Intervention de Raymond Vall

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 novembre 2019 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « avances à l'audiovisuel public » -programmes 844 « france médias monde » et « tv5 monde » - examen du rapport pour avis

Photo de Raymond VallRaymond Vall, co-rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, 2019 et 2020 se ressemblent. Nous restons dans la même logique d'application du programme pluriannuel d'économies substantielles demandées aux entreprises du secteur public de l'audiovisuel, sans véritable discernement, ni prise en compte de la spécificité de France Médias Monde et TV5 Monde, les opérateurs de la politique audiovisuelle extérieure.

En 2020, les dotations allouées aux entreprises de l'audiovisuel public (3,71 Md€) diminueront de 1,8 % par rapport à 2019, conséquence :

 · de l'application du plan d'économies,

 · de la diminution, un peu démagogique, de 1 € du taux de la contribution à l'audiovisuel public (CAP)

 · et de l'absence réforme de cette contribution alors même qu'il est prévu en 2020 une baisse des encaissements liés au moindre rendement de son assiette.

Dans nos précédents avis, nous avions déploré la progression limitée (2018) puis la baisse (2019) des crédits de France Médias Monde et de TV5 Monde. Cette situation inquiétante s'assombrit de nouveau dans le PLF 2020 : France Médias Monde voit ses crédits baisser de 1 M€ à 255,2 M€ et ceux de TV5 Monde stagner à 76,2 M€.

Force est donc de constater le décalage croissant entre les recettes affectées et les prévisions du contrat d'objectifs et du plan stratégique.

Si l'on peut comprendre le souhait d'une réduction de l'empreinte du secteur public sur le territoire national et la recherche d'économies, rien ne justifie en revanche, au regard de leurs gestions rigoureuses et des besoins d'une politique audiovisuelle extérieure dynamique, que les opérateurs de cette politique soient taxés « parce que les autres le sont ».

Cela revient à nier leurs spécificités et leur importance dont on se gratifie plus facilement dans les discours que dans les actes.

Chacun s'alarme du regain des luttes d'influence sur les ondes et dans l'espace numérique.

Chacun déplore la multiplication des actions de désinformation et de déstabilisation.

Chacun s'émeut du développement des médias extérieurs par les Etats puissances, des restrictions portées par les Etats autoritaires et populistes à la liberté d'information sur leur territoire, et du maintien de la propagande des groupes terroristes sur l'internet et les réseaux sociaux.

Chacun reconnait qu'il est pourtant essentiel et de bon sens que la France puisse être présente avec des médias porteurs de ses valeurs, qu'elle y consacre les moyens nécessaires et ne laisse pas à la merci de la propagande insidieuse de nos adversaires des populations pour lesquelles elle engage parfois même la vie de ses soldats.

Chacun s'agite, personne n'agit ! D'où notre colère !

Où est la cohérence entre les belles paroles au sommet de l'Etat et les moyens comptés de nos opérateurs qui, pourtant, nous allons vous en donner l'illustration, font des efforts considérables pour tenir leur rang donnant encore l'illusion de la puissance française, mais pour combien de temps sachant que les pertes de positions dans la distribution ne se rattrapent jamais sans en payer le prix fort.

Au bilan, TV5 Monde est confrontée à la même réalité qu'en 2018 (-1 M€) et 2019 (-1,2 M€), son allocation de crédits stagne à 76,2 M€. Alors que le plan stratégique 2017-2020 appelait des financements plus conséquents.

Les principaux objectifs de ce plan, concernant la transformation numérique et le déploiement en Afrique, auront été anticipés et réalisés au cours de deux premières années, mais TV5 Monde ne pourra le réaliser complètement (abandon du passage à la HD dans les Amériques hors États-Unis et Canada, pas de langue supplémentaire de sous-titrage, report du sous-titrage en direct...).

Les résultats excellents de ses audiences, grâce à sa notoriété, à l'adaptation et au caractère inclusif (notamment en Afrique) de ses programmes, mais aussi à sa transformation numérique (notamment en Inde) ne doivent pas dissimuler des perspectives plus sombres pour l'avenir liées au recul de sa distribution, au sous-financement du renouvellement de ses investissements techniques et à une forme d'altération de la confiance des partenaires francophones.

A travers ces neuf déclinaisons généralistes régionalisées, sous titrées dans 14 langues, de deux programmes thématiques, et de 7 verticales thématiques numériques, TV5 Monde est le principal outil télévisuel de rayonnement de la francophonie et à travers elle de la France. Elle s'efforce aussi avec succès de promouvoir les productions de fiction et de magazine africain et participe à l'émergence d'un secteur dynamique dans ces pays.

Là où des mesures d'audiences sont effectuées, essentiellement en Afrique sur 24 pays, TV5 Monde est regardée chaque semaine par 42 millions de foyers et 16 millions de plus si on ajoute, mesurée sur 4 pays, la chaine enfant qui est un véritable succès.

Mais les contraintes budgétaires portent déjà atteinte à sa distribution qui a été réduite de 370 à 364 millions de foyers, en raison de l'abandon de la diffusion en Grande-Bretagne et en Irlande (-16 millions de foyers) habillée l'année dernière en lancement d'une expérimentation de distribution exclusive en OTT (télévision connectée), qui se solde par de piteux résultats : TV5 Monde évalue à quelques milliers de foyers sa reprise, ce qui montre bien que l'effet report annoncé relève de l'infox. En 2020, pour économiser sur ses liaisons satellites, TV5 Monde abandonnera le Brésil (-2 millions de foyers) et l'Europe continentale (-30 millions), ce qui aura dès lors un impact sur son audience et sur ses ressources propres.

Elle entrera en récession et aura beaucoup de difficulté à financer le projet de plateforme numérique de fictions francophones, initié par le Canada qui met au pot 9,5 M€, dont 6 M€ dès maintenant pour les investissements et les achats de droits d'oeuvres canadiennes. Pour conserver le projet au sein de TV5 Monde, les autres partenaires ont accepté la prise en charge de l'exploitation et de la maintenance, mais sans dégager de crédits supplémentaires. TV5 Monde doit donc mobiliser 6 M€, 2 pour le fonctionnement et 4 pour des achats de droits sauf à laisser la plateforme ne distribuer que des programmes canadiens. Le dynamisme aujourd'hui est chez nos partenaires canadiens.

Elle aura aussi beaucoup de difficultés à renouveler son outil de production et de diffusion, aujourd'hui amorti. Un budget de 12 M€ sur 4 ans est au minimum nécessaire et TV5 Monde doit prendre le risque de différer sa programmation.

J'ajoute que cette incapacité pour la France de tenir ses engagements, alors qu'elle est le premier partenaire - 2/3 du financement mais aussi le siège, les emplois, la direction, ce qui n'est pas négligeable - ne la place pas dans une bonne situation vis-à-vis de ses partenaires. Elle est le seul pays à avoir réduit sa contribution depuis la création de TV5 Monde, de surcroît sans concertation et elle continue à être la seule à ne pas respecter ses engagements de financement à hauteur des 2/3 comme le prévoit la convention.

Un nouveau plan stratégique est en préparation autour de deux thématiques principales, technologique avec la plateforme de distribution, et éditorial avec l'accent mis sur les thèmes environnementaux. Mais ce plan n'est pas préparé dans les meilleures conditions puisqu'il n'a aucune perspective sur son financement.

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