Les perspectives de France Médias Monde ne sont pas meilleures, malgré ses résultats, d'autant que plane sur elle une grande incertitude liée à la nouvelle loi sur l'audiovisuel à l'ère du numérique qui viendra en discussion début 2020 à l'Assemblée nationale et au printemps au Sénat.
Oui, France Médias Monde continue à afficher de bons résultats. Sa couverture atteint 385 millions de foyers et continue à progresser. L'audience de ces différents médias (France 24, RFI et MCD) atteint 176 millions de personnes par semaine. S'agissant des environnements numériques, ils enregistrent 46 millions d'utilisateurs hebdomadaires.
Oui, France Médias Monde réalise les objectifs de son contrat dont les principaux axes sont l'enrichissement des grilles de programme avec l'ouverture d'un service de France 24 en espagnol en 2017 qui connaît depuis un vif succès, l'adaptation aux évolutions des modes de diffusion (TNT en Afrique, HD et surtout numérique) et la production depuis cette année de programme de RFI en langue peule et mandingue depuis Dakar, ce qui est fondamental dans le contexte de la bande sahélo-saharienne où nos armées sont engagées.
Mais ces bons résultats ne doivent pas masquer des arbitrages qui assombrissent l'avenir de façon plus inquiétante.
Pour financer les impasses budgétaires auxquelles conduit le non-respect par l'Etat de ses engagements financiers (au total 9,9 M€ de décalage en 2020 - elle devait recevoir 2 M€ de plus cette année, on lui en enlève 1), la société certes racle les fonds de tiroir et parvient encore à force de renégociations coûteuses en énergie et avec le concours de ses personnels à réaliser quelques économies sur son fonctionnement et ses programmes, en allongeant par exemple la programmation à l'antenne des grilles d'été, moins coûteuses, mais de moindre qualité.
Mais cela ne suffit pas. Pour financer les impasses budgétaires, il faut rogner sur les coûts de diffusion et de distribution en abandonnant sa distribution aux États-Unis, en Scandinavie, en limitant les passages en HD ou en TNT payante en Afrique, en supprimant la diffusion en onde moyenne vers le Moyen-Orient et sa diffusion sur la TNT en Ile-de-France avec une baisse attendue de 8 millions de foyers et une économie de 1 M€ en 2020 avec les conséquences que cela aura pour l'audience et la notoriété.
Pour l'avenir FMM reste en dialogue avec ses tutelles et espère éviter la fermeture du service en espagnol, fonde quelques espoirs sur la participation de l'AFD pour le développement de certains programmes en langue africaine comportant un volet formation avec CFI. Il semble qu'une enveloppe de 15 M€ sur 3 à 5 ans soit envisageable pour des projets nouveaux, ce qui est une avancée mais ne répond que de façon adjacente au besoin de financements de programme et de la diffusion, engendre de nouveaux coûts de productions et demande une logistique administrative considérable peu compatible avec l'agilité et la réactivité nécessaire dans le monde numérique ;
FMM compte aussi sur des apports de financement européen à des programmes spécifiques développés en partenariat avec la Deutsche Welle, dans l'espace numérique, à l'image d'infoMigrants diffusé depuis deux ans, comme le projet plurilingue sur mobiles à destination des jeunes autour de la lutte contre le fléau des infox, projet entrant dans le cadre du traité franco-allemand d'Aix-la-Chapelle.
Compte tenu de l'absence de marges de manoeuvres suffisantes sur le fonctionnement courant des entreprises, nous avions, l'année dernière, refusé l'idée de laisser ces entreprises naviguer à vue, comme celle de renoncer à nos ambitions dans un contexte où nos adversaires renforcent leur influence, alors que nous savons la parole de la France attendue comme le montrent les succès d'audience quand nos médias parviennent à la délivrer et parce que la mission de ces médias est une véritable mission de service public et que nombre des aspects de cette mission contribuent au développement des territoires et des populations desservis qui se situent dans des pays en développement ;
Oui, nous avions imaginé pouvoir rééquilibrer les allocations de la contribution à l'audiovisuel public, mais on nous a expliqué que nous donnions un mauvais exemple qui servirait de prétexte aux mastodontes pour ne pas appliquer leurs plans d'économies ;
Oui, nous avions imaginé également que l'on pourrait créer une ligne budgétaire dans le programme 209 pour financer au moyen des crédits d'aide au développement un certain nombre de programmes éducatifs ou de services à destination des pays d'Afrique subsaharienne et là, tout en reconnaissant, l'importance de cette mission, on nous expliquât, Quai d'Orsay en tête, qu'il était exclu de revenir à un financement budgétaire même marginal des opérateurs, ce qui est le cas partout en Allemagne (350 M€) et en Grande-Bretagne, notamment, où la BBC World reçoit ¼ de son budget (430 M€) du Foreign Office.
Nous sommes en colère et découragés, car la sauvegarde des petits pré-carrés se fait au détriment de l'intérêt national et personne au sommet de l'Etat ne porte plus cette ambition autrement que par de bonnes paroles, ce qui effectivement ne coûte rien mais est en train de saper progressivement les capacités de nos opérateurs.
Et pourtant, nous continuerons à soutenir cette ambition parce que nous la croyons juste, et par respect et reconnaissance envers les dirigeants et les personnels de ces médias, qui ne font pas la « une » des magazines people, et ne pratique pas l'hystérisation de l'actualité, mais travaillent avec beaucoup de dévouement, de talent et d'honnêteté à soutenir l'image et les valeurs de notre pays, hors de ses frontières.
Au-delà pèse évidemment une grande incertitude liée au projet de réforme de l'audiovisuel public à l'ère du numérique. Cette loi prévoit de chapeauter France Télévisions, Radio France, l'INA et France Médias Monde par une holding (TV5 Monde et Arte en raison de leur statut international restent indépendantes). Cette holding présentée comme une structure légère, inspirée du « Board des gouverneurs de la BBC », chargée de superviser et de coordonner le développement de ses filiales et notamment leur transformation numérique, mais surtout de répartir entre ses quatre filiales et elle-même le montant de la contribution à l'audiovisuel public qui lui sera désormais attribué, privant au passage le Parlement de la décision. Le risque est double :
- celui de voir diluer la spécificité de FMM, petite structure au sein d'un grand ensemble, qui sera nécessairement soumis aux pressions du monde de la production audiovisuelle et de ses plus grosses filiales et pourrait vite devenir le premier gisement d'économies,
- celui de voir la holding absorber de plus en plus de compétences au nom de la rationalisation de la gestion et de perdre l'agilité qui fait la force d'une entreprise comme FMM.
Comment faire prévaloir la spécificité de la politique audiovisuelle extérieure ? Nous ne serons pas dépourvus de moyens, si nous parvenons à être convaincants, mais pour cela il faudra faire entendre notre voix et donc que la commission demande à être saisie pour avis lorsque le texte viendra au Sénat au printemps 2020. Ensuite, il faudra être imaginatif pour proposer des leviers efficaces au-delà de la simple présence d'administrateurs du Quai d'Orsay au sein des conseils d'administration, ce qui est présenté comme une garantie mais qui est en fait assez dérisoire car la position de l'Etat sur les questions importantes sera arbitrée préalablement et présentée par le commissaire du gouvernement, issu du ministère de la culture, afin de préserver les ressources, définir la stratégie, orienter les objectifs, et rien n'interdit non plus au Parlement, considérant la spécificité des médias audiovisuels extérieurs, d'en préserver l'indépendance et de continuer chaque année à leur attribuer une part de la contribution à l'audiovisuel public, tout en la complétant par des financements budgétaires complémentaires. Aucun sujet ne doit être tabou.
Dans ce contexte et à la veille d'une échéance cruciale, je pense qu'un vote négatif sur les crédits de l'audiovisuel extérieur aurait plus de poids pour exprimer notre mécontentement et notre volonté de revenir à une politique audiovisuelle extérieure plus robuste en cohérence avec nos ambitions sur le plan international et aux attentes de nombreux citoyens qui par le monde partagent l'universalité des valeurs que nous défendons. Ce faisant, si au cours de la discussion parlementaire, les crédits de FMM ou de TV5 Monde étaient réajustés au niveau des engagements pris par l'Etat dans leur COM et plan stratégique, je vous propose que nous reconsidérions notre position pour soutenir cette nouvelle répartition de la contribution à l'audiovisuel public.