément vos orientations budgétaires pour 2010. En effet, l’état calamiteux de nos finances publiques provient fondamentalement non pas seulement de la crise mais aussi, en grande partie, de votre mauvaise politique de recettes.
La Cour des comptes ne dit d’ailleurs pas autre chose. Dans son rapport sur l’exécution du budget 2008, la juridiction financière insiste sur le fait que la dégradation des comptes publics n’a été provoquée qu’à la marge par la crise, qui représente seulement 4 milliards d'euros de moins-values fiscales, alors que le Gouvernement a accordé, dans le même temps, 7, 8 milliards d'euros de nouveaux cadeaux fiscaux pour la seule année 2008.
Ces cadeaux fiscaux, cumulés à ceux des années précédentes, portent le montant total des dégrèvements et remboursements d’impôt à 92, 2 milliards d'euros ! Ce chiffre, qui paraît presque incroyable, fait véritablement froid dans le dos !
Il est vrai que cette stratégie n’est pas nouvelle. Nous l’avons vu apparaître dès 2002, avec le gouvernement Raffarin, avant d’être poursuivie par M. de Villepin, notamment au travers de son fameux « bouclier fiscal ».
Les effets néfastes étaient tels que, à peine M. Sarkozy élu, Mme Lagarde appelait de ses vœux un plan de rigueur, avant d’être tancée par l’Élysée. Puis ce fut au tour de M. Fillon d’indiquer que les caisses de l’État étaient vides et que la France était en « faillite ». Malheureusement, ce constat lucide ne l’a pas empêché d’appliquer les consignes de l’Élysée, tout en accentuant les choix de ses prédécesseurs ; la loi TEPA et son paquet fiscal, adoptés en 2007, ont ainsi coûté au budget général 3, 3 milliards d'euros en 2008.
Ces mesures ne sont pas seulement dispendieuses, elles portent aussi, à nos yeux, gravement atteinte au principe de progressivité de l’impôt.
Rappelons en effet que la loi TEPA a introduit une quasi-suppression des droits de succession, l’exonération d’impôt sur le revenu des heures supplémentaires, la déduction de 75 % du montant de l’ISF pour certains investisseurs et, pour couronner le tout, elle a abaissé le bouclier fiscal à 50% ! Ajoutez-y des restitutions d’impôt sur les sociétés et de TVA, coûtant au total 9, 5 milliards d'euros en 2008, et vous obtenez une situation explosive au profit des contribuables favorisés.
Dans son rapport de juin 2009, la Cour des comptes pointe « un mouvement ancien d’allégements fiscaux ». Les magistrats de la rue Cambon relèvent en effet que la baisse des impôts de l’État depuis quatre ans a contribué à accroître le déficit de 39 milliards d'euros en 2009. Pis, le déficit structurel s’aggravera en 2010 à cause de la baisse de la TVA sur la restauration, qui coûtera au moins 2, 5 milliards d'euros, …